L'Union européenne
a supprimé les derniers obstacles à l'établissement d'ici 2011 d'une
concurrence sans entraves sur le marché postal qui représente 88 milliards d'euros.
L'accord entre les entreprises de postes européennes permettra à tout opérateur
privé d'acheminer des courriers de moins de 50 grammes. Seuls trois pays
– la Suède, la Finlande et le Royaume-Uni – ont été complètement
libéralisés.
L'un des principaux
points de désaccord concernant l'échéance de 2011 était l'Obligation de Service
Universel (OSU). Les grandes entreprises se sont battues longtemps et âprement
pour l'abolition de ce prétendu « domaine réservé » grâce auquel les
opérateurs nationaux gardaient un monopole sur les lettres de moins de
50 grammes en Europe. Les monopoles nationaux dans ce domaine réservé
assuraient par le passé à tout citoyen de l'UE d'avoir son courrier relevé et
distribué au moins une fois par jour, cinq jours par semaine. Les opérateurs
privés vont maintenant pouvoir entrer sur ce marché lucratif, constitué à 85 pour
cent de courrier d'affaires, en écumant les zones les plus rentables sans avoir
à se conformer à l'OSU. Cela va rendre l'obligation de respecter l'OSU encore
plus coûteuse pour les opérateurs publics et entraînera inévitablement son
abandon.
La lutte du grand
capital européen pour privatiser les principaux opérateurs publics a débuté sérieusement
en 1997 quand l'UE a voté sa directive, amendée en 2003, qui demandait à chaque
état membre d'ouvrir ses services publics postaux à la concurrence. Ce
processus de privatisation est le principal facteur dans les attaques massives
menées contre les employés des postes en Europe.
Les deux pays qui
ont servi de modèle pour la privatisation sont la Suède et l'Allemagne.
La
Suède et l'Allemagne
La Suède a mis un
terme à son monopole national en 1993 – deux bonnes années avant de
rejoindre l'UE. Posten AB a été complètement restructuré pour être compétitif
face à son principal rival, Citymail. Depuis les années 1990, des pertes
d'emplois massives ont eu lieu, réduisant la main-d'œuvre de 72 000 à
38 000. La proportion des travailleurs à temps partiel a aussi augmenté
jusqu’à représenter presque un tiers.
Le chemin de l'Allemagne
vers la privatisation a commencé au début des années 80, quand le marché des
colis d'affaires express fut ouvert à la concurrence. La Bundespost fut alors
séparée en trois entreprises, comme au Royaume-Uni.
Cependant, la
première intrusion significative de la privatisation dans les postes allemandes
se fit avec la directive de 1997 appelant à la libéralisation du réseau postal
européen. En 2003, le courrier transfrontalier fut ouvert à la concurrence. Le
marché allemand valait 23 milliards en 2006, et 75 pour cent de ce marché étaient
ouverts à la concurrence. Entre 1992 et 2006, Deutsche Post AG a réduit son
personnel de 306 151 à 150 548 employés.
La
Grande-Bretagne
La dérégulation sur
le continent a amené le gouvernement travailliste et la Royal Mail à
intensifier leurs efforts pour privatiser entièrement le réseau anglais. Les
employés des postes britanniques sont actuellement impliqués dans une rude
bataille pour défendre les salaires et les conditions de travail contre le
projet d'imposer « la flexibilité totale », avec la perte de
40 000 emplois et des réductions substantielles sur les retraites.
En 1986, le Post
Office fut divisé en quatre entreprises distinctes. L'une d'elles, Royal Mail,
fut par la suite restructurée en 1992, passant de 64 districts postaux à neuf
divisions, avec des pertes d'emplois importantes.
En 1999, Peter
Mandelson, secrétaire au Commerce du gouvernement travailliste a mis en place
une nouvelle structure commerciale, qui engageait « le train de réformes
le plus radical depuis la création du Post Office moderne en 1969. »
Le gouvernement
travailliste a ouvert les services postaux anglais à la concurrence totale le 1er
janvier 2006 – avec trois ans d'avance sur l'échéance fixée par la
directive européenne de 1997. Le gouvernement travailliste a poussé la
privatisation des services postaux avec encore plus de détermination que le
gouvernement conservateur auquel il succédait.
