Le gouvernement
chinois est vraiment en crise en ce qui concerne la manière de traiter le ralentissement
rapide de l’économie du pays sous l’impact d’une récession globale grandissante.
Tout comme ses homologues de par le monde, Beijing ne comprend pas et ne
maîtrise pas non plus les événements économiques qui entraînent déjà à grande
échelle des fermetures d’usines, un chômage croissant et une agitation sociale
qui s’amplifie.
Le président Hu
Jintao a déclaré le week-end dernier au Bureau politique du Parti communiste
chinois (CCP) qu’en raison de l’affaiblissement de la demande extérieure,
« l’avantage concurrentiel traditionnel de la Chine se trouve
progressivement réduit ». Il a dit que la crise était « un test pour le
parti de montrer sa capacité à gouverner ». Le 27 novembre, Zhang Ping, le
président de la Commission nationale des réformes et du développement avait mis
en garde que « les réductions de production excessives et les fermetures
d’entreprises auront pour conséquence un chômage massif qui mènera à une
instabilité sociale ».
Ces observations ont
été faites après que des responsables de Shenzhen, l’une des capitales
manufacturières de la Chine, avaient reconnu que 50 000 emplois avaient
été détruits et que 682 usines avaient fermé cette année. Il est fort probable
que ce chiffre soit en fait bien plus élevé. Dans la cité voisine de Dongguan, Liu
Zhigeng, le chef du parti local, avait accusé le mois dernier les médias
« d’exagérer » l’ampleur des faillites d’entreprises. Le 25 novembre,
toutefois, 500 travailleurs licenciés d’une usine de jouets de Dongguan
appartenant à Kader Holding de Hong Kong ont brisé des vitres et démoli des
ordinateurs dans les bureaux lors d’affrontements avec quelque 1000 policiers.
Le South China
MorningPost a signalé le 9 novembre que IMA Asia, une agence
d’information des entreprises, avait fait passer de faible à moyen le profil de
risque politique de la Chine en remarquant : « Nous sommes préoccupés
quant au potentiel d’agitation au sein d’un massif réservoir de travailleurs
migrants qui sont confrontés à des licenciements dans les secteurs du bâtiment
et des exportations manufacturières. » Le journal a rapporté que le
ministre de la Sécurité publique, Meng Jianzhu, avait recommandé à la police
d’être « entièrement consciente du défi qu’entraînait la crise financière
mondiale et de faire de leur mieux pour sauvegarder la stabilité sociale ».
La Banque
populaire de Chine a radicalement réduit le taux d’intérêt de 1,08 pour cent en
le faisant passer à 5,58 pour cent le 26 novembre, la plus importante baisse
depuis onze ans. La banque centrale a également annoncé une baisse de 1 pour
cent du taux de réserve des principales banques commerciales et de 2 pour cent
pour les organismes de prêt plus petits afin de stimuler le crédit. La dernière
réduction du taux a eu lieu juste après que la Banque mondiale ait revu à la
baisse le taux de croissance de la Chine en le ramenant à tout juste 7,5 pour
cent, son niveau le plus bas en près de 20 ans.
Il est
significatif de noter que la prévision de la Banque mondiale est inférieure au
niveau de référence de 8 pour cent qui est généralement considéré par les
responsables chinois comme étant le minimum indispensable pour créer
suffisamment d’emplois et maintenir ainsi la stabilité sociale. Bien qu’étant élevé
par rapport au niveau international, le taux de 7,5 pour cent représente une
baisse sensible par rapport aux 11,9 pour cent de 2007. De plus, personne ne sait
vraiment si les 7,5 pour cent sont plus exacts que les évaluations précédentes.
Avant l’éruption
de la crise financière américaine en septembre, Beijing avait porté son
attention sur la prévention de la « surchauffe » en réfrénant les
investissements spéculatifs et l’inflation montante. Au fur et à mesure que la
politique monétaire restrictive commençait à faire de l’effet, l’économie
mondiale commençait à plonger dans la récession. Les banques et les
investisseurs étrangers se débarrassaient de leurs actifs immobiliers en Chine
dans le but d’étayer leur position chancelante à domicile, en envoyant le
marché immobilier chinois, qui est déjà en train de se refroidir, dans une
dépression. A présent, Beijing a fait un demi-tour prononcé pour éviter que
l’économie ne s’effondre. Deux principaux moteurs de croissance, l’activité du
bâtiment et la production manufacturière, sont en train de ralentir fortement.
Selon les
estimations de Macquarie Securities, l’on s’attend à ce que l’industrie du
bâtiment de la Chine, qui représente un quart des investissements dans
l’immobilisation fixe et qui emploie 77 millions de travailleurs, se contracte
de 30 pour cent en 2009, mettant en doute la croissance même de la Chine. L’économiste
en chef de la firme de Hong Kong Asianomics, Jim Walker, a dit à l’agence de
presse Bloomberg qu’en 2009 la croissance de la Chine pourrait être
ramenée entre zéro et 4 pour cent, en envisageant 30 pour cent de possibilité de
croissance négative.
Les principaux
marchés d’exportation de la Chine, les Etats-Unis, le Japon et l’Europe, sont effectivement
en récession. En énonçant ses prévisions, la Banque mondiale a expliqué que les
économies émergeantes ne soutiendront pas la croissance des exportations
chinoises étant donné qu’elles ont été durement touchées par la crise mondiale.
Le dernier indice des directeurs d’achats (Purchasing Managers’ Index, PMI)
publié lundi par la Fédération chinoise de la logistique et des achats (CFLP) a
révélé une chute à 38,8 en novembre contre 44 en octobre. Un indice se situant
au-dessus de la barre des 50 témoigne d’une expansion de la production
manufacturière contre une contraction quand l’indicateur se retrouve sous la
barre des 50.
