La Ligue communiste révolutionnaire (LCR)
réagit à l’effondrement et à la désagrégation du Parti socialiste français
en construisant un nouveau parti centriste de droite. Elle cherche ainsi à
créer un mécanisme dont la classe dirigeante française a un besoin urgent pour
pouvoir contenir la radicalisation grandissante des travailleurs et des jeunes
et pour empêcher qu’une nouvelle génération ne se tourne vers le marxisme
révolutionnaire.
Le porte-parole de la LCR, Olivier Besancenot,
s’est à maintes reprises exprimé dans des interviews donnés à
l’occasion de « l’université d’été » du parti à Port-Leucate
(Aude) sur les projets de création d’un nouveau parti. Il a souligné que
le parti serait un parti « anticapitaliste » et, contrairement à la
LCR, ne se réclamant pas du trotskysme.
Il s’agit d’ouvrir un nouveau
chapitre dans sa propre histoire, a déclaré Besancenot à l’Agence France-Presse.
« L’idée est de ne pas construire un nouveau parti », mais
« un parti anticapitaliste pour tous ceux qui veulent construire autre
chose que le capitalisme ». La nouvelle organisation « doit être
suffisamment vierge politiquement pour agréger d’autres horizons. A
nouvelle période politique, il faut un nouveau parti et un nouveau
programme. »
Il s’est exprimé de manière semblable
dans une interview accordée au journal Le Parisien. « Nous voulons
rassembler tous les anticapitalistes et tous les partisans d’un
changement de société dans une nouvelle formation », a-t-il dit.
« Nous ne proposons ni le ralliement à une LCR bis ni un ravalement de
façade. La Ligue communiste révolutionnaire doit désormais être dépassée et
tourner une page sans renier son héritage. Mais à nouvelle période politique,
nouveau parti. A quoi servirait une formation trotskyste de plus qui
s’additionnerait aux deux autres ? Nous sommes plus ambitieux :
on ne veut pas se contenter d’un simple changement d’appellation.
L’heure n’est pas aux petites révolutions culturelles. »
Le
centrisme de droite
Personne ne devrait se laisser berner par le
terme « anticapitaliste ». La tâche du nouveau parti consiste à
défendre l’ordre bourgeois qui, suite au quasi effondrement des partis
socialiste et communiste, a perdu ses principaux instruments de contrôle de la
classe ouvrière.
Depuis qu’au printemps dernier, le Parti
socialiste (PS) a perdu pour la troisième fois consécutive les élections
présidentielles et législatives, il est en chute libre. Ses principaux
dirigeants lui tournent le dos pour rejoindre en série le camp du président
Nicolas Sarkozy alors que les ailes rivales mènent une guerre au couteau et que
le parti en général vire de plus en plus vers la droite. Le Parti communiste
français (PCF) autrefois puissant a été réduit au bout de 40 ans à un tout
petit parti à la traîne des socialistes.
Dans ces conditions, la classe dirigeante
française a de toute urgence besoin d’un parti qui se présente comme suffisamment
de « gauche » pour ne pas perdre d’emblée la confiance de la
jeune génération tout en étant en même temps capable de contenir et dissiper
la combativité croissante de la classe ouvrière. C’est ce type de parti
que veut créer la LCR.
Ce nouveau parti sera ouvert à tous les
invalides politiques issus des anciens appareils bureaucratiques et à tout
genre de gauchistes et d’esprits confus. Il sera « anticapitaliste,
féministe, écologiste et socialiste », peut-on lire dans un appel lancé en
juillet par la direction nationale de la LCR qui souhaite « un débat
commun avec toutes celles et tous ceux, individus, équipes militantes, courants
politiques qui veulent défendre un programme anticapitaliste dans les luttes et
aux élections ».
Le terme « anticapitaliste » est
suffisamment large pour inclure tout le monde, même une partie importante du
camp bourgeois. Après des décennies de chômage de masse, de destruction des
acquis sociaux et de polarisation sociale, le capitalisme est discrédité dans
de vastes couches de la population au point où tout démagogue politique, indépendamment
de la position droitière qui le caractérise, peut se permettre de se prononcer
contre le « néo libéralisme », contre le « capitalisme pur et
dur » ou contre la « dictature internationale des marchés financiers
internationaux ».
