Des actes de vandalisme perpétrés lundi dernier à Montréal
après la victoire du club local dans un match des séries éliminatoires de
la Ligue nationale de hockey ont donné lieu à un appel concerté de
l’élite dirigeante pour des pouvoirs policiers grandement accrus.
A la suite du match de soirée entre les Canadiens de
Montréal et les Bruins de Boston, plusieurs milliers de fans sont descendus
dans les rues du centre-ville pour célébrer la victoire de leur équipe. Environ
une heure après la fin du match, alors que le nombre de partisans dans les rues
avait considérablement diminué, un petit groupe d’individus a commencé à s’agiter.
Le service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui avait déployé près de
300 policiers au centre-ville pour un match de première ronde des séries, a fait
appel à son escouade anti-émeute. Des affrontements ont eu lieu et seize
arrestations ont été effectuées. Cinq voitures de police ont été incendiées et
douze autres saccagées. Une dizaine de commerces ont eu leurs vitrines
fracassées et quelques-uns ont été cambriolés. Aucun blessé grave n’a été
rapporté.
Les médias de masse ont aussitôt critiqué la police pour
s’être montrée trop « conviviale ». Yves Boisvert, du journal La
Presse, a écrit que « si le but de l'opération est d'empêcher les
"débordements", il faut faire une démonstration de force, pas
d'écoute active. » Jean-Robert Sansfaçon, le rédacteur en chef du Devoir,
a quant à lui déclaré que l’important était « de savoir comment
protéger les commerces et surtout comment évacuer la foule rapidement, au lieu
de laisser les gens s’attrouper dans l’attente qu’il se passe
quelque chose, n’importe quoi ».
Chez les politiciens, Mario Dumont, le chef de
l’Action démocratique du Québec (ADQ), a affirmé que les policiers
auraient dû baisser la visière et brandir la matraque, et qu’à
l’avenir ils ne devraient pas hésiter à agir de façon plus musclée
sachant qu’ils ont le feu vert des autorités politiques. « Il faut que
les policiers aient toute l'autorité voulue », a ajouté Dumont.
Lors de la dernière élection provinciale en 2007, l’ADQ
a profité de l’aliénation populaire face aux deux partis traditionnels de
gouvernement – le Parti libéral du Québec et le Parti québécois –
pour accroître son vote et former l’opposition officielle. Les nombreuses
années de coupures budgétaires imposées par les gouvernements péquistes et libéraux,
et le sabotage par la bureaucratie syndicale du puissant mouvement
d’opposition des travailleurs à ces attaques, ont créé les conditions
propices au développement de ce parti populiste de droite. Exploitant les
frustrations populaires causées par une crise sociale grandissante, le parti de
Dumont a alimenté des sentiments chauvins et xénophobes à travers une dénonciation
des accommodements supposément excessifs à l’endroit des minorités
religieuses, particulièrement musulmanes, campagne qui a ensuite été reprise
par l’ensemble de la classe dirigeante au Québec.
Du côté du gouvernement, Raymond Bachand, le ministre libéral
responsable de la région de Montréal, a affirmé au sujet des incidents de lundi
soir qu’« il faudra être mieux préparé la prochaine fois ».
Cette recommandation n’a pas tardé à être mise en
oeuvre. Le SPVM a mis en place une adresse courriel spéciale pour inciter les
citoyens à dénoncer les présumés responsables. Aidé par l’attitude servile
des médias, qui ont cultivé le climat de répression et de dénonciation, le SPVM
a procédé dès mercredi à des saisies chez plusieurs quotidiens et réseaux de
télévision à la recherche d’images et de séquences vidéo pouvant mener à
de nouvelles arrestations.
Les perquisitions menées à Radio-Canada, La
Presse, The Gazette, CTV, Global, Le Journal de Montréal et TVA-LCNseront probablement contestées en cour Supérieure par ces
derniers, l’audition devant avoir lieu jeudi dernier ayant été reportée. Ces
perquisitions ont aussi été condamnées par la Fédération professionnelle des
journalistes du Québec comme étant une atteinte à l’indépendance, à
la sécurité et à la crédibilité des journalistes qui se verraient transformés
en simples auxiliaires de la police.
