Le président Nicolas Sarkozy se prépare à
réduire la retraite des travailleurs du secteur public avant de procéder à une
attaque massive contre la retraite de l’ensemble des travailleurs. Les
syndicats collaborent en cela avec Sarkozy dans des réunions privées et plus ouvertement
dans une campagne de presse destinée à endormir l’opinion publique pour
qu’elle accepte ces mesures.
Leur premier objectif est de supprimer les
régimes spéciaux de retraite accordés aux salariés de certains secteurs
publics, comme par exemple, des chemins de fer, des services, des mines, de la
banque centrale, de l’Opéra de Paris et de la Comédie Française. Les
travailleurs de la SNCF, de la RATP, d’EDF-GDF comptent pour 370 000 des
500 000 travailleurs disposant aujourd’hui d’un régime spécial de
retraite. Le paiement de ces retraites est plus avantageux après une durée de
cotisation plus courte de 37,5 années au lieu de 41 années pour la retraite du
régime général.
Le 9 septembre, le premier ministre, François
Fillon, a dit, « Cette réforme est prête, elle est simple à faire, il
s’agit d’aligner les régimes spéciaux sur celui de la fonction
publique. » Il a ajouté que ceci pourrait être fait dans « les mois à
venir, soit par loi soit par décret.» Il a précisé que son gouvernement
attendait le « signal » de Sarkozy pour effectuer ces coupes.
Les syndicats ont rapidement dénoncé les
commentaires de Fillon, non pas sur la base d’une opposition contre ces
attaques à l’encontre des conditions de vie des travailleurs mais en
signalant qu’un décret gouvernemental unilatéral risquerait de provoquer
la résistance des salariés. Des tentatives de réduire les retraites des travailleurs
du secteur ferroviaire en 1995 avaient conduit à une grève de plusieurs semaines
qui avait paralysé une grande partie du pays et provoqué une crise politique
majeure pour le gouvernement droitier d’Alain Juppé. La réforme des
retraites avait également causé une vague de grèves massives en France en 2003.
Le secrétaire général de la Confédération
française démocratique du travail (CFDT), François Chérèque a dit :
« On ne pourra pas accepter qu’une telle réforme se fasse sans
dialogue et sans concertation » entre le gouvernement et les syndicats.
Bernard Thibault, secrétaire général de la Confédération générale du travail
(CGT) qui est dominée par les staliniens a dit qu’il y aurait « du
sport » si le gouvernement « procède par le fait accompli. » Il a
appelé à ce qu’il y ait « vraiment de la négociation » entre le
gouvernement et les syndicats.
Sarkozy a réagi rapidement. Dans des
interviews accordées au Parisien, les commentaires émis par Fillon ont
été jugés « hâtifs » et « maladroits » par des porte-parole
anonymes de l’Elysée. Le 11 septembre à Rennes, lors de
l’inauguration d’un salon de l’élevage, Sarkozy a subitement
annulé un discours prévu sur le secteur public pour entamer une discussion sur
les retraites. Il a sermonné Fillon en disant : « Un peu de méthode ne
nuit pas à la solution du problème. »
Sarkozy a toutefois catégoriquement maintenu
sa détermination à réduire les retraites. Il a attaqué les régimes spéciaux
comme étant « indignes », impliquant que leurs bénéficiaires profitaient
d’un avantage non mérité :« Il existe des régimes
spéciaux de retraite qui ne correspondent pas à des métiers forcément
pénibles. » Il a précisé que les pensions des agriculteurs, environ 400
euros par mois, étaient tout à fait inadéquates et, en cherchant à dresser les
agriculteurs contre les travailleurs du secteur public, il a dénoncé la
situation comme étant intenable.
Le même jour, le quotidien de droite, Le
Figaro, publiait un éditorial du directeur adjoint de la rédaction, Gaëtan de
Capèle. L’éditorial intitulé « Tenir bon » qualifiait de façon
démagogique les régimes spéciaux « [d’] intenable et [d’] injustifiable »
concessions faites à des travailleurs « privilégiés ».
