Le 21 janvier, les organisations syndicales et patronales ont
signé un accord entraînant une réforme draconienne de la législation du travail
en France. L’impact de cet accord se fera surtout sentir à travers le
fait qu’il augmentera la période d’essai des salariés nouvellement
embauchés, fera dépendre l’emploi plus immédiatement des conditions du marché
et de la situation économique et forcera les salariés licenciés à accepter tout
travail qui leur est proposé. Il a été négocié et signé derrière le dos des
travailleurs et représente une trahison de plus de la part de la bureaucratie
syndicale.
La signature de l’accord permet au gouvernement du président
Nicolas Sarkozy et du premier ministre François Fillon de le faire voter à
l’Assemblée nationale et d’en faire une loi. Leur parti
conservateur, l’UMP (Union pour un mouvement populaire), y dispose d’une
confortable majorité, ce qui garantit le vote de la loi.
Cet accord allonge de façon considérable la période
d’essai des salariés nouvellement employés en CDI (Contrat à durée indéterminée,
la principale forme de contrat de travail non-temporaire en France). Il
augmentera d’un mois à deux mois pour les ouvriers et les employés, à
trois mois pour les techniciens et à quatre mois pour les cadres. Une autre
clause permet le renouvellement de la période d’essai, doublant effectivement
la durée de celle-ci de quatre, six ou huit mois respectivement.
Un changement encore plus important sous ce rapport est la création
d’un nouveau type de CDD (Contrat à durée déterminée), le « CDD
de mission », un contrat non renouvelable basé sur une mission ayant un
« objet précis » et ayant une durée de 18 à 36 mois. Un salarié
employé sur la base d’un tel contrat aura seulement droit à une indemnité
de départ représentant dix pour cent de son salaire total si son employeur décide
de le licencier avant la date fixée par le contrat.
Maryvonne Labeille, PDG du cabinet de recrutement Labeille
Conseil a confirmé que le but est ici de créer une couche de salariés dont
l’emploi est totalement dépendant des aléas du marché capitaliste : « Ce CDD de mission doit surtout permettre d'absorber
la croissance temporaire »dit-elle, faisant remarquer qu’on
utilisera ce contrat« pour tester un poste et un candidat »qui pourrait être embauché plus tard, évitant ainsi complètement les
obligations que comporte un CDI.
Un autre changement important est l’introduction de la
« rupture à l’amiable » du contrat de travail rendant nettement
plus faciles l’embauche et le licenciement des salariés. La
« rupture à l’amiable » représente une troisième manière
d’annuler un contrat de travail, en plus de la démission et du licenciement.
Pour le licenciement l’employeur doit fournir une justification légale,
le salarié a droit à une indemnité de départ et il peut s’opposer au
licenciement devant un tribunal des prud’hommes. La « rupture à
l’amiable » permettra aux employeurs qui cherchent à licencier
d’éviter des procès, de négocier une indemnité de licenciement directement
avec l’ouvrier au lieu de le faire devant un tribunal.
D’autres clauses incluent des mesures permettant aux
employeurs d’éviter de payer des indemnités aux salariés dont on résilie
le contrat pour cause de maladie (les charges incombant à une mutuelle) et de
faire dépendre les indemnités de licenciement dues aux salariés de leur
« recherche active de travail » et de leur acceptation d’une « offre
valable d’emploi ».
La signature de l’accord témoigne de l’étroite
collaboration politique qui s’est instaurée entre le gouvernement Sarkozy
et la bureaucratie syndicale. Les négociations sur l’accord en question ont
commencé le 7 septembre 2007, sur invitation par lettre du premier ministre aux
syndicats, invitant ceux-ci à des négociations avec les organisations
patronales. Ces négociations ont été tenues secrètes et n’ont pas été
mentionnées dans la presse pendant les grèves des cheminots et du secteur
public contre la réforme des régimes spéciaux aux mois d’octobre
et novembre. On n’a rendu publics les plans pour une réforme majeure de
la législation du travail que durant les vacances de Noël.
