A partir de 6 heures du matin, lundi dernier, une force de
plus de 1200 policiers a fait une descente sur Villiers-le-Bel, ville de la
banlieue nord de Paris. Leur objectif aurait été l’arrestation de 38
individus suspectés d’avoir commis des actes de violence à
l’encontre de la police durant les deux journées d’émeutes dans la
ville les 25 et 26 novembre dernier. Les émeutes avaient été provoquées par la
mort de deux jeunes, Larami 16 ans et Moushin 15 ans, qui avaient été tués dans
une collision de leur mini moto avec une voiture de police.
Selon des sources policières, 35 des suspects recherchés ont
été arrêtés. Des centaines de policiers ont patrouillé le quartier dans la
soirée, de peur d’une réaction de colère de la part des jeunes du
quartier. Parmi ceux qui ont été arrêtés plus tard dans la journée il y avait Mamadou,
22 ans, frère aîné de Larami. Sa mère, cherchant à empêcher son arrestation
aurait crié : « Vous m'avez déjà pris un fils et vous en voulez un autre ?! »
Utilisant comme poste de contrôle un véhicule spécial, résistant
au feu et aux balles, surnommé « Robocop », la police de la brigade
antigang, les CRS et d’autres forces de police ont procédé aux arrestations
à Villiers-le-Bel et dans les municipalités voisines de Gonesse et Sarcelles,
où il y a aussi des cités ouvrières à grande concentration immigrée.
La Procureure de la République, Marie-Thérèse de Givry a
déclaré: « Je n'ai jamais vu une
opération de police de cette envergure. » Elle a ajouté, « J'espère
que les habitants comprendront que nous sommes là pour rétablir l'ordre et la
paix. »
Un homme d’âge mûr a déclaré à Libération: « Ici
tout était rentré dans le calme, ce n'était pas la peine de revenir attiser le
feu. »
Mehdi, 20 ans a ajouté, « Venir à 1000, c'est jouer avec
nos nerfs. La répression chez nous, c'est explosif… Même après 35
interpellations, y aura toujours des gens ici pour foutre le bordel. » Un
autre jeune homme a approuvé : « 1000 policiers, c'est du cinéma. Ça
risque de remettre de l'huile sur le feu. »
Au début du mois de décembre, la police avait distribué des
tracts offrant des récompenses substantielles à tout témoin apportant des
informations sur « les coups de feu tirés contre des policiers. » La
police déclare que cela avait été « fructueux » ainsi que les écoutes
téléphoniques. D’après Libération, des sources policières avaient
informé le journal que les enquêteurs avaient déjà à deux reprises programmé cette
opération, mais l’avaient annulée « en attente d’éléments
nouveaux et déterminants ».
Mais le moment choisi pour ce raid policier de grande
envergure a provoqué des accusations selon lesquelles le président Nicolas
Sarkozy cherche à utiliser cette action spectaculaire pour raviver sa cote de
popularité. Celle-ci est en effet au plus bas à 39 pour cent et les chances de
succès de son parti, l’UMP (Union pour un mouvement populaire) aux
municipales diminuent. Il espère limiter les dissensions au sein du parti et
démontrer qu’il prend les choses en main. L’UMP se prépare à subir
une défaite humiliante aux élections municipales qui se tiendront dans tout le
pays les 9 et 16 mars prochain au moment où s’intensifie la résistance à
ses promesses non tenues, à son programme d’austérité et à son
arrogance.
Ces accusations sont corroborées par le fait que les médias, y
compris des journalistes étrangers, étaient déjà en place dans le quartier avec
tout leur équipement bien avant l’arrivée de la police et avant que les
autorités locales aient été prévenues de l’opération. Le maire de
Villiers-le-Bel, Daniel Vaillant a dit qu’il n’avait été averti de
l’opération policière qu’à 6 heures 02, après qu’elle ait
débuté. « Ce qui m'étonne, c'est que le maire soit prévenu après les autres,
après les médias. C'est anormal… Il n'est pas normal que la justice
travaille de cette manière », a-t-il dit.
En effet, la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie,
en charge de la police était clairement embarrassée et regrettait « profondément
que des fuites aient conduit à une médiatisation importante de cette opération,
parce que cette médiatisation pouvait avoir des conséquences graves, nuire à
(sa) bonne réalisation et également mettre en jeu la sécurité des policiers et
des journalistes. »
Des commentateurs ont fait remarquer qu’un tel
déploiement médiatique n’aurait pas pu se produire sans qu’il y ait
eu une fuitede la part d’autorités des plus dignes de confiance
et haut placées.
