Le 21 octobre dernier, les Polonais ont clairement exprimé un
vote sanction contre le gouvernement de droite de Jaroslav Kaczynski lors des
élections législatives. Le PiS, le parti de Kaczynski, (Droit et Justice) a
remporté 32,2 pour cent des suffrages, soit une augmentation de 5,2 pour cent
par rapport aux législatives de 2005. Mais ses deux alliés de coalition, le
parti droitier populiste, Samoobrona (Parti paysan), avec 1,5 pour cent des
suffrages ainsi que le LPR (Ligue des familles polonaises) avec 1,3 pour cent
des suffrages n’ont pas réuni assez de suffrages pour retourner à la
Diète (le parlement polonais). Le camp gouvernemental a perdu au total 11,4
pour cent des suffrages par rapport à 2005.
La Plateforme libérale (PO), en particulier, a pu profiter de
la forte baisse du soutien aux partis au pouvoir. Le PO a recueilli au total
41,4 pour cent des suffrages, une augmentation de 17,3 pour cent par rapport à
2005. Le LiD, (Gauche et Démocrate)a augmenté
son score de 1,9 pour cent pour remporter 13,2 pour cent des suffrages. En
2005, le parti le plus important de l’alliance nouvellement formée, le
SLD (Alliance de la gauche démocrate), successeur de POUP ( le Parti communiste
polonais) a essuyé une défaite cuisante. Le PSL (Parti populairepolonais),basé dans
les zones rurales, le seul parti présent dans tous les gouvernements polonais de
l’après-communisme a augmenté de 1,9 pour cent pour remporter 8,9 pour
cent des suffrages.
La participation de 55 pour cent a été la plus élevée depuis
1991. En particulier, des jeunes et des travailleurs se sont servis de ces
élections pour se débarrasser d’un gouvernement largement détesté. Le
PiS, a enregistré ses pires résultats chez les jeunes Polonais et dans les
grandes villes. Le week-end du vote, les jeunes Polonais ont envoyé une
avalanche de messages SMS demandant simplement « Il faut priver Mamie de
son passeport », un message codé visant à empêcher la réélection des Kaczynski.
Le PO a annoncé qu’il était prêt à former une coalition
avec le PSL, qui a fait partie de presque toutes les coalitions au pouvoir
depuis 1989, mais qui a tout aussi souvent quitté le pouvoir de gré ou de
force. En outre, ni le PO ni le PSL ne disposent d’une majorité de 60
pour cent leur permettant de passer outre le veto du président Lech Kaczynski,
frère jumeau de Jaroslav Kaczynski. Lech Kaczynski a été élu en 2005, lors
d’un vote séparé. Pour cette raison, le PO serait soit obligé de
s’allier avec le PiS, une éventualité qui avait été ouvertement évoquée
avant les élections, ou serait obligé de s’unir avec les anciens
staliniens du LiD pour mettre le président en minorité.
La campagne agressive
du PiS
Les résultats clairs de l’élection sont significatifs
quand on considère la campagne électorale agressive menée par le PiS qui a très
peu à voir avec des pratiques démocratiques établies. Au tout début de la
campagne, le gouvernement a utilisé la police, les services secrets et la
presse contre ses concurrents.
En juillet dernier, le premier ministre Kaczinski avait
organisé un coup monté avec l’organisme qu’il avait créé, le CBA (Centralne
Biuro Antykorupcyne – Bureau central anticorruption) pour se débarrasser
de son vice-premier ministre, le secrétaire à l’Agriculture, Andrzej
Lepper, en même temps que de Samoobrona et que du LPR. Il a ensuite annoncé de
nouvelles élections et il a formé un cabinet de minorité avec des loyalistes de
la majorité, qui se sont occupés des affaires courantes de l’Etat pendant
la campagne électorale.
Le CBA est un organisme disposant de larges pouvoirs de police
et de renseignements et relevant directement du ministre de la Justice. Le CBA
a le pouvoir de collecter des données, sur tous les citoyens polonais des services
officiels, des compagnies de téléphone et d’assurance et les informations
recueillies sont gardées pour une durée indéterminée. Le CBA a également eu
recours à des opérations de surveillance étendues par exemple des perquisitions
brutales de domiciles.
