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WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

Les bureaucrates des Travailleurs canadiens de l’automobile applaudissent le premier ministre libéral de l’Ontario

Par Carl Bronski
23 mai 2007

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Dans une autre manifestation du glissement inexorable vers la droite de la bureaucratie syndicale des Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), leur président, Buzz Hargrove, a invité le premier ministre libéral de l’Ontario, Dalton McGuinty, à prendre place sur la tribune du Conseil national des TCA qui a eu lieu à Port Elgin en Ontario le 13 avril.

« Je crois que ce gouvernement [libéral provincial] a fait un travail immense pour le peuple » a déclaré Hargrove. La présence de McGuinty a marqué la première fois de l’histoire des TCA qu’un premier ministre ontarien a été invité à s’adresser à la direction des TCA. Hargrove a continué en disant aux huit cents délégués syndicaux réunis pour une retraite au lac Huron qu’il était « absolument enchanté » de présenter McGuinty qu’il a décrit comme le « champion » de l’industrie automobile.

Le premier ministre libéral a répondu avec des compliments de son cru. « Les TCA, a-t-il affirmé, ont toujours été une force du bien de par le Canada et nous allons dans la même direction. »

Le soutien d’Hargrove pour McGuinty est la réponse de la bureaucratie des TCA à une crise sans précédent de l’industrie automobile qui menace les emplois, les salaires et les retraites de dizaines de milliers de travailleurs et de retraités. Ce soutien est le corollaire politique de l’imposition par le syndicat de nouvelles concessions chez les Trois Grands de l’auto (General Motors, Ford et Chrysler) et sa campagne en faveur de mesures protectionnistes pour la défense des « emplois canadiens » au détriment des travailleurs des autres pays.

L’accueil réservé à McGuinty est le dernier de plusieurs gestes de la direction des TCA, le plus grand syndicat industriel au pays, vers un resserrement des liens avec les libéraux ontariens et leur parti frère, les libéraux fédéraux, le parti de la bourgeoisie canadienne ayant traditionnellement formé le gouvernement national.

Lors des élections ontariennes de 1999, Hargrove et les TCA ont appelé à un « vote stratégique » en faveur des libéraux ontariens dans certaines circonscriptions parce qu’il fallait défaire le gouvernement conservateur provincial de Mike Harris. Cet appel fut endossé dans les faits par le dirigeant du parti social-démocrate, le Nouveau Parti démocratique (NPD). Continuant sur cette lancée, Hargrove a déclaré dans la campagne électorale de 2003, qui s’est terminée par la prise du pouvoir par les libéraux de McGuinty: « Les gens savent comment provoquer un changement de gouvernement et vous n’y arrivez pas en votant pour un candidat qui n’a pas la moindre chance de gagner. Nous analysons l’information circonscription par circonscription pour voir où il est possible de déloger un conservateur. »

Avec le soutien entier d’Hargrove, le NPD a soutenu pendant six mois en 2005 le gouvernement libéral fédéral de Paul Martin, qui avait précédemment imposé les plus grandes compressions des dépenses sociales et les plus importantes réductions d’impôts de l’histoire canadienne. Mais Hargrove s’est attiré les foudres de la direction du NPD lorsqu’il a publiquement appuyé Paul Martin et Belinda Stronach, la fille du patron et principal actionnaire de Magna International, et que son syndicat a appelé à la réélection d’un gouvernement libéral minoritaire lors des élections fédérales de janvier 2006.

Hargrove a répondu à son expulsion subséquente du NPD pour avoir endossé un parti politique rival en faisant pression sur les TCA et ses sections locales pour qu’elles se désaffilient du NPD. Cela a mené à la fin d’une relation qui avait duré plusieurs dizaines d’années entre les TCA et les sociaux-démocrates canadiens. Ces derniers, il faut ajouter, n’étaient pas trop fâchés de la fin de leur relation avec les TCA puisque, répondant aux pressions de la grande entreprise et des médias ils n’avaient rien de plus urgent à faire que de réfuter les allégations qu’ils dépendaient des syndicats d’un point de vue financier et organisationnel.

En ligne avec l’orientation des TCA envers les libéraux, lors d’une rencontre le mois dernier, le Conseil des TCA a endossé le « vote stratégique », c’est-à-dire soutenir l’élection de gouvernements libéraux, pour empêcher la victoire des conservateurs. « Nous avons besoin du vote stratégique pour nous assurer qu’il n’y ait pas de gouvernement conservateur majoritaire », a affirmé Hargrove.

Mais les TCA, ou du moins leur président, n’écartent pas la possibilité d’appuyer quelques conservateurs. Après l’apparition sans précédent de McGuinty devant la direction des TCA, Hargrove a déclaré à la presse qu’il s’attendait à ce que des membres syndicaux travaillent pour chacun des trois partis nationaux, y compris les conservateurs, mais seulement « un petit nombre pour les conservateurs ».