Beijing tente de
surmonter une énorme surcapacité de production dans des industries telles les appareils
ménagers en offrant des ristournes de 13 pour cent aux ménages ruraux pour
qu’ils achètent des appareils ménagers. Mais les fermiers chinois appauvris ne
sont pas des substituts pour les consommateurs occidentaux ou même pour la
Chine urbaine où la chute des cours boursiers et des prix de l’immobilier, liée
à une insécurité grandissante de l’emploi, a miné la confiance des
consommateurs. Des millions de ménages ruraux dépendent de l’argent gagné par
ceux qui travaillent dans les villes. Les pertes d’emploi plongent de
nombreuses familles rurales dans une pauvreté accablante.
Le magazine économique Caijing a estimé que 2,3
millions d’emplois seront supprimés dans les industries exportatrices étant
donné que la production était réduite en fonction de la baisse de la demande
extérieure. La croissance des exportations chinoises a presque baissé de moitié
en passant d’un taux annuel de 20 pour cent au début de 2008 à 11,1 pour cent
au cours de ces trois derniers trimestres. Les entreprises réclament des
réductions de salaire au moment où les exportations chinoises sont confrontées
à une concurrence féroce sur des marchés mondiaux qui rétrécissent.
Beijing cherche à accroître ses exportations en offrant des remises
d’impôts sur des articles divers. Le yuan s’affaiblit par rapport au dollar ce
qui profitera aux exportateurs, mais attisera les tensions commerciales,
notamment avec les Etats-Unis. C’est avant tout l’énorme classe ouvrière
chinoise qui devra supporter le fardeau de la crise. D’ores et déjà, Caijing
a lancé sur son site un débat pour savoir si les travailleurs devraient
accepter une perte d’emploi ou une réduction de salaire.
Le régime chinois a annoncé un vaste plan de relance qui a
grimpé de 4 à 10 mille milliards de yuan (1,5 mille milliards de dollars US) parce
que les gouvernements locaux se sont précipités pour relancer leurs propres
économies locales. La liste comprend : Shanghaï (500 milliards de yuan),
Hainan (207 milliards), Jilin (400 milliards), Anhui (389 milliards), Zhejiang
(350 milliards), Hebei (588,9 milliard), Henan (1200 milliards), Liaoning (1300
milliards), Chongqing (1300 milliards) et Guangdong (2300 milliards). La seule
ampleur de ces mesures montre que la panique est omniprésente dans les milieux
dirigeants.
Une grande partie de cet argent est supposée aller à des
projets déjà élaborés il y a des années. Selon la Commission nationale des réformes
et du développement, 1,8 mille milliards de yuan seront impartis à la
construction de chemins de fer, de routes, d’aéroports et de centrales
électriques tandis que mille milliards seront dépensés pour la reconstruction
de la province de Sichuan dévastée par un séisme. 370 milliards de yuan
seulement seront alloués aux investissements ruraux et à l’infrastructure, là
où vit la majorité des pauvres des campagnes. Les 350 milliards de yuan allant
à la « protection environnementale » sont un cadeau aux sociétés
impliquées dans le développement de la technologie « verte ».
160 milliards de yuan supplémentaires sont destinés à la
revalorisation des entreprises. Les 280 milliards de yuan d’investissements
pour des projets de logements profiteront surtout aux promoteurs immobiliers et
non aux familles à faible revenu qui ont besoin d’un toit. A peine 40 milliards
de yuan ont été alloués aux services sociaux pour lesquels il existe un besoin
pressant. Faute d’un système de santé et d’éducation bon marché et de haute
qualité, les travailleurs et les paysans chinois ont tendance à économiser
plutôt qu’à dépenser. Le fait que des dépenses sociales ne soient pas prévues dans
le plan de relance signifie que Beijing continue de porter son attention sur
une expansion subventionnée par l’Etat de l’infrastructure, de l’immobilier et
des usines dans le but d’attirer du capital étranger.
Cette expansion économique anarchique, notamment de
l’industrie lourde dominée par les entreprises d’Etat, est en train de
s’effondrer. La production de charbon chinoise sera réduite l’année prochaine
entre 300 et 500 millions de tonnes. L’association des industries sidérurgiques
prévoit l’année prochaine une production en stagnation à 500 millions de tonnes
voire même moins, après avoir grimpé en flèche : elle était de 200 millions
de tonnes en 2003. Quelque 70 millions de tonnes de minerai de fer sont encore
stockés dans 22 ports, un témoignage attestant l’effondrement du boum
économique mondial.
Des craintes ont été exprimées que les mesures de relance ne stimuleraient
que l’industrie lourde sans créer beaucoup d’emplois. Avec la baisse des
recettes gouvernementales, d’autres analystes préviennent que cet énorme plan
de relance entraînera un accroissement de la dette publique. Selon la firme
d’investissement UBS AG, la moitié des dépenses gouvernementales
supplémentaires, entre 600 et 900 milliards de yuan en 2009, proviendront de
l’accroissement du déficit. L’autre moitié venant des compressions des
dépenses, très probablement des programmes sociaux.
L’accroissement du chômage brisera bientôt toutes les
illusions selon lesquelles le marché capitaliste est en mesure de sortir les
masses de la pauvreté. Un rapport publié cette semaine par la faculté chinoise
des sciences sociales a averti qu’un million de diplômés de la promotion 2008
ne trouveront pas d’emploi cette année. Les autres 5,92 millions de jeunes
diplômés entrant sur le marché du travail l’année prochaine affronteront une
perspective plus sombre encore, tout comme les millions de migrants ruraux et
de travailleurs urbains qui sont en quête d’un emploi.