Les élections qui se sont déroulées dans les
deux Länder allemands de Hesse et de Basse Saxe ont révélé une forte
orientation à gauche de l’électorat.
Dans les deux Länder, le parti récemment
formé, le Parti de la Gauche (aussi connu sous le nom de « La
Gauche »), a réussi à atteindre le seuil minimal de 5 pour cent de voix
requis pour être représenté dans un parlement régional. En Hesse, où le Parti social-démocrate
allemand (SPD) a également été en mesure d’améliorer son score par
rapport à la dernière élection, le Parti de la Gauche a obtenu tout juste 5
pour cent. En Basse Saxe où à la fois le SPD et l’Union
chrétienne-démocrate (CDU) ont perdu des voix, le Parti de la Gauche a
recueilli 7,1 pour cent, bien que ses candidats et son personnel étaient en
grande partie inconnus de l’électorat.
La Gauche est issue de la fusion du parti
stalinien de l’ancienne Allemagne de l’Est, le Parti socialiste unifié
d’Allemagne (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands, SED) et du
groupe d’Allemagne de l’Ouest de
l’Alternative électorale Travail et Justice sociale (Wahlalternative Arbeit
und Soziale Gerechtigkeit, WASG), un rassemblement comprenant principalement des
bureaucrates syndicaux de longue date et d’anciens sociaux-démocrates
désenchantés. Les élections en Hesse et en Basse Saxe représentent les premiers
gains substantiels réalisés par l’organisation dans des Länder en
Allemagne de l’Ouest et ce, en dépit du fait que le parti ait déjà été
impliqué dans les gouvernements d’un certain nombre de Länder dans
l’Est de l’Allemagne. C’est la première fois, depuis
l’émergence du Parti des Verts à la fin des années 1970, qu’une nouvelle
organisation s’impose sur le plan national.
Si cette évolution se poursuit, cela signifie
qu’à l’avenir cinq partis se disputeront les sièges parlementaires
au lieu de trois ou de quatre comme c’est le cas à présent et, comme
l’ont fait remarquer des commentateurs, ceci pourrait de plus en plus déstabiliser
l’ensemble du système politique.
Le land de Hesse
En Hesse, le gouvernement du ministre président droitier,
Roland Koch (CDU), qui a dirigé le Land depuis neuf ans a subi une débâcle
électorale. Koch est arrivé au pouvoir en 1999 à la suite d’une campagne raciste
délétère centrée sur une hostilité à des propositions visant à instaurer la
double nationalité. Il avait pensé pouvoir cette année encore miser sur la
carte raciste pour contrer sa chute dans les sondages. Le fait que la campagne
de Koch se soit retournée contre lui et n’ait fait que renforcer
l’opposition à sa réélection est caractéristique de l’atmosphère
qui règne actuellement dans la population.
De larges couches de la population, notamment les jeunes des
universités, des instituts technologiques et des centres d’apprentissage professionnels,
ont réagi avec colère contre le racisme de Koch. Le CDU qui avait atteint un
score record de 48,8 pour cent lors des élections de 2003, a perdu 12 pour cent
alors que le SPD a gagné 7,6 pour cent. La participation électorale a baissé de
10 pour cent pour atteindre tout juste 57 pour cent en Basse Saxe, mais est restée
relativement élevée en Hesse avec 64 pour cent.
Il est à remarquer que les votes supplémentaires obtenus par
le SPD en Hesse sont attribuables à Andrea Ypsilanti qui passe pour être une
candidate à la « gauche » du parti. La direction du parti ne lui
avait précédemment accordé aucune chance de réussite et l’ancien ministre
de l’Économie, Wolfgang Clement, avait même appelé l’électorat à
voter contre elle.
