Les appels du ministre des Affaires étrangères, Bernard
Kouchner, à adopter une politique agressive contre l’Iran, sont source
d’inquiétude au sein de l’élite dirigeante française au moment où
la popularité du président nouvellement élu, Nicolas Sarkozy, baisse rapidement
dans les sondages. Certaines sections de la bourgeoisie française ne
s’inquiètent pas uniquement pour leurs énormes investissements en Iran,
mais aussi de ce que Sarkozy risque de miner son propre gouvernement en
devenant l’adjoint de l’administration Bush en matière de crimes de
guerre.
Dans l’émission de radio Le grand jury RTL du 16
septembre, Kouchner a dit qu’il était nécessaire de se préparer « au
pire » au sujet de l’Iran, ajoutant que « le pire, c’est
la guerre, monsieur. » Kouchner a révélé que l’état-major mettait des
plans au point en vue d’attaques contre l’Iran et a donné son aval
en disant, « il est normal que l’on fasse des plans. » Kouchner
a dit aussi que le gouvernement français déconseillait aux entreprises
françaises d’investir en Iran, et ce bien qu’elles y aient déjà des
investissements s’élevant à 30 milliards de dollars américains.
D’autres représentants du gouvernement ont ensuite
essayé de minimiser les remarques de Kouchner. Dans une interview télévisée le
20 septembre, Sarkozy a dit, « je n’aurais pas employé le mot
‘guerre’. » Néanmoins les remarques qu’il a ensuite
faites ont démontré que ce qui le préoccupait le plus c’était que
Kouchner ait vendu la mèche.
Sarkozy a ajouté, « l’Iran essaie de se doter de la
bombe nucléaire, » ce qu’il a qualifié d’ « inacceptable. »
Ces remarques ont été faites après son discours de politique internationale du
28 août dans lequel il avait déclaré que si les négociations visant à empêcher
l’Iran de se munir de l’arme nucléaire venaient à échouer, alors
les seules alternatives seraient « la bombe iranienne ou le bombardement
de l’Iran. » Sarkozy a à nouveau abordé le sujet dans son discours du 25
septembre aux Nations Unies en disant que l’arme nucléaire iranienne
serait « un risque inacceptable à la stabilité de la région et du monde. »
Kouchner a aussi rencontré la secrétaire d’Etat
américaine Condoleezza Rice lors d’un voyage de trois jours, du 19 au 21
septembre, à Washington. Un communiqué de presse français a dit que « la
situation régionale » au Moyen-Orient et le « dossier nucléaire
iranien » étaient « au cœur de leurs entretiens. » Dans un
contexte où des signes s’accumulent donnant à penser que des frappes
militaires américaines sur l’Iran sont imminentes, Rice a déclaré,
« Je pense qu'il n'y a, essentiellement, pas de différence dans la façon
dont nous [Paris et Washington] voyons la situation en Iran et sur ce que la
communauté internationale doit faire, et nous allons travailler dans ce sens. »
Tous ces commentaires ont perturbé certains parmi
l’élite dirigeante, notamment à l’intérieur du parti conservateur
au pouvoir, l’UMP (Union pour un mouvement populaire), qui craignent que
la politique de Sarkozy visant à défendre sans retenue les intérêts de la
bourgeoisie française – au moyen de coupes sociales massives contre les
travailleurs en France et d’une alliance militariste avec
l’impérialisme américain à l’étranger – ne devienne trop
apparente aux yeux de la population.
Dans une interview donnée le 23 septembre, l’ancien
premier ministre UMP (et rival de Sarkozy) Dominique de Villepin a dit
qu’il y avait « un rapprochement, parfois même un alignement sur
certaines positions de l’administration Bush » entre Sarkozy et
l’administration Bush. Il a fait remarquer que l’administration
Bush est « une administration finissante, qui s’est beaucoup trompée
en matière de politique étrangère » sur la question de l’Irak.
