Le gouvernement allemand est-il
prêt à apporter son soutien à une agression américaine contre l’Iran en échange
d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU ? Le premier
discours de la chancelière allemande Angela Merkel devant l’assemblée des
Nations Unies le porte à croire.
Dans ce discours prononcé le 25
septembre, Merkel a appuyé une revendication posée depuis longtemps par
l’administration Bush pour des sanctions renforcées contre la République islamique
et qui a aussi le soutien de la France depuis l’élection d’un
nouveau président dans ce pays.
Merkel a exigé du gouvernement
iranien qu’il apporte la preuve qu’il ne travaille pas au
développement d’armes atomiques. Si Téhéran y manquait, a-t-elle dit,
elle appellerait à l’imposition de sanctions plus sévères. « Ne nous
leurrons pas, si l’Iran venait à posséder des armes atomiques, cela
aurait des conséquences désastreuses. »
Merkel a inversé
l’obligation d’apporter des preuves, déclarant : « Le monde
n’a pas à prouver à l’Iran qu’il construit une bombe
atomique. C’est l’Iran qui doit convaincre le monde qu’il ne
veut pas de la bombe ».
Alors que Washington refuse catégoriquement
d’admettre toute preuve quelle qu’elle soit, même fournie par
l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui
contredirait les accusations qu’il porte contre l’Iran, la déclaration
de Merkel revient à donner un chèque en blanc à l’administration Bush.
Merkel a aussi pris fait et cause
pour que l’Allemagne obtienne un siège permanent au Conseil de sécurité
de l’ONU. « L’Allemagne est prête à assumer plus de responsabilité
en acceptant un siège permanent au Conseil de sécurité » a-t-elle déclaré,
puis elle a insisté sur le caractère urgent d’une telle mesure :
« Il n’y a pas de temps à perdre devant les diverses crises dont il
faut s’occuper ».
Elle a insisté pour dire que la
composition actuelle du Conseil de sécurité ne reflétait plus le monde
d’aujourd’hui. « Il n’y a pas d’autre alternative
que de l’adapter à la réalité politique », a-t-elle dit.
Le ministre allemand des Affaires
étrangères, Frank-Walter Steinmeier (SPD), a soutenu les efforts de Merkel. Il a
dit à des journalistes qu’il avait l’intention de parler des
ambitions allemandes « dans les couloirs » de l’ONU avec
autant de pays membres que possible.
L’ancien ambassadeur allemand
aux Nations-unies, Gunter Plüger, a lui aussi pris fait et cause pour que l’Allemagne
ait un siège permanent au Conseil de sécurité dans une interview donné à la
station de radio Bayerischer Rundfunk. Il a justifié cela par les interventions
militaires en nombre croissant menées par des troupes allemandes à travers le
monde. Il dit que la meilleure des décisions restait sans effet si elle
n’était pas mise en pratique. « Cela signifie que les Etats peu
nombreux qui ont les ressources nécessaires pour mettre à exécution une
décision du Conseil de sécurité, doivent y entrer. Et l’Allemagne et le
Japon en font sans aucun doute partie. »
Depuis la réunification de
l’Allemagne en 1990, le gouvernement fédéral a maintes fois exigé
l’obtention d’un siège permanent dans le cercle exclusif des cinq
puissances disposant d’un veto : les Etats-Unis, la Grande Bretagne,
la France, la Russie et la Chine. Il avait intensifié ses efforts dans ce sens
il y a deux ans lorsque le prédécesseur de Merkel, Gerhard Schröder, en accord
avec les gouvernements du Japon, du Brésil et de l’Inde, avait entrepris
une campagne internationale dans le but d’accroître le nombre des membres
permanents du Conseil de sécurité pour y faire figurer l’Allemagne, les
trois pays susnommés et deux pays africains.
