Le programme de réforme de la télévision publique du
président Sarkozy est en passe de se réaliser. Il s'agit surtout de renforcer
son contrôle sur celle-ci, il est vu par beaucoup de commentateurs comme une
atteinte à la liberté de la presse. Il advient à un moment où, face à la crise
sociale provoquée par sa politique de régression sociale et la récession, le
gouvernement monte une série d’attaques contre les droits démocratiques
(prison à l’âge de12 ans, amende de 12000 euros pour le DAL — Droit
Au Logement, atteintes au droit de grève — service minimum
d’accueil dans les écoles, service minimum dans les transports en
commun).
La réforme aura aussi l’avantage pour le chef
d’Etat de générer des profits juteux pour ses amis proches de l'élite
financière française.
Le projet de Loi doit être examiné par le Sénat au début de
janvier.
Les présidents des groupes publics France télévision et
Radio France seront dorénavant nommées par le président de la République, sur
avis conforme du Conseil supérieur de l'Audiovisuel (CSA). Cette nomination se
fera pour cinq ans, mais le président de la République pourra la retirer à tout
moment, avec l'accord du CSA. Jusqu'ici il était nommé par le CSA seul et la
révocation n'était envisageable qu'en cas de faute grave. Un sondage réalisé en
juillet indiquait déjà que 71 pour cent des Français sont opposés à cette
mesure.
Ce projet de grande réforme de l'audiovisuel avait été
annoncé le 8 janvier 2008, Sarkozy avait déclaré : « Je propose [...]
que nous accomplissions une véritable révolution culturelle dans le service
public de la télévision [...] Je souhaite que l’on réfléchisse à la
suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques. »
Il prenait ainsi par surprise ses adversaires de la gauche
bourgeoise, d'autant que durant sa campagne électorale, il avait déclaré le 15
février 2007 dans un entretien accordé à l'Express : « Je
préfère qu’il y ait un peu plus de publicité sur les chaînes publiques
plutôt que ces chaînes n’aient pas assez de moyens pour financer beaucoup
de programmes de qualité. »
On a beaucoup dit qu'il s'agissait d'une décision prise
« sur un coup de tête », ce dont le président serait coutumier.
Cependant, à l'automne 2007, TF1 (la principale chaîne privée) avait adressé au
gouvernement un livre blanc qui contenait cette proposition.
La publicité représente une part importante des revenus des
chaînes publiques : 833 millions d'euros, soit 36 pour cent. Le
remplacement de ces revenus sera assuré par des taxes sur les compagnies de
téléphone, les fournisseurs d'accès Internet et les recettes publicitaires des
chaînes privées. La suppression de la publicité sur les chaînes publiques
constitue une manne pour les chaînes privées et en particulier TF1, détenue par
Martin Bouygues, milliardaire du secteur du bâtiment et ami proche de Sarkozy
(il fut témoin à son premier mariage). Le gouvernement
envisage de permettre deux coupures publicitaires pendant les films diffusés
sur les chaînes privées, jusqu’ici limitées à une seule.
Ce mode de financement constitue à la fois une atteinte
économique (les entreprises concernées vont évidemment reporter le manque à
gagner de la taxe sur leurs clients et leurs salariés) et une atteinte à
l'indépendance des chaînes de télévision puisque le montant de la taxe ne leur
sera pas directement affecté (contrairement à la redevance actuelle) mais versé
au budget de l'État qui décidera chaque année de ce qu'il leur accordera.
De l'aveu même du gouvernement, les rentrées attendues de
ces taxes ne se montent qu'à 450 millions d'euros. L'ensemble va donc
s'accompagner d'une baisse de la qualité des émissions et des salaires dans le
groupe France Télévision. Le projet prévoit également de réunir les 49
entreprises du groupe en une seule, un moyen d'asseoir l'autorité du président
en raccourcissant la chaîne de commandement et occasion de licencier une partie
du personnel.
L’utilisation de la publicité pour financer les
services publics, les met sous la tutelle des grandes entreprises. Cette
suppression était traditionnellement une demande de la gauche mais dans ce cas
ce n’est nullement une mesure progressiste car elle vise à mettre les
chaînes publiques sous contrôle direct en réduisant leur autonomie financière.
L'opposition PS, PCF et Verts, la gauche bourgeoise, a voté
contre le projet de loi, après avoir déposé 400 amendements pour ralentir la
procédure. L'orateur du PS, Didier Mathus, a dénoncé la
« berlusconisation » du paysage audiovisuel français. Noël Mamére,
député Vert, a proposé de réévaluer le montant de la redevance (actuellement de
116 euros), qui est plus faible qu'en Grande-Bretagne (195 euros). Mais ils
acceptent tous de confiner le débat à l'alternative entre financement
publicitaire et redevance. Aucun des 400 amendements proposés n'envisageait la
simple idée du financement par les fonds publics.