Le bilan de droite des libéraux ontariens

Pendant que Hargrove et les bureaucrates des TCA chantent les louanges des libéraux de McGuinty, les travailleurs de la province la plus peuplée du Canada ont subi sous les libéraux une baisse de leur niveau de vie, l’amputation des services sociaux et la destruction des emplois.

En arrivant au pouvoir en 2003, McGuinty annonça, à la façon bien connue des nouveaux gouvernements, qu’étant donné que le déficit était plus important que ne l’avait admis le gouvernement conservateur, les promesses électorales libérales étaient maintenant inapplicables.

Refusant de reculer sur l’assaut législatif généralisé contre les travailleurs entrepris par les gouvernements conservateurs précédents de Mike Harris et Ernie Eves, McGuinty a même intensifié l’attaque en imposant une « prime » de santé de 900 $ par personne, qui a un impact beaucoup plus important pour les travailleurs et les personnes pauvres.

Poursuivant l’assaut sur le système public de santé de la province, McGuinty a retiré les restrictions sur les installations privées de soins de santé et mis un terme au financement provincial pour les examens de la vue, la physiothérapie et les services de chiropractie. Son gouvernement a aussi renoncé à d’autres promesses électorales, éliminant le plafond sur les tarifs d’hydro-électricité et refusant d’annuler les coupures brutales dans les Suppléments de la prestation pour enfants destinés aux pauvres qui ont amputé de 2700 $ par année le revenu des mères monoparentales prestataires de l’aide sociale.

Un groupe de défense sociale a récemment publié un rapport critiquant sévèrement les libéraux de McGuinty pour avoir ignoré les problèmes des personnes pauvres en Ontario. Selon l’Interfaith Social Assistance Reform Coalition (ISARC), la situation des plus démunis dans la province est pire que lorsque les libéraux sont arrivés au pouvoir. Et bien que le gouvernement ait grandement publicisé certains changements qu’il avait apportés, comme une maigre hausse du salaire minimum à 8 $ l’heure et une augmentation de 5 pour cent des prestations sociales, le rapport souligne que ces mesures suffisent à peine à compenser pour le fait que ces prestations aient été maintenues au même niveau durant une décennie ou plus. Le rapport mentionne aussi que l’on a débuté la construction de seulement 6724 des 20.000 logements sociaux qui avaient été promis.

Bien sûr, rien de ceci n’est nouveau pour Hargrove et la direction des TCA. Pourquoi Hargrove est-il alors si épris du gouvernement libéral de McGuinty ? Parce que ce dernier a fidèlement défendu les intérêts des Trois Grands, redirigeant des millions de dollars en subventions du gouvernement vers les coffres de Ford, General Motors et Daimler Chrysler, s’opposant aux intentions du gouvernement fédéral conservateur d’établir une entente de libre-échange avec la Corée du Sud, et faisant pression pour que les nouvelles réglementations limitant les émissions de gaz à effet de serre soient adaptées à l’industrie de l’automobile.

Les TCA et l’assaut sur les emplois et les salaires

Et la réaction de la bureaucratie des TCA au plan de redressement massif imposé actuellement à l’industrie nord-américaine de l’automobile est non moins accablante.

En mars, Hargrove et la direction des TCA exhortèrent les travailleurs de l’usine d’assemblage de Daimler-Chrysler à Brampton, au nord-ouest de Toronto, à accepter une série de concessions qu’ils avaient clairement rejetées lors d’un vote à la grandeur de l’usine en février. Faisant peu de cas de leur propre constitution empêchant qu’un second vote ne soit tenu sur une question dûment réglée, Hargrove et son assistant Bob Chernecki ont clairement fait savoir à leurs membres qu’ils devaient accepter des concessions de 5.000 $ par année, par l’élimination des primes de quarts de travail, l’intensification des pratiques de travail et la sous-traitance d’emplois syndiqués d’entretien, ou alors en subir les conséquences. S’ils refusaient les concessions, Chrysler transférerait la production hors de Brampton sans que la bureaucratie syndicale ne s’y oppose. « La question ici est de négocier intelligemment », a expliqué Chernecki.

Après une réunion houleuse durant laquelle les membres, criant dans la salle, dénoncèrent la direction, les travailleurs de l’auto, encaissant avec amertume le fait qu’ils avaient été abandonnés, ont ratifié les concessions.  « Beaucoup d’entre nous ont voté “non” pour faire comprendre que nous n’avons plus confiance en notre syndicat », a dit Dan Ciurlia, un vétéran de l’usine avec 27 ans d’ancienneté. « Nous comprenons la grande menace de la mondialisation. Nous comprenons que nos emplois peuvent partir. Les gens ont peur. Mais on nous demande de prendre des décisions sans que nous soyons vraiment informés et il faut le faire rapidement. Les travailleurs veulent savoir si la direction syndicale va vraiment prendre notre défense. »

Un représentant reconnaissant de Daimler Chrysler a résumé le rôle joué par le syndicat pour imposer les concessions. « Nous n’aurions pas pu aller de l’avant sans les TCA », a dit le porte-parole canadien de la compagnie, Dave Elshoff.

