Une fois de plus, le monde assiste à un désastre naturel
aux Etats-Unis menaçant de devenir une catastrophe sociale. Une fois de plus,
un million d’Américains sont forcés d’abandonner leurs foyers par une calamité
prévue longtemps d’avance, avec un minimum de préparatifs par les autorités
locales, régionales et fédérales. Une fois de plus, des dizaines de milliers de
réfugiés doivent chercher un abri dans le stade de football d’une grande ville
américaine – cette fois, San Diego.
Il y a, bien sûr, plusieurs différences entre l’expérience
de la Nouvelle Orléans il y a
deux ans et San Diego aujourd’hui. Les cœurs urbains de San Diego et de Los
Angeles ainsi que leurs infrastructures demeurent intactes. Les services
publics et autres services essentiels sont encore en place, et le nombre de
morts est beaucoup moins élevé. Les pertes en biens sont estimées à plusieurs
milliards de dollars, la plupart venant de maisons détruites et de récoltes à
moitié détruites dans le Comté de San Diego; les dommages causés par l’ouragan Katrina
étaient au moins 50 fois plus importants.
A en croire les comptes-rendus disponibles, la réponse des
services d’urgence, particulièrement les unités de sauvetage et de lutte contre
les incendies, a été beaucoup plus efficace que durant l’ouragan Katrina, ce
qui reflète à la fois l’ampleur moins grande du désastre, l’infrastructure
sociale plus développée de la Californie (la Louisiane
faisant, elle, partie des Etats américains les plus pauvres) et les leçons
tirées de la réponse déplorable à l’inondation de la Nouvelle Orléans. La
différence la plus importante, toutefois, quant à la réponse des autorités, est
peut-être que les riches autant que les pauvres ont souffert dans le sud de la Californie, et ils peuvent faire beaucoup plus
aisément appel aux ressources de la société.
Comme dans le cas de l’ouragan Katrina, les feux de forêts
dans le sud de la Californie ont
mis à nu la crise sociale d’un pays rongé par les inégalités de classe et
emprisonné dans un système économique dominé par la recherche de profits d’une
petite minorité de millionnaires et de milliardaires. Le pays le plus riche du
monde, capable de mener deux guerres simultanées de l’autre côté du monde, est
incapable de fournir des ressources adéquates pour offrir un service public
aussi élémentaire que les pompiers.
Tant la réponse de l’administration Bush que la couverture
médiatique des feux de forêts reflètent l’impact de Katrina. La Maison-Blanche cherche à éviter une autre mise à nu
de son indifférence aux souffrances d’Américains ordinaires, et les médias sont
plus sensibles aux calamités subies par la Californie du sud, de même que la ville de New
York, l’une des deux capitales des médias aux États-Unis.
Même là on trouve un élément social : beaucoup plus
qu’en Nouvelle Orléans, où les ravages ont particulièrement frappé les couches
les plus appauvries, celles qui sont sans autos ou incapables par ailleurs de
fuir, les feux de forêts du sud de la Californie ont touché dans une même mesure les
riches et les travailleurs à plus faibles revenus. Les maisons détruites
comprennent autant celles de multimillionnaires et de vedettes, qui cherchaient
l’isolement et l’intimité, que celles de familles ouvrières forcées de
s’établir aux marges de la région métropolitaine à la recherche de logements
abordables.
La couverture médiatique, comme dans le cas de Katrina,
masque toutes les questions politiques essentielles. Peu ou rien n’a été dit à
propos de l’impact du déploiement militaire en Irak sur les capacités de
réaction de la Garde nationale
en Californie, malgré le fait que des représentants de la Garde nationale aient signalé le problème voilà
déjà près de six mois.
Selon un article paru le 11 mai dans le San Francisco Chronicle,
« la Garde nationale de
Californie affirme que le manque d’équipement pourrait nuire à l’intervention
de la garde lors d’un désastre majeur. Des représentants militaires de l’Etat
craignent, en raison d’une pénurie de camions et de radios — engendrée en
partie par la guerre en Irak — qu’ils ne pourraient fournir de l’aide
rapidement dans le cas d’un incendie majeur, d’un tremblement de terre ou d’une
attaque terroriste. »
Cet article fut publié seulement quelques jours après
qu’une tornade eut détruit une ville de l’ouest du Kansas, et que la gouverneur
Kathleen Sibelius ait décrié le fait qu’il y avait tant d’équipement de la Garde nationale du Kansas en Irak que sa capacité
d’intervention en cas de désastre était minée. Le lieutenant colonel John Siepmann
de la Garde nationale de
Californie a déclaré à Chronicle que des questions semblables
surgiraient dans le cas d’un désastre majeur. « Nous avons des inquiétudes
dans le cas où se produirait une catastrophe », a-t-il affirmé. « La
capacité d’intervention serait moins efficace. »
Parmi l’équipement qui manquait, on pouvait noter des
génératrices diesel (aucune disponible alors qu’il en fallait 39), des outils
GPS (aucun alors qu’il en fallait 1410) et 209 véhicules de divers types, dont
110 humvees et 63 camions militaires. Tout cet équipement se trouvait soit en
Irak ou en Afghanistan et ne pouvait donc être utilisé en Californie.