Seuls les sociaux-démocrates les plus obtus sont
encore prêts à défendre ouvertement le capitalisme. La grande majorité des
défenseurs de « gauche » de l’ordre bourgeois se cache
aujourd’hui derrière le masque de l’« anti-capitalisme » :
des réformistes déçus, des vieux bureaucrates syndicaux, des staliniens vieillissants
et les féministes et écologistes mentionnés par la LCR, sans oublier
l’extrême droite qui se veut également « anti-capitaliste ».
La définition « anti-capitaliste »
est floue et confuse au point de générer un maximum de confusion politique. Il
s’agit de la marque classique d’un parti de droite centriste qui en
paroles s’identifie au socialisme tout en ayant les deux pieds fermement campés
sur le sol de l’ordre bourgeois ; un parti qui abhorre toute clarté
idéologique et qui s’oppose au processus de clarification politique qui
doit impérativement être en amont de tout mouvement de masse révolutionnaire
authentique.
La construction d’un véritable mouvement
anti-capitaliste, c’est-à-dire d’un mouvement révolutionnaire,
socialiste de la classe ouvrière, ne peut par contre se faire que par une
démarcation idéologique et politique permanente du camp bourgeois et de ses auxiliaires
opportunistes. Cette construction requiert un parti marxiste qui se fonde sur
un programme internationaliste et socialiste. C’est ce que montre
l’ensemble de l’histoire du mouvement ouvrier notamment
l’expérience de la Révolution d’Octobre en Russie et la Quatrième
Internationale.
Mais la LCR rejette de façon véhémente une
telle approche. Le nouveau parti ne doit pas être « une avant-garde
révolutionnaire élitiste », comme Besancenot le reconnaissait franchement
au Parisien. Il doit représenter une orientation nationale. « La
nouvelle direction devra donc être à l’image et aux couleurs du pays »,
a-t-il dit.
L’appel publié par la direction
nationale de la LCR souligne également l’orientation nationale du nouveau
parti. Cet appel s’adresse à tous ceux « qui veulent se regrouper
dans un cadre politique organisé, militant, national et démocratique ».
L’inimitié
envers le trotskysme
Le véritable ennemi de ce nouveau parti
n’est pas le capitalisme, mais le marxisme révolutionnaire. Alors
qu’il s’ouvre largement vers la droite, il accusera inlassablement
tous ceux se trouvant sur sa gauche de sectarisme en les combattant le plus
férocement possible. Sa tâche la plus importante sera celle d’isoler les trotskystes.
Le mouvement trotskyste dispose d’une
vaste expérience avec de telles organisations centristes. La Quatrième
Internationale s’est développée dans les années 1930 précisément au cours
de la lutte contre le centrisme.
A l’époque, de nombreux travailleurs
déçus s’étaient détachés des organisations staliniennes et
sociales-démocrates qui avaient été responsables de la terrible défaite endurée
par la classe ouvrière allemande et qui avaient capitulé sans lutter devant
Hitler. Des organisations centristes tel le SAP (Parti ouvrier socialiste) en
Allemagne, le POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste) en Espagne ou
le PSOP (Parti socialiste ouvrier et paysan) de Marceau Pivert en France
connurent un réel flux d’adhésions. Ils servirent à couper court à
l’élan de la classe ouvrière.
En Espagne, le POUM rejoignait même en automne
1936 au plus fort de la révolution, le gouvernement de front populaire de
Catalogne, contribuant de ce fait en grande partie à la défaite du prolétariat
espagnol.
Le programme de fondation de la Quatrième
Internationale caractérise ces groupes d’« accessoires "gauche"
de la social-démocratie et de l’Internationale communiste » et qui
« ont montré leur incapacité complète à s’orienter dans une
situation historique et à en tirer les conclusions révolutionnaires ».
Il est caractéristique que la LCR se distance
à présent expressément du trotskysme. Il y a deux raisons à cela. D’abord,
la LCR considère que même une simple référence verbale au trotskysme présente
un obstacle au projet opportuniste du futur parti.
Ensuite, elle se détache de la tradition
trotskyste parce qu’elle veut empêcher à tout prix que la jeune
génération qui se radicalise et qui est en quête d’une nouvelle
perspective révolutionnaire n’entre en contact avec celle-ci. C’est
dans le mouvement trotskyste que les leçons des expériences stratégiques du
mouvement ouvrier révolutionnaire du siècle dernier trouvent leur expression la
plus concentrée.
