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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La collaboration des syndicats avec Sarkozy dans les attaques contre les retraites

Par Alex Lantier
27 septembre 2007

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Le président Nicolas Sarkozy se prépare à réduire la retraite des travailleurs du secteur public avant de procéder à une attaque massive contre la retraite de l’ensemble des travailleurs. Les syndicats collaborent en cela avec Sarkozy dans des réunions privées et plus ouvertement dans une campagne de presse destinée à endormir l’opinion publique pour qu’elle accepte ces mesures.

Leur premier objectif est de supprimer les régimes spéciaux de retraite accordés aux salariés de certains secteurs publics, comme par exemple, des chemins de fer, des services, des mines, de la banque centrale, de l’Opéra de Paris et de la Comédie Française. Les travailleurs de la SNCF, de la RATP, d’EDF-GDF comptent pour 370 000 des 500 000 travailleurs disposant aujourd’hui d’un régime spécial de retraite. Le paiement de ces retraites est plus avantageux après une durée de cotisation plus courte de 37,5 années au lieu de 41 années pour la retraite du régime général.

Le 9 septembre, le premier ministre, François Fillon, a dit, « Cette réforme est prête, elle est simple à faire, il s’agit d’aligner les régimes spéciaux sur celui de la fonction publique. » Il a ajouté que ceci pourrait être fait dans « les mois à venir, soit par loi soit par décret.» Il a précisé que son gouvernement attendait le « signal » de Sarkozy pour effectuer ces coupes.

Les syndicats ont rapidement dénoncé les commentaires de Fillon, non pas sur la base d’une opposition contre ces attaques à l’encontre des conditions de vie des travailleurs mais en signalant qu’un décret gouvernemental unilatéral risquerait de provoquer la résistance des salariés. Des tentatives de réduire les retraites des travailleurs du secteur ferroviaire en 1995 avaient conduit à une grève de plusieurs semaines qui avait paralysé une grande partie du pays et provoqué une crise politique majeure pour le gouvernement droitier d’Alain Juppé. La réforme des retraites avait également causé une vague de grèves massives en France en 2003.

Le secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), François Chérèque a dit : « On ne pourra pas accepter qu’une telle réforme se fasse sans dialogue et sans concertation » entre le gouvernement et les syndicats. Bernard Thibault, secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT) qui est dominée par les staliniens a dit qu’il y aurait « du sport » si le gouvernement « procède par le fait accompli. » Il a appelé à ce qu’il y ait « vraiment de la négociation » entre le gouvernement et les syndicats.

Sarkozy a réagi rapidement. Dans des interviews accordées au Parisien, les commentaires émis par Fillon ont été jugés « hâtifs » et « maladroits » par des porte-parole anonymes de l’Elysée. Le 11 septembre à Rennes, lors de l’inauguration d’un salon de l’élevage, Sarkozy a subitement annulé un discours prévu sur le secteur public pour entamer une discussion sur les retraites. Il a sermonné Fillon en disant : « Un peu de méthode ne nuit pas à la solution du problème. »

Sarkozy a toutefois catégoriquement maintenu sa détermination à réduire les retraites. Il a attaqué les régimes spéciaux comme étant « indignes », impliquant que leurs bénéficiaires profitaient d’un avantage non mérité : « Il existe des régimes spéciaux de retraite qui ne correspondent pas à des métiers forcément pénibles. » Il a précisé que les pensions des agriculteurs, environ 400 euros par mois, étaient tout à fait inadéquates et, en cherchant à dresser les agriculteurs contre les travailleurs du secteur public, il a dénoncé la situation comme étant intenable.

Le même jour, le quotidien de droite, Le Figaro, publiait un éditorial du directeur adjoint de la rédaction, Gaëtan de Capèle. L’éditorial intitulé « Tenir bon » qualifiait de façon démagogique les régimes spéciaux « [d’] intenable et [d’] injustifiable » concessions faites à des travailleurs « privilégiés ».

