Jeudi, au troisième jour de la grève, massivement suivie, contre les
attaques sur les retraites préparées par le gouvernement gaulliste du président
Nicolas Sarkozy, des assemblées générales de cheminots se sont tenues dans
toute la France et ont voté, à une écrasante majorité, la reconduction et
l’amplification de la lutte.
Ces votes sont l’expression du rejet des trois piliers principaux de la
réforme: l’allongement de la durée de cotisation, de 37,5 annuités à 40, pour
pouvoir jouir d’une retraite à taux plein, la décote en cas de retraite
anticipée et l’indexation des retraites sur les prix et non plus sur les
salaires, ce qui était plus avantageux.
Les travailleurs qui participaient à ces assemblées générales ont exprimé
une grande méfiance vis-à-vis des actions entreprises par les directions
syndicales et un ressentiment tout particulier envers la proposition de Bernard
Thibaut, secrétaire général de la CGT (Confédération générale du travail)
qu’il y ait des négociations branche par branche dans le cadre de la
réforme. Cette proposition revient, de fait, à reconnaître la destruction des
régimes spéciaux (retraites spéciales accordées de longue date aux travailleurs
dans des métiers particulièrement pénibles) et à collaborer à la mise en place
de la réforme de Sarkozy.
Le WSWS a participé à une assemblée générale de grévistes à la Gare du Nord,
à Paris. Il s’y trouvait des conducteurs de train, du personnel
d’accueil, des contrôleurs et aussi une délégation des ateliers Le Landy de
la Seine-Saint-Denis, au nord de Paris.
Etaient présents des membres de la CGT (syndicat majoritaire chez les
cheminots), Sud Rail et Force ouvrière, respectivement les second et troisième
syndicats, ainsi que des membres de l’UNSA (Union nationale des syndicats
autonomes, proche du Parti socialiste) et des travailleurs non syndiqués.
Lecture a été faite des comptes-rendus des différents sites de la région
parisienne, où entre 60 et 100 pour cent de travailleurs étaient en grève.
Nazima de la CGT, qui joue un rôle important dans l’organisation des
assemblées générales, a dit qu’elle avait reçu un coup de fil de l’Université
de Tolbiac, où les étudiants sont en grève contre l’ouverture des
universités aux entreprises privées, appelant les cheminots à ne pas abandonner
la lutte. Elle a exprimé sa révolte quant à l’envoi de CRS la veille pour
disperser les étudiants de l’Université de Nanterre à coups de matraque,
qualifiant cet acte de « grosse erreur du gouvernement. »
L’assemblée générale a voté la poursuite de la grève jusqu’au
lendemain. Il y a eu trois abstentions.
L’assemblée a aussi voté la mise en place d’un comité de grève
dont la tâche serait d’organiser les piquets de grève et
d’amplifier le mouvement, notamment auprès des travailleurs de la RATP
(Régie autonome des transports parisiens, bus et métro) et des travailleurs de
EDF et GDF (Electricité et Gaz de France) dont les régimes spéciaux de retraite
sont également attaqués par le gouvernement.
Le comité travaillerait aussi à gagner le soutien du public et à contrer la
machine de propagande de Sarkozy, qui jouit du soutien entier des médias.
La veille, les grévistes de la Gare du Nord avaient voté à l’unanimité
une motion qui a ensuite largement circulé dans toute la France et qui a été adoptée
dans de nombreuses assemblées générales. Cette motion a été soumise une
nouvelle fois pour servir de base de réponse à une lettre envoyée par Xavier
Bertrand, le ministre du travail, le 14 novembre, invitant les syndicats à des
négociations. La lettre de Bertrand a été rejetée par tous les intervenants à
l’assemblée générale car elle ne propose aucunement le retrait des trois
piliers de la réforme.
Au sujet de la proposition faite au gouvernement par le leader de la CGT,
Bernard Thibaut, un travailleur a fait remarquer : « Qu’est-ce
cela nous apporte ces négociations tripartites [entre la direction des
entreprises publiques, les syndicats et des représentants du gouvernement] ? Il
n’y a aucune garantie. »
Ce qui est très significatif, c’est la décision prise de faire
parvenir cette motion à tous les cheminots de France, mais aussi de
l’envoyer aux dirigeants des syndicats de cheminots qui se réunissaient à
16h30 jeudi après-midi pour discuter des suites à donner à l’invitation
de Bertrand.