Suite au sentiment de malaise causé par le licenciement de
Lepper au sein de son propre parti, Kaczynski a renvoyé brusquement le
directeur du CBA, Zbigniew Rau ainsi que le ministre de l’Intérieur,
Januzz Kaczmarek. Tous deux étaient accusés d’essayer d’empêcher
l’opération de surveillance contre Lepper. Le CBA a immédiatement reçu
l’ordre d’effectuer une perquisition chez Kaczmarek et
d’arrêter ce dernier. Les images de l’arrestation ont été filmées
et montrées à la télévision. Peu de temps après, le ministre de
l’Intérieur a été libéré faute de preuves.
Au cours de la campagne, Kaczynski s’est acharné contre
le PO. Juste avant le jour du scrutin, les chaînes publiques polonaises de
télévision, TVP 1 et 2 ont diffusé à une heure de grande écoute une conférence
de presse du CBA dans laquelle on voyait l’ancienne députée du PO
accepter un pot de vin. Une nouvelle fois, cette « affaire de
corruption » avait été montée de toutes pièces par le CBA. Il apparaît que
le PiS avait travaillé en étroite collaboration avec le CBA pour déclencher un
scandale de corruption qui aurait pu être révélé au grand jour juste avant
l’élection.
L’étroite collaboration entre la télévision nationale et
le gouvernement a été scellée par une des premières initiatives officielles du
gouvernement PiS : une modification de la loi sur l’audio-visuel qui
donnait au gouvernement un contrôle étendu de la presse. Le président du TVP
est un ami proche des frères Kaczynski et il a organisé une campagne de presse,
présentée comme une « combat contre la corruption ».
Sur la base de l’union malsaine entre la presse et
l’Etat, il est fort possible que les nombreux sondages d’opinion
réalisés récemment et indiquant toujours un soutien majoritaire des électeurs
pour le PiS aient été en vérité manipulés par le gouvernement.
Cependant, l’usage de l’appareil d’Etat
contre toute opposition n’a pas suffi à protéger le gouvernement en place
contre un vaste sentiment de rejet. La tentative du gouvernement
d’utiliser la religion en même temps qu’un nationalisme exacerbé
grâce à une coalition avec l’extrême droite pour imposer des formes
autoritaires de gouvernement a été vouée à l’échec et a amené un rejet du
PiS dans les urnes.
Depuis toujours, la base électorale du PiS est très limitée.
En 2005, lors de la victoire électorale du PiS, seulement un électeur sur dix
avait voté pour ce parti. Mais, grâce à un taux d’abstention très élevé,
ceci avait été suffisant pour que le PiS puisse former une majorité de droite à
la Diète. Nombre d’électeurs étaient très mécontents de la politique
corrompue et néo-libérale du SLD (l’ancien parti post stalinien) et
s’en était éloignés, faute de solution alternative. Depuis 1989, aucun
gouvernement en place n’a été réélu en Pologne.
L’électorat du PiS se rencontre surtout dans les zones
rurales reculées de l’est de la Pologne et au sein d’une catégorie
de nouveaux riches dont l’ascension sociale avait été contrariée par
l’ancien régime stalinien. En dépit de leur démagogie sociale lors de la
campagne électorale de 2005, les frères Kacynski n’ont pas été en mesure
de tenir la moindre de leurs promesses. Au lieu de cela, le gouvernement a
suivi une politique budgétaire identique à celle de ses prédécesseurs, en se
contentant d’opérer quelques changements superficiels.
A la crise gouvernementale qui a amené les dernières élections
vient s’ajouter une grève de plusieurs semaines des médecins et des
infirmières qui a duré plusieurs semaines. Cette grève a été soutenue par la
majorité des Polonais. De leur côté, les cheminots et les mineurs ont annoncé
leur intention de se mettre en grève. Alors que les grandes entreprises
annoncent une augmentation énorme de leurs bénéfices (leur bénéfice a, en
moyenne, augmenté de 30 pour cent au cours des deux dernières années), les
travailleurs réclament un salaire suffisant pour pouvoir nourrir leur famille.
A Kielce, le gouvernement local a même utilisé les services d’une
entreprise privée pour expulser de leur dépôt les conducteurs de bus grévistes
parce qu’il n’était pas possible de compter sur la police locale.
Dimanche dernier, les électeurs ont rejeté sans équivoque le
gouvernement et sa politique dans un contexte où les frères Kaczynski ne
pouvaient plus dissimuler des tensions sociales sous un discours nationaliste
et religieux.
