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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

L’assassinat de Tom Henehan il y a trente ans

23 octobre 2007

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Ce 16 octobre fut le trentième anniversaire de l’assassinat de Tom Henehan, un membre du comité politique de la Workers League, l’organisation qui précéda le Parti de l’égalité socialiste aux Etats-Unis.

Tom fut abattu lors de l’attaque délibérée d’une soirée tenue par l’organisation de jeunesse du parti dans le quartier de Bushwick, à Brooklyn et qu’il encadrait. Trois hommes y prirent part, dont Angelo Torres qui tira cinq fois sur Tom. Tom tomba dans le coma et mourut approximativement une heure après son arrivée à l’hôpital de Wycoffs Heights. Il avait 26 ans.   

La mort prématurée de Tom Henehan fut une perte tragique pour la classe ouvrière internationale. Les mots qui caractérisent le mieux le jeune Tom sont : intelligent, courageux, infatigable et altruiste.

Tom est né le 16 mars 1951 à Milwaukee dans le Wisconsin. Sa famille déménagea à Grand Rapids dans le Michigan lorsqu’il était encore enfant. Plus tard, pendant son adolescence, la famille s’installa à Kalamazoo, Michigan. Tom entra à l’Université de Columbia à New York en 1969; il y rencontra la Workers League durant ses dernières années d’études. Il adhéra au parti en mars 1973 vouant sa vie à l’éducation politique et à l’émancipation de la classe ouvrière.

Durant les quatre années où il fut membre du parti, Tom joua un rôle central dans le développement du mouvement de jeunesse aux Etats-Unis et internationalement. Il fut particulièrement actif lorsqu’il s’est agi d’étendre l’influence de la Workers League parmi les mineurs de charbon de l’Ouest de la Virginie et du Kentucky. Tom était idéaliste et, au meilleur sens du mot, une personne charismatique. Il laissa une très forte et inoubliable impression sur tous ceux qui le connurent et travaillèrent avec lui.

Nous publions ci-dessous le discours prononcé par David North, président du comité international de rédaction du World Socialist Web Site et du Parti de l’égalité socialiste lors d’un meeting commémorant la mort de Tom Henehan.

Les principes pour lesquels Tom a lutté ont trouvé leur confirmation

J’aimerais commencer mes remarques en relatant un souvenir. A mon retour de l’hôpital où Tom Henehan s’est éteint aux petites heures du 16 octobre 1977, j’ai appelé Paul, son frère aîné et lui ai transmis la terrible nouvelle. Paul m’a dit alors qu’il se chargeait d’informer les autres membres de la famille.

Quelques heures plus tard Paul me dit que la mère de Tom, Mary Elise Henehan, viendrait à New York en avion le lendemain. Je me souviens avoir attendu l’arrivée de Mary Elise Henehan dans l’angoisse. Je ne l’avais jamais rencontrée auparavant. Que pourrais-je dire à la mère de Tom, me demandai-je, qui puisse de quelque façon l’aider dans un moment aussi tragique ? Mais quand elle arriva dans nos locaux et avant que je puisse dire quoi que ce soit, elle m’embrassa. Je fus, moi qui me demandais comment je pourrais réconforter la mère de Tom, en fait réconforté par elle.

Aucun de ceux qui, parmi nous, vécurent ces événements, ne peut oublier la force et le soutien que Mary Elise Henehan nous a donné au cours de ce qui dut être la semaine la plus terrible de sa vie. Je réalisai alors que les qualités extraordinaires de Tom Henehan étaient dues pour une part non négligeable au fait qu’il était le fils d’un être humain extraordinaire. Nous sommes tous très fiers que cette personne extraordinaire, Mary Elise Henehan ainsi que les sœurs de Tom, soient là avec nous, à l’occasion de cette  commémoration.

