Les résultats du
deuxième tour des élections municipales et cantonales en France, le 16 mars, ne
peuvent échapper à la contradiction, étant données l'impopularité grandissante
du gouvernement conservateur du président Nicolas Sarkozy et l'hostilité
largement répandue envers le Parti socialiste (PS), qui s'est coupé de la
population par sa politique pro-patronale.
D'un côté, le PS a
enregistré des gains réels, et les résultats des listes des partis de la
prétendue « extrême-gauche » témoignent d'un mouvement vers la gauche
parmi les électeurs, coïncidant avec un effondrement du soutien pour Sarkozy.
Malgré ce mouvement, cependant, l'UMP (Union pour un mouvement populaire) de ce
dernier a pu maintenir le contrôle de beaucoup de villes et de départements
importants, dans des élections marquées par la désillusion populaire et une
abstention record.
Le PS a solidifié
son contrôle de plusieurs des principales zones urbaines de France. Ses listes
ont remporté 12 des 20 arrondissements de Paris, y compris les arrondissements
plus peuplés de l'est, et le maire PS sortant, Bertrand Delanoë, a été réélu
avec 58 pour cent du vote. Les listes PS ont également remporté 7 des 9
arrondissements de Lyon, reconduisant le maire PS Gérard Collomb. Dans la
région de Lille, Lille et Turcoing ont réélu des maires PS, l'ancienne ministre
du Travail Martine Aubry et Michel-François Delannoy.
Plusieurs villes
ont basculé vers le PS : Toulouse (la quatrième ville de France, centre de
l'industrie aérospatiale), Strasbourg (capitale de l'Alsace sur la frontière
allemande), Caen (un centre pharmaceutique et de services en Normandie), et
Reims (la plus grande ville en Champagne). Le PS installe également ses élus à
Nantes, Besançon, Amiens, Metz, et Blois. Des 37 villes de France avec plus de
100.000 habitants, douze seulement sont aux partis de droite.
L'UMP a néanmoins
conservé plusieurs villes importantes. L'ancien premier ministre Alain Juppé,
qui s'est maintenu dans la vie politique malgré une condamnation pour fraude en
2004, a facilement réussi à se faire élire de nouveau à Bordeaux, obtenant 56 pour
cent des voix. La presse bourgeoise a attribué cette victoire à l'habileté de
Juppé à trouver des fonds publics et privés pour payer des initiatives locales.
L'UMP a maintenu
le contrôle des principales villes de la Côte d'Azur — Marseille, Nice et
Toulon — grâce à une intervention calculée du gouvernement national,
faisant appel à des sentiments sécuritaires et anti-immigrés et promettant une
certaine aide économique limitée.
La victoire de
justesse de l'UMP à Marseille, un centre important du mouvement ouvrier
français et qui a récemment assisté à une vague de grèves inhabituelles dans la
distribution, a suivi une décision personnelle par Sarkozy de soutenir la
candidature du maire sortant UMP, Jean-Claude Gaudin. Le 10 mars, le
gouvernement a publié une lettre de Sarkozy à Gaudin, promettant d'embaucher
davantage de policiers à Marseille, de rénover son port, et de faire en sorte
que le TGV Rome-Madrid s'arrête à Marseille.
Le 11 mars,
Sarkozy s'est arrêté dans la région pour faire un discours attaquant les
immigrés à Toulon, une ville qui a déjà élu des maires du Front national (FN) néo-fasciste.
Il a appelé de ses voeux une « immigration maîtrisée », soulignant
que « la France ne peut pas accueillir tout le monde » et ajoutant
que « Les quotas, moi, je suis pour. » Le PS, comme la gauche en
général, n'apporte aucune réponse aux attaques de la droite sur l'immigration.
Les élections
cantonales ont confirmé les tendances que l'on aperçoit dans les élections municipales :
une victoire nette pour le PS (51 pour cent des voix) par rapport à l'UMP (44 pour
cent), mais qui est loin d'être totale. Le soutien apporté au PS est bien moins
que le niveau d'opposition à Sarkozy, qui s'élevait à 61 pour cent dans un
sondage CSA du 29 février. Le vote UMP est aussi beaucoup plus important que la
proportion (22 pour cent) qui se déclarent « proches de l'UMP ».
Le piètre résultat
du PS se place dans le contexte d'un niveau record d'abstention, 38 pour cent
dans des villes de plus de 3500 habitants. L'abstention était particulièrement
forte dans les banlieues ouvrières des grandes villes : 60 pour cent à
Roubaix dans la banlieue de Lille, 58 pour cent à Saint-Denis en banlieue
parisienne, et 53 pour cent à Villeurbanne en banlieue lyonnaise.
N'importe quel
observateur sérieux se sentirait obligé de comprendre pourquoi la colère et
l'opposition envers Sarkozy ne trouvent pas d'expression plus puissante.
Un facteur
important est la compréhension généralisée que le PS, le parti d'opposition le
mieux établi, est un parti du patronat, offrant donc peu ou rien de plus aux
travailleurs de l'UMP. Dans le sondage CSA du 29 février, 75 des sondés ont
déclaré avec raison qu'ils ne croyaient pas que le PS résoudrait mieux que
Sarkozy et l'UMP les questions nationales les plus pressantes. Le PS a une
longue histoire de privatisations et d'austérité sociale quand il était au
pouvoir, et à présent il fournit plusieurs membres du gouvernement de Sarkozy
dont le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner et la secrétaire
d’Etat à la politique de la Ville Fadela Amara.
