Dans une brusque volte-face reflétant le caractère
désespéré de la crise du système financier américain et mondial, le secrétaire
du Trésor américain Henry Paulson a annoncé mercredi qu’il avait laissé
tomber le plan qu’il avait fait passer au Congrès voilà à peine un mois
dans le but de racheter les soi-disant « actifs toxiques » des bilans
bancaires. Il a déclaré plutôt que le renflouement allait maintenant être concentré
entièrement sur l’injection directe de fonds publics dans un large réseau
d’institutions financières.
La modification du plan, qui avait été officiellement
présenté comme le seul moyen d’empêcher un krach financier, a entraîné
une autre chute marquée sur les marchés boursiers, qui ont vu dans ce
changement un signe de débandade. Le marché avait déjà été précédemment frappé
par des rapports indiquant une chute marquée de la consommation, une diminution
des profits dans une variété de secteurs économiques ainsi que de nombreuses
mises à pied à venir. Le Dow Jones a chuté pour la troisième journée
consécutive, terminant la session avec une perte de 411,3 points, soit un total
de 9 pour cent depuis le début de la semaine.
En expliquant pourquoi le plan de sauvetage de 700
milliards $ avait été si drastiquement modifiée que même son nom, le
Troubled Asset Relief Program (programme de sauvetage des actifs à risque, ou
TARP), avait été rendu obsolète, Paulson a commenté que la proposition
consistant à racheter des titres adossés à des créances hypothécaires
« avait semblé être la bonne solution », mais « alors que la
situation s’aggravait, les faits ont changé ».
Le secrétaire au Trésor a indiqué que dans le mois qui a
suivi la promulgation du programme, la crise qui avait eu raison
d’importantes institutions financières et menacé l’existence même
des plus grandes banques du pays s’était répandue davantage, menaçant
maintenant les marchés critiques du crédit au consommateur. La crainte qui se
développe est que l’effondrement de ce secteur puisse mener au gel du
crédit pour les consommateurs et précipiter ainsi une chute vers la dépression.
Bien que Paulson ait soutenu que l’économie avait
déjà montré des « signes d’amélioration » en raison du
sauvetage de Wall Street et d’autres mesures semblables prises
internationalement, il lança un avertissement qui semblait justement contredire
cette assertion : « Notre système financier demeure fragile face à un
ralentissement économique, ici et à l’étranger, et les bilans des
institutions financières comportent encore d’importantes quantités
d’actifs non liquides ; les troubles du marché ne se calmeront que
lorsque la majeure partie de la correction dans le secteur immobilier sera
derrière nous. »
« Heureusement, nous, ainsi que le Congrès, avons été
suffisamment prescients et avons obtenu un large éventail de pouvoirs et
d’outils sous cette loi », a ajouté Paulson. « Et je ne vais
jamais m’excuser d’avoir modifié une approche ou une stratégie si
les faits changent. »
Effectivement, la loi passée au Congrès le 3 octobre
accordait à Paulson, l’ancien directeur général de Goldman Sachs, des
pouvoirs pratiquement illimités pour distribuer les fonds publics à ses anciens
acolytes.
Paulson a indiqué que le gouvernement
étendrait son investissement direct autant aux banques qu’à
d’autres institutions financières, qui fut entrepris le 14 octobre avec
le plan consistant à injecter 250 milliards de dollars dans les principales
banques du pays. Les nouveaux investissements iront aussi à des compagnies non
bancaires et qui s’occupent de cartes de crédit, de prêts étudiants, de
prêts automobiles et d’autres formes de dettes du consommateur.
Il a aussi affirmé que le gouvernement
considérait un plan dans lequel il injecterait des montants comparables aux
investissements faits par des institutions financières privées, bien
qu’il ne soit pas clair dans les conditions actuelles qui chercherait à
faire de tels investissements.
Bien que Paulson et les médias de la grande entreprise
aient tenté de présenter cet élargissement du programme comme une aubaine pour
les étudiants et les consommateurs et un stimulant à la création
d’emplois, l’argent servira non pas à renflouer les travailleurs
qui peinent à maintenir leur tête hors de l’eau, mais plutôt à sauver les
compagnies financières qui avaient jusqu’à tout récemment profité
énormément de la spéculation financière (en accordant du crédit et en
revendant, sous une autre forme, ces dettes à des investisseurs).
La crise du marché du crédit lié à la consommation
s’est fait sentir cette semaine lorsqu’American Express a entrepris
sa conversion en une société de portefeuille bancaire, dans le but d’être
éligible au plan de sauvetage. Cette compagnie majeure de carte de crédit a vu ses
défauts de paiement doubler au cours de la dernière année.
Paulson a rapporté que le Trésor avait déjà injecté 115
milliards de dollars en argent des contribuables dans huit grandes institutions
financières et qu’il avait approuvé des « dizaines d’autres
demandes » provenant d’autres banques qui cherchent à obtenir une
part des 250 milliards $ alloués à l’achat d’actions
privilégiées de ces institutions par le gouvernement.
Selon ce plan, le gouvernement s’est engagé
explicitement à ne pas exercer ses droits de vote sur les actions qu’il a
achetées, n’exerçant ainsi aucun pouvoir sur la façon dont les banques
vont utiliser ces centaines de milliards de dollars du trésor public.