Quelques chiffres suffisent à dégonfler cette démagogie pseudo égalitaire. Selon l’Institut français pour la recherche sur les administrations publiques, la retraite mensuelle moyenne d’un cheminot est de 1 620 euros, soit 155 euros de plus que la retraite mensuelle moyenne du secteur privé qui est de 1 465 euros. Tout en fulminant contre ce montant modeste, Capèle n’a dit mot des fortunes énormes des super riches, comme par exemple Liliane Bettencourt (15,26 milliards d’euros), Bernard Arnault (14,41 milliards d’euros) ou de Serge Dassault (10 milliards d’euros), et qui sont tout aussi « intenables et injustifiables. »

Il a toutefois mis en avant les motivations antisociales de l’assaut contre les régimes spéciaux : « Imagine-t-on un instant que la grande discussion de 2008 [sur les retraites] qui durcira l’accès aux droits à la retraite de l’ensemble des Français, puisse débuter sans que le cas des régimes spéciaux ait été traité ? » Il a conclu en disant que ces « réformes indispensables » engageaient la « crédibilité même » du gouvernement, en appelant à la « méthode » pour « bien ‘vendre’ la réforme » à l’opinion publique.

La bourgeoisie française et la mondialisation

La classe dirigeante française s’attache désespérément à ces réformes réactionnaire parce qu’elle se rend clairement compte de sa perte de compétitivité dans les secteurs clé de l’économie mondiale. Ces questions sont discutées en profondeur dans un opuscule datant du 30 août du Conseil d’analyse économique (CAE) gouvernemental, intitulé Mondialisation : les atouts de la France.

Il y est fait état de l’utilisation restreinte que fait la France de la division du travail à l’échelle mondiale : « Un facteur bien important de la compétitivité des entreprises aujourd’hui, bien mis en évidence par plusieurs études, est la segmentation de la chaîne des valeurs, c’est-à-dire le recours à des importations de biens intermédiaires permettant d’optimiser les coûts de production. L’Allemagne, le Japon et les Etats-Unis par exemple, sont bien plus avancés que la France dans ce processus, dans la mesure où ils font plus appel à des fournisseurs de pays émergents. »

Vu qu’un grand nombre des concurrents de la France recourent à des fournisseurs bon marché sur le marché mondial, de nombreuses entreprises françaises ont commencé à perdre des parts du marché mondial. Dans les industries traditionnelles où l’Etat a participé à la consolidation des grands groupes, l’aéronautique et la défense, l’énergie, les transports, les télécommunications et l’automobile, l’industrie française est encore compétitive. Cependant, dans des industries plus récentes, telles les biens électroniques et la conception de logiciels, les parts de marché ont rétréci (chutant respectivement à 14 pour cent et à 12 pour cent).

Dans l’industrie pharmaceutique, secteur dans lequel l’industrie française dispose encore de vastes chaînes de production, la tendance est de plus en plus forte pour n’établir en France que la production et assurer la recherche et le développement aux Etats-Unis et au Royaume Uni.

En conséquence, le capitalisme français est confronté à une balance des paiements se détériorant de jour en jour. Il redoute la concurrence nouvelle des producteurs asiatiques qui utilisent la main d’œuvre bon marché et dominent les industries de moyenne technologie où le capitalisme français est le plus compétitif. En signalant que les deux tiers des exportations de produits de haute technologie se font uniquement dans les secteurs de l’aéronautique et de la défense, le rapport appelle la France à « se situer sur les segments haut de gamme de la haute technologie » pour faire barrière à la concurrence des pays de main d’œuvre bon marché.

Des appels pour étendre l’industrie française à la biotechnologie et à l’informatique sur une base capitaliste se heurte au fait que les investissements dans ces domaines sont plus profitables dans des pays tels les Etats-Unis et le Royaume Uni où la régulation de l’Etat est une entrave moindre à l’exploitation de la classe ouvrière. Le CAE énumère un certains nombre de problèmes : la forte imposition des riches ; les bas prix payés par la sécurité sociale française pour les médicaments et donc les faibles marges bénéficiaires pour les entreprises pharmaceutiques ; le nombre plus restreint d’investisseurs providentiels disposés à investir dans des start-up informatiques.

On trouve implicitement dans les analyses du CAE, qui seraient très largement lus dans les milieux gouvernementaux, l’appel à remodeler entièrement la société française. Les objectifs d’un politicien travaillant sur cette base seraient de créer des grandes entreprises françaises capables d’exploiter les opportunités du marché mondial tout en laissant échouer les fournisseurs locaux moins efficaces et ayant leur siège en France ; d’éliminer toute entrave à l’accumulation de la richesse personnelle ; et d’encourager la création et la consolidation de nouvelles industries en abaissant les taxes professionnelles, les charges sociales, les prix plafond et tout autre forme de protection sociale pour les masses.