Le plan avait échoué, les pays
africains ne pouvant s’entendre sur qui serait candidat à ces sièges. Le
Japon avait hésité et les Etats-Unis et la Chine avaient menacé de faire usage
de leur veto. Aucun vote final n’ayant eu lieu au Conseil de sécurité sur
la question, les Etats-Unis n’avaient pas eu à s’engager définitivement.
Le gouvernement allemand n’avait pas, jusqu’à ces deniers jours,
réitéré sa revendication.
De toute évidence, Merkel voit à
présent une chance de parvenir au but désiré. Dans son discours à l’assemblée
générale de l’ONU, le président américain Bush a indiqué qu’il
n’était pas opposé à un plan de réforme mais n’a fait nommément
état sous ce rapport que du Japon. Il a approuvé une entrée au Conseil de sécurité
« du Japon et d’autres » en tant que membres permanents.
Selon un article paru dans le
quotidien allemand Bild, Merkel fera le voyage du ranch texan de Bush en
novembre afin de rencontrer celui-ci en privé et tentera de récolter le soutien
du président américain pour l’obtention d’un siège permanent. Il
n’est guère probable que Bush acquiesce sans exiger quelque chose en
retour. Le prix d’un tel marché pourrait bien être alors
l’approbation de la part de l’Allemagne de sanctions renforcées et d’une
guerre contre l’Iran.
Changement de cap
Les menaces de Merkel vis-à-vis
de l’Iran indiquent un changement de cap dans la politique étrangère de
l’Allemagne. Jusqu'à présent Berlin avait oeuvré en faveur d’une
approche commune du Conseil de sécurité vis-à-vis de l’Iran et avait
cherché à éviter une rupture entre les Etats-Unis d’un côté et la Russie
et la Chine de l’autre, permettant ainsi à l’Allemagne d’osciller
entre les deux camps. Le gouvernement allemand avait aussi cherché à éviter une
escalade à cause de ses étroites relations commerciales avec l’Iran.
L’Allemagne est le plus important partenaire commercial de l’Iran.
Merkel n’est pas allée, à
New York, aussi loin que le président français Sarkozy, qui a, lui, appelé à l’imposition
par l’Union Européenne de sanctions contre l’Iran sans résolution
du Conseil de sécurité de l’ONU. Mais ses menaces et son agressivité vont
dans le même sens.
Sarkozy avait déjà parlé, il y a
quelques semaines, d’« alternative » entre « la bombe
iranienne et le bombardement de l’Iran ». Il a poursuivi ses propos
menaçants dans son discours devant l’assemblée des Nations-unies. Il
n’y aurait pas de paix dans le monde si la communauté internationale
faisait « preuve de faiblesse face à la prolifération des armements nucléaires »
a-t-il affirmé. L’Iran avait droit « à l’énergie nucléaire à
des fins civiles », dit-il en ajoutant : « mais en laissant
l'Iran se doter de l'arme nucléaire, nous ferions courir un risque inacceptable
à la stabilité de la région et du monde ». Il a aussi prétendu que tous
les experts du monde entier étaient d’accord pour dire que l’Iran
travaillait à une arme nucléaire militaire.
Ce changement de cap dans la
politique étrangère de Merkel est en partie du à l’offensive de Sarkozy. Jusqu’à
il y a quelques années, Paris et Berlin avaient cherché à s’opposer aux
Etats-Unis sur un pied d’égalité au moyen d’une politique étrangère
européenne commune. Ce projet a cependant largement échoué. L’accroissement
des tensions avec Washington eut pour effet, au lieu de rapprocher les deux
pays, d’intensifier les conflits historiques entre eux.
Les tensions à propos de la
politique économique et de la politique étrangère se sont accumulées depuis
l’entrée en fonction du gouvernement Sarkozy. La presse allemande est
depuis pleine d’articles incisifs et sarcastiques sur le « français
qui a la bougeotte».