Les preuves ne manquent pas pour montrer
que les banques, plutôt que de prêter l’argent provenant du Trésor
américain, l’accumulent et se préparent à l’utiliser pour payer des
dividendes aux actionnaires et des bonus aux hauts dirigeants ainsi que pour
acquérir des concurrents plus faibles.
Il a été estimé que les neuf plus grandes
banques américaines, qui reçoivent un total de 125 milliards en fonds publics,
payeront 25 milliards, soit 20 pour cent de l’aide, en dividendes pour
les riches actionnaires d’ici une année.
Selon Bloomberg News, Goldman Sachs
et Morgan Stanley, qui ont reçu à eux deux 20 milliards d’aide, ont mis
de côté 11 milliards en bonus qui seront payés aux hauts dirigeants, aux
courtiers et aux banquiers dans le secteur de l’investissement, dont le
salaire médian avant ces bonus est de 400 000 $, soit près de 10 fois
le salaire moyen du travailleur américain.
Le département du Trésor a refusé de
répondre aux questions portant sur le prochain magot aux frais des
contribuables et la loi qui approuve le plan d’aide n’imposait
aucun empêchement à de tels bonus. Il a aussi probablement rejeté les demandes
pour obliger les banques à prêter l’argent qu’elles ont reçu des
coffres publics. Le représentant du département du Trésor responsable pour le
plan d’aide, Neel Kashkari, a insisté la semaine dernière qu’il ne
« gérerait pas les détails » des décisions que font les banques sur
leurs prêts.
Un autre aspect peu discuté de la loi sur
le plan d’aide, qui n’a reçu un peu d’attention médiatique
que tout récemment, est le geste extra-légal qu’a posé le département du
Trésor en septembre pour changer les règlements fiscaux afin d’encourager
les fusions bancaires et permettre en même temps aux grandes banques
d’économiser 140 milliards de dollars (voir l’article « Illegal tax scheme gives $140 billion to biggest US banks » pour plus de détails).
L’abandon des modalités initialement
prévues d’utiliser un type d’enchère pour acheter les « actifs
toxiques » reflète la difficulté à établir un prix pour ces titres de
placement garantis par des hypothèques. Si elles étaient achetées à leur valeur
actuelle, alors les banques seraient forcées d’inscrire de gigantesques
pertes à leur bilan financier, ce qui augmenterait le risque de faillite.
Ayant déjà engagé 250 milliards de dollars
en fonds public pour injection directe de capital dans les banques, en plus de
40 milliards supplémentaires qui ont été approuvé cette semaine en augmentation
d’aide à la compagnie d’assurance géante AIG, le Trésor américain
n’a plus que 60 milliards à dépenser dans le premier tour de sauvetage.
Après cela, il devra se présenter devant le Congrès pour obtenir 350 milliards
de dollars supplémentaires, ce qui ne pourrait avoir lieu seulement après que
le président désigné Barack Obama eut pris les rênes du pouvoir en janvier.
Tout en insistant que des centaines de
milliards de dollars doivent être donnés sans conditions aux banques et aux
spéculateurs financiers, Paulson a adopté une attitude bien différente envers
les demandes pour que les 700 milliards de dollars du plan d’aide soient
utilisés afin de soutenir l’industrie de l’auto en faillite ou
aider les propriétaires qui voient leur maison saisie.
« Nous sommes préoccupés de notre
industrie de l’auto, quand vous considérez l’automobile et sa place
dans la chaîne alimentaire, c’est crucial, a dit Paulson. Nous avons
besoin d’une solution, mais cette solution doit mener à la
viabilité… l’intention du TARP était de régler les problèmes de
l’industrie financière. »
En d’autres mots, alors que des
ressources illimitées sont disponibles pour les banques et les grandes firmes
financières, l’avenir de l’industrie de l’auto doit être basé
sur sa « viabilité », c’est-à-dire le retour à la profitabilité
par la destruction des emplois, les réductions de salaire et l’élimination
des avantages sociaux pour les travailleurs qui restent.
Le même principe a été invoqué pour les
propriétaires de maison. Deux millions de ceux-ci ont déjà perdu leur maison et
des millions d’autres font face à la possibilité de se faire évincer de
leur foyer. « Je ne peux tout simplement pas vous dire combien de
propositions j’ai étudiées pour modifier les hypothèques et permettre aux
gens de garder leur maison », a dit le secrétaire au Trésor, affirmant que
le problème était « très complexe » et insistant qu’il
n’y avait « pas de réponses simples ».
« Nous devons être prudents de
distinguer ce genre d’aide, qui implique essentiellement une dépense
directe, du genre d’investissements qui vise à promouvoir la stabilité
financière, à protéger le contribuable et à être récupérés plus tard », a
ajouté Paulson.
C’est une affirmation mensongère.
L’argent pour les travailleurs et les propriétaires de maison en
difficultés est de « l’aide » et des « dépenses »
alors que les milliards qui sont avancés pour payer les bonus et les dividendes
aux multimillionnaires sont des « investissements » dont le but est
de « protéger les contribuables ».
Rien ne pourrait mieux clarifier ce qui
sous-tend le plan « d’aide financière » déployé par Washington
avec le soutien des deux partis. Ce plan est en fait le pillage systématique de
la richesse sociale au profit d’une petite aristocratie financière qui
sera payé au moyen d’un assaut massif sur les conditions de vie des
larges masses des travailleurs.
(Article original anglais paru le 13 novembre 2008)