Dans la soirée de jeudi, les Canadiens affrontaient, à
Montréal, les Flyers de Philadelphie dans le premier match d’une série
quatre de sept de la deuxième ronde des séries éliminatoires. Déjà, le SPVM
avait changé sa stratégie et adopté des mesures de sécurité considérables. Il a
demandé à la Sûreté du Québec (SQ, police provinciale) et à la Gendarmerie
Royale du Canada (GRC, police fédérale) de l’aider. La GRC a utilisé un
hélicoptère pour survoler le centre-ville pendant la soirée du match. Selon La
Presse, « Les policiers ont même songé à demander aux autorités
canadiennes d’émettre un NOTAM – un avertissement aux pilotes
d’avion – pour restreindre la circulation aérienne au-dessus du
centre-ville. Mais cette mesure rarissime, utilisée pour la dernière fois lors
de la visite du président américain George Bush à Montebello, a été écartée. »
(La référence à Montebello, petite
municipalité du Québec qui a accueilli en août 2007 une rencontre au sommet
entre les chefs de gouvernement américain, canadien et mexicain, est
révélatrice. Durant les manifestations entourant ce sommet, des agents de la SQ
déguisés en « casseurs » ont incité des manifestants à
s’en prendre à la police anti-émeute. Cet acte provocateur a été
capté sur une vidéo amateur diffusée sur YouTube.)
Pendant et après le match, environ 700 policiers étaient sur
les lieux. Lorsque les partisans sont descendus dans les rues après la victoire
des Canadiens, aucun geste festif autre que les cris de joie n’était
toléré. Aucun piéton ne pouvait circuler dans les rues, ce qui est normalement
toléré. Un groupe de 25 jeunes qui regardaient le match sur le trottoir ont
immédiatement été interpellés par une douzaine de policiers lorsque les
Canadiens ont marqué le but vainqueur.
Les médias et les politiciens ont présenté les incidents de
lundi dernier comme étant quelque chose d’incompréhensible. Dans la
mesure où ils tentaient d’expliquer le phénomène, ils se sont limités à
des platitudes sur la « génération Facebook ». Ce qu’ils
tentent de passer sous silence, c’est que les manifestations spontanées
de colère qui ont éclaté lundi soir, même si elles ne proviennent que
d’un petit groupe d’individus, voire de « casseurs »,
sont plus fondamentalement l’expression de l’immense colère qui
bouillonne dans la population et particulièrement chez les jeunes.
Depuis le début des années 1980, les gouvernements du Québec
qui se sont succédé ont massivement coupé dans les dépenses sociales et les
services publics. Le virage à droite de l’élite dirigeante québécoise
– que ce soit sous la gouverne de Lucien Bouchard du Parti Québécois à la
fin des années 1990 au nom du « déficit zéro », ou de Jean Charest du
Parti Libéral au début des années 2000 au nom de la « réingénierie »
de l’État – n’a fait qu’accentuer les inégalités
sociales. Au niveau fédéral, le gouvernement libéral de Chrétien/Martin ainsi
que le gouvernement conservateur de Stephen Harper qui l’a suivi ont appliqué
le même genre de mesures de droite. Harper, notamment, a développé
significativement les Forces Armées Canadiennes en leur donnant un rôle de
premier-plan dans la guerre néo-coloniale en Afghanistan. Dans ces conditions,
les perspectives d’avenir des jeunes se sont détériorées et plusieurs
vivent des situations précaires.
En 2005, des coupures de 103 millions dans le système des
prêts et bourses par les libéraux avait poussé les étudiants post-secondaires de
la province à faire la grève pendant plusieurs semaines. A l’automne 2007
et à l’hiver 2008, des milliers d’étudiants de l’Université
du Québec à Montréal (UQAM) déclenchaient une grève contre une hausse des frais
imposés par la direction après que le gouvernement Charest ait continué de
réduire le financement des universités. Lors de cette grève, qui a été
largement ignorée par les médias, la direction de l’UQAM a fait appel aux
services du SPVM pour mater les étudiants et obtenu une injonction, en vigueur
jusqu’au 19 juin, menaçant les étudiants qui continueraient leurs actes
de protestation d’une amende de 50.000$ possiblement assortie d’une
peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an.
Les pouvoirs policiers accrus exigés par l’establishment
médiatique et politique ne visent pas que « de petits groupes de criminels
organisés ». Le but visé est de conditionner la population à
l’omniprésence des forces de l’ordre. Dans une société où les rapports
de classe sont de plus en plus tendus, les mesures répressives sont et seront
utilisées contre les jeunes et la classe ouvrière dans son ensemble.