Entre 40 000 et 50 000 lycéens ont manifesté le 29
avril dans la plupart des grandes villes de France contre le plan
d’austérité du gouvernement pour l’enseignement primaire et secondaire.
Ce plan prévoit supprimer 11 200 postes d’enseignants à la prochaine
année scolaire.
Ces manifestations sont la continuation de celles qui se sont
développées dans la région parisienne durant ces trois dernières semaines et qui
ont consisté en sept journées d’action durant lesquelles les étudiants ont
été rejoints par un grand nombre d’enseignants lors de manifestations qui
ont vu défiler de 30 000 à 40 000 personnes dans Paris.
Les établissements scolaires parisiens sont maintenant en
vacances pour une quinzaine de jours, tandis que le reste du pays vient juste
de reprendre les cours. La mobilisation du 29 avril a rassemblé 4000 manifestants
à Toulon, 2000 à Nice, 3000 à Tours et Rouen, 2000 à Marseille et plus de 1000
à Orléans, Strasbourg et Toulouse. D’après l’Agence France
Presse, près de 3500 enseignants du primaire ont manifesté à Rennes contre
la fermeture de classes. Dans le département du Gard, le rectorat a annoncé 66
pour cent de lycéens en grève.
Dans les différentes manifestations, on pouvait lire ou
entendre des slogans tels: « Nous sommes les lycéens en guerre contre
l’Etat », « C’est la rue qui décide quand la raison
déraille », « Ecole gâchée, lycée bâclé », « C’est
pas les profs, c’est pas les sans-papiers, c’est le gouvernement
qu’il faut virer », ou encore « Moins de flics, plus de
profs ».
Manifestations
d’élèves du secondaire à Amiens
Les suppressions de postes d’enseignants prévues pour l’année
prochaine s’ajoutent aux 8700 postes déjà supprimés cette année scolaire
et font partie du projet de suppression de 80 000 postes
d’enseignants d’ici 2012. On estime que le nombre de lycéens aura
augmenté de 150 000 dans le même temps. Les déclarations du gouvernement,
selon lesquelles il compensera ces pertes en proposant aux enseignants des heures
supplémentaires, ont été rejetées par les enseignants comme par les parents.
Les lycéens protestent également contre un projet visant à
réduire à trois ans au lieu de quatre la formation menant au baccalauréat
professionnel et envisageant de supprimer le BEP (Brevet d’études professionnelles).
S’ajoute à cela la suppression de matières minoritaires telles que les
langues rares et les matières artistiques, suppression perçue comme un nivellement
par le bas et un appauvrissement de l’enseignement.
Ce qui motive aussi l’opposition aux « réformes »
de l’éducation du gouvernement, c’est le rapport Pauchard, lancé
par le gouvernement, qui prône l’ouverture des conseils
d’administration des établissements scolaires aux entreprises privées.
Invités par le président de droite Nicolas Sarkozy, deux ténors du Parti
socialiste, l’ancien ministre de l’éducation Jack Lang et
l’ancien premier ministre Michel Rocard, ont participé à la commission
qui a rédigé ce rapport.
Ceux qui critiquent le rapport craignent que cela ne pousse les
lycées à se faire concurrence dans le but d’attirer l’intérêt
d’entreprises privées et d’obtenir éventuellement leur financement.
Le rapport prône aussi le recours important à l’enseignement par les
professeurs de matières ne correspondant pas à leur spécialisation et pour
lesquelles ils n’ont pas été formés, ce qui est largement perçu comme une
marque de mépris à l’égard du travail soutenu que les enseignants ont dû
accomplir pour passer les concours de recrutement et une attaque de plus envers
les élèves.
Les syndicats de lycéens, la FIDL (Fédération indépendante et
démocratique des lycéens) et l’UNL (Union nationale des lycéens), toutes
deux proches du Parti socialiste, ont appelé les lycéens à se mobiliser aux côtés
des syndicats des travailleurs le 1er mai et le 6 mai quand tous les
établissements scolaires auront repris les cours. Ils mobilisent aussi pour la
journée de grève appelée par les syndicats d’enseignants le 15 mai.
Toutes ces forces sèment l’illusion que des actions sectorielles
d’une journée peuvent forcer le gouvernement à faire des concessions.
Cependant, le ministre de l’Education, Xavier Darcos a commenté :
« Je ne suis pas le ministre qui cède » et « Je serai le ministre qui
ira jusqu’au bout des réformes. » Le 29 avril, le journal Le
Monde faisait remarquer la contradiction entre ces déclarations et le fait
que « le gouvernement avait affiché fin 2007 la volonté de diminuer de
moitié en cinq ans le nombre d’élèves en échec scolaire lourd à
l’entrée au collège.» Sarkozy déclarait le 27 avril : « Je ne
vais pas demander à Xavier Darcos de créer des postes d’enseignants alors
que les effectifs vont diminuer. »
Le gouvernement Sarkozy subit une très forte pression de la
part des élites dirigeantes française et européenne qui insistent pour
qu’il ne fasse aucune concession aux travailleurs et aux jeunes et pour
qu’il accélère ses attaques sur les conditions et les droits sociaux. Le
capitalisme européen est exposé à une situation de compétition toujours plus acharnée
avec ses concurrents dans le monde, tandis que la crise bancaire ralentit
l’économie mondiale. La situation catastrophique des finances françaises
est à l’origine de la mise en garde lancée par l’Union européenne.