La
Belgique et la Pologne
Comme beaucoup
d'autres opérateurs nationaux, De Post en Belgique avait un monopole d'état,
organisé en entreprise publique sous le contrôle du gouvernement fédéral. En
1991, elle est devenue autonome. Ce changement a préparé le terrain pour sa
transformation en compagnie à responsabilité limitée en 2000. En 2005, les actionnaires
privés ont pu entrer dans le capital, l'Etat belge conservant 50 pour cent des
parts. Dès lors, De Post a suivi le calendrier de la libéralisation de l'UE.
La poste belge (La
Poste/De Post) subit une restructuration majeure depuis 2000. La compagnie
avait tôt reconnu qu'elle devait mener une réduction massive des coûts et de la
main d'œuvre. À cette fin, la direction a introduit le logiciel
Géoroute en 2002. Ce programme canadien vise à rationaliser la distribution du
courrier en optimisant les tournées, ce qui demande moins de
personnel. Cela avait provoqué un grand nombre de grèves en 2003, 2004 et
2006, contre une augmentation importante de la charge de travail et la perte de
2500 emplois.
Vers la fin 2005,
La Poste/De Post a procédé à la seconde étape de sa mise à niveau
technologique, Géoroute 2, et 1000 emplois supplémentaires furent supprimés. La
Belgique s'est récemment abstenue sur le nouvel accord européen.
Sous le contrôle
des staliniens, Poczta Polska était un monopôle d'état, contrôlé à 99,1 pour
cent par le gouvernement. Bien que l'opérateur public n'ait pas été
formellement privatisé, il a dû entrer en concurrence avec un nombre croissant
d'opérateurs privés, dont TNT et DHL. De 1994 à 2005, le nombre d'opérateurs
privés en Pologne est passé de 15 à 113.
Une
offensive mondiale
La mondialisation du
commerce et de l'industrie a miné les monopoles postaux étatiques et les a
forcés à être en compétition avec des concurrents internationaux, sur les
marchés locaux et les marchés étrangers. L'énorme développement des emails a
entraîné une tendance internationale à la réduction des coûts et à la création
de nouveaux marchés pour les livraisons de paquets via les achats sur Internet.
La moitié de la population en Europe dispose maintenant d'une connexion à
Internet et a accès à une boîte aux lettres électronique.
Les réseaux postaux
nationaux étaient liés à une étape précédente du développement du capitalisme.
Comme l'expliquait une communication à la récente Conférence de l'Uni Syndicat Global
des Postes, à Athènes, « Alors qu'à ses débuts, le service postal régulier
était utilisé principalement par les familles de nobles et de commerçants pour
envoyer des informations (et transporter des gens en voiture des postes) entre
les Etats, durant le 19ème siècle, les services postaux se sont
développés en un réseau dense à l'échelle du pays pour l'acheminement de
documents écrits et de marchandises.
« Avec le
développement des notions de l'Etat moderne basé sur la cohésion sociale, la
garantie d'infrastructures efficaces comme l'eau courante, l'électricité
domestique, les routes et les services postaux ainsi que l'accès général du
public à ces réseaux devinrent une tâche centrale des gouvernements. Afin de
permettre à ces services d'être administrés économiquement en transportant des
quantités suffisantes et aussi de permettre un financement croisé entre les
parties rentables et non rentables du service, ces entreprises publiques furent
protégées de la concurrence. Munis de droits exclusifs, ces monopoles avaient
l'obligation dans leurs conditions de vente d'offrir leurs services à travers
tout le pays à tous les citoyens à un prix uniforme et bas. Ce lien entre
une obligation de fournir un service universel faisant partie des devoirs de l'Etat
et l'exclusion de la concurrence fut longtemps accepté comme un déficit
nécessaire par le corps politique et la société dans son ensemble en ce qui
concerne les infrastructures et particulièrement la poste. »
Les gouvernements
et les grandes entreprises ne sont plus prêts à accepter de tels « déficits
nécessaires ». Pour réduire les dépenses publiques – sous la forme
de subventions – et pour permettre aux anciens services publics d'être en
concurrence sur un marché international, les services postaux à travers
l'Europe doivent être « libéralisés ».