Au meeting commémoratif tenu le 22 octobre 1977, quelques jours seulement après le meurtre de Tom, nous avons promis que nous ne l’oublierions jamais. Aujourd’hui, 30 ans après, nous honorons cet engagement. Le fait même que beaucoup de ceux qui étaient présents à cette première réunion commémorative sont encore ici aujourd’hui, ayant parcouru pour venir des milliers de miles, est une expression émouvante de l’influence durable de la personnalité de Tom sur ceux qui le connaissaient, le respectaient et même l’aimaient. Même après ces trente années, tant de facettes de sa personnalité restent vivantes dans notre mémoire : son intelligence, sa détermination, son courage physique, son altruisme, son énergie, son humour et sa joie enthousiaste de vivre.  

Notre but n’est cependant pas seulement de nous souvenir du passé et de rendre hommage à la mémoire d’un camarade tué. Nous sommes aussi, alors que nous honorons Tom le jour anniversaire de sa mort, en train de réaffirmer notre engagement permanent vis-à-vis des idéaux et des principes pour lesquels il a vécu. En fait, le pouvoir et la justesse de ces idéaux trouvent leur expression dans la présence à ce meeting de représentants d’une autre génération dont certains n’étaient encore, au moment où Tom est mort, que de petits enfants ou même, n’étaient pas encore nés.

Lorsqu’il fut assassiné à New York, Tom Henehan n’avait que 26 ans. Lorsque nous qui fûmes ses contemporains, ayant nous-mêmes trente ans de plus, regardons les photos de Tom, nous pouvons apprécier aujourd’hui de façon plus profonde qu’en 1977 combien il était jeune au moment de sa mort. Nous avons une meilleure idée aujourd’hui de ce qu’il aurait pu accomplir encore et de ce qu’il eût encore accompli s’il n’avait pas été assassiné. Jusqu'à ce jour, nous avons le sentiment d’une perte permanente, mais pas celui d’un gaspillage ou de l’inutilité. Les 26 années de la vie de Tom furent bien trop courtes, mais elles n’ont pas manqué d’une finalité et d’un sens permanents.  

Si Tom n’était pas mort en octobre 1977, s’il avait eu le privilège de vivre encore trente années et s’il était encore avec nous aujourd’hui, il aurait certainement accumulé plus d’expérience et accompli plus de choses qu’il n’est possible en l’espace de 26 ans. Mais le cours de sa vie se serait essentiellement déroulé selon la trajectoire qu’elle avait prise lorsqu’il a décidé, au printemps de 1973, à la veille de finir ses études à l’Université de Columbia, de devenir membre de la Workers League et de consacrer sa vie à la cause de la classe ouvrière et à la lutte pour le socialisme international.

Tom était, au sens le plus positif et le meilleur du mot, un idéaliste. Il croyait passionnément en la justice, en l’égalité et en la solidarité humaine. Mais il n’a pas adhéré à la Workers League sur le coup d’une exubérance juvénile et irréfléchie. Tom avait mûri au milieu des convulsions sociales et politiques des années 1960 et du début des années 1970 et il fut politiquement radicalisé par la guerre du Viet Nam, les luttes violentes qui agitaient les villes et l’incapacité évidente du réformisme libéral d’élaborer quelque solution viable que ce soit aux problèmes de la pauvreté et de l’oppression aux Etats-Unis. Comme beaucoup d’autres jeunes de sa génération, il en tira la conclusion que la cause des maux sociaux dont souffrait la société américaine était le capitalisme.

Tom entra pour la première fois en contact avec la Workers League alors qu’il avait déjà rencontré beaucoup des innombrables tendances politiques de la gauche actives à cette époque, depuis les fragments épars du SDS et les maoïstes du Progressive Labor, aux révisionnistes du Socialist Workers Party et de la Spartacist League. Mais sa loyauté n’alla à aucune de ces tendances qui avaient joui du soutien de dizaines de milliers de jeunes au cours de la décennie précédente.