L’ancienne candidate présidentielle du Parti socialiste
Ségolène Royal a qualifié l’opération d’« opération policière médiatisée. » Elle
a ajouté, « Quand des caméras accompagnent des opérations policières
massives en période municipale, c’est une façon d’influencer
l’opinion, de vouloir faire peur… Le président de la République en
revient au vieux réflexe de politique spectacle sécuritaire, parce que là où il
échoue sur le plan économique et social, il veut faire croire qu’il
continue à maîtriser les choses sur la question de la sécurité, ce qui
n’est pas le cas. »
François Bayrou, dirigeant du parti de centre droit MoDem
(Mouvement démocratique) a dit à la presse: « Il semble que la presse a
été conviée … J'ai toujours considéré que la justice ne devait pas
s'accompagner d'une mise en scène. La justice, c'est fait pour obtenir
l'arrestation et moins pour faire de la communication. »
Le Parti communiste (PC) et la Ligue communiste
révolutionnaire (LCR) ont souligné l’effet traumatisant sur la population
et ont aussi mentionné une tentative d’influencer les élections
municipales. La LCR a déclaré : « Ainsi, Nicolas Sarkozy, en chute
dans les sondages et dans l'opinion, à la veille de municipales qui s'annoncent
périlleuses pour l'UMP, renoue avec ses fondamentaux: la police au service de
sa politique spectacle. »
Marie-Georges Buffet, secrétaire nationale du PCF a dit :
« On a fait un show, on aurait pu procéder autrement. » Cependant ne
souhaitant pas être accusée d’être contre la répression policière, elle
s’est empressée d’ajouter qu’elle trouvait « normal »
que la police procède à des arrestations, mais « elle le fait en général
de façon discrète ».
Les accusations de manipulation politique dans cette affaire par
le gouvernement Sarkozy sont sans aucun doute correctes, mais il y a des
questions plus profondes en jeu. Les émeutes de Villiers-le-Bel ont été le
prétexte à un renforcement énorme du matériel et du déploiement policiers. Le
gouvernement lance ici un avertissement : il n’hésitera pas à
utiliser des méthodes répressives d’Etat policier, non seulement à
l’encontre des jeunes et des familles des quartiers défavorisés, mais
aussi des couches toujours plus importantes de la population qui entrent en
résistance contre ses attaques sur le niveau de vie, les emplois et les droits
sociaux. Cela comprend les cheminots, les travailleurs de Michelin (qui ont
récemment retenu deux cadres pendant deux jours pour faire pression et obtenir
des indemnités de licenciement plus élevées), les fonctionnaires, les
travailleurs de la grande distribution et bien d’autres.
Le sociologue Laurent Mucchielli,
interviewé par Le Nouvel Observateur, a fait l’observation
suivante: «Je n'ai effectivement jamais entendu parler d'un déploiement de
1.000 policiers pour attraper une trentaine d’émeutiers présumés, dans
leurs familles, au lever du jour. Sauf peut-être dans le cadre
d’opérations antiterroristes. Ce qui me laisse penser qu’il y a
peut-être d’autres enjeux. »
Au moment des émeutes de novembre dernier, on avait parlé de guerre
de guérilla urbaine, et il avait été fait grand cas de l’utilisation
d’armes à feu contre la police. Etrangement, à l’époque on avait
communiqué un éventail très large de chiffres sur le nombre de policiers
blessés par armes à feu. Trois mois après les événements, la même imprécision
resurgit.
Un article du Nouvel observateur daté du 18 février note :
« Dix fonctionnaires avaient été blessés par des plombs tirés par des
fusils de chasse ou fusils à pompe notamment lors de la seconde nuit d'émeutes. »
Libération rapporte le 18 février que selon le ministère de la Justice,
119 policiers avaient été blessés durant les violences, dont « plusieurs
dizaines d'entre eux avaient été blessés par du plomb et de la grenaille tirés
notamment avec des fusils de chasse. »
Joaquin Masanet, secrétaire général du syndicat Unsa police,
interviewé dans le même numéro de Libération, dit : « Plus de
150 policiers ont été blessés dans cette affaire il y a trois mois, dont 80 par
arme à feu, et parmi eux cinq l'ont été grièvement. » Un autre compte-rendu
fait état de 75 blessés par balles.
Il est clair que le gouvernement et les médias essaient de
qualifier de terrorisme les troubles sociaux et de faire usage de la vaste
panoplie de lois répressives qui ont été votées durant les cinq dernières
années.
La révolte urbaine des jeunes en 2005 avait été le prétexte
pour imposer des lois d’état d’urgence qui avaient été utilisées
pour la dernière fois par l’Etat français pour réprimer
l’insurrection algérienne contre le régime colonial. A l’époque, le
recours à ces méthodes d’Etat policier n’avait pas été dénoncé par
le Parti socialiste, le Parti communiste ou les syndicats. Ils n’avaient
rien fait pour protester contre l’occupation par les CRS des quartiers
ouvriers en 2005, ou à Villiers-le-Bel l’an dernier.
Le raid policier de lundi à Villiers-le-Bel doit servir
d’avertissement : le gouvernement a l’intention de faire face
à la montée de l’opposition à la crise sociale, engendrée par son
programme d’austérité, au moyen de la répression et de méthodes de
gouvernance autoritaires, et les syndicats et les organisations de la « gauche »
n’ont aucune intention d’organiser une offensive contre de telles
méthodes.