Le résultat final
ne sera pas une industrie harmonieuse des télécommunications à l'échelle
européenne. La bourgeoisie européenne est incapable de mener à bien un
développement aussi progressiste et nécessaire. Le plan de l'UE va plutôt
ouvrir la voie à une compétition fratricide dans cette industrie postale. En
février de cette année, la commission européenne a lancé une enquête sur le
financement, par le gouvernement britannique, de Royal Mail à travers des prêts
non-commerciaux, et ce suite à des plaintes déposées par ses principaux
concurrents européens, Deutsche Post et TNT.
Le coût de la
privatisation sera supporté par les employés des postes – par la perte de
leur emploi, ainsi que les attaques sur leurs salaires et leurs conditions de
travail – et par la population dans son ensemble.
D'après Jon
Pedersen de l'Uni-Europe (représentant les syndicats à travers toute l'Europe),
« Dix ans de libéralisation des postes en Europe ont signifié jusqu'ici
moins de bureaux de poste, moins de boîtes aux lettres et de plus grandes
distances pour y accéder. Pour les travailleurs du secteur des postes, cela a
signifié moins d'emplois, des contrats précaires et une compétition à la baisse
sur les salaires – le dumping salarial. Tout cela est à l'opposé des
promesses de l'UE. »
En conséquence de
la privatisation en Suède, 25 pour cent des bureaux de postes ont fermé et,
comme mentionné plus haut, des milliers d'emplois ont été supprimés dans les
postes. En Italie, les emplois sont tombés de 220 000 à 150 000,
tandis qu'à Deutsche Post, ils ont été réduits de moitié. En Hollande, TNT
Post, l'opérateur historique, annonce qu'il supprime 7000 emplois et gèle les
salaires. En Nouvelle‑Zélande, le même processus a entraîné la disparition
de 43 pour cent des emplois.
Les plaintes de
Pedersen mises à part, les syndicats à travers l'Europe ont permis à l'UE et
aux entreprises et gouvernements nationaux respectifs de mettre leurs plans en
œuvre. Dans chaque pays, les dirigeants des divers syndicats acceptent les
attaques exigées par les employeurs sur les emplois et les conditions de
travail des employés des postes. Les trahisons des grèves telles que celle qui
se déroule actuellement en Angleterre n’ont pas uniquement pour cause de
mauvais dirigeants syndicaux. La dégénérescence des vieilles organisations
ouvrières est le résultat de leur programme et de leur organisation
nationaliste et réformiste.
Quand la production
était principalement organisée à l'intérieur des frontières nationales, il
était possible d'extraire certaines concessions de la part des employeurs au
moyen de grèves et de manifestations, sans remettre en cause le cadre
fondamental du système capitaliste. Aujourd'hui, la bureaucratie syndicale a
abandonné une telle lutte en réponse directe à la capacité des grandes
entreprises à s'organiser mondialement.
Les postiers
d'Europe et internationalement ont un intérêt en commun – la défense de
leurs emplois, salaires et conditions de travail contre la course perpétuelle à
accroître la valeur des actions et les parts de marché. Ceci est lié à la
réorganisation de la société sur la base de fondements économiques entièrement
neufs, où les besoins de la société sont le principe fondamental. C'est
pourquoi la question vitale à laquelle sont confrontés les postiers est la
construction d'un nouveau parti véritablement socialiste, qui cherche à unir
les travailleurs à travers le continent indépendamment des vieilles
bureaucraties ouvrières et syndicales.