Le New York Times a rapporté la semaine
dernière que de hauts responsables de l’administration Bush, des chefs
militaires et des services du renseignement américains se sont rencontrés en
secret à la Maison-Blanche afin d’élaborer des plans pour un élargissement de
l’intervention militaire au Pakistan.
Citant sans les nommer de hauts responsables
de l’administration, l’article du Times indique que l’administration
vise à exploiter ce qu’elle considère comme une nouvelle occasion, créée le
mois dernier par l’assassinat de l’ex-premier ministre, Benazir Bhutto.
Selon les responsables cités par le Times
« plusieurs parmi ceux qui ont participé au meeting ont avancé l’argument
que la menace à laquelle faisait face le gouvernement de Pervez Moucharraf
était à présent si grande que M. Moucharraf et la nouvelle direction militaire
du Pakistan allaient probablement donner plus de latitude aux Etats-Unis
». L’article ajoutait : « A la Maison-Blanche et au Pentagone, les
responsables voient dans le changement de la structure du pouvoir une occasion
permettant aux Américains de préconiser une extension de leur autorité au
Pakistan, un pays détenteur de l’arme nucléaire. »
Ont participé à cette réunion le vice-président
Cheney, la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, le chef d’état-major des armées,
l’amiral Mike Mullen, le conseiller à la sécurité nationale de Bush, Stephen
Hadley et de hauts responsables des services du renseignement. Cette réunion
n’avait pas été annoncée et tant la Maison-Blanche que d’autres agences
gouvernementales ont refusé de la commenter.
Les préparatifs d’une escalade militaire au
Pakistan impliquent, selon le Times, l’utilisation de la CIA et des
forces du Commandement des opérations spéciales de l’armée américaine.
Officiellement, Washington n’a que cinquante
militaires au Pakistan où ils s’occupent de l’entraînement des forces
pakistanaises. Des sources familières avec les opérations américaines, ont
cependant rapporté que des soldats américains participaient déjà à des attaques
menées par l’armée pakistanaise dans les régions tribales frontalières avec
l’Afghanistan.
De plus, les Etats-Unis ont lancé un certain
nombre d’attaques unilatérales sous prétexte de « guerre contre le
terrorisme » frappant de soi-disant cibles « talibanes » à
l’intérieur du Pakistan. Il s’agit de tirs de missiles et de mortiers effectués
par les forces américaines d’occupation de l’autre côté de la frontière, en
Afghanistan. Lors d’un incident particulier, des forces américaines avaient
participé en octobre 2006 à une attaque aérienne contre une école religieuse
dans la région de Bajaur, le long de la frontière afghane, tuant 80 personnes.
On a rapporté que les forces spéciales
américaines ont aussi reçu la permission de poursuivre les forces
anti-occupation afghanes qui passent la frontière, sans autorisation préalable
de la part d’Islamabad.
Ces attaques ont provoqué une colère
généralisée au Pakistan et ont augmenté le soutien en faveur des islamistes
militants dans les régions tribales habitées par des clans principalement pachtounes
(le principal groupe ethnique de l’Afghanistan voisin). Ces clans ont
farouchement gardé leur indépendance vis-à-vis du gouvernement central.
Le plan d’une escalade considérable de
l’intervention militaire américaine au Pakistan a été précédé d’une campagne de
propagande concertée soutenant l’affirmation douteuse du régime de Moucharraf
selon laquelle l’assassinat de Bhutto était l’œuvre d’al-Qaïda et ayant pour
but de transformer sa mort en une justification pour amplifier la « guerre
mondiale contre la terreur ».
Cela s’est accompagné d’affirmations selon
lesquelles al-Qaïda avait opéré un tournant stratégique et pris le Pakistan
pour cible afin de le déstabiliser. La remarque faite à la fin du mois dernier
par le ministre de la Défense, Robert Gates qui a dit « al-Qaïda semble
en ce moment précis s’être tourné vers le Pakistan et vers des attaques contre
le gouvernement et le peuple pakistanais » est de ce point de vue typique.
Le but apparent de ces remarques est de donner
l’impression que quelque commandement central terroriste a donné des ordres
pour que des militants convergent vers le Pakistan. En réalité, le conflit
s’est développé dans le pays durant les sept ans écoulés depuis l’invasion
américaine de l’Afghanistan et le renversement du gouvernement taliban et il
s’est intensifié du fait des interventions militaires répétées, américaines et
pakistanaises, dans les régions tribales.
Quant aux « attaques contre le peuple
pakistanais », c’est le dictateur militaire Moucharraf, le principal allié
de Washington, qui les a menées de façon répétée. Au Pakistan même, une grande
partie de la population le considère, lui et l’armée, comme les suspects les
plus probables dans le meurtre de Bhutto.
Le but principal de toute escalade militaire
américaine dans les régions tribales du Pakistan ne sera pas de faire la chasse
aux terroristes d’al-Qaïda, mais bien plutôt d’attaquer la population, qui
sympathise fortement avec ceux qui résistent à l’occupation en Afghanistan et
qui a fourni des refuges et des combattants aux forces anti-occupation
afghanes. En même temps, elle servira à soutenir le régime corrompu et répressif
de Moucharraf que Washington a considéré pendant longtemps comme son principal
allié dans la poursuite de ses intérêts géostratégiques en Asie centrale.