Tout porte à croire que Sarkozy suit les lignes de ce programme. Durant les premiers mois de son mandat on a assisté à deux fusions majeures, la fusion entre le producteur d’électricité Suez et Gaz de France (gaz naturel) et, à présent, entre le géant de l’énergie nucléaire Areva et Alstom, l’un des principaux fabricants mondiaux d’infrastructures destinées aux secteurs de l’énergie et du transport. Sarkozy a fait passer de 60 à 50 pour cent les impôts sur les hauts salaires. L’appel à mettre fin aux régimes spéciaux de retraite n’est évidemment que le premier pas vers un projet de démolition des droits des travailleurs à la retraite. Les projets de réforme des universités visent également à aligner les universités françaises sur le modèle américain de recherche basé sur le partenariat entre le secteur privé et les universités.

La réponse de l’élite française à la mondialisation comprend une vision de plus en plus démoralisée et violente de la politique étrangère. Dans un article intitulé « Le nouveau Yalta pétrolier », Le Figaro a déploré le fait que les pays du tiers monde riches en pétrole sont « bien décidés à vendre très cher l’accès au trésor de leur sous-sol. » Faisant la comparaison entre les accords de Yalta qui furent à l’origine de la guerre froide entre le monde capitaliste et l’URSS après la Deuxième guerre mondiale, le journaliste Stéphane Marchand du Figaro a affirmé que le rapport de forces de l’industrie pétrolière « promet d’[être] de moins en moins favorable » aux « démocraties industrialisées comme la France. »

Cet éditorial paraît au moment où Sarkozy emprunte définitivement la voie de l’adaptation aux projets de guerre américains au Proche-Orient. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s’est récemment rendu à Bagdad pour y rencontrer des politiciens irakiens pro américains, dont Jalal Talabani, après la passation de contrats entre la société française Total et la firme pétrolière américaine Chevron pour le partage des droits d’exploitation du champ pétrolifère de Majnoon au sud de l’Irak. Après avoir lancé des appels à l’Europe en vue de la construction d’un pôle mondial militaire, Sarkozy a dit que le monde devait choisir entre « la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran » si sa politique préférentielle, de sanctions contre Téhéran, échouait.

Le rôle des syndicats

Le gouvernement de Sarkozy représente pour les travailleurs un régime d’un type qualitativement différent de celui de son prédécesseur, et des différents gouvernements sous l’ancien président Jacques Chirac.

Sarkozy cherche à appliquer le programme de base de la réaction bourgeoise française, coupes sociales et agression militaire, dans une situation de plus en plus instable. Les grèves et les manifestations massives de 2003 et 2006 contre les réductions de la retraite et les réformes du contrat de travail en France, ainsi que le rejet des électeurs français et néerlandais en 2005 du projet de constitution européenne ont laissé la bourgeoisie européenne quelque peu dans l’embarras. Sarkozy doit aussi tenir compte des conséquences explosives, à l’échelle mondiale, de la débâcle américaine en Irak.

Si Sarkozy a été en mesure de poursuivre sa tâche en dépit de la position objectivement plus faible de la bourgeoisie française, c’est largement grâce à l’aide politique apportée par les syndicats. Leurs négociations ostentatoires avec Sarkozy permettent aux médias bourgeois d’entretenir certaines notions confuses selon lesquelles les coupes réactionnaires de Sarkozy seraient dans l’intérêt de la nation française en général.

Comme cela a été publiquement reconnu, avec néanmoins une certaine discrétion,  avant l’annonce du non remplacement des 22 800 emplois dans le secteur public, Sarkozy rencontre régulièrement les dirigeants des principales fédérations syndicales, y compris entre autres, François Chérèque de la CFDT, Jean-Claude Mailly de Force ouvrière (FO) et Bernard Thibault de la CGT.

Les syndicats collaborent étroitement avec Sarkozy depuis les manifestations contre le Contrat première embauche (CPE) de 2006. A cette époque, Sarkozy, en tant que ministre de l’Intérieur, avait publiquement critiqué le projet CPE du premier ministre d’alors, Dominique de Villepin, et agissant de concert avec les syndicats, il avait réussi à mettre fin aux manifestations et à forcer Villepin à retirer le CPE.