Qu’est-ce qui avait attiré Tom Henehan vers la Workers League? Tout comme le caractère d’une personne s’exprime dans la philosophie qu’il adopte, un individu révèle dans le choix de son parti les forces, les idéaux, les principes et les objectifs qui le motivent au niveau le plus profond de son être intellectuel et moral. Mais le rapport entre le parti et les individus qui le composent est une chose complexe. Il est sans aucun doute vrai que l’individu doit choisir le parti auquel il désire adhérer. Mais dans un sens historique plus large, il est encore plus vrai de dire que les membres d’un parti et en particulier un parti marxiste, sont eux-mêmes le produit d’une sélection historique.

Le mouvement révolutionnaire est un grand pêcheur d’hommes et de femmes. Il recherche ceux qui ont la capacité de s’élever au niveau des tâches historiques les plus difficiles, qui sont prêts à consacrer à la cause socialiste non seulement des mois ou même des années, mais des décennies et même une vie entière. Il exige de ses membres des pouvoirs d’endurance intellectuelle et morale exceptionnels. Ceux qui recherchent seulement des réponses superficielles aux problèmes de ce monde choisiront un parti qui n’exige que peu de leur intellect, qui offre des réponses faciles et rassurantes aux problèmes complexes, qui s’adapte aux préjudices dominants de l’opinion et du soi-disant sens commun et qui nie la profondeur de l’engagement, l’intensité de la lutte et le travail théorique requis pour une transformation révolutionnaire de la société. Des organisations superficielles attirent des gens superficiels.

De tous les mots qu’on pourrait employer pour décrire Tom Henehan, superficiel est le dernier qui vient à l’esprit. Tom fut attiré vers la Workers League par la préoccupation de celle-ci avec les problèmes de théorie, son étude du marxisme comme science et le profond sens de l’histoire dont sa perspective et son programme étaient pénétrés. La décision de Tom de rejoindre la Workers League exprimait un profond sérieux dans la pensée et dans le but.

Ceux d’entre nous qui, comme Tom Henehan, rejoignirent la Workers League au début des années 1970, le firent parce que c’était le seul mouvement qui plaçait les problèmes auxquels faisait face la classe ouvrière des Etats-Unis dans le contexte plus large des expériences historiques du mouvement socialiste du vingtième siècle. La Workers League expliquait que les réponses durables aux grandes questions politiques et sociales du jour ne se trouvaient pas dans des slogans à l’allure radicale mais écervelés au fond (par exemple, « le pouvoir est au bout des fusils ») ou dans un activisme effréné. La Workers League insistait plutôt sur le fait que le fondement essentiel de la pratique révolutionnaire consistait en l’assimilation des leçons politiques et théoriques tirées de la lutte monumentale menée par Léon Trotsky et la Quatrième Internationale contre la trahison de la révolution d’Octobre par le stalinisme.

Dans les années 1970, la Workers League était généralement dénoncée par ses nombreux adversaires au sein de la gauche radicale comme étant « sectaire ». Ceux-ci désiraient, à l’aide de cette épithète, dénigrer les caractéristiques politiques mêmes que nous considérions comme notre plus grande force : notre préoccupation avec la dialectique matérialiste, notre intérêt passionné pour l’histoire et, découlant de cela, notre attitude critique irréconciliable envers les partis et les organisations qui dominaient le mouvement de masse de l’époque. Nous étions le parti qui refusait soit d’oublier soit de pardonner les crimes commis par la bureaucratie stalinienne et ses complices contre la classe ouvrière soviétique et internationale. A l’opposé des mouvements révisionnistes, nous avons refusé d’attribuer au stalinisme des caractéristiques progressistes quelconques. Nous n’avons pas vu le stalinisme comme une tendance politique égarée qu’on devait influencer et pousser à gauche, mais comme l’expression politique d’une bureaucratie contre-révolutionnaire qu’il fallait démasquer, discréditer et détruire.