Lorsque Chrysler a annoncé l’élimination de deux mille emplois à Windsor, Brampton et Toronto Ouest, plus tôt cette année, Hargrove avait qualifié cette attaque contre ses membres comme étant un « véritable désastre », mais a refusé de s’opposer aux coupes, conseillant aux membres perdant leur emploi : « prenez ce que vous pouvez ». Et l’automne dernier lorsque Ford a annoncé une réduction de sa production de 21 pour cent et la fermeture de neuf usines en Amérique du Nord dans les deux prochaines années, incluant une usine de moteur à Windsor, Ontario, le président des TCA l’a qualifié de « résultat mitigé » puisqu’il y avait en proportion plus de pertes d’emplois chez les travailleurs américains.

La direction des TCA, avec le soutien de plusieurs mouvements de radicaux de la classe moyenne, a présenté la scission avec les Travailleurs unis de l’automobile (United Auto Workers) en 1985-86 comme une rébellion contre la direction de droite du syndicat international. En réalité, c’était une manœuvre bureaucratique visant à faire dérailler un mouvement d’opposition de la base contre l’élimination des emplois et les fermetures d’usines et à faciliter une collaboration plus étroite entre la bureaucratie syndicale et les patrons de l’industrie automobile des deux côtés de la frontière.

Pendant des années, la bureaucratie des TCA a cherché à vendre aux constructeurs l’importance du soi-disant « avantage canadien », c’est-à-dire le fait que les coûts de main-d’œuvre sont plus faibles dans leurs installations canadiennes comparées aux installations américaines, à cause de la faible valeur du dollar canadien face au dollar américain et du système de santé public canadien. Un analyste financier de Wall Street avait déjà écrit sur celui-ci qu’il était « un don qui continuait à donner ».

Mais devant les pressions pour qu’ils fassent quelque chose pour empêcher les pertes importantes d’emploi et craignant l’érosion des cotisations syndicales, les bureaucrates des TCA appellent de plus en plus ouvertement les Trois Grands à reconnaître qu’ils leur offrent une main d’œuvre à bon marché.

Durant la ronde de négociations de 2002, Hargrove a courtisé les maisons de courtage de Wall Street et Bay Street pour qu’elles fassent pression sur les constructeurs pour que ces derniers éliminent leurs emplois surtout aux Etats-Unis. Lors d’un appel conférence avec J.P. Morgan Chase & Co., Hargrove a affirmé : « Le véritable défi pour nous tous, si nous voulons faire de l’argent, est de tenter de demander que les compagnies portent une plus grande attention aux pays et aux communautés où l’on trouve de façon évidente la qualité, la productivité, les faibles coûts et la rentabilité. »

La réponse de la bureaucratie des TCA à la crise financière actuelle des Trois Grands a été d’approfondir sa longue relation de collaboration avec les dirigeants de l’industrie et le Parti libéral, parti de la grande entreprise. Au nom de la « stratégie nationale de l’auto », les TCA font pression sur le gouvernement fédéral et le gouvernement ontarien pour qu’ils accordent d’autres réductions de taxes et plus de subventions aux Trois Grands pour les aider à concurrencer Toyota, Honda et les autres constructeurs basés à l’étranger. Au même moment, ils cherchent à monter les travailleurs nord-américains les uns contre les autres dans une lutte fratricide pour les emplois, menant une campagne pour que les Trois Grands ferment leurs usines aux Etats-Unis et au Mexique de préférence à celles du Canada, tout en faisant pression sur Ottawa pour qu’il fasse la guerre commerciale aux constructeurs asiatiques.

Hargrove a déjà indiqué que dans la lutte pour le contrôle de Daimler Chrysler que se livrent les investisseurs milliardaires, lesquels voudront imposer d’importantes coupes dans les emplois, les salaires et les avantages sociaux pour obtenir de nouveaux profits, il considère donner l’appui des TCA à l’offre de Frank Stronach, le dirigeant de Magna Canada, que les TCA ont condamné pendant des années pour ses pratiques antisyndicales vicieuses.

Il faut tirer les conclusions du fait que les travailleurs ont été amenés dans une impasse par la bureaucratie syndicale des TCA. La défense des emplois, des conditions de travail et du niveau de vie ne peut aller de l’avant que par la construction d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière basée sur la lutte pour unir les travailleurs internationalement et pour réorganiser la vie économique selon des principes démocratiques et égalitaires, c’est-à-dire socialistes.

(Article original paru le 1er mai 2007)


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