La déconfiture subie par le gouvernement Brown lors des
élections municipales de la semaine passée et qui est allée de pair avec la
défaite de Ken Livingstone au profit de Boris Johnson dans la course à la
mairie de Londres, est une étape majeure dans l’écroulement du New
Labour.
La part du vote remportée par ce parti est tombée à tout juste
24 pour cent, le niveau le plus bas depuis 40 ans contre 44 pour cent pour les
conservateurs et 25 pour cent pour les démocrates libéraux. Mais son éclipse
par les tories (conservateurs) n’est qu’une partie du tableau. La
participation avait été d’à peine 35 pour cent, confirmant le degré d’aliénation
de la population par rapport à tous les principaux partis.
Le Labour a depuis longtemps perdu le soutien dont il
jouissait autrefois dans la classe ouvrière. Les élections du 1er
mai ont prouvé qu’il a maintenant également perdu une bonne part des électeurs
des couches moyennes qu’il avait gagnés aux dépens des conservateurs en
1997.
En Angleterre (seuls votaient l’Angleterre et le Pays de
Galles N.d.T.) ces deux phénomènes se sont manifestés ensemble, dans la
victoire, pour la première fois en 22 ans, des conservateurs à Bury, dans le nord-ouest
et la défaite du Labour à Reading, l’un des quelques bastions lui restant
dans le sud-est.
Au Pays de Galles, le tableau est encore plus désastreux.
Considéré être de longue date le territoire familier du Labour, le parti a
continué d’y subir de fortes pertes et a dû abandonner le contrôle des
municipalités de Merthyr Tydfil, Blaeau Gwent, Torfaen, Caerphilly et Newport. Aucun
parti ne s’est particulièrement bien tiré d’affaire et surtout pas
le partenaire de la coalition du Labour dans l’Assemblée galloise, Plaid Cymru,
étant donné que les voix du Labour se sont éparpillées sur l’ensemble du
spectre politique aboutissant à la victoire des démocrates libéraux, des tories
et de candidats indépendants.
Pourtant, la montée du soutien pour les conservateurs, parmi
ceux qui avaient voté, aurait suffi à leur garantir la victoire dans une élection
législative. Le score a été comparé à celui réalisé par le gouvernement
conservateur de John Major, lors des élections municipales ayant précédé la
victoire écrasante du Labour en 1997.
La défaite de Livingstone à Londres a été tout aussi
désastreuse pour le gouvernement. Le candidat conservateur, Boris Johnson a une
forte présence médiatique s’étant forgé une réputation
d’excentrique au parler franc. Il est en fait un personnage ultra-droitier
dont les déclarations racistes et anti-islamistes et les dénonciations des
habitants de Liverpool ont fait qu’il a dû faire des excuses publiques, rendant
certaines sections du parti tory extrêmement nerveuses quant à sa candidature. On
lui a dit de se taire durant les dernières semaines et d’adopter un
profil bas tout en confiant le contrôle de sa campagne électorale à Lynton
Crosby qui avait mené la campagne électorale de l’ancien premier ministre
australien, John Howard.
La presse pro-travailliste et l’appareil du parti, aux
côtés de Respect Renewal, du Socialist Workers Party et des Verts, avaient tous
appelé instamment à soutenir Livingstone. Labour avait promu le soutien de
Livingstone dans la City mais avait aussi espéré, avec l’aide des partis
de gauche et socialistes de nom, être en mesure de mobiliser du soutien dans
les quartiers populaires de Londres, notamment parmi les travailleurs noirs et
asiatiques en présentant Livingstone comme un candidat
« progressiste ».
Le vote en faveur du Labour avait augmenté faiblement dans ces
quartiers, mais pas assez pour contrer les gains réalisés par Johnson dans les
villes de la périphérie. Le problème plus fondamental de Livingstone et de ses
supporters de gauche fut résumé par le journaliste Andrew Gilligan qui a dirigé
l’offensive pro-Johnson dans les pages du journal Evening Standard.
