Le président Nicolas Sarkozy s’est
trouvé empêtré dans une controverse après avoir fait des remarques quelques
minutes avant une intervention télévisée assez longue la veille de la présidence
française de l’Union européenne le 30 juin sur la chaîne publique France 3.
La vidéo des propos tenus hors antenne par Sarkozy juste avant son interview
par des journalistes de la chaîne révèle l’hostilité entre le président
et de vastes couches de la population.
Après avoir été accueilli par une foule de
manifestants protestant contre son projet de nommer personnellement le
président de la télévision publique, Sarkozy a dit « bonjour » à un
technicien qui lui accrochait un microphone au revers de la veste et qui n’a
pas répondu à son salut. L’indifférence du technicien fit dire au
président : « C’est une question d’éducation… Enfin,
quand on est invité [à France 3], on a le droit que les
gens vous disent bonjour quand même… Ou alors on n’est pas dans le
service public, on est chez les manifestants… incroyable… et grave ! »
Se référant aux manifestations qui ont lieu
devant l’entrée de France Télévisions, Sarkozy lâcha de façon menaçante
« ça va changer, là ». Les syndicalistes impliqués dans l’affaire
accuse Sarkozy de vouloir détruire la télévision publique et de revenir à une
télévision d’Etat.
Quelques minutes avant que l’interview ne
commence, Sarkozy essaya de parler à un journaliste qui avait été « placardisé »
deux ans plus tôt. Il lui dit « Ça fait plaisir de voir M. Leclerc [journaliste à France
3] à l’antenne. Tu es resté combien de temps au placard ? » en
enchaînant « J’avais protesté quand on l’avait mis au
placard ».
Il suggère ensuite à ses interviewers de lui
poser une question sur la fusillade de Carcassonne lors de laquelle un soldat a
tiré à balles réelles au lieu d’utiliser des cartouches à blanc en
faisant 17 blessés lors de cette démonstration militaire ouverte au public.
« Vous voulez pas poser une question sur Carcassonne ? » a
demandé le président. La question fut dûment ajoutée à la liste.
La vidéo embarrassante apparut sur le site
gratuit d’informations Rue89 et gagna d’autres sites internet. Près
d’un million de personnes avaient visionné la séquence vidéo en
l’espace de quelques heures.
Dans un communiqué publié le 1er
juillet, France 3 a dénoncé la divulgation de la vidéo : « La
direction générale de France 3 a lancé une enquête interne pour déterminer
comment les images ont pu sortir de France Télévisions… et a condamné avec
la plus grande fermeté le piratage des images tournées pendant la mise en place
de l’édition spéciale du 19/20 [émission d’actualités] qui recevait
hier le président de la République. »
Le lendemain, les avocats de France 3 exigeaient
le retrait de la vidéo et la destruction du document en question ainsi que la
révélation des sources et les conditions dans lesquelles le site s’était
procuré la vidéo. Rue89 répondit en disant : « Du jamais vu : un
média qui menace un autre média de procès pour révéler ses sources ! Mais
généralement, c’est l’Etat qui initie ce genre de démarches qui
suscitent la plupart du temps, et à juste titre, des protestations des
organisations professionnelles de journalistes. » Rue89 a refusé
d’obtempérer.
La menace fut écartée après que le directeur
de l’information soit intervenu.
Les tensions entre Sarkozy et les quatre
chaînes publiques se sont envenimées après que le président ait critiqué des
semaines durant la qualité de leurs programmes, mais surtout après sa décision
de changer le statut du groupe audio-visuel. A partir de janvier prochain, la
publicité sera supprimée sur les chaînes publiques et leurs pertes de recettes
sont censées être compensées par une taxe de 0,8 pour cent sur le chiffre
d’affaires des opérateurs mobile et des fournisseurs d’accès à
internet. L’arrêt de la publicité sur les chaînes publiques signifiera un
supplément de recette pour les chaînes privées. Les services autonomes des
chaînes publiques seront centralisés en une seule société.
Ce financement est jugé totalement insuffisant
car laissant un trou de 300 millions d’euros par an et le groupe de
France Télévisions craint que cela ne débouche dans une « crise financière
et sociale majeure ». Le 2 juillet, le PDG de France Télévisions, Patrick
de Carolis, a répliqué publiquement aux critiques de Sarkozy.
« Lorsqu’on dit qu’il n’y a pas de différence entre la
télévision de service public et les télévisions privées, je trouve cela faux,
je trouve ça stupide, et je trouve ça profondément injuste. Si à un moment
donné, je vois que je n’ai pas la possibilité de faire mon travail…
je dirai ‘stop’. »
Mise à part la question du financement,
l’annonce faite la semaine précédente par Sakozy selon laquelle la
nomination du président de France Télévisions se fera à l’avenir par lui-même
et par le premier ministre en n’étant que confirmée par le Conseil
supérieur de l’audiovisuel (CSA) s’est révélée extrêmement
impopulaire. Précédemment cette nomination relevait du CSA. La démarche de
Sarkozy est considérée être une tentative de transformer les médias en une
composante docile de l’appareil d’Etat, comme c’était le cas sous
le général Charles de Gaulle dans les années 1960. Le directeur général et le président
des chaînes de télévision et de radio de l’ORTF étaient nommés par décret
gouvernemental comme c’est le cas pour la BBC en Grande-Bretagne.
Lors de l’interview télévisée du 30
juin, Sarkozy a justifié sa nouvelle politique en disant : « Comment
voulez-vous faire tourner une boutique, 6.000 [membres du personnel] à France
3, 11.000 sur l’ensemble, avec des présidents qui changent tous les trois
ans ?... On saura qui est responsable des bons et des mauvais programmes,
quand l’équipe fera son travail, elle continuera, quand l’équipe ne
fera pas son travail, elle changera. » Il a poursuivi en précisant,
« Je ne regarderai pas le service public comme une petite secte, de micro organisations
qui descendent de temps en temps dans la rue. »
Selon un sondage effectué après
l’interview de Sarkozy, 71 pour cent des personnes interrogées étaient
contre la nomination du président de France Télévisions par le président.
Et pourtant, Frédéric Lefebvre, le
porte-parole de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) a réclamé des
excuses à Patrick de Carolis pour avoir oser s’opposer aux projets du
président pour une télévision publique. Il a demandé à ce que
« L’équipe de Patrick de Carolis se mette au travail sur le
contenu. »
Le ministre de la Culture Christine Albanel s’est
montrée tout aussi indignée, « Ce n’est pas normal de prononcer
certains adjectifs, comme "stupide" ou autre, ça ce n’est pas
possible, vraiment ce n’est pas possible. On ne peut pas dire ça du
président de la République, de l’actionnaire qui vient s’exprimer
sur France 3. »
Un sondage réalisé pour le quotidien Le Parisien
les 2 et 3 juillet a révélé une baisse de la cote de popularité de Sarkozy à
son point le plus bas depuis son élection en mai 2007. Seuls 36 pour cent des
personnes interrogées soutiennent la politique du président, une chute par
rapport aux 39 pour cent de juin. Il y a un an, la cote de confiance était de 65
pour cent.
La confiance des consommateurs est tombée en
juin à son niveau le plus bas jamais enregistré en raison de la flambée des
prix de l’énergie et de l’alimentation.