Jerry White, le candidat présidentiel du
Parti de l’égalité socialiste (Etats-Unis) et Keith Jones, le secrétaire
national du PES (Canada), se sont adressé à un auditoire nombreux de
travailleurs, d’étudiants et d’artistes lors d’une réunion à Toronto jeudi
dernier.
Le jour précédent, Bill Van Auken, le
candidat du PES à la vice-présidence, s’était adressé à une réunion similaire à
Montréal. Aux deux réunions, les candidats du PES ont présenté une analyse
marxiste de la crise financière mondiale et ont expliqué la nécessité pour les
travailleurs de fonder leur opposition à la poussée des capitalistes pour leur
faire payer la crise sur un programme internationaliste et socialiste.
Keith Jones a entamé la réunion à Toronto
avec une discussion sur les effets de la crise économique au Canada et la
réponse donnée par le gouvernement minoritaire conservateur.
« Les conservateurs, a dit Jones, ont
passé la majeure partie de la campagne électorale qui vient de se terminer à
prétendre que l’économie canadienne est solide et que la crise financière à
Wall Street n’aura qu’un impact limité au Canada. Alors que la crise financière
s’étend à l’Europe, que les Etats-Unis, le plus grand partenaire commercial du
Canada, s’embourbent dans une récession et les prix du pétrole et des matières
premières sont en chute libre, les prétentions de « l’exception »
canadienne sont devenues complètement insoutenables.
« Le secteur manufacturier du Canada,
qui est massivement dépendant du marché américain, a supprimé des emplois lors
des cinq dernières années. Ses deux principaux moteurs, les industries de
l’automobile et forestière, sont dans une crise profonde, le marché de la
construction de maisons aux Etats-Unis étant miné par une crise et les trois
grands constructeurs automobile de Détroit étant menacé de faillite.
« Et dans les derniers mois, la hausse
des prix des matières premières dans le secteur minier et pétrolier a été
traversée par les craintes d’une récession mondiale et des coûts de production
grandissants. Avec les prix du pétrole coupés de moitié depuis le début de
l’été, des compagnies importantes de pétrole, incluant Suncor et Petro Canada,
ont signalé qu’elles ralentiraient, même reporteraient à plus tard, des projets
majeurs de développement de l’exploitation des sables bitumineux, afin de
couper des milliards dans les dépenses la prochaine année. »
Jones a brièvement mentionné que les
syndicats, le social-démocrate NPD et les différentes organisations de
« gauche » ont tenté de lier la classe ouvrière au Parti libéral, le
parti traditionnel de gouvernement de la bourgeoisie canadienne, et au Bloc québécois
durant la récente élection. Il a aussi mis en garde contre différents groupes
pseudo-marxistes qui s’opposent à l’indépendance politique de la classe
ouvrière, cherchant plutôt à orienter les travailleurs pour qu’ils fassent
pression sur les syndicats et les sociaux-démocrates en faisant la promotion
d’illusions dans le keynésianisme comme une alternative au « capitalisme
néo-libéral ».
Jerry White a donné le discours principal,
notant que tous les commentateurs, experts et conseillers du monde des affaires
et de la politique officielle affirment que la crise financière « ne
pouvait pas avoir été prévue et a été une totale surprise ». Le
développement de la crise n’a toutefois pas pris le mouvement marxiste par
surprise.
White a parlé de l’ampleur de la crise
actuelle, observant que les gouvernements des Etats-Unis et d’Europe avaient en
quelques jours seulement mis des fonds publics à hauteur de 5,4 billions de
dollars à la disposition des banques et d’autres institutions financières. Ce
sauvetage a pour but de protéger les fortunes de ceux-là mêmes qui sont
responsables de la crise.
White a souligné que les récents événements
avaient clairement montré le véritable caractère du système capitaliste et de
la démocratie bourgeoise. « Une petite élite financière décide du sort de
la société », a dit White, ajoutant que « les mêmes personnes qui
prêchent depuis des années que les coffres sont vides et qu’il est impossible
d’avoir de meilleurs salaires, de meilleurs systèmes d’éducation et de santé et
autres avantages sociaux, ont rapidement trouvé des centaines de milliards de
dollars et d’euros lorsque l’aristocratie financière l’a demandé ».
Il a insisté que le sauvetage de Wall
Street ne mettrait pas fin à la crise financière parce qu’elle tire son origine
du déclin de la suprématie économique dont les Etats-Unis bénéficient depuis la
fin de la Seconde Guerre mondiale et des contradictions du système capitaliste,
dans lequel la production n’est pas basée sur les besoins sociaux, mais sur la
maximisation du profit personnel. Dans les dernières décennies, plusieurs
emplois du secteur industriel américain ont été détruits et la richesse
personnelle est devenue de plus en plus dissociée du processus réel de la
création de valeur par la classe ouvrière.
White a ensuite abordé avec plus de détails
la crise historique de l’impérialisme américain, expliquant que le militarisme
croissant de Washington était une tentative de contrecarrer la diminution de sa
puissance économique et visait à contrer les rivaux européens et asiatiques des
Etats-Unis. L’élection d’Obama ne changera rien à cet état de fait fondamental.
Depuis la fin des primaires, Obama a clairement énoncé que sous sa présidence,
l’armée américaine ne sera pas rapatriée, mais plutôt redirigée vers d’autres lieux,
les troupes retirées d’Irak devant être déployées en Afghanistan.
L’histoire de la Grande Dépression des
années 1930 montre que la classe ouvrière internationale ne peut répondre aux
dangers du fascisme et de la guerre que par une action politique indépendante par
le développement d’une alternative socialiste. Pour les Etats-Unis, cela signifie
qu’il faut rompre avec le Parti démocrate.