Le parallèle avec Berlusconi est largement valide étant
donné que le pouvoir accru du président sur les chaînes publiques est complété
par des relations privilégiées avec les grandes chaînes privées. Ainsi, au
lendemain de l’élection présidentielle, Martin Bouygues avait nommé le
directeur adjoint de la campagne électorale de Sarkozy, Laurent Solly, au poste
de directeur adjoint de TF1. Mais ces liens sont plus anciens : En
1985, alors maire de Neuilly, Sarkozy avait créé un club, Neuilly
Communication, où se côtoyaient Arnaud de Puyfontaine (PDG du groupe de presse
Mondadori-France), Nicolas de Tavernost (patron de la chaîne M6), Guy
Verrecchia et Alain Sussfeld (à la tête de la chaîne de cinémas UGC), Philippe
Gaumont (agence de publicité FCB) ou le patron de la Sacem (Société qui perçoit
les droits d'auteur), Jean-Loup Tournier.
Le gouvernement, ne parvenant pas à obtenir une adoption
définitive de son projet de loi dans les temps, a pris la décision de demander
à Patrick de Carolis, président de France Télévisions, de décréter lui-même la
suppression partielle de la publicité entre 20h et 6h. Patrick de Carolis avait
initialement menacé de démissionner si cette réforme entraînait une baisse des
moyens de la télévision publique, mais il s’est exécuté et a également
proposé que les économies d'échelle réalisées par la fusion des 49 entreprises
du groupe passent de 140 à 200 millions d'euros.
Le Parti socialiste a annoncé qu'il saisirait le Conseil
constitutionnel sur la constitutionnalité de cette procédure. Selon un article
du Monde du 15 décembre, le ministère de la Culture explique néanmoins que la
décision de contourner le parlement ne pose pas de problème juridique et
qu’il s’agit « d’une simple anticipation de la loi ».
Ce genre de raccourci avec les procédures démocratiques est
typique du régime sarkozyste. Ainsi, le projet, bien qu'annoncé au début de
l'année, n'a été déposé au Parlement qu'en novembre pour imposer l'utilisation
d'une procédure de vote d'urgence qui limite les débats. Christine Albanel,
ministre de la Culture, avait également indiqué à plusieurs reprises qu'il
n'était pas exclu que la suppression de la publicité sur les télévisions
publiques, prévue pour le 5 janvier, se fasse par décret si la réforme
n’était pas adoptée à temps.
Le président est également coutumier des menaces à peine
voilées contre tous ceux qui s'opposent à son autorité, notamment dans les
médias. Cet été, le site Internet Rue89 avait diffusé des images enregistrées
par une caméra de la chaîne France 3 lorsque le président patientait en
attendant le début d'une interview.
Nicolas Sarkozy avait dû traverser une manifestation de
plusieurs centaines de salariés dénonçant le « Hold up sur le service
public » et affirmant « Plus belle la vie sans Sarkozy » pour
rejoindre le plateau de l'émission. Une fois assis, il s'était plaint du manque
de politesse d'un technicien, qui ne l'avait pas salué : « On n'est
pas dans le service public, on est chez les manifestants... Incroyable... Et
grave ! » Après qu'une journaliste lui a répondu, « C'est la
France », il a dit : « ça va changer, là. » Ensuite, il a plaisanté sur la
« placardisation » de l'un des journalistes, Gérard Leclerc, faisant
partie des signataires d'une tribune très critique sur la réforme en cours,
« T'es resté combien de temps au placard ? »
La direction de France 3 avait alors procédé à une première
en droit français, demandant la destruction de la séquence vidéo et la
communication de leurs sources aux journalistes de Rue89 (la demande de sources
a été abandonnée par la suite).
Le journaliste Ulysse Gosset, animateur d'un talk-show
politique sur France 24, a appris vendredi 12 décembre au dernier moment que le
centième numéro de son émission ne serait pas diffusé et que son contrat
n'était pas renouvelé pour l'année prochaine. Cet été, il avait consacré une
émission au ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, présenté comme
un « homme de gauche passé à l’ennemi avec charme et bagages ».
L'épouse de Bernard Kouchner, la journaliste Christine Ockrent, est directrice
de France 24.
Tous les médias sont concernés. Le 28 novembre, un
journaliste de Libération avait été réveillé à 6h30 du matin, menotté
devant ses enfants et emmené en garde-à-vue pour une affaire de diffamation.
Des excuses ont été présentées par la suite mais certains ministres, Rachida
Dati, Michèle Alliot-Marie, avaient défendu l'action de la police et n'ont pas
été contraintes de démissionner ou ni n’ont été réprimandées.
Mardi 16 décembre des policiers ont empêché deux
photographes de l’Agence France-Presse (AFP, agence de journalistes à
financement public mais au fonctionnement indépendant) de faire leur travail
lors d’une manifestation lycéenne à Lyon. La police a saisi de force un
des appareils et en a effacé le contenu. Une enquête interne à la police a été
ouverte. Pour l'intersyndicale de l'AFP, le comportement des policiers,
« n'est que le reflet d'une volonté, au plus haut niveau, d'étouffer les
mouvements sociaux et leur retransmission dans les médias ». Il existe un
autre projet de réforme visant à privatiser l'AFP.
Ces atteintes à la liberté d'information constituent des
coups de sonde, l'élite française se prépare à une confrontation d'envergure.