Quelques chiffres suffisent à dégonfler cette
démagogie pseudo égalitaire. Selon l’Institut français pour la recherche
sur les administrations publiques, la retraite mensuelle moyenne d’un
cheminot est de 1 620 euros, soit 155 euros de plus que la retraite mensuelle
moyenne du secteur privé qui est de 1 465 euros. Tout en fulminant contre ce
montant modeste, Capèle n’a dit mot des fortunes énormes des super
riches, comme par exemple Liliane Bettencourt (15,26 milliards d’euros),
Bernard Arnault (14,41 milliards d’euros) ou de Serge Dassault (10
milliards d’euros), et qui sont tout aussi « intenables et injustifiables. »
Il a toutefois mis en avant les motivations
antisociales de l’assaut contre les régimes spéciaux :
« Imagine-t-on un instant que la grande discussion de 2008 [sur les
retraites] qui durcira l’accès aux droits à la retraite de
l’ensemble des Français, puisse débuter sans que le cas des régimes
spéciaux ait été traité ? » Il a conclu en disant que ces
« réformes indispensables » engageaient la « crédibilité
même » du gouvernement, en appelant à la « méthode » pour
« bien ‘vendre’ la réforme » à l’opinion publique.
La
bourgeoisie française et la mondialisation
La classe dirigeante française s’attache
désespérément à ces réformes réactionnaire parce qu’elle se rend
clairement compte de sa perte de compétitivité dans les secteurs clé de
l’économie mondiale. Ces questions sont discutées en profondeur dans un
opuscule datant du 30 août du Conseil d’analyse économique (CAE)
gouvernemental, intitulé Mondialisation : les atouts de la France.
Il y est fait état de l’utilisation
restreinte que fait la France de la division du travail à l’échelle
mondiale : « Un facteur bien important de la compétitivité des
entreprises aujourd’hui, bien mis en évidence par plusieurs études, est
la segmentation de la chaîne des valeurs, c’est-à-dire le recours à des
importations de biens intermédiaires permettant d’optimiser les coûts de
production. L’Allemagne, le Japon et les Etats-Unis par exemple, sont
bien plus avancés que la France dans ce processus, dans la mesure où ils font
plus appel à des fournisseurs de pays émergents. »
Vu qu’un grand nombre des concurrents de
la France recourent à des fournisseurs bon marché sur le marché mondial, de
nombreuses entreprises françaises ont commencé à perdre des parts du marché
mondial. Dans les industries traditionnelles où l’Etat a participé à la
consolidation des grands groupes, l’aéronautique et la défense,
l’énergie, les transports, les télécommunications et l’automobile,
l’industrie française est encore compétitive. Cependant, dans des industries
plus récentes, telles les biens électroniques et la conception de logiciels,
les parts de marché ont rétréci (chutant respectivement à 14 pour cent et à 12
pour cent).
Dans l’industrie pharmaceutique, secteur
dans lequel l’industrie française dispose encore de vastes chaînes de
production, la tendance est de plus en plus forte pour n’établir en
France que la production et assurer la recherche et le développement aux
Etats-Unis et au Royaume Uni.
En conséquence, le capitalisme français est
confronté à une balance des paiements se détériorant de jour en jour. Il redoute
la concurrence nouvelle des producteurs asiatiques qui utilisent la main
d’œuvre bon marché et dominent les industries de moyenne technologie
où le capitalisme français est le plus compétitif. En signalant que les
deux tiers des exportations de produits de haute technologie se font uniquement
dans les secteurs de l’aéronautique et de la défense, le rapport appelle la
France à « se situer sur les segments haut de gamme de la haute technologie »
pour faire barrière à la concurrence des pays de main d’œuvre bon
marché.
Des appels pour étendre l’industrie
française à la biotechnologie et à l’informatique sur une base
capitaliste se heurte au fait que les investissements dans ces domaines sont
plus profitables dans des pays tels les Etats-Unis et le Royaume Uni où la régulation
de l’Etat est une entrave moindre à l’exploitation de la classe
ouvrière. Le CAE énumère un certains nombre de problèmes : la forte
imposition des riches ; les bas prix payés par la sécurité sociale française
pour les médicaments et donc les faibles marges bénéficiaires pour les
entreprises pharmaceutiques ; le nombre plus restreint d’investisseurs
providentiels disposés à investir dans des start-up informatiques.
On trouve implicitement dans les analyses du
CAE, qui seraient très largement lus dans les milieux gouvernementaux,
l’appel à remodeler entièrement la société française. Les objectifs
d’un politicien travaillant sur cette base seraient de créer des grandes
entreprises françaises capables d’exploiter les opportunités du marché
mondial tout en laissant échouer les fournisseurs locaux moins efficaces et ayant
leur siège en France ; d’éliminer toute entrave à
l’accumulation de la richesse personnelle ; et d’encourager la
création et la consolidation de nouvelles industries en abaissant les taxes
professionnelles, les charges sociales, les prix plafond et tout autre forme de
protection sociale pour les masses.