Réagissant aux accusations selon lesquelles il soutenait un
réactionnaire, Gilligan a répliqué que « Livingstone est l’allié de
certaines des forces les plus réactionnaires qui existent dans la ville. Je
pense à Ian Blair [le directeur de la Police métropolitaine], je pense aux
promoteurs immobiliers avec lesquels il est de mèche, je pense au monde des
affaires de la City. »
Dans les milieux travaillistes, la réaction à l’effondrement
électoral du parti s’est cristallisée autour du mécontentement vis-à-vis
du premier ministre, Gordon Brown. Celui-ci fut condamné en privé et en public
pour la prestation qu’il a fournie depuis sa succession à Tony Blair en
juin 2007.
Martin Kettle, un ami personnel de Blair, a écrit dans le
journal The Guardian que « la réponse qui coule de source de ces
députés [Labour] devrait être, pour reprendre les mots de Cromwell, qu’ils
devraient dire [à Brown]: "Pour l’amour du Ciel, va-t-en." »
Et il y eut de nombreuses spéculations sur la question de savoir si la
direction serait mise au défi et si oui, à quel moment. D’autres, plus
loyaux vis-à-vis de Brown, le pressaient de « retrouver le contact » avec
l’électorat et les partisans traditionnels du Labour ou de
« renouveler » la « coalition » du New Labour, prétendument
en combinant l’efficacité économique à la justice sociale.
Tout ce que ceci a réussi à produire fut le spectacle
lamentable d’un Brown cherchant à imiter l’ancien président Bill
Clinton et racontant aux médias combien il ressentait « la douleur »
des gens qui se battaient contre les augmentations de prix et les
remboursements de prêts hypothécaires.
En réalité, la prestation du Labour sous la direction de Brown
n’a fait qu’approfondir la crise qui avait déjà débuté sous Blair.
Lorsque Blair a quitté ses fonctions, il était haï de toutes parts, il menait
un gouvernement condamné pour sa participation à la guerre contre l’Irak
et Labour était considéré comme un parti corrompu d’ultra-riches. Sa
performance électorale précédente, celle de mai 2007, lui avait présagé un
score national de 27 pour cent lors des élections législatives, à peine 3 pour
cent de plus que la semaine dernière.
Avec la succession de Brown à la direction du parti, une
campagne concertée fut menée pour affirmer qu’avec lui, une ère nouvelle
avait commencé pour Labour. Le Daily Mirror l’avait décrit comme
un homme « en feu » et qui s’était fixé un nouvel
« objectif moral » tandis que le Guardian parlait d’une
nouvelle « aurore » pour un « nouveau gouvernement ».
Ce qui s’est vraiment passé c’est que Brown a
poursuivi l’ordre du jour pro-patronat de Blair, en faisant entrer au
gouvernement des personnalités telles que Sir Digby Jones, l’ancien chef de
Confederation of British Industry, l’équivalent en Grand-Bretagne du Conseil national du patronat français,et en faisant l’éloge de Margaret Thatcher en tant que
« politicienne de conviction ».
La conviction erronée qui règne dans les milieux travaillistes,
selon laquelle le nouveau premier ministre restaurerait d’une manière ou
d’une autre la popularité du parti trouva son expression finale dans l’humiliant
abandon par Brown de son projet d’organiser une élection anticipée dès
novembre dernier, lorsqu’il devint évident que la majorité du Labour
serait au mieux sévèrement réduite et que celui-ci pourrait même perdre
l’élection.
La reculade de Brown eut lieu après l’effondrement de la
banque Northern Rock, dans une situation où les épargnants inquiets faisaient
la queue devant la banque pour retirer leur argent. A partir de là, la crise
économique qui a débuté sur le marché des subprime aux Etats-Unis s’est
répandue de par le monde et a eu un impact particulièrement grave en Grande-Bretagne.