Notre attitude envers la politique du nationalisme bourgeois radical n’était pas moins inflexible. La Workers League avait été fondée en 1966 sur la base d’une lutte menée par le Comité international de la Quatrième internationale contre la capitulation du Socialist Workers Party des Etats-Unis à la politique de Fidel Castro. Comme le Comité international en avait averti de façon correcte, l’adaptation du SWP au castrisme représentait un rejet du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière. La victoire de Castro représentait, sans aucun doute une gêne et un revers, bien que de nature temporaires, pour les Etats-Unis. Elle ne représentait ni une nouvelle forme de pouvoir prolétarien ni une stratégie viable de la révolution socialiste. Aucune combinaison de guérilla urbaine et rurale, dirigée par des politiciens de la petite bourgeoisie radicale ne pouvait mener au socialisme. Nous avons continué d’affirmer que le destin du socialisme dépendait d’une lutte politique consciente pour l’accession au pouvoir de la classe ouvrière internationale, éduquée et conduite par un parti marxiste.

De telles conceptions n’étaient pas populaires dans le climat politique des années 1970. La bureaucratie soviétique et des partis communistes qui lui étaient associés disposaient encore de vastes ressources et exerçaient une immense influence sur des millions de travailleurs. Les mouvements de « libération nationale », comme ils on les appelait alors, jouissaient d’un immense prestige international. Avec l’aide de fonds fournis par l’Union soviétique, qui voyait dans ces organisations un moyen de contrecarrer l’influence mondiale des Etats-Unis, la « lutte armée » menée par les nationalistes radicaux du soi-disant tiers-monde fut suivie avec enthousiasme et admiration par de larges sections d’étudiants, d’intellectuels et d’autres sections de la classe moyenne. Les années 1970 étaient l’âge d’or des mouvements de libération nationale tels l’IRA, le MPLA, l’OLP, les sandinistes, le Farabundo Marti, le Frelimo et d’autres organisations sans nombre.

Notre critique de tels mouvements, l’analyse que nous avons faite des intérêts sociaux véritables exprimés par la politique des nationalistes petits-bourgeois et nos mises en garde quant à l’incapacité de ces mouvements à résoudre les problèmes liés entre eux de la domination impérialiste, de l’arriération économique et de l’oppression nationale étaient fréquemment vus avec hostilité. « Vous, les trotskystes » nous répétait-on avec mépris, « vous vivez dans un monde de théorie et vous critiquez toujours les mouvements qui dirigent de véritables luttes »

On exerça sur notre mouvement une pression terrible pour qu’il s’adapte et se conforme à la politique populaire de la petite bourgeoisie radicale. Malheureusement, une partie de notre mouvement international céda sous cette pression. Au milieu des années 1970, le Workers Revolutionary Party en Angleterre commença à adopter les conceptions mêmes auxquelles il s’était opposé auparavant, lorsqu’il avait lutté contre l’opportunisme du Socialist Workers Party. De fait, lors du meeting commémoratif tenu après la mort de Tom Henehan en octobre 1977, nous avons vu, avec un mélange de surprise, d’inquiétude et d’affliction, Mike Banda, le secrétaire général du WRP, transformer ce qui avait commencé comme un éloge de Tom en un hommage éhonté de l’Organisation de libération de la Palestine ! Louant la politique d’Arafat, Banda déclara que, dans la poursuite de l’objectif d’une Palestine socialiste et démocratique, les dirigeants de l’OLP « n’essayaient pas de prendre des raccourcis, ni n’avaient recours à des expédients pragmatiques ».

Pendant les 20 dernières années, Arafat et l’OLP ont essayé bien plus d’un « raccourci » et plus d’un « expédient pragmatique ». Je pense que des visites à la Maison-Blanche, une visite à Oslo pour y chercher le prix Nobel de la paix et d’autres consultations secrètes innombrables avec divers premiers ministres israéliens représentent bien des « expédients pragmatiques » même s’ils ne constituent pas précisément des « raccourcis ». Quoi qu’il en soit, Arafat et l’OLP abandonnèrent le but d’une « Palestine socialiste et démocratique » il y a longtemps et s’arrangèrent au lieu de cela d’une « entité » (ainsi qu’on l’appelle dans le langage de la diplomatie internationale) où les masses palestiniennes vivent dans la pire pauvreté et sans droits, opprimées non seulement par le régime israélien, mais aussi par la police de la soi-disant « autorité palestinienne ». J’ai rappelé le discours de Banda et attiré l’attention sur l’évolution de l’OLP afin d’illustrer de quelle manière complète le processus historique a confirmé les principes politiques et le programme pour lesquels le Comité international, la Workers League et Tom Henehan ont lutté.

