Le discours tenu le 2 décembre par le
président français Nicolas Sarkozy lors d’une visite au centre hospitalier
Erasme d’Antony, spécialisé en santé mentale, a provoqué la consternation parmi
les spécialistes de la santé mentale et de la psychiatrie. La Ligue des
droits de l'homme a publié un appel
s’opposant aux projets présidentiels.
Le discours indique une tentative du président de s’emparer
d’un fait divers tragique mais isolé pour étendre son agenda répressif
invoquant « la loi et l’ordre ».
Dans son discours à l’hôpital, situé à Antony près de Paris,
le président français a fait des propositions qu’il a liées à la mort tragique
d’un étudiant poignardé à Grenoble le mois dernier par un malade mental qui
avait fugué de l’hôpital de Saint-Egrève. Le patient bénéficiait de sorties
dans le parc de l’établissement, dans le cadre de son traitement. En septembre,
du fait de l’évolution favorable de son état mental, il était passé à deux
sorties hebdomadaires.
Sarkozy a remis en question le travail de
réinsertion de l’hôpital « Voilà une personne — le futur meurtrier — qui
avait déjà commis plusieurs agressions très graves dans les murs et hors les
murs ! Voilà une personne éminemment dangereuse qui bénéficiait pourtant
de deux sorties d’essai par semaine ! Et j’entends dire que rien
n’indiquait que cette personne pouvait à nouveau passer à l’acte, que rien
n’avait été fait pour renforcer sa surveillance ? »
Il a poursuivi « Les malades potentiellement dangereux
doivent être soumis à une surveillance particulière afin d’empêcher un éventuel
passage à l’acte. Et vous savez fort bien que des patients dont l’état s’est
stabilisé pendant un certain temps peuvent devenir soudainement
dangereux. »
Selon les agences de presse, dès le lendemain du meurtre de
Grenoble, Sarkozy avait réuni la ministre de la Santé Roselyne Bachelot, celle
de la Justice Rachida Dati et la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie,
afin d’« examiner toutes les mesures nécessaires pour éviter qu'un tel
drame se reproduise ». Il est aussi prévu de lancer une réforme de
l'hospitalisation psychiatrique.
Selon un communiqué publié par la présidence, la réforme
viserait à « mieux encadrer les sorties des établissements » et à « améliorer
la surveillance des patients susceptibles de représenter un danger pour autrui,
dans le cadre notamment de la création d'un fichier national des
hospitalisations d'office ». Le communiqué ajoutait que la réforme
viserait à « clarifier le partage des compétences administratives dans le
pilotage de ces dossiers ».
Quatre jours après la mort de l’étudiant, le
directeur de l'hôpital psychiatrique où le malade était soigné, Michel Gellion,
a été suspendu de ses fonctions suite à une décision prise sur la recommandation
de la ministre de la Santé, sans attendre les conclusions du rapport demandé à
l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Cette suspension a entraîné
de vigoureuses protestations dans le monde des professionnels de la santé.
Jean-Louis Bonnet, le directeur de l'Agence régionale
d'hospitalisation, a indiqué au Figaro que « La décision a été
prise par le Centre national de gestion, une structure gérant la direction des
hôpitaux au nom de la ministre de la Santé. » Il a aussitôt désigné un
directeur intérimaire. Libération rapporte
que le préfet local— « coupable » d’avoir autorisé les
sorties du malade mental — a également été remercié.
On retrouve dans ces propositions présidentielles certaines de
celles qui figuraient dans le projet de loi sur la délinquance préparée par
l’actuel président alors qu’il était encore ministre de l’Intérieur, comme la
création d’un fichier national des hospitalisations d'office. Ce volet santé
mentale de la loi avait été finalement retiré du vote en 2007, compte tenu des
protestations des professionnels de la psychiatrie et de diverses associations.
(Lire France : Le projet de loi sur la délinquance, un pas en
avant vers le totalitarisme)
Mais le discours d’Antony va encore plus loin dans les visées
répressives. Le président veut faire « réaliser un plan de sécurisation
des hôpitaux psychiatriques », les investissements prévus « serviront
à mieux contrôler les entrées et les sorties des établissements et à prévenir
les fugues ».
