Le sénateur Barack Obama a remporté mardi dernier la
nomination présidentielle du Parti démocrate alors que des dizaines de
superdélégués (des congressistes, des sénateurs, des gouverneurs et des
représentants du parti) se sont empressés d’appuyer sa candidature lors de la
dernière journée de la campagne des primaires.
Obama et Hillary Clinton se sont partagé les deux dernières
primaires, Obama remportant le Montana, mais perdant le Dakota du Sud.
Toutefois le nombre de délégués en jeu dans ces deux Etats peu populeux, soit
31, était négligeable par rapport aux 200 superdélégués qui commencèrent à se
ranger de façon décisive derrière Obama alors qu’il approchait le total de 2118
délégués requis pour la nomination.
Une déclaration émise communément par quatre importants
leaders démocrates, le président du parti Howard Dean, le speaker de la Chambre
Nancy Pelosi, le chef de la majorité au Sénat Harry Reid et Joe Manchin, le
président de l’Association des gouverneurs démocrates, ont demandé à tous les
superdélégués qui n’avaient pas encore pris de décision pour le candidat à la
présidentielle de faire leur choix avant vendredi.
ABC News rapporta mercredi soir que Clinton se retirerait
officiellement de la course et appuierait Obama d’ici là. Elle ne fit toutefois
pas cette concession lors de son discours à ses supporters mardi soir, après la
fermeture des bureaux de scrutin au Dakota du Sud.
La lutte pour la nomination présidentielle démocrate fut la
plus longue de l’histoire américaine moderne. Obama prit une avance
considérable parmi les délégués démocrates dans les trois dernières semaines de
février lorsqu’il remporta 11 primaires et caucus consécutifs. Clinton remporta
neuf des 14 dernières primaires, mais fut incapable de combler l’avance de plus
de 150 délégués accumulée par son opposant.
Clinton débuta la campagne avec d’énormes avantages sur sa
demi-douzaine de rivaux, dont un appui institutionnel et financier beaucoup
plus important, mais s’avéra finalement crucialement affaiblie par son vote en
octobre 2002 pour autoriser la guerre en Irak. Sa décision de donner à Bush le
pouvoir d’envahir l’Irak représente deux mauvais calculs de sa part :
surestimer la puissance de l’impérialisme américain, et sous-estimer le niveau
d’opposition à la guerre qui allait émerger de la population américaine.
La campagne d’Obama ne fut d’aucune façon véritablement une
campagne « antiguerre », bien qu’il se soit adressé à l’hostilité
populaire face à la guerre en Irak et ait constamment relié Clinton et Bush à
son refrain selon lequel la guerre en Irak est « une guerre qui n’aurait
jamais dû être autorisée ni menée ».
Le sénateur de l’Illinois représente une section de l’élite
dirigeante américaine qui est arrivée à la conclusion que l’invasion et la
conquête de l’Irak constituent un fiasco stratégique et qu’un important
changement d’image et de personnel est requis pour sauver les intérêts de
l’impérialisme américain au Moyen-Orient et internationalement. Ces couches ne
s’opposent pas aux actions militaires comme telles, mais perçoivent l’idée fixe
de l’administration Bush de remporter une victoire militaire en Irak comme peu
judicieuse et, tout compte fait, désastreuse.
Bien avant qu’Obama ne soit connu partout, remplissant des
stades et obtenant des millions de petites contributions par Internet, sa
candidature s’était méritée l’appui d’une importante section de l’establishment
démocrate des Affaires étrangères, y compris des personnages tels que l’ancien
conseiller à la sécurité nationale de Carter, Zbigniew Brzezinski, et l’ancien
conseiller à la sécurité nationale de Clinton, Anthony Lake.
Ils ont été amenés vers Obama non pas tant en raison de sa
critique de l’administration Bush — qui n’est pas particulièrement vigoureuse,
même en tenant compte des faibles standards des démocrates au Congrès — qu’en
raison de l’effet symbolique qu’une élection du premier président
afro-américain aurait en ce qui a trait à faire revivre des illusions, autant
internationalement qu’à l’intérieur des Etats-Unis, dans les prétentions
démocratiques du capitalisme américain.
Avec la nomination d’Obama garantie, les médias américains se
sont se sont empressés de répandre de telles illusions. Les réseaux de
télévision ont dédié d’interminables heures à glorifier le grand
accomplissement de la démocratie américaine qu’est la nomination, pour la
première fois dans l’histoire des Etats-Unis, d’un afro-américain pour la
campagne présidentielle d’un des deux principaux partis bourgeois.
Il n’y a pas de doute que de telles illusions sont
présentement répandues, et pas seulement parmi les travailleurs provenant des
minorités et les jeunes originaires de différents milieux ethniques qui sont
véritablement consternés par les huit ans de guerre, de réaction et de déclin social
de l’administration sortante de Bush et Cheney.