Au décompte final des voix, il est apparu que le CDU avait un
faible avantage de 0,1 pour cent, soit 3.595 voix sur le SPD. Mais la
conséquence en est que Koch est incapable d’engager une coalition avec
son partenaire favori, les libéraux du Parti libéral démocrate (FDP). Bien que
le FDP ait légèrement progressé en remportant 9,4 pour cent des voix, le FDP ne
rassemble avec l’appui du CDU que 46 pour cent des suffrages, et donc
moins que le total recueilli par le CDU à lui tout seul il y a quatre ans.
Dans le Land où les Verts avaient fait pour la première fois
leur apparition en tant que force politique, ils sont arrivés en quatrième
position avec tout juste 7,5 pour cent (une baisse de 2,6 pour cent) signifiant
qu’une coalition SPD-Verts échouerait également faute de sièges suffisant
pour former un gouvernement en Hesse. C’est le Parti de la Gauche qui, à bien
des égards, fera pencher la balance.
Les instances dirigeantes de tous les partis politiques
impliqués se sont rencontrées lundi soir et depuis les spéculations vont bon
train quant à la formation d’un nouveau gouvernement régional de Hesse.
La chancelière allemande et présidente du CDU, Angela Merkel, a décidé de soutenir
Koch en dépit des pertes infligées à son organisation lors des élections.
« Le CDU est apparu comme le parti le plus fort » a déclaré Merkel à
Berlin en précisant que la tâche de former un nouveau gouvernement revenait indubitablement
à Roland Koch.
Toujours est-il que le CDU et le FDP ne disposent pas de
suffisamment de sièges pour former un gouvernement et jusque-là les
sociaux-démocrates ont refusé une « grande coalition » avec le SPD, à
l’image de celle gouvernant sur le plan fédéral. La direction du FDP a
rejeté toute collaboration avec une coalition SPD-Verts, mais a signalé un
éventuel soutien pour une soi-disant « coalition jamaïcaine » à
savoir, une coalition entre le CDU, le FDP et les Verts.
En ce qui concerne les Verts ils ne se sont pas directement
exprimés sur cette dernière variante, mais ont clairement fait savoir
qu’ils favorisaient une alliance avec le SPD. Si le FDP continue à
rejeter toute alliance avec le SPD et les Verts, la seule possibilité
d’établir une coalition SPD-Verts serait celle sur la base d’un
soutien du Parti de la Gauche, ce qui à son tour est (pour le moment du moins)
strictement écarté par le SPD.
Il y a également des spéculations autour de la démission de
Koch de son poste en Hesse pour occuper un poste de ministre à Berlin. Ceci
ouvrirait la voie à une grande coalition en Hesse avec un autre membre
dirigeant du CDU occupant le poste de ministre président. L’un des
candidats potentiels pour un tel transfert est l’actuel ministre de la Défense,
Franz Josef Jung. Une telle démarche faciliterait la participation du SPD et
des Verts à une coalition avec le CDU.
Paradoxalement, le vote clair exprimé contre Koch et le CDU en
Hesse pourrait bien mener à une grande coalition.
Les Verts ont aussi indiqué qu’ils pourraient
s’allier au CDU au cas où Koch démissionnerait. Au cours de leur campagne
électorale, les Verts ont souligné que leur objectif primordial était de se
débarrasser de Koch. Dans le même temps, des membres influents des Verts ont fait
savoir qu’une coopération avec d’autres couches au sein du CDU
« était tout à fait judicieuse ».
Cette remarque avait été faite par le dirigeant des Verts, Joschka
Fischer, lors d’une réunion électorale la semaine dernière en Hesse.
Fischer avait délibérément fait une distinction entre Roland Koch et le reste
du CDU. Il a dit avoir été « plein d’espoir » avec le CDU quant
à la question de l’immigration jusqu’à ce que « Roland Koch
décide de recourir à la manière forte ». Koch, poursuivit-il, avait rendu
« un service malencontreux à un CDU moderne. »
Les Verts collaborent déjà étroitement avec le CDU et le FDP
dans les instances locales de la capitale de Hesse de Wiesbaden et les Verts
forment une soi-disant « coalition du réalisme » avec le CDU et la
place financière de Francfort. Des élections sont prévues à Hambourg dans
quatre semaines et là non plus les Verts n’ont pas caché leur volonté de
collaborer avec le CDU.
