Dans un geste qui, dans ses mots, vise à « augmenter
ses liquidités pour se prémunir contre un ralentissement économique américain
prolongé », General Motors a annoncé mardi son intention de supprimer des
emplois et réduire les salaires et avantages sociaux de sa main-d’oeuvre
salariée. Il réduira aussi la production à ses usines de camions légers,
tentera de liquider des actifs et suspendra les paiements de dividendes aux
actionnaires pour la première fois depuis 1922.
Ces mesures, qui visent à économiser 15 milliards $,
ont été annoncées quelques semaines seulement après que GM eut confirmé la
fermeture de quatre usines aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique, et eut mis
à pied 8000 travailleurs. Ces efforts, semble-t-il, sont les derniers
d’une tentative de plus en plus désespérée pour faire taire les rumeurs
sur Wall Street selon lesquelles le plus grand constructeur automobile mondial
serait à cours de liquidités et pourrait bientôt déclarer faillite.
Plus tôt ce mois-ci, l’analyste du secteur automobile
chez Merrill Lynch, John Murphy, mentionnant que GM dépensait près de 1,5
milliard $ par mois en liquidités, a affirmé que la faillite n’était
« pas impossible si le marché continue à se détériorer et que
d’importants revenus différentiels ne sont pas accumulés ».
Mardi, lors d’une conférence téléphonique avec les
investisseurs, le directeur général Richard Wagoner a tenté de rassurer Wall Street
que ces actions, en plus des réserves financières existantes et des marges de
crédit, fourniraient à GM « amplement de liquidités jusqu’à
2009 » même si les ventes de voitures aux Etats-Unis chutaient à 14
millions par année. La moyenne des ventes de véhicules au cours de la présente
décennie est de 16,8 millions.
Wagoner a admis que les turbulences provoquées par les prix
records du pétrole et le resserrement du crédit, et le déclin de près de 20
pour cent des ventes de véhicules GM le mois dernier avaient pris la haute
direction par surprise. « Depuis le premier jour de l’année, notre
progression a été menacée par des conditions économiques américaines de plus en
plus difficiles. Nous avons de grandes difficultés à voir clair dans notre
boule de cristal. »
Le gros des coupes annoncées mardi retombera sur les
employés de la compagnie, dont le nombre a déjà été réduit de 44 000 à
32 000 depuis juin 2000. Vingt pour cent des ingénieurs, des concepteurs,
des comptables, des administrateurs et d’autres cols blancs de la
compagnie, soit environ 6400 employés, perdront leur emploi.
Les salariés qui restent verront leurs salaires gelés
jusqu’en 2009. De plus, à partir du premier janvier 2009, GM ne fournira
plus la couverture des soins de santé pour les cols blancs à la retraite de
plus de 65 ans, abandonnant ainsi des milliers d’anciens travailleurs et
leurs épouses qui n’auront pour seule couverture que celle du
gouvernement, Medicare.
La compagnie a aussi annoncé qu’elle réduirait la
production de ses pick-up et 4X4 de 300 000 d’ici 2009, doublant
presque ses objectifs initiaux annoncés au début juin. En plus
d’accélérer le rythme des fermetures d’usines et suppressions de
quarts annoncés précédemment, les récentes coupes entraîneront les mises à pied
de milliers d’autres ouvriers à des usines d’assemblage,
d’emboutissage, de pièces et de transmissions.
Pendant les deux dernières années, GM a éliminé les emplois de
53 000 travailleurs syndiqués, réduisant la force de travail de ses cols
bleus en dessous de 60 000. En 1979, à son sommet, il y avait plus de 600 000
membres des United Auto Workers employés chez GM.
GM a aussi annoncé qu’il va reporter jusqu’à 2010
tout paiement au fonds de santé nouvellement fondé, ou VEBA, qui sera contrôlé
par les UAW. Faisant partie de l’accord pour soustraire GM de toutes
obligations futures de fournir une couverture médicale à ses retraités, GM
s’était engagé à payer 1,7 milliard de dollars au fonds lors des deux
prochaines années.
Dans le but de vendre les concessions dans les salaires et les
avantages sociaux, l’UAW a prétendu que prendre le contrôle du fonds de
plusieurs milliards de dollars garantirait une couverture médicale à ses
membres, même si un ou plusieurs fabricants d’automobiles venaient à
faire faillite. Le paiement reporté (combiné à la chute de la valeur des
actions de GM, qui constituaient la principale part de la valeur du fonds) menace
maintenant de jeter tout le plan dans l’insolvabilité, laissant des
dizaines de milliers d’anciens travailleurs et les personnes à leur
charge avec peu ou pas de bénéfices.
En ligne avec ses politiques pro-patronales, l’UAW
n’a fait aucune déclaration sur les actions de GM ou sur les propos de
plus en plus fréquents selon lesquels les fabricants d’automobiles de
Détroit pourraient rouvrir les conventions collectives et exiger encore plus de
concessions sur les salaires et les avantages sociaux de la part des ouvriers
de l’automobile.