Mais l’importance de la nomination d’Obama, tout comme son
élection le 4 novembre, si cela devait arriver, ne peut être jugée sur la base
de considérations aussi superficielles que la couleur de la peau. Malgré les
prétentions incessantes des médias ainsi que des partisans et apologistes du
Parti démocrate, Obama ne représente pas plus les intérêts des noirs et des
minorités que Hillary Clinton ne représente les intérêts de toutes les femmes.
Mais, Obama et Clinton sont des représentants politiques de
l’élite dirigeante américaine, la petite aristocratie financière qui contrôle
tous les leviers économiques et politiques dans la société américaine, incluant
les deux partis « importants » officiellement reconnus et les médias
de masse.
Obama est un fervent défenseur du système de profit et a
l’appui de certains des plus riches individus, incluant l’investisseur
milliardaire Warren Buffet qui est devenu, cette année, l’homme le plus riche
des Etats-Unis, surpassant Bill Gates de Microsoft.
Comme le sénateur Obama, Buffet est un homme intelligent et il
n’appuie pas le démocrate de l’Illinois parce qu’il recherche une
transformation radicale de la société américaine. Il soutient Obama parce qu’il
reconnaît, comme le reconnaissent les sections plus réfléchies de l’élite
dirigeante, qu’au moins un changement cosmétique est requis dans la vie
politique américaine pour empêcher un soulèvement de la base.
La nomination d’Obama n’est pas le produit d’une insurrection
populaire contre l’establishment du Parti démocrate ou d’un mouvement de masse,
comme certains des partisans plus aveugles d’Obama provenant de la gauche
libérale le prétendent maintenant. Le rôle des masses dans la campagne d’Obama
est le mieux démontré par les manifestations comme celles organisées mardi soir
à St-Paul au Minnesota où le public est utilisé comme faire-valoir pour une
campagne de marketing très habile et bien orchestrée. Le but de cette campagne
est de remettre à neuf la politique capitaliste américaine sans toucher à ses
fondations pourries.
Obama se fait l’instrument volontaire, et jusqu’à un
certain point, conscient de cette campagne. Cela a été clairement démontré dans
les circonstances débutant par l’épinglette du drapeau incorporé dans son
étiquette, ancien objet d’attention des médias, et ensuite par le contenu de
son discours mardi soir dans lequel il se déclarait le vainqueur de la lutte
pour la nomination démocrate aux élections présidentielles.
Obama attaqua son opposant républicain présomptif, le
sénateur John McCain, sur sa politique « maintenir le cap » en Irak,
mais il présenta sa critique de la guerre en terme nationaliste. La politique
de Bush et McCain, a-t-il dit, « demande tout à nos braves hommes et
femmes en uniformes et rien des politiciens irakiens, » comme si c’était
l’Irak qui exploitait les États-Unis, et non l’inverse. Il cita les coûts de la
guerre pour le peuple américain, sans mentionner le coût beaucoup plus élevé
infligé à la population irakienne par l’invasion américaine et son occupation,
qui a virtuellement détruit l’Irak en tant que société fonctionnelle.
Au même moment, le candidat démocrate repoussait encore
plus loin son soi-disant engagement à mettre fin à la guerre, déclarant en
termes implicites tout rejet d’un rapide retrait des troupes, « Je ne suis
pas ici pour prétendre qu’il reste beaucoup de bonnes options en Irak. »
Il ajouta, « Nous devons être aussi prudent à nous retirer de l’Irak que
nous avons été imprudents à nous y rendre, mais nous devons débuter le
retrait. » À un certain moment durant la campagne, Obama avait suggéré que
toutes les troupes de combats allaient être retirées durant sa première année à
la Maison-Blanche. C’est maintenant devenu une vague promesse de « début
de retrait », une promesse qui ouvre la porte à une occupation d’une durée
essentiellement indéfinie.
Toutes troupes retirées de l’Irak deviendraient disponibles
pour des opérations militaires ailleurs dans le monde, a-t-il clairement laissé
entendre, particulièrement en Afghanistan, lorsqu’il a dit, « Le temps est
venu de recentrer nos efforts. »
Il a affirmé son objectif de raviver l’image et la position
mondiale des États-Unis : « Nous devons encore une fois avoir le
courage et la conviction de diriger le monde libre. C’est là l’héritage de
Roosevelt, de Truman et de Kennedy. » En d’autres termes, les présidents
démocrates qui dirigèrent les États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, la
guerre de Corée et les débuts de la guerre du Vietnam.
Obama poursuivit en mettant l’emphase sur une renaissance
du militarisme américain dans son discours du mercredi matin au Comité des affaires
publiques américaines et israélienne (AIPAC), le principal groupe de pression
pro-israélien à Washington. Il déclara qu’il ne négocierait jamais avec le
Hamas et les autres groupes islamiques et nationalistes qui refusent de
reconnaître l’État d’Israël.