Tout porte à croire que Sarkozy suit les
lignes de ce programme. Durant les premiers mois de son mandat on a assisté à
deux fusions majeures, la fusion entre le producteur d’électricité Suez
et Gaz de France (gaz naturel) et, à présent, entre le géant de l’énergie
nucléaire Areva et Alstom, l’un des principaux fabricants mondiaux
d’infrastructures destinées aux secteurs de l’énergie et du transport.
Sarkozy a fait passer de 60 à 50 pour cent les impôts sur les hauts salaires. L’appel
à mettre fin aux régimes spéciaux de retraite n’est évidemment que le
premier pas vers un projet de démolition des droits des travailleurs à la
retraite. Les projets de réforme des universités visent également à aligner les
universités françaises sur le modèle américain de recherche basé sur le
partenariat entre le secteur privé et les universités.
La réponse de l’élite française à la
mondialisation comprend une vision de plus en plus démoralisée et violente de
la politique étrangère. Dans un article intitulé « Le nouveau Yalta
pétrolier », Le Figaro a déploré le fait que les pays du tiers monde
riches en pétrole sont « bien décidés à vendre très cher l’accès au
trésor de leur sous-sol. » Faisant la comparaison entre les accords de
Yalta qui furent à l’origine de la guerre froideentre le
monde capitaliste et l’URSS après la Deuxième guerre mondiale, le
journaliste Stéphane Marchand du Figaro a affirmé que le rapport de
forces de l’industrie pétrolière « promet d’[être] de moins en
moins favorable » aux « démocraties industrialisées comme la
France. »
Cet éditorial paraît au moment où Sarkozy emprunte
définitivement la voie de l’adaptation aux projets de guerre américains
au Proche-Orient. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard
Kouchner, s’est récemment rendu à Bagdad pour y rencontrer des
politiciens irakiens pro américains, dont Jalal Talabani, après la passation de
contrats entre la société française Total et la firme pétrolière américaine
Chevron pour le partage des droits d’exploitation du champ pétrolifère de
Majnoon au sud de l’Irak. Après avoir lancé des appels à l’Europe
en vue de la construction d’un pôle mondial militaire, Sarkozy a dit que
le monde devait choisir entre « la bombe iranienne ou le bombardement de
l’Iran » si sa politique préférentielle, de sanctions contre
Téhéran, échouait.
Le rôle des syndicats
Le gouvernement de Sarkozy représente pour les
travailleurs un régime d’un type qualitativement différent de celui de
son prédécesseur, et des différents gouvernements sous l’ancien président
Jacques Chirac.
Sarkozy cherche à appliquer le programme de
base de la réaction bourgeoise française, coupes sociales et agression
militaire, dans une situation de plus en plus instable. Les grèves et les
manifestations massives de 2003 et 2006 contre les réductions de la retraite et
les réformes du contrat de travail en France, ainsi que le rejet des électeurs
français et néerlandais en 2005 du projet de constitution européenne ont laissé
la bourgeoisie européenne quelque peu dans l’embarras. Sarkozy doit aussi
tenir compte des conséquences explosives, à l’échelle mondiale, de la
débâcle américaine en Irak.
Si Sarkozy a été en mesure de poursuivre sa tâche
en dépit de la position objectivement plus faible de la bourgeoisie française, c’est
largement grâce à l’aide politique apportée par les syndicats. Leurs
négociations ostentatoires avec Sarkozy permettent aux médias bourgeois
d’entretenir certaines notions confuses selon lesquelles les coupes
réactionnaires de Sarkozy seraient dans l’intérêt de la nation française
en général.
Comme cela a été publiquement reconnu, avec
néanmoins une certaine discrétion, avant l’annonce du non remplacement
des 22 800 emplois dans le secteur public, Sarkozy rencontre régulièrement les
dirigeants des principales fédérations syndicales, y compris entre autres,
François Chérèque de la CFDT, Jean-Claude Mailly de Force ouvrière (FO) et
Bernard Thibault de la CGT.
Les syndicats collaborent étroitement avec
Sarkozy depuis les manifestations contre le Contrat première embauche (CPE) de
2006. A cette époque, Sarkozy, en tant que ministre de l’Intérieur, avait
publiquement critiqué le projet CPE du premier ministre d’alors,
Dominique de Villepin, et agissant de concert avec les syndicats, il avait
réussi à mettre fin aux manifestations et à forcer Villepin à retirer le CPE.