Dans un discours que Trotsky avait enregistré au moment de la fondation de la Quatrième internationale, il faisait allusion aux puissantes organisations de masse de l’époque, les partis et les syndicats contrôlés par les staliniens et les sociaux-démocrates, et prédisait qu’elles seraient détruites par des événements historiques qui « ne laisseront rien de ces organisations dépassées ». Dans les années qui se sont écoulées depuis la mort de Tom Henehan, nous avons assisté à la réalisation de cette prédiction. L’une après l’autre, des organisations qui semblaient si puissantes il y a peu de temps encore ont été réduites en miettes. Le régime stalinien de l’Union soviétique a implosé. Le régime maoïste chinois supervise un système d’exploitation économique brutal qui est devenu l’une des charnières de la production capitaliste mondialisée. Fidel Castro, privé des subventions soviétiques, joue l’avenir de l’économie cubaine sur la promotion d’un tourisme qui recrée déjà, sous une forme moderne, la turpitude et la corruption de l’ère Batista.

Il est nécessaire, dans une évaluation de la vie de Tom Henehan, de considérer la validité de la cause et des principes pour lesquels il a lutté. On entend de toutes parts l’affirmation que le socialisme est mort. Mais cette affirmation repose sur l’assimilation fausse et cynique du marxisme et du socialisme au régime stalinien de l’Union soviétique. L’opposition irréconciliable du marxisme envers les staliniens était la prémisse essentielle du programme et de la perspective politique de la Workers League. Pour Tom, la lutte pour le socialisme passait nécessairement par une lutte contre le stalinisme et la politique de la bureaucratie soviétique. L’effondrement de l’Union soviétique ne signifiait pas la fin du socialisme mais celle d’un régime réactionnaire qui se servait de la phraséologie marxiste pour trahir et discréditer le socialisme.  

On ne peut pas nier, bien sûr, que le stalinisme n’ait pas porté des coups terribles à la cause du socialisme. Il est inévitable qu’il y ait une différence entre notre estimation scientifique de la nature du stalinisme et la façon dont la chute de l’URSS est comprise pour le moment par la grande masse de la classe ouvrière. Cela prendra du temps pour que les masses assimilent et comprennent les expériences politiques complexes du vingtième siècle. Personne ne peut prédire combien de temps durera cette période d’assimilation et de rééducation. Mais si la confusion politique peut retarder pour un certain temps la croissance du mouvement socialiste, il reste dans la structure même du mode capitaliste de production des contradictions dont le socialisme est l’expression nécessaire et, dans un sens historique, indéracinable.

Ces contradictions trouvent leur expression directe et potentiellement explosive dans le rôle dominant de l’entreprise transnationale, l’unification mondiale de la production et l’internationalisation du processus de travail capitaliste. Les vingt dernières années ont vu une vaste extension de la taille du prolétariat, ce qui est une conséquence directe du développement capitaliste international. Un autre phénomène des vingt dernières années a été la polarisation extraordinaire de la société capitaliste entre une portion infime et fabuleusement riche de la population et la grande masse des gens qui vivent, à divers niveaux, dans l’incertitude et la détresse. On déplore fort ce processus, mais il est, au sein du capitalisme, incontrôlable.

Les forces productives croissent pour atteindre des proportions plus gigantesques encore et la technologie est de plus en plus prodigieuse. Dans le domaine de la science, tout paraît possible. Dans le domaine de la société en revanche, l’humanité semble être prise dans une ornière. S’il y a quoi que ce soit à apprendre d’une étude scientifique de l’histoire, c’est qu’une telle situation ne peut pas durer. Tôt ou tard, les barrières empêchant le progrès seront violemment écartées. Sous la surface des événements et, nonobstant la confusion et la désorientation régnantes, des processus objectifs puissants posent les fondements d’une nouvelle éruption de cataclysmes révolutionnaires.