« Il n’y a pas de place à la table de négociation pour
les organisations terroristes », a-t-il dit, ajoutant,
« contrairement à ce que certains prétendent, je n’ai aucun intérêt à m’asseoir
avec mes adversaires simplement dans le but de parler ».
Il a critiqué l’administration Bush et le
sénateur McCain en prenant le point de vue que la guerre en Irak avait renforcé
l’Iran, le plus important adversaire d’Israël au Moyen-Orient. Tout en répétant
qu’il soutenait l’effort diplomatique amorcé avec l’Iran, il a dit :
« Je laisserai toujours peser la menace d’une action militaire pour
défendre notre sécurité et celle de notre allié Israël ».
Des reportages ont indiqué que les 7000
personnes qui ont participé à la conférence de l’AIPAC ont réservé un accueil
beaucoup plus chaleureux à Obama qu’à McCain, qui avait donné un discours
devant la même assemblée deux jours plus tôt. Obama a rampé devant le lobby
sioniste, déclarant que « La sécurité d’Israël est sacro-sainte. Ce n’est
pas négociable. »
Tout accord de paix au Moyen-Orient, a-t-il
dit, devra « préserver l’identité d’Israël en tant qu’Etat juif avec des
frontières sûres, reconnues et qu’il pourra défendre. Jérusalem sera la
capitale d’Israël et elle ne sera pas divisée. »
Quant à l’Iran, le correspondant du Globe
and Mail de Toronto à la conférence de l’AIPAC a commenté : « Le
sénateur Obama semblait être presque autant faucon que le sénateur McCain ou
que le président actuel George W. Bush. »
Obama a dit devant l’AIPAC : « Le
danger que fait peser l’Iran est grave, il est réel et mon but sera d’éliminer
cette menace. » Il a ajouté en des termes vagues, mais menaçants,
« Je ferai tout en mon pouvoir, absolument tout, pour empêcher l’Iran
d’obtenir l’arme nucléaire. »
Un Obama à la présidence américaine ne
représentera pas un changement fondamental d’avec la politique de
l’impérialisme américain, mais plutôt sa continuation sous une autre forme. Le
premier président américain noir sera aussi déterminé à défendre les intérêts
de l’élite dirigeante américaine que le premier secrétaire d’Etat noir, Colin
Powell, et que celle qui lui a succédé à ce poste, Condoleezza Rice, elle aussi
une afro-américaine.
Ce n’est pas la couleur de la peau, mais la
position de classe qui constitue le critère politique décisif. Il est
nécessaire de réitérer cette vérité fondamentale du marxisme dans un contexte
où toutes les teintes de libéraux de gauche cherchent à renforcer les illusions
en Obama et, par lui, dans le Parti démocrate et le système de profit dans son
ensemble.
On trouve un exemple de cette position dans
le dernier éditorial de la revue Nation, qui accueille le résultat de la
campagne des primaires comme « un moment historique pour Obama, pour le
Parti démocrate et pour l’expérience américaine. Pour la première fois, depuis
la fondation de la république, un des principaux partis a nommé un
Afro-américain comme candidat présidentiel. »
L’éditorial s’enthousiasme devant ce qu’il
décrit comme « le fait le plus remarquable de cette course : dans un
pays où les femmes et la plupart des Afro-américains n’avaient pas le droit de
vote en 1908, une femme et un Afro-américain se sont partagé en 2008 le plus
grand nombre de votes jamais donnés dans une course pour choisir un candidat
présidentiel… Pendant la plus grande partie de son histoire, les Etats-Unis ont
été une démocratie incomplète. Mais, au cours des cinq derniers mois, ils ont lutté
pour que se réalise la promesse d’un pays plus parfait. »
La revue concluait par une louange pour le
Parti démocrate, le parti qui pendant un siècle a défendu l’esclavage et
l’apartheid racial du sud des Etats-Unis : « L’histoire se rappellera
que le Parti démocrate, qui au milieu du vingtième siècle a défendu plus
ouvertement et plus pleinement que le Parti républicain la cause de la liberté
et de la lutte pour faire éclater ces plafonds de verre, commence à récolter
les fruits de ses engagements passés dans les premiers mois de 2008. »
La vérité est que le Parti démocrate, tout
autant que le Parti républicain, sont des instruments de l’élite dirigeante
américaine, dont les différences sont tactiques plutôt que fondamentales.
Ce qui guidera une administration Obama, ce
sera la crise actuelle du capitalisme américain et mondial, crise qui ira en
s’approfondissant, tout comme les efforts de l’élite dirigeante américaine pour
défendre sa position mondiale et sa domination au pays par tous les moyens
possibles, des mots mielleux d’un candidat présidentiel du Parti démocrate
jusqu’à un Etat policier d’espions et la guerre.