Un autre facteur
était la décision de Sarkozy et du premier ministre François Fillon de marteler
qu'ils ne feraient aucune attention à l'opinion publique exprimée dans le
résultat de l'élection. Dans une interview du 6 mars avec Sarkozy, le journal
de droite Le Figaro a demandé, « Entendez-vous réformer au même
rythme, quel que soit le résultat des élections ? » Sarkozy a répondu :
« Je dis à tous ceux qui m'ont fait confiance que je mènerai cette
politique du changement avec la même force, la même envie, le même volontarisme
tout au long des quatre prochaines années. »
Après le deuxième
tour des municipales, Fillon a offert l'explication absurde que la défaite de
l'UMP était attribuable à un ralentissement du rythme des « réformes »,
c’est-à-dire des attaques sociales, de son gouvernement. Malgré des
sondages qui n’indiquaient que 39 pour cent de soutien pour une accélération
des réformes, il a dit que la solution des difficultés de l’UMP passait
par « accélérer le rythme des réformes et montrer que tous les engagements
seront tenus ».
Le gouvernement
n’a annoncé que quelques changements mineurs du personnel, notamment le
remerciement du porte-parole présidentiel David Martinon.
Des questions
sociales plus larges sous-tendent l’abstention populaire. Le caractère
international des problèmes quotidiens des masses laborieuses en France devient
de plus en plus clair. Ces problèmes, une inflation rapide et au niveau mondial
des prix de l’alimentation, les ondes de choc financières qui émanent de
la crise du crédit aux Etats-Unis, la montée de l’euro contre le dollar
et la chute conséquente de la compétitivité de l’industrie européenne,
menaçant l’emploi à travers la zone euro, dépassent les autorités locales
et même nationales en France.
Après de grandes
grèves pendant les six derniers mois contre la politique d’austérité de
Sarkozy et parmi une menace de plus en plus évidente de dévastation économique,
la population s’ouvre vers de nouvelles idées politiques. Cependant,
aucun des partis actuels en France n’articule les intérêts des travailleurs.
Le journal
centre-gauche Le Monde a brièvement fait allusion à ce problème, en
passant, dans son analyse des élections avec le politologue François
Miquet-Marty de LH2. Ce dernier remarqua: « De manière générale, on
assiste davantage à une désaffection à l'encontre de la droite qu'à un vote de
soutien en faveur de la gauche. C'est la raison pour laquelle il est difficile
de parler d'un vote-sanction à l'encontre de Nicolas Sarkozy, mais plutôt d'un
vote de défiance qui bénéficie à la gauche. [...] Aujourd'hui, les Français
n'excluent aucune hypothèse pour améliorer leur situation quotidienne. Mais, en
l'état actuel des choses, il n'existe pas à leurs yeux de solution plus
crédible que les solutions proposées par l'exécutif. En d'autres termes, la
gauche a un travail de reconstruction programmatique urgent à réaliser. Ce qui
fait défaut, c'est l'offre électorale. »
« L'extrême-gauche »
française, surtout les organisations pseudo-trotskystes la Ligue communiste
révolutionnaire (LCR) et Lutte ouvrière (LO), a tenté non pas de combler, mais
de cacher le vide politique à gauche du PS. Ils ont travaillé sans relâche et de
façon opportuniste à nouer des alliances électorales avec le PS, malgré la
crise de perspective politique sans précédent à laquelle sont confrontées les
masses.
LO, qui a disait
avoir 5000 candidats aux élections municipales et cantonales, a demandé à ses
candidats au début de la campagne de rejoindre les listes PS, quand celles-ci
le permettaient. A l'automne 2007, la LCR a décidé de proposer des listes
indépendantes dans le contexte d'une décision de fonder un nouveau parti,
prétendument indépendant du PS. La réaction électorale a été nettement
positive, avec 109 des 200 listes de la LCR obtenant plus de 5 pour cent du
vote et 29 recevant plus de 10 pour cent. La LCR a même reçu 15,7 pour cent à
Clermont-Ferrand et 17,6 pour cent à Saint-Nazaire.
Malgré les
apparences, cependant, le nouveau parti de la LCR n'est pas du tout
politiquement indépendant du PS, et son indépendance organisationnelle
vis-à-vis du PS est extrêmement fragile. Pendant les derniers mois, au courant
d'une série de réunions avec divers éléphants du PS, les chefs de la LCR, y
compris Alain Krivine et Daniel Bensaïd, ont tenté d'assurer le PS que leur
nouveau parti se destinait à combattre la droite, non pas le PS.
Dans le contexte
économique et politique actuel, le PS refuse de faire le moindre geste en
direction des sentiments anti-capitalistes, écartant toute possibilité
d'alliance politique avec des groupes tels LO ou la LCR. Il préfèrerait de loin
que l'élite dirigeante française comprenne qu'il mène une politique
conservatrice et pro-patronale.
A Lille, la
candidate PS Martine Aubry a préféré nouer une alliance avec les Verts et le
MoDem (Mouvement démocratique, centre-droite) de François Bayrou. Selon Aubry, « C'est
un accord politique, pas électoraliste, puisque nous pouvons aisément gagner
sans le MoDem. »
A Toulouse, où la
liste LCR avait obtenu 5 pour cent des voix, les électeurs LCR étaient
considérés comme étant essentiels pour la victoire du candidat PS Pierre Cohen.
Interrogé sur France2 au sujet des instructions que donnerait la LCR à ses
électeurs, le porte-parole LCR Olivier Besancenot a dit, « On appelle
généralement à battre la droite, là-dessus il n'y a pas de suspense. » Par
la suite, la LCR a formellement proposé une fusion de listes avec le PS, mais
le PS a refusé.