L’accord de « modernisation du marché du travail »
a été signé par trois organisations patronales, le Medef (Mouvement des entreprises
françaises), l’UPA (Union professionnelle
artisanale) et la CGPME (Confédération Generaledes petites et moyennes
entreprises) et quatre syndicats la CFDT (Confédération française démocratique
du travail), FO (Force ouvrière), la CFTC (Confédération française des
travailleurs chrétiens et la CGC (Confédération générale des cadres) à
la centrale du Medef la plus importante organisation patronale française.
La CGT (Confédération générale du travail), de tradition
stalinienne, ayant participé aux négociations sur toute leur durée, soit quatre
mois, a finalement déclaré, une fois acquise la signature des trois syndicats
requis pour que l’accord soit validé (en l´occurence celle de FO, de la
CFDT et de la CGC), ne pas vouloir signer l´accord. Cette signature permettra
de présenter l´accord au parlement pour qu´il soit transformé en loi.
Les organisations patronales ont salué l’accord, la présidente
du Medef, Laurence Parisot déclarant qu’il s’agissait d’une
« innovation sociale majeure ». La presse bourgeoise l´a abondamment
commenté disant qu’il représentait une version française de la « flexicurité »,
un mélange de protection sociale minimale et de travail fortement précarisé qui
est le modèle de législation du travail en vigueur dans les pays scandinaves.
L’introduction de la « flexicurité » est avancée
depuis un certain nombre d’années par la Commission européenne, divers gouvernements
européens et une partie du patronat européen comme la meilleure manière de réduire
le niveau de vie de la classe ouvrière et de maintenir la compétitivité des
entreprises dans une économie mondialisée sans provoquer d´explosion sociale. Les
syndicats, instrument essentiel permettant que les attaques légales sur le
niveau de vie soient ratifiées et imposées aux salariés, jouent un rôle majeur dans
ce modèle.
Il est cependant évident que cette réforme n´est qu´une partie
d´un plan plus vaste d’attaques des salariés et des conditions de travail
de la classe ouvrière. Les syndicats ayant négocié l’accord ont, comme on
l’a rapporté, convaincu les fédérations patronales de reporter à plus
tard l’annonce de mesures visant à réduire les indemnités de départ et qui
seront sans aucun doute introduites plus tard. Ce mois-ci, on a aussi assisté à
la publication du décret alignant les régimes spéciaux de retraites sur
les autres régimes. D´autres attaques sur les retraites seront négociées entre
les fédérations patronales, le gouvernement et les syndicats après les élections
municipales de mars prochain.
L´accord signé le 21 janvier a été critiqué dans les milieux
patronaux parce qu’il n’allait pas assez loin. Le quotidien
conservateur Le Figaro écrit que, pour de nombreux patrons, « l'impact
du nouveau contrat sur l'emploi restera "marginal" » et
citeJean-René Boidron, de la firme de lobbying Croissance Plus : « C'est
une victoire symbolique par la logique de flexibilité qu'il introduit, mais il
ne révolutionnera pas la donne. »
L’accord sur la législation du travail représente une
attaque significative sur les salaires et les conditions de travail, mais il
contient aussi une importante leçon politique quant aux limites et au manque d’efficacité
d´actions militantes qui ont pour objectif de protester et de faire pression
sur l’Etat. Les grèves et le mouvement de protestation contre
l’introduction du CPE (Contrat Première Embauche) qui devait en 2006 introduire
dans la législation du travail des mesures très semblables à celles contenues
dans l´accord venant d´être signé (allongement des périodes d’essai,
plus grande facilité d’embauche et de licenciement) étaient motivées par
une opposition fondamentale de la population travailleuse à la
« flexicurité. »
Mais on a mis un terme à ce mouvement en retirant la partie la
plus contestée de la loi. Ce retrait fut entraîné par l’opposition concertée
des syndicats et du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas
Sarkozy, qui voulait infliger une défaite à ses rivaux, le président Jacques
Chirac et le premier ministre d’alors, Dominique de Villepin. Ayant fait
tomber le CPE, les syndicats et Sarkozy introduisent à présent des attaques bien
plus importantes encore sur le niveau de vie et les conditions de travail des
masses en France.
(Article original anglais paru le 25 janvier 2008)