La réduction de l’équipement de la Garde nationale exacerbe encore plus l’insuffisance
des services d’urgence et d’incendie dans la région du sud de la Californie, l’une des régions urbaines à croître le
plus rapidement au monde.
À San Diego par exemple, l’épicentre des feux où 1300
maisons et 150 autres bâtiments ont été détruits, où des dommages de 1
milliard $ ont été causés aux biens et où cinq personnes ont trouvé la
mort, il n’y a que 975 pompiers. Ils doivent couvrir 900 kilomètres carrés et protéger 1,3
million de résidents, alors qu’à San Francisco, 1600 pompiers protègent 850.000
résidents se situant dans une zone d’à peine 150 kilomètres carrés.
Le professeur Steve Erie de l’Université de Californie de
San Diego a déclaré au Los Angeles Times que les politiques anti-taxes et pro
patronales des gouvernements locaux de la région avaient contribué au désastre.
« Les constructeurs contrôlent la plupart des conseils de ville »,
a-t-il soutenu. « A Poway ou à Escondido, ils mettent directement les
propriétaires de maison en situation de danger. Ils contrôlent les processus de
zonage et se trouvent souvent derrière des initiatives qui s’opposent à de
nouvelles taxes et à de nouveaux services d’incendie. C’est de la folie. »
Aussi, le gouvernement fédéral n’a pas rempli ses
responsabilités, malgré les leçons des feux de forêts de 2003 qui avaient
ravagé une bonne partie du Comté de San Diego. Le Congrès a autorisé 760
millions de dollars par année pour faire de la « réduction
d’essence », c’est-à-dire nettoyer et retirer les arbres morts et les
broussailles qui, dans des conditions de sécheresse, captent le feu de manière
explosive. L’administration Bush a opté pour un crédit budgétaire d’environ
deux tiers de cette somme, soit 500 millions par année.
Un facteur majeur qui contribue au désastre causé par le feu
est le réchauffement de la planète, qui est à la base du cycle de sécheresse et
de température élevée qui a rendu la dernière période de feux de forêts
beaucoup plus difficile à contrôler pour les pompiers. Selon des statistiques
fédérales, sept des dix saisons les plus intenses de feux de forêts dans
l’histoire des Etats-Unis sont survenues dans les huit années qui ont suivi
1999. Même avant la présente éruption, le nombre total d’acres brûlés par les
feux de forêts en 2007 était de 8 millions, comparé à la moyenne des dix
dernières années qui est de 5,8 millions d’acres. Il est fort possible que le
total de 2007 surpasse les 9 millions record d’acres brûlés l’année passée.
Un reportage inquiétant, à la chaîne CBS, présentait une
entrevue avec un expert en feux de forêts qui faisait état du nombre
grandissant de « méga-feux », c’est-à-dire ceux de 100.000 acres ou plus, qui sont habituellement
rares mais qui sont maintenant choses communes. Le présent feu de forêts a déjà
brûlé plus de 500.000 acres. Cet
expert estimait que plus de la moitié des terres forestières de l’Ouest des
Etats-Unis pourrait brûler d’ici quelques décennies en raison de l’intensité
croissante des feux de forêts.
Les médiocrités écologiques de l’administration Bush, bien
entendu, suppriment toutes discussions sur le réchauffement de la planète
depuis des années et continuent de rejeter tous les efforts internationaux
organisés pour contrer ou diminuer l’impact de la crise.
Ce qui sous-tend ces facteurs, cependant, et qui est la cause
fondamentale de la crise sociale, c’est le caractère anarchique et non planifié
du système capitaliste. Les lotissements sont construits à travers le sud de la Californie sur la base de la recherche de
profits des bâtisseurs de maisons, des promoteurs immobiliers et des
spéculateurs de Wall Street et non sur la base des besoins en logements des
gens ou en tenant compte des contraintes de l’environnement naturel.
Les compagnies d’assurances, comme dans chaque désastre
américain, opèrent de la façon la plus impitoyable et la plus socialement
destructrice. Après Katrina, elles refusèrent fréquemment de payer pour les
dommages causés par l’ouragan à moins qu’elles ne soient menacées de poursuite
judiciaire ou carrément traînées en cours. Il y a déjà des rumeurs que les feux
actuels seront utilisés comme prétexte pour annuler des polices ou augmenter
drastiquement les primes.
La réponse d’une société organisée de manière rationnelle,
c’est-à-dire socialiste, à un tel désastre serait une reconstruction sérieuse,
adéquatement financée et minutieusement planifiée qui prendrait en
considération le besoin commun en logements ainsi que les circonstances
naturelles et l’impact sur l’infrastructure sociale comme les systèmes d’eau,
les systèmes électriques et les systèmes de vidanges. Sous le système capitaliste,
on ne peut s’attendre à rien de mieux qu’une répétition de la course pour le
profit et le pillage insouciant de la nature et du travail humain qui a
fortement accentué le désastre.