La LCR est pleinement consciente de cette
question. Besancenot se réfère expressément dans Le Parisien à l’émergence
d’« une génération militante, issue par exemple des banlieues et
vierge des expériences politiques du passé » et qui, du point de vue de Besancenot,
devrait en rester entièrement intacte.
Le
bilan politique de la LCR
L’hostilité affichée par la LCR à
l’encontre du trotskysme n’a rien de nouveau. En dépit
d’affirmations du contraire, la LCR n’a jamais été un parti trotskyste.
L’organisation internationale de tutelle
à laquelle elle appartient, le Secrétariat unifié de Michel Pablo et
d’Ernest Mandel, avait rompu dès 1953 avec le programme de la Quatrième
Internationale en sacrifiant l’indépendance politique de la classe
ouvrière à l’adaptation opportuniste aux courants staliniens et
nationalistes, de Mao Zedong à Mikhaïl Gorbatchev en passant par le FLN
algérien, Fidel Castro, Che Guevara et les sandinistes du Nicaragua. Le
Secrétariat unifié porte la responsabilité politique de nombreuses défaites dévastatrices
de la classe ouvrière internationale.
La LCR est née dans les années 1960
d’une organisation étudiante stalinienne qui fut exclue par la direction
du PCF et qui fusionna ensuite avec la section française du Secrétariat unifié.
Elle est marquée bien plus par la tradition nationale du Front de libération nationale
FLN, qu’elle soutint activement, que par le trotskysme. Elle a compté
dans ses rangs de nombreux membres qui occupent aujourd’hui des positions
influentes dans les partis bourgeois, les médias et l’industrie. Quant à Olivier
Besancenot qui fut désigné par Alain Krivine, dirigeant de longue date de la
LCR, comme son successeur, reconnaît ouvertement n’avoir jamais été
trotskyste et respecter autant Che Guevara que Trotsky.
Durant la grève générale et la révolte des
étudiants en 1968, la LCR avait glorifié les étudiants comme étant la nouvelle
avant-garde révolutionnaire et ainsi contribué à les isoler des travailleurs
qui furent trahis par le Parti communiste et la CGT, syndicat dominé par les
staliniens. Dans les années qui suivirent, la LCR évolua pour devenir la
caution de la « gauche » officielle, l’alliance entre le Parti
socialiste et le Parti communiste que François Mitterrand avait initiée au
début des années 1970 et qui durant trois décennies et demie devait être le
principal pilier du régime bourgeois en France.
La LCR quant à elle, se qualifia souvent de la
« gauche de la gauche », une expression pertinente, car elle
n’a, en effet, jamais été plus qu’une caution de gauche pour la
gauche bourgeoise officielle et la bureaucratie syndicale.
Au début du vingt et unième siècle, ce rôle
prit de plus en plus d’importance. Des couches de plus en plus grandes de
la classe ouvrière commencèrent à se détourner de la gauche officielle. Les
grandes vagues de grèves et de protestations se succédèrent. En 2002, après cinq
années d’expérience amère du « gouvernement de gauche » du
socialiste, Lionel Jospin, trois millions d’électeurs votèrent en faveur
des candidats présidentiels d’extrême gauche, dont 1,2 million pour Olivier Besancenot.
Lors de l’élection présidentielle du printemps 2007, Besancenot obtint à
nouveau 1,5 million de voix.
La réaction de la LCR face à l’afflux de
ces électeurs en quête d’alternative politique a consisté à les renvoyer par
retour de courrier à l’adresse des partis bourgeois. En 2002, elle a
soutenu au second tour des élections le candidat gaulliste, Jacques Chirac, et
cette année la socialiste de droite, Ségolène Royal.
Des années durant la LCR a poursuivi le but de
rassembler en un nouveau groupement, le Parti communiste, les socialistes de
« gauche » et d’autres organisations se mouvant dans la
nébuleuse de la gauche gouvernementale. Pas plus tard qu’en janvier de
2006, le 16ème congrès de la LCR s’était déclaré pour la
construction d’un grand rassemblement unitaire qui regrouperait tous les
partis et mouvements qui avaient voté « non » au référendum sur la
constitution européenne. Prenant comme modèles le parti Rifondazione Comunista
en Italie et le Parti des travailleurs (PT) de Lula au Brésil. Dans les deux
pays, les sections du Secrétariat unifié ont rejoint ces partis et ont même
occupé un poste ministériel au Brésil.