Il a déclaré, « Quand un patient hospitalisé d’office
sort du périmètre autorisé par son médecin, l’équipe soignante doit en être
immédiatement informée. Certains patients hospitalisés sans leur consentement
seront équipés d’un dispositif de géo-localisation qui… déclenche
automatiquement une alerte ». Sarkozy a ajouté qu’« au moins une
unité fermée va être installée dans chaque établissement qui le nécessite. Ces
unités seront équipées de portes et de systèmes de vidéosurveillance pour que
les allées et venues y soient contrôlées ».
Il a appelé à la création de 200 chambres d’isolement de haute
sécurité « destinées aux patients qui peuvent avoir des accès de violence
envers le personnel ». Il est allé plus loin en annonçant que « Nous
allons d’abord instaurer une obligation de soins en milieu psychiatrique. 80
pour cent de vos patients sont pris en charge en ville. De même qu’il existe
l’hospitalisation sans consentement, il faut qu’il y ait des soins ambulatoires
sans consentement. C’est l’intérêt même du patient et de sa famille… On ne peut
pas laisser seul un patient qui a un besoin manifeste de soins et qui peut,
parfois, refuser de s’y soumettre. »
On ignore encore quelle étendue le président veut donner à
cette obligation de soin, mais la formulation retenue est très étendue et
pourrait concerner potentiellement tous les malades suivis en psychiatrie.
Cette obligation constituerait une régression dramatique dans le domaine du
droit des patients et des libertés publiques en général. L'éthique médicale
reconnue met aussi en avant l’importance d’obtenir chaque fois que c’est possible
le consentement au soin des malades.
Les propositions de Sarkozy rendraient plus
difficiles les modalités de sortie provisoires ou définitives des malades
hospitalisés d’office et transfèreraient pour l’essentiel de telles
autorisations au préfet, le corps médical jouant un rôle seulement consultatif.
Si ce plan voyait le jour, les internements arbitraires pourraient donc de se
multiplier, sans limitation de durée.
Les hôpitaux psychiatriques ressembleraient de plus en plus à
des prisons, alors que les ressources déjà insuffisantes, en particulier dans
le champ de la psychiatrie de secteur qui assure les soins des malades à
l’extérieur de l’hôpital, seraient détournées de la prévention et du suivi vers
la sécurité.
Patrick Chaltiel, un médecin et spécialiste des violences en
milieu psychiatrique, a dirigé un Observatoire des violences à Ville-Évrard,
l'un des plus grands hôpitaux psychiatriques de France. Il explique que « Le
problème des personnes souffrant de troubles psychiques, c'est davantage leur
vulnérabilité que leur violence… À l'extérieur de l'hôpital, les malades sont
17 fois plus victimes d'agressions que la population générale, alors que leur
violence à eux n'est pas supérieure à celle de la population générale. »
De même, le neuropsychiatre Boris
Cyrulnik, vice-président de la ligue de santé mentale, a déclaré lors d'une
interview sur la radio France Info, « Statistiquement, les permissions de
sortie accordées dans les hôpitaux psychiatriques sont extrêmement fiables, il
y a très, très peu d'accidents. Bien sûr quand il y a un accident c'est
tragique, c'est spectaculaire, on en parle beaucoup, mais si on empêchait les
gens de sortir on ne soignerait personne. »
Bien sûr, le cas de certains malades
violents ne doit pas être négligé. Mais comme l'expliquait au journal Libération
le docteurPierre Muri, qui préside la commission médicale de
l’hôpital de Saint-Egrève, « Je ne suis pas tout à faire d’accord quand
j’entends dire qu’il n’y a jamais de problèmes de violences avec les
schizophrènes. Je ne dirais pas cela. Ce que je sais, c’est que bien pris en
charge, il n’y a aucun problème. Mais, aujourd’hui, le sont-ils, bien pris en charge ? »
Pour la plupart des professionnels de la
santé mentale, la réponse est que les malades mentaux sont de plus en plus
souvent mal pris en charge tant à l'hôpital que lors de leur retour à domicile.
C'est pourquoi les professionnels de la santé et les associations d'aide aux
patients sont largement opposés au plan de Sarkozy.