On prévoit pour la France un déficit budgétaire de 2,9 pour
cent du produit intérieur brut cette année et de 3 pour cent en 2009, conséquence
du ralentissement de la croissance économique française que la Commission
européenne a évaluée à 1,6 pour cent pour 2008 et 1,4 pour cent en 2009, soit
bien en dessous des prévisions du gouvernement. Le Nouvel Observateur du
30 avril cite le commissaire à l’économie de l’UE, Joaquin Almunia,
qui a dit, dans une mise en garde précoce de Bruxelles sur le creusement des
déficits, que la situation dans laquelle se trouve la France « est un cas
clair pour utiliser les instruments qui sont entre nos mains dans des cas
pareils. »
L’appel lancé par la direction du Parti socialiste (PS) pour
un dialogue entre les dirigeants des syndicats lycéens et le gouvernement est
un piège cynique. Le PS défend la compétitivité du grand patronat français et
européen et cela est plus important pour lui que toute inquiétude qu’il
pourrait avoir concernant les droits et les conditions de vie des travailleurs
et des jeunes.
Les mouvements de masse des lycéens et des étudiants et toutes
les mobilisations et grèves puissantes des travailleurs pour la défense du
droit à l’éducation, à la retraite, à la santé, au travail et à
l’emploi en 2003, 2005, 2006 et 2007 ont été étouffés par l’action
des syndicats et des partis de « gauche » qui ont semé la division.
Seul un mouvement unifiant toutes les sections de la classe ouvrière et des
jeunes sur un programme socialiste d’organisation rationnelle de la richesse
de la société à l’échelle mondiale peut venir à bout de l’offensive
capitaliste.
Le WSWS a parlé avec des manifestants à Amiens, en Picardie,
dans le nord de la France, où quelque 200 lycéens, soutenus par quelques
parents, enseignants et étudiants ont bravé la pluie, mardi, pour manifester. Ils
ont terminé leur manifestation par un sit-in dans la rue devant le rectorat où
des enseignants du primaire s’étaient rassemblés pour protester contre
des fermetures de classes.
Maélyse, Clémentine et Justine, élèves de Seconde au lycée
Madeleine Michelis ont dit au WSWS que « avec moins de profs, il y aura
plus d’effectifs. Il faut qu’ils
comprennent. Nous n’accepterons pas cela. »
« Sarkozy ne pense qu’aux
riches. S’il appelle ça une démocratie, moi, j’en fais une belle »,
a dit l’une. Clémentine a ajouté : « Les syndicats devraient
être avec nous et les gens qui travaillent devraient nous soutenir. »
Aurélien Delaporte, étudiant en deuxième année de littérature
à l’Université d’Amiens a dit, « Je suis solidaire des lycéens
et de leur lutte pour de bonnes conditions de travail pour les lycéens et les
profs, contre le manque de moyens, le regroupement des classes, moins
d’options et de choix et pour une éducation qui donne une vraie
culture. »
Il a continué: « Je voudrais être prof et je me sens
menacé dans ma carrière. Je veux des conditions de travail normales. J’ai
participé au mouvement contre la loi Pécresse l’an dernier [loi qui
limite l’accès à l’enseignement supérieur, réduit les formations et
ouvre la voie à l’influence du patronat dans les universités]. Il fallait
un grand mouvement social en unité avec les cheminots et la lutte pour la
défense des retraites. Les autres syndicats devraient
être avec les lycéens.
« On essaie de présenter les
lycéens comme des ignorants qui ne savent pas pourquoi ils manifestent. Ce
n’est pas vrai : ils savent qu’ils auront de gros problèmes à
l’avenir. Il faut un raz de marée. Les luttes sont trop ciblées, donc il
n’y a pas assez de solidarité. Il faut un autre système. »
Francis Guésou, travailleur et technicien à la retraite
participait à la manifestation pour soutenir les lycéens. Il a dit au WSWS
qu’il est secrétaire adjoint de la FCPE de la Somme [Fédération des
conseils de parents d’élèves], la plus grande association de parents
d’élèves en France, et qu’il défendait les principes de son
organisation : « défendre l’enfant et l’école publique,
laïque, gratuite. »
« Les lycéens ont raison de manifester contre Darcos »,
a-t-il dit. « La suppression du BEP est une perte pour les élèves en
difficulté. Le BEP peut mener à un emploi. Il est possible de faire reculer
Sarkozy comme on a fait en ‘68. Là, la révolution était possible, mais
les partis politiques n’étaient pas prêts. Les syndicats étaient
débordés, ils n’étaient pas prêts. »