La Basse Saxe
En Basse Saxe, le CDU tout comme le SPD a perdu un grand
nombre de voix, un résultat qui reflète un rejet net de la grande coalition de
Berlin. Alors que le FDP et les Verts ont été en mesure d’accroître
légèrement leur vote, le Parti de la Gauche a été le seul parti à réaliser les
gains les plus forts.
Malgré une perte de 5,8 pour cent de voix, le ministre
président chrétien-démocrate, Christian Wulff, a toutefois remporté
suffisamment de voix (42,5 pour cent) pour pouvoir poursuivre sa coalition
régionale avec le FDP (8,2 pour cent). Le SPD a enregistré dans le Land
autrefois gouverné par l’ancien chancelier social-démocrate, Gerhard
Schröder, son score le plus bas de l’histoire, en obtenant à peine 30,3
pour cent.
Wulff, dans sa campagne électorale, s’est nettement
distancé des propos xénophobes de son collègue de parti, Koch. En contrepartie,
il s’est posé en candidat misant sur la stabilité en refusant de
polariser la campagne électorale.
La crainte
d’une radicalisation sociale et politique
Les résultats électoraux de Hesse et de Basse Saxe sont
l’expression d’un glissement à gauche de la population dans son
ensemble, un processus qui est en cours depuis longtemps.
Avant Noël, les médias allemands ont été dominés par des articles
sur l’accroissement rapide des inégalités sociales en Allemagne. En
décembre, le magazine Der Spiegel a rapporté que les revenus des couches
les plus pauvres avaient chuté de 13 pour cent depuis 1992, alors que les gros
salaires avaient augmenté durant le même laps de temps de près d’un
tiers. « C’est un développement
effrayant » avait conclu le magazine.
Des sections de l’élite dirigeante allemande redoutent
que la crise économique et sociale grandissante ne conduise à une aggravation
des conflits sociaux. Leur crainte a été renforcée par l’effondrement des
cours boursiers et l’intensification de la crise financière durant ces
dernières semaines.
Dans ce contexte, la polarisation de la campagne électorale de
Roland Koch s’est heurtée à une opposition considérable de la part de
certains médias allemands. Les comités de rédaction des journaux de référence
tels le Frankfurter Rundschau, le Süddeutsche Zeitung et Die Zeit
ont tous manifesté leur inquiétude. Ils craignaient que la campagne agressive
de Koch n’attise des conflits sociaux incontrôlables.
Trois jours avant les élections, Die Zeit
écrivait : « Koch est un ministre président qui a des capacités. Mais
il ne doit pas remporter cette élection. » Sa victoire serait un
« désastre » pour l’Allemagne parce qu’il a inutilement tendu
la situation et empoisonné la « la culture politique » du pays.
Les gains de voix du SPD en Hesse ne proviennent pas des
couches de la classe ouvrière qui sont les plus durement touchées par les attaques
sur les prestations sociales de ces dernières années. Selon une étude sur les
changements d’attitude des électeurs, le SPD n’a gagné qu’un
certain pourcentage de voix de la part de travailleurs, de chômeurs et de
retraités. Il a été en mesure d’accroître son soutien surtout parmi les
employés de bureau et les travailleurs indépendants, de 13 et 12 pour cent
respectivement. Ces couches ont voté pour le SPD dans l’espoir que le
parti retourne à une politique de type réformiste pour ainsi empêcher une
éruption à grande échelle des luttes de classe.
De tels espoirs ont été clairement exprimés par le journaliste
Heribert Prantl dans le Süddeutsche Zeitung. Il a célébré la renaissance
du SPD en la comparant à la résurrection de Lazare dans la bible.