Villepin avait précédemment critiqué le gouvernement de
Sarkozy sur sa politique intérieure. Le 21 septembre il avait critiqué le
premier ministre François Fillon qui avait, le même jour déclaré de façon
quelque peu hystérique que la France était « en situation de faillite sur
le plan financier. » Tout en insistant sur le fait qu’il ne fallait pas
« faire de procès à François Fillon », Villepin avait fait remarquer
que les 15 milliards de réduction d’impôt en faveur de la tranche
d’impôt la plus élevée avait « aggravé la situation financière. »
Le 25 septembre, un autre ancien premier ministre UMP
Jean-Pierre Raffarin, avait aussi critiqué les propos de Fillon, les qualifiant
de « maladroits et inexacts. » Citant la ministre des finances Christine
Lagarde qui avait reconnu qu’elle poursuivrait une politique de
« rigueur » envers les travailleurs du secteur public, et citant les
propos de Kouchner et de Fillon, Raffarin avait dit « Rigueur, guerre,
faillite. Franchement, attention ! »
Néanmoins, le fait que le gouvernement reconnaisse être en
train de mettre en place une politique de rigueur, de guerre et d’imprudence
en matière financière est tout à fait juste. Ni Raffarin ni Villepin, qui ont
tous deux procédé à des coupes sociales lorsqu’ils étaient au pouvoir,
provoquant les grèves de grande envergure de 2003 contre le projet de réforme
des retraites de Raffarin et de 2006 contre la réforme du contrat de travail de
Villepin, n’ont critiqué l’orientation fondamentale de politique
intérieure de Sarkozy.
Il est à noter que Villepin a aussi traité de la politique
intérieure de la France le 23 septembre. Sur le projet visant à contraindre les
immigrés qui font une demande d regroupement familial à se soumettre à des
tests ADN, Villepin a dit, « Je pense que ce n’est pas
constitutionnel et je pense surtout que cela ne correspond pas à
l’histoire et à l’esprit de notre pays. Regardons les autres pays
qui pratiquent ces tests ADN. La Grande-Bretagne n’a pas du tout la même histoire
que nous, elle n’a pas connu les rafles. »
La référence de Villepin à la collaboration de l’Etat
français de Vichy avec l’Allemagne nazie durant la Deuxième guerre
mondiale, dans les rafles de juifs français et leur déportation dans les camps
d’extermination, était un appel de pied calculé en direction des sections
historiquement plus conscientes de l’élite française. En cultivant un
style de libéralisme libéré des formes de gouvernance plutôt sociale-démocrate
en vigueur en France, Sarkozy a développé des liens étroits avec le néofascisme
européen. Il est le premier président à avoir invité Jean-Marie Le Pen,
dirigeant du Front national néofasciste, au palais de l’Elysée. Il
entretient aussi des liens chaleureux, ainsi que des collaborations
littéraires, avec des « post-fascistes » italiens tels Gianfranco
Fini de Alleanza Nazionale (Alliance nationale.)
Ces avertissements viennent alors que les cotes de popularité
de Sarkozy et de Fillon baissent rapidement – respectivement de 8 et 7
pour cent pour tomber à 61 et 56 pour cent. La vitesse à laquelle elles chutent
est, de plus, bien plus significative que leur pourcentage élevé qui reflète la
capacité du gouvernement à présenter, de façon déloyale, ses projets de
réduction d’impôt et ses coupes sociales comme nécessaires et bénéfiques pour
tous. Mais ces pourcentages se révèlent creux eu égard à la forte opposition à
des sections-clé du programme gouvernemental, comme par exemple à la « TVA
sociale » (baisse des taxes patronales et financement des programmes
sociaux en augmentant la TVA) qui ne recueille que 30 pour cent
d’adhésion ou encore à la réduction du nombre de fonctionnaires (à
laquelle 61 pour cent s’opposent) et à présent aux préparatifs de guerre
contre l’Iran.
L’association d’une politique anti-immigrés et d’une
obéissance toujours plus servile à Washington dans la fomentation de la guerre
au Moyen-Orient, est particulièrement explosive en France où l’on trouve
une importante population musulmane et maghrébine. En droite ligne avec sa
politique du tout sécuritaire et sa politique basée sur l’identité
nationale, Sarkozy avait ciblé cette population lorsqu’il était ministre
de l’Intérieur sous Raffarin et Villepin. On se souvient comment, en
novembre 2005, lorsque deux jeunes s’étaient électrocutés en essayant
d’échapper à la police, la réaction insultante et dédaigneuse de Sarkozy
à cet événement avait contribué à déclencher, dans tout le pays, des
protestations et des émeutes principalement dans les quartiers à forte
population immigrée.