Berlin a réagi avec indignation
aux efforts de Sarkozy pour établir une suprématie française sur le trust de
l’aérospatiale EADS, à sa campagne pour un monopole dominé par l’Etat
dans le domaine de l’énergie et du nucléaire, à ses attaques contre
l’indépendance de la Banque centrale européenne, ainsi qu’à ses
initiatives unilatérales de politique étrangère au Darfour, en Libye, au Liban
et en Irak.
Face aux tensions existant en
Europe, Sarkozy a inauguré, à l’encontre de la politique étrangère gaulliste
traditionnelle de la France, une politique plus étroitement liée à la politique
étrangère américaine.
L’hebdomadaire allemand Die
Zeit a conclu que Sarkozy « avait clairement fait connaître son
ambition d’être un des grands acteurs sur la scène mondiale » et a
cherché à expliquer ainsi son cours agressif vis-à-vis de l’Iran :
« Sarkozy réalise qu’il n’est plus possible d’empêcher
une escalade du conflit et il préfère surfer sur la vague »
Le gouvernement allemand suit le même
cours. Au vu des tensions montantes avec la Russie, qui affirme ses propres intérêts
avec une confiance croissante et avec la Chine (il y a peine une semaine la
rencontre de Merkel avec le Dalai Lama avait entrainé un fort mécontentement
côté chinois), Berlin a également décidé de serrer les rangs avec l’Amérique
et de « surfer sur la vague ».
En 2003 déjà, Angela Merkel avait
pris un cours différent de celui du chancelier d’alors, Gerhard Schröder.
La critique publique de la guerre en Irak par celui-ci avait conduit à un
refroidissement des relations avec les Etats-Unis. Après son entrée en fonction
en 2005, Merkel a cherché à établir des liens plus étroits avec
l’administration Bush.
Cette fois-ci elle va bien plus
loin. Ses menaces agressives vis-à-vis de l’Iran servent à renforcer les préparatifs
de Washington pour une attaque contre l’Iran. Bon nombre d’articles
de journaux ont déjà attiré l’attention sur l’état avancé des préparatifs
en vue d’un assaut militaire avant la fin du deuxième mandat de Bush, visant
à détruire les centrales nucléaires, les installations militaires et
l’infrastructure civile iraniennes.
L’affirmation, répandue
avant tout par Sarkozy, que des sanctions accrues empêcheraient une guerre en forçant
Téhéran à des concessions, n’est pas crédible. L’expérience de
l’Irak suffit à le montrer. Dans le cas de l’Irak on se servit des sanctions
imposées par les Nations unies à des fins de propagande pour la guerre ;
les sanctions eurent aussi pour rôle d’affaiblir l’Irak avant
l’attaque déclenchée par les Etats-Unis. En tout état de cause, les préparatifs
actuels des Etats-Unis pour une guerre contre l’Iran n’ont pas
grand-chose à voir avec le programme nucléaire de celui-ci et beaucoup à voir
avec ses vastes réserves pétrolifères et sa situation stratégique dans une région
contenant les réserves énergétiques les plus importantes du monde.
Il est significatif que Merkel
ait accompagné son rapprochement du cours de Bush vis-à-vis de l’Iran de
l’exigence d’un siège permanent pour l’Allemagne au Conseil
de sécurité. Derrière la formule maintes fois répétée que l’Allemagne est
prête à prendre « plus de responsabilité », il y a le fait que l’élite
du pays s’efforce une fois de plus de faire une politique de grande
puissance impérialiste et de l’étayer avec des moyens militaires.
A la suite des défaites qu’elle
a subies dans deux guerres mondiales, qui étaient principalement sa
responsabilité, la classe dirigeante allemande a dû, pendant des décennies, se
contenter de jouer un rôle modeste dans la politique mondiale. Elle espère à
présent qu’un siège permanent au Conseil de sécurité lui aidera à obtenir
une place dans le club réservé des grandes puissances impérialistes. Le fait
que, pour favoriser ce but, le gouvernement allemand soit prêt à soutenir ou à accepter
une guerre menaçant la vie de millions d’Iraniens, montre le caractère
criminel des ambitions de l’impérialisme allemand.