Cinq facultés de
l’Université du Québec à Montréal (UQAM) regroupant 18.000 étudiants
— près de la moitié de la population étudiante de l’université
— sont en grève cette semaine.
En Arts, le
débrayage est en vigueur depuis le 7 novembre et doit se poursuivre
jusqu’au 19 novembre. En Science politique et droit, en Sciences et en
Communication, la grève est prévue pour la période du 12 au 16 novembre. En
Sciences humaines, elle est en vigueur depuis le 6 novembre pour un temps
illimité.
La grève est en
partie une réponse à la grave crise financière de l’UQAM et aux intenses
pressions gouvernementales pour que ce soient les étudiants, les professeurs et
le personnel de soutien qui en paient le prix. Au coeur de cette crise se
trouve le sous-financement chronique dont souffre l’UQAM, autant que les
autres universités du Québec.
Comme
l’explique le professeur Eric Pineault de l’UQAM :
« A partir de 1996-97, les revenus perçus par l’UQAM,
essentiellement sous la forme de subventions, n’ont plus couvert
adéquatement ses coûts de fonctionnement. » En 1995, le gouvernement fédéral
a mis la hache dans les transferts sociaux aux provinces afin
d’équilibrer son budget. Le Québec, sous un gouvernement du Parti
québécois dirigé par le très conservateur Lucien Bouchard, a adopté une
politique similaire au nom du déficit zéro en 1996. « C’est
dans ce contexte, continue Pineault, que les revenus de l’UQAM ont
diminué et que les déficits courants ont explosé. »
Un facteur
additionnel des troubles financiers de l’UQAM, note Pineault, a été sa
participation au projet immobilier de l’îlot Voyageur, « un
projet en mode PPP [partenariat public-privé] ... dont le contrat est conçu
pour garantir les revenus du partenaire privé, Busac, en transférant tous les
risques au partenaire public, l’UQAM. »
Une des
principales revendications des étudiants en grève, telle qu’exprimée dans
la résolution adoptée par l’association des sciences humaines, est que
« soient clairement exclus du plan de redressement de l’UQAM
des solutions comme des augmentations de frais payés par les étudiants et les
étudiantes, des baisses de salaires, des coupures de programmes ou de
services ».
Mais la lutte
déclenchée par des milliers d’étudiants à l’UQAM n’a pas pour
seul enjeu les conditions particulières qui règnent à cette institution. Elle
est dirigée plus fondamentalement contre l’assaut tous azimuts lancé par
la classe dirigeante sur l’éducation et l’ensemble des programmes
sociaux. C’est ce qui explique les fortes tensions qu’elle
occasionne déjà.
Une trentaine de
policiers ont cherché lundi à intimider des étudiants qui avaient entamé un
sit-in devant un local où se trouvait Claude Corbo, unique candidat au rectorat
de l’UQAM et fervent partisan du plan de redressement. Les flics ont
escorté Corbo à l’extérieur dans un geste provocateur donnant lieu à des
altercations avec les étudiants, qui se sont soldées par trois arrestations et
des actes de brutalité policière.
L'escouade
anti-émeute est intervenue de nouveau quelques heures plus tard pour déloger
une centaine de manifestants qui s’étaient barricadés au deuxième étage
du pavillon Hubert-Aquin avec l’intention d’y passer la nuit. Comme
le note le site internet des étudiants en grève :
« L’occupation ... ne concernait qu’un espace modeste de
l’université (...). Les activités qui s’y sont tenues n’ont
pas compris de casse ou de geste qui mettraient en péril la sécurité des
personnes présentes à l’UQAM. Pourtant, l’occupation a été écrasée
dans une répression démesurée. »
La grève
partielle déclenchée à l’UQAM ne concerne pas seulement le plan de
redressement. « [O]n débraie également contre l’augmentation
des droits de scolarité », a expliqué Christian Dumont, de
l’association en Sciences politiques et droit. Le porte-parole étudiant a
pointé du doigt les frais dits afférents — notes de cours, casiers,
informatique, etc. — qui ont augmenté de 300 pour cent depuis 1993 dans
le réseau des universités du Québec, ce qui voudra dire cette année $112 de
plus en moyenne sur la facture refilée à chaque étudiant.
Une attaque
encore plus directe sur les étudiants a été annoncée en juin dernier par le
gouvernement du Québec, qui va faire sauter le plafond sur les frais de
scolarité ayant permis jusqu’ici de les maintenir à un niveau plus bas au
Québec que dans les autres provinces canadiennes.
Le gouvernement
libéral de Jean Charest va augmenter les frais de scolarité universitaires de
$100 par année pour chacune des cinq prochaines années, soit une hausse totale
de 30 à 40 pour cent. De plus, avec le dégel des frais de scolarité, la voie
est grande ouverte pour une augmentation encore plus drastique dans les années
subséquentes.