Le nouveau
gouvernement
Avant toute chose, la victoire électorale du PO, est due à un
rejet des frères Kaczynski. A l’instar des autres partis
d’opposition, le PO n’a pas mené une campagne électorale
particulièrement énergique. Après l’éviction de Samoobrona et de la LPR,
l’opposition aurait à tout moment pu mettre le gouvernement de Kaczynski
en minorité au moyen d’une motion de censure, mais ils s’en sont
bien gardés.
Il a fallu attendre la semaine avant les élections pour que le
candidat tête de liste du PO, Donald Tusk, ne cherche à accorder ses violons
avec la population et qu’il n’affiche clairement son opposition au premier
ministre Kaczynski lors d’un débat télévisé. Auparavant, le PO
s’était contenté d’insister sur la nécessité d’une
transformation néo-libérale de l’économie polonaise, en s’associant
éventuellement avec le PiS.
On peut expliquer cette timidité par le programme social du
PO. Tout comme le PiS, ce parti représente les intérêts de la petite couche
riche du pays, qui sont diamétralement opposés aux intérêts des Polonais en
général. A l’instar de Kaczynski, Tusk craint beaucoup plus d’une
mobilisation contre la politique économique de cette élite qu’une défaite
électorale.
La principale revendication du PO a été la mise en place
d’un taux forfaitaire d’imposition de 15 pour cent (ce qui signifie
une redistribution considérable de la richesse sociale en faveur des riches ou
des très riches). Même le weekend des élections, Tusk a saisi l’occasion
de réduire encore plus le budget social qui était déjà minuscule.
Si en Europe occidentale, Tusk a bien été reçu dans les
milieux politiques et dans la presse grâce à ses positions pro-européennes,
ceci est bien plus dû à ses objectifs économiques qu’à une quelconque
rupture avec un nationalisme polonais grossier. Tusk veut faire de la Pologne
un paradis pour les investisseurs étrangers. Son objectif affiché est
l’introduction rapide de l’euro en Pologne. Pour ce faire, il est
indispensable de réduire la dette nationale annuelle à moins de 3 pour cent du
PNB. Cet objectif ne peut être atteint qu’au moyen de coups brutaux
contre les acquis sociaux de la classe ouvrière.
En fait, le PO n’est que peu différent du PiS et avant
les dernières élections en 2005, une coalition PO/PiS semblait imminente.
Après les dernières élections, Tusk a insisté sur la continuité entre la
politique de son parti et celle de ses prédécesseurs, encore une fois, une
coalition de son parti avec le PiS est tout à fait probable. Le PO et le PiS
sont tous les deux issus de l’AWS (Alliance électorale Solidarité de la droite)
suite au discrédit du PiS après 4 années au pouvoir sous la direction du premier
ministre Jerzy Buzek (1997-2001). Le gouvernement Buzek avait réduit les
retraites, démantelé la sécurité sociale et imposé de larges privatisations. A
cette époque, Tusk et Kaczynski siégeaient côte à côte sur les bancs du
gouvernement.
Le PO n’a nullement l’intention d’abroger
les lois antidémocratiques instaurées par le PiS. Lors des élections
présidentielles de 2005, Lech Kaczynski, tout comme Tusk, se sont présentés
comme les héritiers du dictateur polonais et soutien d’Hitler, Jozef
Pilsudski. En 1992, Tusk a écrit dans le journal Trybuna que
s’il cela s’avérait nécessaire, toute résistance des Polonais à la
politique de libre marché devrait être combattu par la matraque ou la carabine.
De même, le PO ne souhaite pas dissoudre le CBA ni
d’abroger les lois sur l’audiovisuel des frères Kaczynski. Il voit
en les lois instaurées par le PiS un préliminaire nécessaire à la mise en place
de sa politique néo-libérale. A cet égard, il existe une sorte de répartition
entre le rôle du nouveau gouvernement et le rôle de l’ancien
gouvernement. Alors que le gouvernement renforce l’appareil d’Etat
avec le soutien des milieux conservateurs, Tusk et le PO sont occupés à
utiliser de tels pouvoirs pour servir l’élite.
Il est très difficile de réaliser à quel point
l’élection du PO est liée à des illusions de la part de la classe
ouvrière quant à l’amélioration de leur niveau de vie. La majorité des
électeurs ont soutenu le PO parce qu’était le meilleur moyen de se
débarrasser des Kaczynski. De toute façon, la victoire électorale du PO présage
d’une intensification de la lutte des classes en Pologne. De futures
confrontations avec les mineurs, avec les cheminots et avec les professionnels
de santé se profilent déjà à l’horizon.
(Article original anglais paru le 24 octobre 2007)