C’est
précisément le 1er mai, jour de la fête du Travail, qu’entrera en vigueur
cette année en France un nouveau code du travail.
Officiellement
il ne s’agit que d’une « recodification à droit
constant » du code du travail jusque-là en vigueur, autrement dit d’une
simplification et d’un remaniement de ses nombreuses dispositions
spécifiques sans que la nouvelle formulation ne touche au fond. Cependant, le
gouvernement du président Nicolas Sarkozy a profité de cette
« recodification » pour modifier de façon fondamentale, et
partiellement à l’insu de l’opinion publique, les relations employeurs/salariés.
Le code
du travail rassemble les droits
et règlements qui régissent les relations entre employeurs et salariés et
codifie les aspects les plus importants de la vie du travail. Le droit du
travail remonte au 19e siècle, mais le code du travail ne fut élaboré
qu’au début du 20e siècle pour être achevé vers la fin des années 1920.
Il reflète indirectement les acquis obtenus par les travailleurs au cours de
décennies de luttes.
Ce code
s’applique non seulement à plus de 16 millions de salariés du secteur
privé, (ceux du secteur public étant soumis à des statuts particuliers), mais
aussi à plusieurs millions de salariés travaillant sous contrat de droit privé
dans le secteur public.
Certains députés de
la gauche parlementaire ont argumenté que le nouveau code du travail
introduisait une nouvelle conception du rapport entre le salarié et l’employeur.
Dans le code du travail tel qu’il était connu jusque-là, ce rapport était
considéré comme un rapport inégalitaire et de subordination, où le plus faible
devait être protégé. Cette conception contenait en outre la notion de
responsabilité et d’obligation de la part de l’employeur. Les députés
mettent en garde contre le fait que cette caractéristique essentielle ne figure
plus dans la nouvelle version du code du travail.
Alain
Vidalies, député PS des Landes et secrétaire national du Parti socialiste aux
entreprises, dit à propos du nouveau code : « Ce travail de
codification, supposé neutre, a en réalité pour principal objet d’adapter
l’architecture et la philosophie du code du travail au projet politique
de l’UMP [Union pour un mouvement populaire, parti majoritaire de
l’actuel gouvernement de droite]. Censé être réalisé à droit constant
[sans modification du contenu légal], il supprime des dispositions, met en
cause l’unité du droit du travail, déclasse et fragilise des garanties
sociales. »
Bernard
Teyssié, directeur du laboratoire de droit social de l’université
Panthéon-Assas, explique à ce sujet dans une interview accordée l’année
dernière au syndicat CGT que : « Dans le cas présent, le choix a été
fait d’une recodification du code du travail à droit constant, donc, en
principe, sans effet sur le contenu de la norme. La réalité cependant, est
différente. La réorganisation opérée s’accompagne de l’éclatement
de certains articles en plusieurs articles nouveaux, du déplacement
d’articles dans des sections ou des chapitres différents de ceux qui les
accueillaient jusqu’à présent (ce qui est de nature à peser sur leur
interprétation), de la création d’articles porteurs de
définitions. »
Lors
d’un débat parlementaire sur cette question à l’Assemblée nationale
le 4 décembre 2007, le député « communiste républicain » des Hauts de
Seine, Roland Muzeau, remarquait à ce propos : « C’est ainsi
que l’on trouve maintenant dans les principes généraux de prévention un chapitre
intitulé "Obligations des travailleurs", symétrique de celui intitulé
"Obligations des employeurs". Cette modification est d’une
extrême gravité. »
Muzeau
ajoute qu’au moment où le nombre d’accidents du travail et de
maladie professionnelle est en augmentation « la nouvelle rédaction ouvre
[aux employeurs] la possibilité de dégager leur responsabilité en matière
d’hygiène sécurité. »
Le député socialiste
du Nord, Marc Dolez, juriste, a expliqué lors de
cette même séance à l’Assemblée nationale qu’« En fait, ce
déclassement revient à nier l’existence de la nature inégalitaire de la
relation entre employeur et employé et à les mettre sur le même plan alors que
le code du travail régit des rapports et un contrat par nature inégalitaires,
nécessitant la protection de la partie la plus faible. »
Gérard
Filoche, membre en vue du PS et inspecteur du travail, un de ceux qui se sont
publiquement élevés contre le projet gouvernemental explique :
« Après ce changement dans le code du travail, il y aura l’obligation
du salarié et la notion de subordination se trouvera mise en cause. »
Dans cette logique,
le salarié peut, théoriquement, avoir à répondre légalement de ses faits et
gestes dans le cadre de son travail. Il est de plus arraché à la solidarité de
sa classe, donc isolé par rapport à ses collègues de travail.
On a aussi procédé
dans la refonte du code du travail à la soi-disant
« externalisation » de certaines catégories de salariés vers
d’autres codes. C’est le cas pour les ouvriers agricoles, les
dockers, les mineurs, les salariés de l’éducation. Ce transfert vers une autre règlementation entraîne pour certains de ces
travailleurs, par exemple les ouvriers agricoles, la suppression du 1er
mai comme jour férié.