« Les grandes banques doivent être
soumises au contrôle démocratique de la classe ouvrière, qui est la créatrice
des immenses richesses de la société actuelle », a dit White. Seule la
classe ouvrière peut rationnellement allouer les ressources nécessaires au
développement de l’infrastructure économique et social et financer un vaste
programme de travaux publics pour que tous aient un emploi et pour
l’élargissement du système de santé et de l’éducation.
Le grand problème actuel est qu’il n’existe
pas un parti de masse luttant pour un gouvernement ouvrier qui se consacrerait
à l’implémentation d’un programme socialiste. Le Parti de l’égalité socialiste
aux Etats-Unis et ses partis frères de par le monde déploient leur énergie
précisément à la construction d’un tel parti, a dit White.
Une discussion animée portant sur plusieurs
sujets entre les membres de l’audience, White et Jones a suivi le discours de
ces derniers. Un étudiant a demandé si la crise de la domination économique
mondiale des Etats-Unis se résoudrait par l’hégémonie d’un bloc composé de la
Chine et du Japon. White a répondu qu’aucune puissance impérialiste n’avait
abandonné sa position de façon pacifique, faisant référence aux deux guerres
mondiales du siècle précédent. Les autres questions ont porté sur divers sujets
allant de la nature des régimes sud-américains de Chavez, Lula et Moreno à la
possibilité de surmonter l’héritage amer des trahisons sociales-démocrates et
staliniennes.
Les
contradictions fondamentales du capitalisme
Van Auken a débuté ses remarques à la
réunion de Montréal en expliquant pourquoi il se trouvait à Montréal six jours
avant l’élection. Il a dit que la campagne du PES n’avait pas pour but
principal d’obtenir des votes, mais plutôt de défendre clairement les intérêts
indépendants de la classe ouvrière internationale. « Les élections
américaines, a-t-il dit, sont un événement international. Ce que les Etats-Unis
font a un immense impact dans le monde entier. »
Van Auken a expliqué que les « les
événements tumultueux survenus dans les marchés financiers mondiaux durant les
dernières semaines… vont avoir beaucoup plus d’influence sur les politiques de
la prochaine administration que tout sentiment exprimé par les électeurs en
novembre ».
Il a établi que la source de l’effondrement
financier actuel se trouvait dans la structure même du capitalisme mondial.
« Au cœur de cette crise se trouvent deux contradictions fondamentales
auxquelles est en proie le système capitaliste mondial.
« La première est le conflit entre le
caractère social de la production de la richesse et son appropriation privée
par capitalistes de la finance et de l’industrie.
« La seconde est le conflit entre
l’intégration mondiale de la production et la division du monde en
Etats-nations capitalistes rivaux. »
Van Auken a ensuite abordé les détails de
l’impact dévastateur qu’a la crise financière et bancaire sur les travailleurs
ordinaires alors que son impact se fait de plus en plus sentir sur la soi-disant
économie réelle. Il a cité en exemple le « véritable carnage »
en préparation dans l’industrie automobile. « Chrysler a déjà annoncé la
suppression de 5000 postes de cols blancs en prévision d’une fusion avec
General Motors, une entente qui entraînerait la perte de dizaines de milliers
d’autres emplois » a-t-il dit.
Se penchant ensuite sur les implications
sociales de la crise actuelle, Van Auken a continué « Il est fort probable
que d’ici un an le paysage économique et social soit profondément transformé,
avec un taux de chômage aux Etats-Unis de 10 à 15 pour cent, des millions de
personnes étant jeté dans la pauvreté et d’immenses luttes sociales éclatant à
travers les Etats-Unis et le monde. »
« [L]a crise économique est la pire depuis
les années 30 », a-t-il ajouté, et dans un tel contexte, « l’élection
prend de plus en plus la forme d’un événement secondaire surréel » parce
qu’il n’y a pas de différences essentielles entre les deux candidats, le
républicain John McCain et le démocrate Barack Obama.
« [L]es deux ont voté pour le
sauvetage de 850 milliards de dollars de Wall Street et les deux ont donné
leur bénédiction à l’injection de 250 milliards de dollars de cet argent
public dans les coffres privés des grandes banques du pays » et « les
deux principaux partis défendant les politiques qui font consensus au sein de
l’élite dirigeante américaine : soit l’utilisation de la force militaire
pour assoir son hégémonie sur les régions les plus riches en pétrole de la
planète », a dit Van Auken.
Le candidat vice-présidentiel a jeté la
lumière sur la base objective de la crise actuelle qui « n’est pas une
aberration, un pépin dans un système autrement en santé, mais la dernière d’une
série de bulles spéculatives » dont la source « est liée au déclin
historique du capitalisme américain », un processus que Van Auken a
expliqué en détail.
« Qui va payer pour la crise ? »
a demandé Van Auken en conclusion. « Le Parti de l'égalité socialiste
rejette tout le cadre dans lequel le gouvernement Bush et le parti démocrate
proposent de faire face au désastre financier. Peu importe leurs désaccords...
ils conviennent tous que c'est la classe ouvrière, la majorité écrasante de la
population, qui doit porter le fardeau de la crise.
« Notre parti dit non. Nous affirmons
que cette crise exige un changement fondamental dans la structure politique et
économique des Etats-Unis. »
Une longue discussion a suivi le discours
de Van Auken, les questions allant de la signification et les implications
d’une victoire d’Obama à la crise mondiale des denrées de base en passant par
le rôle d’éléments centristes comme le champion soi-disant anti-capitaliste
français, Olivier Besancenot, en tant que derniers remparts du capitalisme.