La mort de Tom Henehan fut une perte tragique pour sa famille, ses camarades et ses amis et pour la cause de la classe ouvrière. Je pense que je parle pour tous ceux d’entre nous qui vécurent personnellement les événements d’octobre 1977 en disant qu’ils furent les plus tristes de notre vie. Le sentiment de perte non seulement nous accompagne encore aujourd'hui, mais il est devenu plus profond encore. Etant passé par les secousses et les convulsions des vingt dernières années et ayant constaté leur impact sur la société, nous ressentons aujourd’hui plus profondément ce que nous avons perdu en perdant Tom.

Si nous avons appris quoi que ce soit en prenant de l’âge et de l’expérience, c’est l’immense importance de la conscience socialiste dans le processus historique moderne. La guerre sans fin menée sur tant de fronts par la bourgeoisie contre le marxisme est une manifestation du fait qu’elle reconnait elle-même le pouvoir de la pensée socialiste et le danger qui découle de sa dissémination. Les conditions objectives fournissent à la classe ouvrière la possibilité, mais pas la garantie du socialisme. Dans une mesure plus grande encore que les fondateurs de notre mouvement ne l’avaient prévu, le destin du socialisme et par conséquent de l’humanité dépend de l’extension de l’horizon intellectuel de la classe ouvrière.  

Dans ce sens, le socialisme n’est pas seulement la mobilisation de la classe ouvrière autour d’une série de revendications économiques et politiques, mais aussi un immense mouvement culturel du prolétariat. Mais ce mouvement ne peut pas apparaitre spontanément. C’est seulement grâce au cadre que la politique et la culture socialiste peuvent être apportées dans la classe ouvrière. Le cadre, c'est-à-dire les hommes et les femmes qui font de la lutte pour le socialisme le but central de leurs vies, sont les porteurs humains de la seule doctrine scientifique de l’émancipation sociale universelle. Ce que nous pleurons dans la mort de Tom Henehan, c’est la perte non seulement d’un camarade et d’un ami, mais d’un instrument précieux et irremplaçable des lumières sociales et du progrès humain. 

Pour conclure, je voudrais m’adresser à la jeune génération qui a beaucoup à apprendre de l’exemple de Tom Henehan. Les jeunes, sans qu’ils en soient responsables, ont été coupés non seulement de l’esprit révolutionnaire si largement répandu dans les trois premiers quarts du siècle dernier, mais aussi des traditions intellectuelles qui ont inspiré les précédentes générations de jeunes, les ont fait se lancer dans de grandes batailles sociales et fait faire de grands sacrifices. Les jeunes d’aujourd’hui sont les victimes et les cibles d’un assaut féroce mené contre le processus même de la pensée sociale critique. De multiples manières et avec d’innombrables variations, ceux qui font l’opinion publique officielle, au gouvernement, dans les médias et dans les universités en particulier, prêchent tous le même morne message de conformité et d’autosatisfaction. L’argent, proclame-t-on, est la mesure de toutes choses. Le but de la vie est simplement de vivre aussi longtemps et d’accumuler autant d’argent que possible. La décision la plus importante de la vie d’un individu n’est pas la cause pour laquelle il luttera, mais la combinaison des divers fonds dans lesquels il va investir.  

L’histoire montre que le fait que des conceptions aussi vides de sens et aussi égoïstes sont prédominantes est la caractéristique d’une société qui est en train de se décomposer et de se dissoudre. La jeunesse doit se libérer, intellectuellement et pratiquement de cet environnement nauséabond. Elle doit penser à l’avenir et se sentir responsable à son égard. Elle doit se demander pourquoi et dans quel but ils vivent. Tom Henehan s’est posé ces questions et il a agi avec sérieux et avec passion à partir des réponses qu’il s’est données. Et en agissant ainsi, il a vécu une vie à la signification permanente.

