Des grèves et des manifestations massives ont
eu lieu le 22 mai dans toute la France contre la décision gouvernementale de
faire passer de 40 à 41 années la durée de cotisation ouvrant droit à une
retraite à taux plein. Il en résultera une chute brutale du revenu des
retraités. La retraite minimum versée par l’Etat s’élève à présent à 628 euros
par mois par personne (1 127 euros pour un couple.)
Selon les chiffres de la CGT (Confédération
générale du travail) 700 000 personnes ont défilé dans 153 villes de
France (la police quant à elle fait état de 300 000 manifestants.) A Paris
70 000 travailleurs, jeunes et sans-papiers ont manifesté contre les
projets du gouvernement d’allonger, de fait, la durée de la vie active. A
Nantes 25 000 personnes ont défilé pour défendre les retraites,
12 000 à Lyon et 25 000 à Bordeaux. C’est à Marseille que s’est déroulée
une des plus grandes manifestations avec 60 000 personnes mobilisées pour
protester contre la réforme des retraites et lutter contre la privatisation des
installations portuaires.
Étudiants du secondaire à Amiens
Bien que les syndicats aient déposé des préavis
de grève, ils n’ont pas appelé franchement à une journée de grève. Malgré ceci,
de nombreux secteurs de l’économie ont été touchés par des arrêts de travail et
des débrayages pour permettre aux gens de rejoindre les manifestations.
Un train sur deux ne roulait pas à la SNCF
(Société nationale des chemins de fer) où 24,9 pour cent des travailleurs
étaient en grève. 11,3 pour cent des postiers ont fait grève, 19,5 pour cent à
France Télécom, 20,8 pour cent à EDF (Electricité de France) et 16,2 pour cent
chez les gaziers. On a compté 8 pour cent de grévistes dans les collectivités
territoriales, les hôpitaux et la fonction publique.
Seuls 7,5 pour cent des enseignants ont
participé à cette grève, alors que 34 pour cent s’étaient mis en grève la
semaine précédente, le 15 mai, contre les suppressions de postes. Cela
s’explique par la décision délibérée des syndicats de séparer la question des
postes de celle des retraites afin de garder le contrôle sur le mouvement et
empêcher qu’il ne remette en question politiquement le droit du gouvernement à
détruire les acquis sociaux.
Le soutien de l’opinion publique pour cette
action de défense des retraites se reflète dans le dernier sondage d’opinion du
CSA qui montre que 58 pour cent des personnes interrogées sont d’accord avec ce
mouvement contre 24 pour cent qui s’y opposent.
La journée d’action des travailleurs cette
semaine a été plus suivie que lors des premières manifestations contre la
réforme des retraites en 2003, auxquelles 500 000 personnes avaient alors
participé. Ce mouvement avait été consciemment trahi par la CGT, la CFDT
(Confédération française démocratique du travail) et la FSU (Fédération
syndicale unitaire, qui représente les personnels de l’éducation), qui
s’étaient mis d’accord pour accepter une augmentation de la durée de
cotisation, de 37,5 à 40 années, pour les fonctionnaires. Cela représentait une
régression majeure et alignait les travailleurs du secteur public sur ceux du
secteur privé.
Une équipe de reporters du WSWS à Paris a
observé une participation importante à la manifestation de personnes non
encartées à un syndicat et exprimant une vive colère contre la destruction des
acquis, opérée par le gouvernement. Dans la manifestation parisienne, il y
avait des étudiants, des lycéens, des cheminots, de nombreux enseignants et
travailleurs hospitaliers ainsi que de gros contingents de sans-papiers. Un
contingent des sans-papiers qui occupent actuellement les locaux de la CGT dans
le 3e arrondissement, exigeant que le syndicat s’occupe de leur dossier
de demande de titres de séjour, a été fortement soutenu. De nombreuses
personnes ont signé leur pétition et donné de l’argent.
Enseignants du primaire manifestant à Paris
Les syndicats comptent à présent sur la bonne
volonté du gouvernement pour que celui-ci change de politique. La CGT a dit,
« La balle est dans le camp du gouvernement. » Le secrétaire général
de Force ouvrière (FO) Jean-Claude Mailly a insisté pour dire que le
gouvernement se rendrait coupable de « déni de démocratie » s’il
n’écoutait pas la rue. Le dirigeant de la CFDT, François Chérèque a dit,
« Cette journée est une journée réussie. Après un rapport de force de ce
type, le gouvernement va être obligé de nous recevoir et on va remettre nos
projets sur la table. »
Cependant, le ministre du Travail, Xavier
Bertrand, a immédiatement fait savoir que le gouvernement ne transigerait pas
sur la question des 41 années de cotisation. Le projet, a-t-il dit, est
« équilibré » et le rôle du gouvernement « n’est pas de compter
les milliers de manifestants, mais de protéger les retraites de tous les
Français. » Bertrand a déclaré : « Nous sommes d’accord avec les
partenaires sociaux et les organisations syndicales pour dire que le cœur du
sujet, la priorité des priorités, c’est l’emploi des seniors, comment faire
pour garder les salariés âgés dans les entreprises. »
En effet, les syndicats sont en négociations
permanentes avec le gouvernement du président Nicolas Sarkozy pour trouver le
moyen de faire accepter aux travailleurs ces changements concernant les
retraites, en échange d’un accord des patrons de garder les travailleurs plus
âgés dans les entreprises. Actuellement seuls 38,1 pour cent des travailleurs
entre 55 et 64 ans sont encore en activité. L’Union européenne a pour objectif d’élever
ce taux à 50 pour cent en Europe d’ici 2010.