La grande majorité de la population
pakistanaise est hostile à la politique américaine dans la région et considère
déjà Washington comme le protecteur de l’impopulaire Moucharraf. Toute
intervention américaine aura, en fin de compte, pour effet non un renforcement
du contrôle exercé par Moucharraf sur le pouvoir, mais le contraire. Elle est
certaine de causer la colère générale et des soulèvements de plus en plus
importants au Pakistan.
C’est pour cette raison que le gouvernement Moucharraf
a insisté publiquement pour dire qu’il n’avait jamais autorisé les attaques
américaines à l’intérieur du Pakistan, qu’il a dénoncé les discussions sur une
action militaire américaine unilatérale et les a qualifiées d’irresponsables et
de dangereuses. Bien que ces dénégations de routine soient faites en grande
partie pour apaiser le public, elles reflètent l’extrême nervosité du régime
pakistanais vis-à-vis du potentiel qu’ont ces actions de déclencher une
explosion politique.
Lors d’une conférence de presse tenue jeudi
dernier, Moucharraf a répété ses avertissements contre une action militaire
dans les régions tribales. Parlant de Baitullah Mehsud, un chef de clan que le
régime pakistanais avait accusé de commanditer l’assassinat de Bhutto, Moucharraf
a déclaré : « Il se trouve dans le district du Waziristan du Sud, et
permettez moi de vous dire qu’aller le chercher là-bas signifie se battre
contre des milliers de personnes, des centaines de personnes qui sont ses
partisans, la tribu des Mehsud, si vous arrivez jusqu'à lui, et cela voudra
dire des dommages collatéraux ».
L’armée pakistanaise qui comporte une
importante partie de pachtounes et qui a des liens étroits, datant de l’époque
de la guerre soutenue par la CIA contre le régime prosoviétique en Afghanistan,
avec les milices de la région, est profondément divisée sur les exigences de
Washington de transformer les régions de la frontière en zone où l’on peut
ouvrir le feu à loisir.
L’article du Times sur le meeting de la
Maison-Blanche fait suite à un certain nombre d’articles de presse indiquant
que les plans pour une intervention militaire américaine plus agressive au
Pakistan étaient déjà en discussion depuis un certain temps quand Bhutto fut
assassinée. Cet événement est considéré maintenant comme un prétexte bienvenu
pour accélérer leur réalisation.
Le chef du Commandement des opérations
spéciales américaines, l’amiral Eric Olson est venu au Pakistan trois fois
depuis le mois d’août, il a rencontré Moucharraf et les hauts responsables
militaires pakistanais et il a visité le quartier général du Frontier Corps,
une force paramilitaire composée de membres des clans de la frontière.
Le chef du Commandement central américain,
l’amiral William Fallon, a fait l’éloge des opérations pakistanaises de
contre-terrorisme dans une interview avec Voice of America le mois
dernier, tout en suggérant qu’un accord avait déjà été obtenu pour une
extension des opérations militaires américaines.
« Ce que nous avons vu ces quelques
derniers mois est une volonté accrue d’utiliser leurs unités militaires
régulières » dans les régions proches de la frontière, a dit Fallon.
« Et c’est là, je pense, où beaucoup d’aide peut venir des Etats-Unis dans
le type d’entraînement, d’assistance et de supervision qui s’appuie sur
l’expérience que nous avons faite récemment avec des insurrections et avec le
problème terroriste en Irak et en Afghanistan. Je pense que nous partageons
beaucoup de choses avec eux et nous sommes contents de le faire. »
Dans un article publié la veille de
l’assassinat de Bhutto, William Arkin, l’éditorialiste du Washington Post pour
les questions de sécurité nationale, avait cité des sources du Pentagone disant
que la présence militaire américaine renforcée serait « sur le terrain au
début de la nouvelle année ».
Le débat qui a eu lieu samedi soir entre les
candidats démocrates à la candidature présidentielle dans le New Hampshire a
montré qu’une marche vers l’intervention militaire au Pakistan jouit du soutien
des démocrates comme des républicains.
Lorsqu’on lui a demandé s’il confirmait un
discours prononcé dans lequel il avait exprimé son soutien à des frappes
américaines unilatérales contre de soi-disant cibles al-Qaïda au Pakistan, le
sénateur Barack Obama a répondu: « Je le maintiens absolument ». Il a
ajouté : « Mon travail en tant que chef des armées sera de
garantir que nous frapperons tous ceux qui pourraient nuire à l’Amérique
lorsque nous aurons des renseignements qui nous permettront de le faire. »
Obama a parlé du régime de Moucharraf comme
d’un « gouvernement légitime avec lequel nous allons coopérer »,
affirmant même que celui-ci oeuvrait pour « encourager la
démocratie ».
Les principaux rivaux d’Obama dans la course à
la nomination, la sénatrice Hillary Clinton et l’ex-sénateur John Edwards, ont
repris à leur compte sa menace de frappes unilatérales contre le Pakistan.