Les hausses de
frais condamnent les étudiants à une situation précaire. L’accès aux
études supérieures est de plus en plus difficile pour les jeunes de la classe
ouvrière. Ceux qui y parviennent doivent travailler pendant leurs études dans des
emplois à bas salaires ou recourir à des prêts et se retrouver endettés
jusqu’au cou.
Les mesures
draconiennes annoncées par Charest font partie de l’offensive frontale
lancée par les différents gouvernements de la grande entreprise contre les
étudiants et la population laborieuse. Depuis 1996, le Parti québécois (PQ) et
le Parti libéral du Québec ont coupé 300 millions de dollars dans le régime des
prêts et bourses. Le PQ, à lui seul, est responsable de coupures budgétaires en
éducation s’élevant à $1,9 milliard. Après avoir essayé en 1996 de
dégeler les frais de scolarité, le PQ soutient aujourd’hui le dégel
annoncé par les libéraux.
Les intérêts de
classe qui sous-tendent la ligne dure exigée par la classe dirigeante ont été
exprimés par le principal quotidien de l’establishment québécois, La
Presse, dans un éditorial publié le 26 octobre. « Devant un
gouvernement qui ... se tient debout », a écrit son rédacteur en chef,
André Pratte, « les étudiants n’ont pas le gros bout du
bâton. »
Pratte est co-signataire,
avec l’ancien premier ministre péquiste Lucien Bouchard, d’un
« manifeste pour un Québec lucide » qui préconise des mesures
radicales de droite, telles que la réduction de l’impôt sur le revenu et
l’augmentation des taxes à la consommation, une extension des
privatisations et des partenariats publics-privés, et la hausse drastique des
tarifs d’électricité résidentiels. L’augmentation des frais de
scolarité universitaires en fait également partie.
C’est
précisément en opposition à un tel programme, incarné aujourd’hui par le
gouvernement libéral de Jean Charest et ses plans de « réingénierie
de l’Etat », que les travailleurs québécois sont sortis massivement
dans les rues à la fin de 2003. Si le gouvernement Charest a pu alors survivre
politiquement, c'est grâce à l’intervention de la bureaucratie syndicale,
qui s’est empressée de mettre un terme à ce mouvement par de vagues
promesses de grève générale qu’elle a ensuite rapidement enterrées.
Pratte se
réjouit dans l’éditorial cité plus haut du fait que « La
hausse des droits décrétée par le gouvernement » serait
« passée comme du beurre dans la poêle ». En réalité, cette
mesure suscite une profonde colère dans les rangs étudiants. Même si une
association étudiante conservatrice comme la FEUQ (Fédération étudiante
universitaire du Québec) s’est montrée prête à céder aux demandes du
gouverment en déclarant vouloir « trouver une alternative au
gel », des votes de grève générale contre le dégel des frais de scolarité
ont récolté 16.000 voix dans plusieurs établissements post-secondaires du
Québec, dans le cadre d’une campagne qui devrait se poursuivre la session
prochaine.
La question clé,
toutefois, demeure celle de la perspective politique qui doit animer la lutte
des étudiants. Il faut tirer les leçons de la puissante grève étudiante du
printemps 2005. Celle-ci s’inscrivait dans le cadre de l’intense
opposition populaire au programme de droite préconisé par Pratte, Bouchard et
cie, et que le gouvernement Charest cherchait et cherche encore à mettre en
pratique. A cette occasion, les centrales syndicales se sont de nouveau rangées
du côté du gouvernement lorsque le président de la Fédération des travailleurs
et travailleuses du Québec, Henri Massé, a appelé les étudiants à faire des
« compromis ».
Cet acte de
sabotage a été facilité par la politique de protestation défendue par
l’assocation étudiante militante qui menait la grève, la CASSÉÉ. Sa
perspective d'un « syndicalisme de combat » s'est traduite par
une concencration exclusive sur l'élément déclencheur du mouvement de grève
— une coupure de $103 millions dans le régime de bourses — sans
faire le lien avec l'assaut général sur les programmes
sociaux et la nécessité d'une lutte politique contre la guerre de classe menée
par toute l'élite dirigeante.
Alors que les
étudiants commencent de nouveau à se dresser contre les mesures de libre-marché
et de démolition sociale de la classe dirigeante, il est crucial de ne pas
répéter les mêmes erreurs qu’en 2005. La lutte contre le dégel des frais
de scolarité ne doit pas se limiter à un mouvement de protestation centré sur
cette seule question. Elle doit être élargie à un appel large aux vastes
couches de la population laborieuse également touchées par l’assaut
patronal sur les programmes sociaux, les salaires et les emplois. A la
subordination de l’économie aux profits d’une minorité, il faut
opposer la lutte pour réorganiser la société afin de satisfaire les besoins
sociaux de la majorité et établir l’égalité sociale.