Aucun des deux candidats présidentiels n’a offert une
réponse sérieuse à la destruction en cours des emplois dans le secteur de
l’automobile. Après avoir exprimé ses sympathies obligatoires pour ceux
étant affectés, Barack Obama, le candidat présidentiel démocrate, a dit :
« Lorsqu’un pilier de l’économie américaine est obligé de
faire une décision pour se restructurer comme celle que General Motors annonce
aujourd’hui, c’est un sérieux rappel des temps économiques
difficiles auxquels nous faisons face aujourd’hui et nous avons besoin de
changement et d’une nouvelle direction à Washington. »
Obama, que l’UAW soutient, a rencontré le président de
GM, Rick Wagoner, et le PDG de Ford, Alan Mulally, et s’est engagé à être
le meilleur « partenaire » et assistant de l’industrie de
l’automobile dans ses efforts pour rationaliser et être compétitif face à
ses rivaux européens et japonais. Ce point de vue pro-entreprise et
nationaliste, qui est depuis longtemps propagé par l’UAW, n’a
produit rien d’autre que des désastres pour les travailleurs de
l’automobile.
Même si Wagoner a prédit d’autres pertes de profits dans
le futur immédiat, il a montré clairement que la compagnie était prête à passer
à des mesures drastiques pour retourner à la profitabilité, incluant la vente
de biens fonciers, de filiales internationales et de marques de commerce
américaines ainsi que d’une portion de ses parts de 49 pour cent dans le
financement de GMAC.
GM fera aussi pression sur ses fournisseurs pour qu’ils
réduisent leurs prix de manière substantielle, un geste qui aura un effet boule
de neige sur des centaines de milliers de travailleurs dans l’industrie
de l’acier et des pièces d’automobiles. Des demandes similaires de
réduction de prix ont amené American Axle, Delphi, Dana et d’autres
fournisseurs de GM à couper jusqu’à 50 pour cent dans les salaires des
travailleurs.
Dans un geste bidon de « sacrifice égal », Wagoner
— dont la compensation a augmenté de 64 pour cent l’année dernière
pour atteindre 15,7 millions de dollars et qui était flanqué lors de la
conférence de presse du chef des opérations Fritz Henderson (9,3 millions de
dollars, en hausse de 5,1 millions par rapport à l’année dernière) et du
vice-président Bob Lutz (9 millions de dollars) — a annoncé que la
compagnie couperait les bonus de ses administrateurs.
La réponse de Wall Street à l’annonce de GM fut tiède,
l’action de la compagnie gagnant 0,40 $ pour atteindre 9,85 $
mardi dernier. La valeur des actions de GM reste la plus faible depuis 50 ans,
valant 43 $ il n’y a qu’un an. La capitalisation de GM a chuté
de 5,31 milliards de dollars, moins d’un vingt-huitième de la
capitalisation de Google.
L’effondrement possible de GM a une signification
historique. Un temps le symbole de la suprématie industrielle des Etats-Unis,
sa chute est une expression du déclin du déclin à long terme de la position du
capitalisme américain sur le marché mondial.
En 1955, quatre automobiles sur cinq dans le monde étaient
construites aux Etats-Unis, la moitié par GM. La principale rivale de GM, la
compagnie Ford, avait la moitié de sa taille et, comme BBC News l’a
souligné, le plus important constructeur automobile hors Amérique, VW, était à
peine plus grand que la division allemande de GM, Opel. Toyota n’était
pas dans la course à cette époque, ne fabriquant que 23 000 automobiles
par année pour le marché du Japon, comparé à quatre millions pour GM aux
Etats-Unis.
Dans les années 1950, la région de Détroit avait le salaire
médian le plus élevé et le plus haut taux de propriétaires de toutes les villes
américaines. Aujourd’hui, suite à des dizaines d’années de congédiements
de masse et fermetures d’usines, Détroit est la plus pauvre des grandes
villes américaines alors que l’on trouve dans la plupart de ses quartiers
des maisons brûlées ou décrépites. Le taux de reprises de maison est parmi les
plus élevés du pays.
Durant les années 1990, les trois grands constructeurs
automobiles américains sont devenus dépendants de la vente très profitable des pick-up
et des 4X4. Lorsque le prix du pétrole était à dix dollars le baril, les ventes
de 4X4 sont passées d’un à quatre millions alors que 60 pour cent des
ventes des Trois Grands (et presque tous leurs profits) étaient dus aux camions
légers.
Dans un contexte où l’économie américaine abandonne
rapidement le secteur manufacturier pour adopter les formes les plus
parasitaires de la spéculation financière, les dirigeants de l’industrie
automobile, poussés par Wall Street et leur propre intérêt, ont sacrifié tous
les intérêts à long terme de leurs compagnies pour faire des profits plus
grands et plus rapidement. Les travailleurs paient aujourd’hui pour leur
négligence de leurs emplois et leur niveau de vie.
En plus de GM, Ford et Chrysler ont annoncé des réductions du
nombre des camions produits dans leurs usines américaines. Ford élimine 15 pour
cent de ses cols-blancs d’ici le 1er août. Depuis 2005, le nombre des
travailleurs employés par Ford est passé de 135 700 à 88 600.
Les analystes de Wall Street suggèrent maintenant que
Chrysler, qui a été acheté par les fonds d’investissement privés Cerberus
Capital Management l’an dernier, est la plus susceptible de déclarer
faillite. L’analyste de l’industrie automobile de chez JPMorgan, Himanshu
Patel, a dit que la compagnie est en position beaucoup plus précaire que celle
de GM parce qu’elle a peu d’actifs à vendre pour obtenir des
liquidités et qu’elle dépend beaucoup plus de la vente de camions et du
marché nord-américain.
Alors que déclarer faillite lui rendrait la tâche
d’obtenir du financement plus ardue, cela aurait l’avantage, du
point de vue de Wall Street, de permettre à la compagnie de déchirer ses
contrats de travail et d’imposer d’importantes diminutions de
salaire et concessions dans les conditions de travail.
(Article original anglais paru le 16 juillet 2008)