A présent, les syndicats mènent une campagne
ouverte pour la réduction des régimes spéciaux de retraite. Chérèque a dit que
la CFDT est favorable aux négociations sur ce sujet parce que « Si on ne
fait pas évoluer ces régimes, ils seront en faillite et les retraites des
personnels ne seront pas versées. » Ce commentaire ignore tout simplement
le fait que si les régimes spéciaux font faillite, ce sera parce que Sarkozy et
son gouvernement auront refusé de les verser.
L’attitude de la CGT à l’égard des
régimes spéciaux de retraite a récemment été révélée par leur récente participation
au tranfertde la caisse de prévoyance et de retraite (CPR) du personnel
de la SNCF en avril 2007. De nombreux travailleurs y étaient opposés en
signalant que la direction avait refusé de publier un texte définitif de
l’accord et que ce transfert affaiblirait la solidarité existant entre
les employés et les retraités. La CGT a fait pression sur eux pour qu’ils
acceptent l’accord ; le secrétaire général de la CGT-Cheminots,
Didier Le Reste a affirmé, « Nous échappons à l’adossement au régime
général. » Bien entendu, le sentiment excessivement optimiste de Le Reste a
à présent été rattrapé par les événements.
Plusieurs syndiqués qui avaient continué à
s’opposer à ce transfert de la CPR se sont vus dire de ne pas participer
aux manifestations, ont subi des pressions pour quitter la CGT et ont finalement
été expulsés du syndicat. L’un d’entre eux aurait été menacé de
violence s’il ne quittait pas la CGT.
La politique préconisée par les dirigeants du
syndicat a été exprimée par Jean-Christophe Le Duigou, chargé du dossier des
retraites de la CGT, dans une interview accordée au journal de centre-gauche Le
Monde : « La CGT veut bien discuter de ces régimes, mais
entreprise par entreprise, branche par branche. » Bref, l’objectif
est d’empêcher la mobilisation collective des travailleurs contre les
coupes en présentant un accord négocié entre la direction et les dirigeants
syndicaux sur chaque lieu de travail et industrie séparément.
La collaboration des syndicats avec Sarkozy,
dont les projets droitiers, la démagogie sécuritaire et le flirt avec
l’extrême droite sont évidents à tout observateur politique avisé, représente
un virage marqué en direction d’un corporatisme d’Etat
politiquement dangereux.
L’élite dirigeante française ne sera pas
en mesure éternellement d’éviter la confrontation avec la classe ouvrière
qui s’est mobilisée à maintes reprises pour lutter contre des coupes tout
aussi réactionnaires en 1995, en 2003 et en 2006. L’arrivée au pouvoir de
Sarkozy et la dégénérescence de la bureaucratie syndicale doivent, cependant, conduire
à un changement d’orientation politique de la classe ouvrière dans son
opposition à leur politique.
A une époque où la politique française est
déterminée par les forces économiques mondiales et est confrontée à la
perspective du militarisme et de la guerre, compter sur les syndicats pour
mener les luttes en vue de protéger le niveau de vie au moyen d’accords
signés avec l’Etat est futile et dangereux. Confrontée à une situation
militaire explosive et à une perspective de plus en plus désespérée de
concurrencer la haute technologie et les producteurs employant la
main-d’œuvre bon marché des pays émergents, l’élite française
sera de moins en moins encline à faire des concessions aux travailleurs. Les
consultations incessantes qu’ont les syndicats avec Sarkozy montrent à
quel point ils sont en accord avec les principales lignes de sa politique.
Il se peut que les questions du niveau de vie,
de l’emploi et de la politique internationale se soient peut-être
présentées de manière séparée à l’esprit de beaucoup de gens qui ont fait
grève ou qui ont protesté contre les ministres de Chirac durant les années 2003
et 2006. Aujourd’hui, les luttes contre le gouvernement Sarkozy-Fillon regroupent
ces questions pour former un tout. Contre la réorganisation de l’économie
française selon le marché mondial et l’élimination d’entreprises
non rentables d’où découlent des licenciements de masse, contre la
bataille internationale pour le pétrole bon marché et le pillage dominé par les
Etats-Unis au Proche-Orient, les travailleurs doivent opposer l’économie
internationale planifiée et la solidarité internationale de la classe ouvrière.