C’est ainsi que la LCR est devenue le
principal appui de gauche de l’ordre bourgeois en France. Elle a défendu
les bureaucraties syndicales lorsque ces dernières étouffaient les mouvements
de grève et a systématiquement cherché à empêcher que les travailleurs et les
jeunes écoeurés par la trahison des vieilles organisations ne s’orientent
vers une politique indépendante. Elle est directement responsable de ce qu’après
dix ans de luttes sociales et politiques ininterrompues, Nicolas Sarkozy, un
politicien de droite, ait pu profiter de la défaite de la gauche officielle et
de l’absence d’une authentique alternative socialiste, et venir au
pouvoir.
Un
pas de plus vers la droite
La victoire électorale de Sarkozy est une déclaration
de faillite pour la politique de la LCR. Il y a deux ans, lors des
protestations contre le Contrat première embauche (CPE) elle avait annoncé que
la pression d’en bas forcerait la droite gaulliste à se placer sur la
défensive et le Parti socialiste à soutenir les intérêts du mouvement de masse.
Au lieu de cela, sous la pression d’en bas le Parti socialiste
s’est déplacé davantage encore vers la droite et le Parti communiste
ainsi que les autres candidats au rassemblement de gauche de la LCR s’accrochent
plus que jamais aux basques des socialistes.
Au Brésil tout comme en Italie la politique du
Secrétariat unifié a fait le même naufrage. Le gouvernement Lula est devenu l’enfant
modèle du capital international. Rifondazione siège au gouvernement
Prodi et soutient ses interventions militaires de par le monde ainsi que ses attaques
contre les retraites. Même l’International Viewpoint,
l’organe international du Secrétariat unifié, est obligé
d’admettre : « Le bilan de la participation du Parti Rifondazione
Comunista au gouvernement de coalition centre-gauche mené par Romano Prodi
est catastrophique. »
La radicalisation de nouvelles couches de
travailleurs et de jeunes se fera en grande partie hors du contrôle des vieux
appareils bureaucratiques. La LCR craint d’être laissée pour compte si
elle persiste à faire campagne en faveur d’une alliance avec les
organisations discréditées se trouvant dans la nébuleuse du Parti socialiste.
De là sa détermination à créer une nouvelle organisation.
« On est à un moment où il faut tourner
la page et on mise sur une nouvelle génération, » a déclaré Alain Krivine,
le dirigeant de longue date de la LCR au journal Libération. « Il
ne s’agit pas de rejeter tous les vieux camarades, mais la reconstruction
ne viendra pas des ex, ex-LCR, ex-PC, ex-PSU… »
Le même journal cite Besancenot :
« Les choses étant bloquées par le haut, on essaie par la base. On ne va
pas mettre Buffet, Laguiller et Bové [les dirigeants du PCF, de Lutte ouvrière
et du mouvement altermondialiste] autour d’une table, mais parler aux
anonymes des quartiers populaires et aux collectifs locaux. »
Indirectement, de par cette initiative en
faveur d’un nouveau parti la LCR reconnaît que la classe ouvrière
s’est largement déplacée vers la gauche, et réagit, quant à elle, en
conséquence par un autre virage à droite. Elle ne veut plus soutenir et couvrir
plus longtemps la trahison des vieilles organisations, mais tient à reprendre à
son propre compte leur rôle, en envisageant une éventuelle participation à un
gouvernement bourgeois.
Dans l’interview accordée au Parisien,
Besancenot considère expressément cette possibilité : A la question :
« Cette nouvelle formation a-t-elle vocation à tisser des alliances, avec
le PS par exemple ? » il répondit : « Soyons clairs, le
pouvoir ne nous fait pas peur. »
Besancenot affirme que la nouvelle initiative
entame un nouveau chapitre de l’histoire de la LCR. En réalité,
l’organisation tente d’effacer ses traces. Et le fait que Besancenot
qualifie le nouveau projet de « vierge politiquement » est bizarre.
Pour un parti qui s’est prostitué pendant quarante ans devant des partis
politiques bourgeois qui ont à maintes reprises poignardé la classe ouvrière
dans le dos, cette définition est tout à fait mal à propos.
Le World Socialist Web Site s’opposera
résolument à la tentative de la LCR de poser un nouveau piège à la classe
ouvrière. Il critiquera et exposera sans relâche les manœuvres de la LCR, en
informant ses lecteurs sur le riche héritage politique et la perspective de la
Quatrième Internationale, et intensifiera la lutte pour la construction
d’un authentique parti trotskyste en France en tant que section du Comité
international de la Quatrième Internationale.