Le gouvernement a de
plus procédé au « déclassement » de plus de 500 articles du code du
travail du domaine « législatif » vers le domaine
« réglementaire ». En conséquence, ces articles peuvent désormais
être modifiés par décret et non plus par des lois, ne passant plus
nécessairement par le parlement. Il sera désormais plus facile de les modifier
selon les besoins du patronat dans la plus grande discrétion.
Un autre aspect tout
aussi important concerne les conseils des prud’hommes qui sont une
juridiction sociale composée à parts égales de salariés et d’employeurs
et qui juge les litiges survenus dans les entreprises de droit privé, et qui
sont également dans la ligne de mire, car un simple décret d’application
permettra de les priver d’un certain nombre de compétences en matière de
droit du travail et dans certains contentieux ils pourront être dessaisis au
profit du tribunal de grande instance.
A l’insu de l’opinion publique
Le code
du travail était dans le collimateur du Medef depuis bien longtemps. Mais, bien
que des gouvernements de gauche aient autrefois déjà entamé son remaniement, il
ne sera vraiment abordé de façon systématique qu’à partir de 2002, avec
l’arrivée au pouvoir de la droite sous le gouvernement Raffarin-Chirac. Les
raisons avancées par les différents gouvernements pour justifier ce remaniement
ont toujours été les mêmes : moderniser et simplifier le code du travail.
En 2003,
François Fillon, alors ministre du Travail du gouvernement Raffarin-Chirac et
l’actuel premier ministre, avait confié à une commission d’experts
juridiques l’élaboration d’un rapport ayant pour mission, après
consultation des organisations syndicales et professionnelles, de faire des
propositions sur la « modernisation » du droit du travail français.
La direction de ce travail fut confiée à Michel de Virville qui, en janvier
2004, remettait à François Fillon un rapport sur le code du travail intitulé
« Pour un code du travail plus efficace ».
De
Virville est loin d’être un inconnu. Il est conseiller maître à la Cour
des comptes est aussi secrétaire général du groupe Renault depuis 1993.
C’est un des dirigeants de l’Union des industries des métiers de la
métallurgie (UIMM), une fédération du Mouvement des entreprises de France (Medef),
et le président de la Commission des relations du travail et de l’emploi
au sein de l’organisation patronale. Après avoir succédé le 31 janvier
dernier à Denis Gautier-Sauvagnac à la présidence de l’assurance-chômage
Unedic, il devait en démissionner le 1er mars suite à sa mise en cause dans
l’affaire des caisses noires du patronat de la métallurgie, l’UIMM.
Conformément
au rapport de Virville, un rapide processus de recodification du code du
travail fut engagé en février 2005. Le gouvernement de Dominique de Villepin y
procéda par voie d’ordonnance gouvernementale. Les ordonnances sont
certes approuvées par le parlement, mais, contrairement aux projets de loi, sont
promulguées sans débat parlementaire. En juillet 2005, une loi habilitait le
gouvernement à prendre par ordonnance des mesures d’urgence pour
l’emploi, entamant ainsi la refonte du code du travail. Le gouvernement
était cependant, de par une loi passée le 9 décembre 2004, tenu de respecter
certains délais.
L’entrée
en vigueur du nouveau code ainsi reformulé était alors prévue pour le mois de
juin 2006. Au printemps 2006, le
mouvement de contestation des travailleurs et des jeunes contre le CPE (Contrat
première embauche) a contrecarré les plans du gouvernement tant et si bien que
les délais impartis à l’origine ne purent être respectés. Le
gouvernement, pour les remettre sur les rails, dut alors recourir à une astuce appelée
« cavalier législatif », l’article 57, glissé dans une loi qui
parle d’autre chose, en l’occurrence la loi du 30 décembre 2006,
pour le « développement de la participation et de l’actionnariat
salarié ».
Le 21 janvier 2008,
le parlement a ratifié la « partie législative » qui avait déjà été
réglée par l’ordonnance du 12 mars 2007 et, en mars dernier, Xavier Bertrand, le ministre
du Travail et des Relations sociales présentait un décret en conseil des
ministres, lui permettant d’annoncer l’entrée en vigueur, le 1er
mai, du nouveau code du travail « dans son ensemble ».
La
refonte du code du travail fut en grande partie passée sous silence par les
médias alors même que le statut de quelque 30.000 journalistes était en partie
en jeu. Bien que d’importants jalons aient été posés pour l’avenir,
et ce à quelques semaines seulement des élections présidentielles, la gauche
officielle n’a en aucune manière thématisé le sujet.
Quant à
la bureaucratie syndicale, elle a sciemment accompagné le processus de
recodification dans la plus grande discrétion alors que de nombreux conflits
sociaux avaient lieu parallèlement.
Le site
internet revuefiduciaire rapporte un entretien avec Hervé Lanouzière, un
membre de la « Mission recodification » au ministère de l’Emploi,
qui précise que les syndicats avaient été fortement impliqués dans le processus
de recodification dans le cadre d’une commission des partenaires sociaux.
Toutes les grandes organisations syndicales étaient représentées dans cette
commission à raison de deux représentants organisation.
« Seize
rencontres ont eu lieu. Les partenaires sociaux ont eu la totalité des travaux
sans exception. De nombreux échanges écrits ont eu lieu et, selon M.
Lanouzière, plus de 80 pour cent de leurs observations ont été retenues » a
précisé revuefiduciaire.