A présent, les syndicats mènent une campagne ouverte pour la réduction des régimes spéciaux de retraite. Chérèque a dit que la CFDT est favorable aux négociations sur ce sujet parce que « Si on ne fait pas évoluer ces régimes, ils seront en faillite et les retraites des personnels ne seront pas versées. » Ce commentaire ignore tout simplement le fait que si les régimes spéciaux font faillite, ce sera parce que Sarkozy et son gouvernement auront refusé de les verser.

L’attitude de la CGT à l’égard des régimes spéciaux de retraite a récemment été révélée par leur récente participation au tranfert de la caisse de prévoyance et de retraite (CPR) du personnel de la SNCF en avril 2007. De nombreux travailleurs y étaient opposés en signalant que la direction avait refusé de publier un texte définitif de l’accord et que ce transfert affaiblirait la solidarité existant entre les employés et les retraités. La CGT a fait pression sur eux pour qu’ils acceptent l’accord ; le secrétaire général de la CGT-Cheminots, Didier Le Reste a affirmé, « Nous échappons à l’adossement au régime général. » Bien entendu, le sentiment excessivement optimiste de Le Reste a à présent été rattrapé par les événements.

Plusieurs syndiqués qui avaient continué à s’opposer à ce transfert de la CPR se sont vus dire de ne pas participer aux manifestations, ont subi des pressions pour quitter la CGT et ont finalement été expulsés du syndicat. L’un d’entre eux aurait été menacé de violence s’il ne quittait pas la CGT.

La politique préconisée par les dirigeants du syndicat a été exprimée par Jean-Christophe Le Duigou, chargé du dossier des retraites de la CGT, dans une interview accordée au journal de centre-gauche Le Monde : « La CGT veut bien discuter de ces régimes, mais entreprise par entreprise, branche par branche. » Bref, l’objectif est d’empêcher la mobilisation collective des travailleurs contre les coupes en présentant un accord négocié entre la direction et les dirigeants syndicaux sur chaque lieu de travail et industrie séparément.

La collaboration des syndicats avec Sarkozy, dont les projets droitiers, la démagogie sécuritaire et le flirt avec l’extrême droite sont évidents à tout observateur politique avisé, représente un virage marqué en direction d’un corporatisme d’Etat politiquement dangereux.

L’élite dirigeante française ne sera pas en mesure éternellement d’éviter la confrontation avec la classe ouvrière qui s’est mobilisée à maintes reprises pour lutter contre des coupes tout aussi réactionnaires en 1995, en 2003 et en 2006. L’arrivée au pouvoir de Sarkozy et la dégénérescence de la bureaucratie syndicale doivent, cependant, conduire à un changement  d’orientation politique de la classe ouvrière dans son opposition à leur politique.

A une époque où la politique française est déterminée par les forces économiques mondiales et est confrontée à la perspective du militarisme et de la guerre, compter sur les syndicats pour mener les luttes en vue de protéger le niveau de vie au moyen d’accords signés avec l’Etat est futile et dangereux. Confrontée à une situation militaire explosive et à une perspective de plus en plus désespérée de concurrencer la haute technologie et les producteurs employant la main-d’œuvre bon marché des pays émergents, l’élite française sera de moins en moins encline à faire des concessions aux travailleurs. Les consultations incessantes qu’ont les syndicats avec Sarkozy montrent à quel point ils sont en accord avec les principales lignes de sa politique.

Il se peut que les questions du niveau de vie, de l’emploi et de la politique internationale se soient peut-être présentées de manière séparée à l’esprit de beaucoup de gens qui ont fait grève ou qui ont protesté contre les ministres de Chirac durant les années 2003 et 2006. Aujourd’hui, les luttes contre le gouvernement Sarkozy-Fillon regroupent ces questions pour former un tout. Contre la réorganisation de l’économie française selon le marché mondial et l’élimination d’entreprises non rentables d’où découlent des licenciements de masse, contre la bataille internationale pour le pétrole bon marché et le pillage dominé par les Etats-Unis au Proche-Orient, les travailleurs doivent opposer l’économie internationale planifiée et la solidarité internationale de la classe ouvrière.

(Article original paru le 19 septembre 2007)


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