La motion déclare : « Nous refusons le passage de 37.5 ans à 40
ans de cotisations, les décotes et l’indexation des pensions sur les prix
plutôt que sur les salaires. »
La motion insiste pour que les directions syndicales ne signent pas
d’accords avec le gouvernement sans le consentement de la base. « Nous
exigeons d’être consultés pour toute décision qui engagerait notre avenir
et d’être informés du contenu des discussions à chaque étape », dit
la motion. « Nous nous déclarons opposés à toute négociation entreprise
par entreprise. »
Plusieurs participants au débat ont fait remarquer que la lettre de Bertrand
proposait des négociations dans les différentes entreprises sur une durée
d’un mois laissant entendre que la grève se prolongerait d’autant, et
ce, afin d’épuiser le mouvement.
Monique a critiqué la direction de la CGT pour vouloir négocier entreprise
par entreprise quand « le gouvernement n’a rien cédé sur les trois points
essentiels. Un mois de négociations, c’est un mois de grève pour
rien. »Elle a fait remarquer qu’« il y a un divorce
entre les syndicats et la base qui veut se bagarrer et qui veut le retrait de
la réforme. »
Un travailleur qui ne portait pas de badge syndical a dit : « Je
m’attendais à ce que les directions syndicales organisent quelque chose
de plus costaud. La manifestation d’hier a été organisée au dernier
moment. Nous sommes aujourd’hui dans une situation charnière. Sarkozy
joue aux chaises musicales avec les syndicats. La seule solution : il faut
communiquer. Les AG sont souveraines. Il faut gagner la population et leur
dire : "Nous sommes dans la bataille avec vous sur le pouvoir
d’achat. Nous ne sommes pas des privilégiés." »
Il s’est opposé au blocage des TGV (Train à grande vitesse) disant que
cela faisait le jeu de ceux qui voulaient représenter les cheminots comme des
Khmers rouges.
D’autres travailleurs ont fait remarquer qu’il était essentiel
de faire des piquets de grève pour empêcher la reprise du travail et de stopper
les trains afin d’amplifier le mouvement. Un guichetier a dit
qu’ils avaient déjà mis en place un piquet de grève à 6 heures du matin
pour que les bureaux restent fermés.
Le WSWS a parlé avec Nazima, représentante de la CGT conducteurs, avant
l’assemblée générale. Elle a dit, « Nous on veut vraiment contrôler
le mouvement. Hier c’était entre 70 pour cent à 80 pour cent de
taux de grévistes et aujourd’hui c’est le même taux. Ce que nous
essayons maintenant, c’est de faire la jonction avec le maximum de monde
et faire que le mouvement ne soit pas dispersé. On n’accepte pas
d’être appauvris. Ce qu’on veut, c’est qu’il n’y
ait pas de négociations en douce dans notre dos. »
« Moi, je veux bien respecter la direction de la CGT, mais il faut aussi
qu’ils nous respectent et on n’est pas une masse de
main-d’œuvre. Nous ne voulons pas aider Sarkozy à mettre sa
réforme en place. Aujourd’hui, il y a des étudiants, la RATP, EDF-GDF. Nous
ne voulons pas d’entourloupe et qu’on casse le mouvement. »
« Nous n’arrêterons pas jusqu’à ce qu’on ait le
retrait de la réforme. Bernard Thibault a dit qu’il ne négocierait pas
dans le cadrage du gouvernement. J’espère qu’il ne change pas.
S’il discute, cela ne peut pas être sur la base d’accepter les 40
ans et la décote. C’est inacceptable. Il ne faut absolument pas
qu’il cède sur cela. »
René-Claude, travailleur non syndiqué sur les trains de banlieue de la SNCF
a dit : « L’élément auquel je suis le plus opposé, c’est
la décote. Les syndicats ne comprennent pas ce qui se passe à la base. On a
l’impression que les fédérations, elles font ce qu’elles veulent et
que la base brasse de l’air. C’est inacceptable de voir qu’on
nous entend à peine. »
(Article original anglais paru le 16 novembre 2007)