Dans ce climat de cynisme régnant, il y a sans aucun doute des gens qui croient que mourir à un si jeune âge est simplement une calamité personnelle et qu’aucune cause ne pourrait justifier un tel sacrifice. Ces mêmes gens réfléchissent peu au fait que leur propre confort précieux, qu’ils placent au-dessus de tout, repose sur un ordre économique qui condamne des millions et des millions de gens aux privations et à une mort précoce. Nous aimerions tous que Tom Henehan soit vivant aujourd’hui. Mais une vie doit être mesurée non pas à l’aune de la longévité ou à d’autres critères superficiels comme le succès personnel, mais à ce qu’elle a apporté à l’amélioration de la condition humaine. Le fait que tant de gens se souviennent de Tom Henehan, le fait qu’il demeure une source d’inspiration pour des gens du monde entier est la plus réelle indication de la valeur qu’a eue sa vie.

On a dit que la jeunesse est la meilleure période de la vie d’un homme, l’époque à laquelle les idéaux comptent plus que tout le reste. Si une personne n’est pas conquise par un idéal lorsqu’elle est jeune, alors elle ne le sera jamais et sa vie n’aura jamais grande valeur. On ne peut que plaindre de telles personnes parce qu’elles se sont condamnées, qu’elles le sachent ou non, à une vie sans véritable but. 

Mais cette compréhension de l’importance de la jeunesse comporte un autre aspect et c’est le rapport qui existe entre la jeunesse d’une personne et le reste de sa vie. La qualité morale de la vie d’un individu peut-être mesurée au mieux en déterminant le degré auquel il est reste fidèle aux idéaux de sa jeunesse. C’est là une épreuve très difficile à passer, non seulement pour les individus, mais aussi pour les partis politiques.

Tom Henehan a été une partie de la jeunesse de ce parti. Il illustrait les idéaux qui motivaient notre parti dans sa jeunesse. Ce parti est, au cours des vingt dernières années, passé par beaucoup d’expériences, y compris celle d’une âpre scission politique qui nous a séparés pour toujours du Workers Revolutionary Party. Nous avons beaucoup appris et nous avons mûri. Nous avons transformé la Workers League en Parti de l’égalité socialiste. Mais, dans toutes ces expériences et au milieu de secousses politiques qui ont mis le monde sens dessus dessous, nous sommes restés fidèles aux principes révolutionnaires qui ont jadis inspiré Tom et enflammé son imagination. 

L’endurance de ce parti, son engagement absolu pour les principes sur lesquels il fut fondé et sa confiance dans l’avenir sont dérivés en dernière analyse de la force de sa perspective historique et de sa compréhension des contradictions insolubles du système capitaliste mondial. Le capitalisme n’est qu’un stade de développement dans l’évolution historique de l’homme et le marché n’est pas la plus haute et finale expression du génie de l’Homme. Le travail, dont est tiré le capital, reste l’essence de l’Homme ; et le mouvement de l’histoire, malgré toutes ses complexités et ses tragédies, conduit inexorablement au socialisme.

Les années qui se sont écoulées depuis la mort de Tom ont été, pour notre parti, tant aux Etats-Unis que dans les sections internationales, une période de croissance politique et intellectuelle. Mais Tom Henehan, s’il était vivant, reconnaîtrait aujourd’hui encore ce mouvement comme son parti, malgré tous les changements qui se sont produits dans les formes de notre activité pratique. C’est la raison pour laquelle le Parti de l’égalité socialiste et le Comité international de la Quatrième internationale peuvent tenir ce meeting anniversaire et honorer la mémoire de Tom sans une once d’inconfort. C’est le parti du véritable marxisme et du socialisme révolutionnaire et nous faisons appel à la jeunesse de s’avancer et de nous aider à construire ce mouvement qui mettra un terme une fois pour toutes à l’exploitation et à l’injustice.


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