Les électeurs de Hesse ont redécouvert leur parti qu’ils
« avaient déjà pris pour mort, » écrit Prantl. Tout à l’image
de la figure biblique, la social-démocratie n’était « plus rouge
mais pâle. » Il « craignait sa tradition et ses membres », mais
à présent « le SPD fier » est à nouveau présent… « du
moins en partie ». Le parti en Basse Saxe « est encore mort »
(aucune polarisation politique ne l’ayant réveillé). En Hesse toutefois,
« il a fait un bond. »
La théorie de Lazare de Prantl quant à la résurrection du SPD
n’est pas seulement un exemple grotesque de duperie de soi-même de la
part de quelqu’un qui a été de longues années durant un fervent partisan
de la politique SPD-Verts. C’est une tentative d’aider la direction
du SPD à reprendre contrôle de la classe ouvrière.
L’idée que le SPD, au vu de la globalisation et de la
crise financière internationale, puisse retourner à une politique basée sur un
quelconque consensus social est tout à fait absurde. Tous ceux qui cherchent à nourrir
de telles illusions pourront s’attendre à un choc très rude. Toutes les
expériences de ces dernières années prouvent exactement le contraire. Que ce
soit en Allemagne, en Angleterre, en France ou en Italie, la social-démocratie
a usé de son influence, qui ne cesse de diminuer, pour supprimer à maintes
reprises toute opposition populaire, stabiliser le régime bourgeois et imposer
une politique entièrement orientée dans l’intérêt du patronat.
La même critique s’applique au Parti de la Gauche. Ce
parti considère que son rôle principal est de soutenir le SPD. Même un jour
après les élections, des membres influents de La Gauche faisaient connaître
leur volonté de hisser le SPD à nouveau au pouvoir en Hesse. Partout où le
Parti de la Gauche partage la responsabilité gouvernementale, à savoir en Mecklenbourg-Poméranie
occidentale et à Berlin, le parti abandonne rapidement sa phraséologie
gauchiste pour jouer un rôle pionner dans les attaques contre la population
laborieuse.
1,034 voix pour le PSG
C’est là que réside la signification de la participation
du Partei für Soziale Gleichheit (Parti de l’Egalité sociale, PSG)
dans les élections de Hesse.
Le PSG n’était pas disposé à se soumettre au SPD et à La
Gauche sur la base du slogan « Koch doit partir ». Le PSG a mis en
garde les électeurs contre le rôle joué par un soi-disant « gouvernement
de gauche » formé par le SPD et les Verts et soutenu par La Gauche. Comme
cela a été le cas en France sous le gouvernement de Lionel Jospin (Parti
socialiste) ou de la coalition menée par Romano Prodi en Italie, un tel
« gouvernement de gauche » en Hesse ne servirait qu’à préparer
la voie à une prise du pouvoir par les partis de droite.
Le PSG n’a pas simplement limité sa campagne électorale
aux questions immédiates, il a considéré l’avenir et les conflits sociaux
qui résulteront inévitablement de la polarisation sociale. C’était le
seul parti à avancer un programme socialiste international et à poursuivre l’objectif
d’organiser la classe ouvrière en tant que force sociale indépendante.
Sa liste de candidats au niveau régional (Landesliste) a
recueilli plus de mille voix. C’est un chiffre petit, mais important. Au
vu de l’immense polarisation qui a caractérisé ces élections et qui a
conduit de nombreux électeurs à chercher le meilleur moyen de voter contre
Koch, les suffrages obtenus par le PSG représentent un résultat important. Ils
représentent une décision consciente de s’opposer au SPD et à La Gauche,
qui tous deux ont mené une campagne bien plus vaste et bien plus chère basée
sur un accès quasi illimité aux médias.
Les électeurs du PSG ont fait un choix en faveur d’un
programme socialiste qui s’oppose à la logique du système capitaliste et
qui place les intérêts de la population laborieuse avant les intérêts de profit
du patronat et des banques.