Brown a reconnu que « ce que les gens redoutent le
plus… [c’est que] le prix de l’essence augmente, que le prix
des aliments augmente, ils s’inquiètent des factures d’énergie, de
leur niveau de vie, il y a de l’incertitude quant à l’économie…
La priorité immédiate des gens est comment gérer le budget familial et les
problèmes auxquels nous sommes confrontés suite à la régression économique qui
a commencé en Amérique. »
Mais, tandis que Brown affirme comprendre le
« souci » face à l’insécurité économique, son gouvernement a enregistré
un résultat tout particulièrement mauvais lors des élections pour avoir
supprimé le seuil d’imposition pour les salariés à faibles revenus. La
démarche qui avait été annoncée par Brown alors qu’il était ministre des
Finances en 2007 et qui est entrée en vigueur cette année, frappe des millions
de gens qui gagnent moins de 15.000 livres sterling par an. Dans le même
budget, Brown a réduit l’imposition sur les sociétés de deux pour cent.
Comment, dans ces conditions pourrait-on croire que le soutien
du Labour puisse ne pas continuer à dégringoler ?
Depuis son arrivée au pouvoir, New Labour a fonctionné comme
le représentant politique de l’oligarchie, supervisant un transfert de
richesses de la classe ouvrière vers les super-riches et le monde des affaires
de la City qui est sans précédent dans l’histoire. Seul le fait
qu’on ait inondé l’économie avec des crédits à bon marché et qu’il
y ait eu une hausse des prix de l’immobilier ont en partie contribué à
dissimuler ce processus. Maintenant que cette possibilité n’existe plus,
l’envergure réelle du déclin du Labour devient visible.
Il y avait eu des appels pour que le premier ministre renonce
au nouveau taux d’imposition ou introduise une quelconque compensation.
Mais la marge de manœuvre dont disposent les travaillistes est extrêmement
limitée. Peter Riddell, écrivant dans le journal Times de Rupert
Murdoch, met en garde que « le vrai danger est qu’il sera difficile
au gouvernement de résister aux appels en faveur d’un allègement des
restrictions budgétaires et de la limitation des hausses de salaire du secteur
public pour réagir aux inquiétudes exprimées par les députés travaillistes et les
électeurs représentant la classe ouvrière. » Ce qui équivaut à dire à
Brown de ne pas le faire.
Brown n’est d’ailleurs confronté à aucune opposition
substantielle au sein du Parti travailliste parlementaire, sans parler
d’une opposition qui défendrait d’une quelconque manière les
intérêts de la classe ouvrière. La rumeur selon laquelle le dirigeant du Groupe
de campagne des députés travaillistes, John McDonnell, allait se présenter
contre Brown a été rapidement démentie par McDonnell lui-même. De toute
manière, McDonnell n’aurait pu compter que sur une poignée de députés et il
avait été incapable de mener une campagne en vue de devenir dirigeant du parti l’année
dernière.
Quant au député de Dagenham, Jon Cruddas, qui bénéficie du
soutien du groupe Compass [qui a forgé New Labour N.d.T.] et qui est dépeint
par les médias comme un travailliste plus traditionnel, il s’est limité à
lancer des appels à l’adresse de Brown lui conseillant « de tirer
des leçons de l’exemple de Boris Johnson et de David Cameron [le
dirigeant conservateur] aussi… Ils semblent être plus doués sur le plan
émotionnel que nous. Boris Johnson noue des rapports émotionnels avec les
gens. »
Mis à part ceci, l’on parle seulement d’une
quarantaine de députés qui envisageraient la possibilité de rendre public leur
mécontentement à l’égard de Brown qui est « à l’abri »
d’un défi direct au moins pour un an ; le travailliste Frank Field
parle d’un sentiment de « désespoir privé » régnant parmi les
députés.
Ce qui se développe, ce n’est pas simplement une crise
affectant le premier ministre, mais une crise du parti. La popularité du Labour
ne peut pas être restituée en changeant les dirigeants. Ce parti est mort sur
pied en raison de l’impossibilité de s’assurer un mandat populaire
pour une politique défendant les intérêts d’une infime minorité aux
dépens de la population laborieuse. Labour n’est pas seulement épuisé et
n’a pas seulement besoin d’être revigoré. Du point de vue de la
classe ouvrière, c’est une entité hostile qui doit être remplacée par un
authentique parti socialiste.