Une autre concession que le ministre du
Travail est prêt à « négocier » pour obtenir l’accord des syndicats
sur les 41 annuités, c’est l’augmentation de 25 pour cent, sur cinq ans, des
retraites les plus basses et une augmentation de 54 à 60 pour cent de la
pension de réversion d’une personne décédée à son conjoint survivant.
La présidente du Medef, organisation
patronale, Laurence Parisot, a indiqué la direction que le patronat souhaite
que le gouvernement prenne. Dans un discours prononcé le jour des
manifestations, elle a provoqué la colère de nombreux travailleurs quand elle a
demandé que l’âge légal de départ en retraite passe à 63,5 ans au lieu de 60
ans actuellement. Elle a déclaré que c’était là « l’unique scénario »
combiné aux 41 annuités de cotisation, qui rendrait possible le financement des
retraites. En 2003 les syndicats avaient abandonné la défense des 37,5 annuités
de cotisation pour les fonctionnaires et ainsi préparé le démantèlement des régimes
spéciaux de retraite défendus par la grève des cheminots l’année dernière,
grève qui a été trahie par les syndicats.
Tandis que les syndicats continuent de
collaborer toutes les semaines avec le gouvernement de Sarkozy pour trouver un
moyen de gérer la colère et la frustration qui montent dans la population sur
les questions de l’emploi, de l’éducation et du pouvoir d’achat, nombreux sont
ceux qui se posent des questions sur la voie à suivre. Jacky Wagner,
représentant local de la CGT à Strasbourg a fait remarquer : « Je
suis satisfait parce qu’on avait dit qu’on ferait plus fort qu’à la dernière
manif, et on a fait plus fort…..Mais je pense qu’il faudra revenir et revenir
encore, parce que Sarkozy n’a pas l’air d’entendre ce que dit la rue. Il y a un
ras-le-bol général de tous les salariés, on voit quasiment tous les jours dans
la région des arrêts de travail pour les salaires ». (Libération 22
mai)
Le WSWS a interviewé des manifestants à Paris.
Stéphane, 22 ans, travaille à la SNCF depuis
septembre. Il a dit que l’on imposait de plus en plus de travail aux salariés
et que les conditions de travail se dégradaient. Il va falloir nous battre pour
défendre ce pour quoi nos grands-parents se sont battus. C’est pour ça qu’il y
a tant de monde dans la rue. On veut 37,5 annuités pour tous pour une retraite
à taux plein. Les économistes disent que c’est possible. Si tous les syndicats
se mettent ensemble, je crois qu’on peut faire reculer le gouvernement.
« Pendant les 10 jours de grève l’année
dernière, a-t-il poursuivi, on était vraiment motivés. Maintenant ils veulent
qu’on recule, mais nous on n’en a pas l’intention. On n’est pas là pour
renverser le gouvernement. Il faut convaincre le gouvernement que nous ne
sommes pas des vaches à lait. On essaie de faire front commun à travers toute
l’Europe. Il y a eu une manifestation européenne commune avec la CGT et
d’autres syndicats. Les jeunes doivent se mobiliser. Ils devraient voir la
situation des SDF (Sans domicile fixe) et des sans-papiers. Ça vous donne une vraie
claque. Les syndicats sont là pour les défendre, je ne pense pas qu’il existe
un parti pour nous. Il n’y a pas un vrai candidat de gauche. Ils n’ont pas de
programme. »
Jean, 54 ans, travaille à la SNCF en
Seine-Saint-Denis. Il va bientôt prendre sa retraite. Il a dit au WSWS que les
choses allaient de plus en plus mal et que l’on supprimait des droits.
« Il faut qu’on reste tous ensemble. La grève de 2007 a été un flop ;
je suis très déçu. Les syndicats n’ont pas tenu compte des revendications de la
base. On n’est pas là pour renverser le gouvernement, mais c’est sûr que des
grèves de 24 heures, ça ne suffit pas. Sarkozy fait ce que font tous les
gouvernements du monde entier. Tous les droits sont détruits au nom de la
mondialisation. On se retrouve au niveau zéro où il n’y a plus de droits, comme
à l’âge de pierre. Sarkozy copie Thatcher et les Etats-Unis : ces
choses-là ne se produisent pas seulement en France. »
Jean a ajouté : « Un tout petit
pourcentage de gens impose leur loi et les richesses ne sont pas redistribuées.
La France envoie des bateaux et interfère avec les gens d’autres pays. L’avenir
est sombre pour les jeunes. Les lycéens et les gens en général ont peur de
l’avenir. Il faut qu’on mette ensemble toutes nos idées, qu’on fasse un programme
pour aller de l’avant ensemble. On ne devrait pas se rassembler derrière des
drapeaux de différentes couleurs. On devrait se débarrasser du traité de
Maastricht. Il est très dangereux ce traité, il est synonyme de fermetures
d’écoles pour faire des profits. Les partis de gauche et de droite devraient se
rassembler. »
Danièle, 59 ans, travaille aussi en
Seine-Saint-Denis. « Nos droits sont supprimés les uns après les autres et
ce n’est que le début, » a-t-elle dit. « Les gens doivent se
rassembler, surtout ceux qui sont en difficulté. Qu’est-ce que ça veut dire
"gagner" ? Je ne sais pas trop. Je pense aux Palestiniens et aux
gens de Gaza. L’avenir est dans la lutte, la lutte de tous les opprimés. »