Plus connue des lecteurs du World Socialist
Web Site pour mes articles sur le Proche-Orient, je suis, dans ma vie
professionnelle, universitaire et j’écris sur la politique du monde des
affaires et du secteur public et sur les finances. Mes dernières expériences en
date révèlent comment le gouvernement travailliste cherche à tout faire pour
supprimer la recherche qui va à l’encontre de ses mensonges et qui expose
la mainmise de plus en plus grande des entreprises privées sur la politique
publique.
En mars dernier, le ministère de la Santé
(DoH) a cherché à empêcher la publication par la revue Public Finance
d’un très court résumé d’une recherche rédigée par moi-même et mes
collègues de l’Université de Manchester, montrant les coûts énormes entraînés
par l’utilisation de fonds privés pour les douze premiers hôpitaux
construits en Angleterre suivant la politique gouvernementale de la PFI (Partenariat
public-privé nommé Private Finance Initiative prévoyant l’utilisation de
fonds privés pour la réalisation de bâtiments publics). Le DoH a affirmé que
les données étaient erronées.
La PFI est un moyen, extrêmement impopulaire
et controversé, de financement de nouveaux bâtiments de première nécessité dans
les services publics et pour lesquels il existe un besoin très urgent. Avec la
PFI, le secteur privé construit et fait fonctionner des hôpitaux, des écoles,
des prisons, des routes, etc., qui sont loués à bail au secteur public contre le
versement de paiements annuels rétribuant à la fois les bâtiments et les
services rendus. Dans le cas des hôpitaux et des écoles, les prestations
professionnelles de base restent dans le secteur public.
Mise en place par le gouvernement conservateur
en 1992, la PFI a été grandement élargie par le gouvernement travailliste à
tous les services clés de la fonction publique. Le gouvernement a justifié sa
politique en affirmant que c’était « le meilleur rapport
qualité/prix » du fait que les risques incombaient au secteur privé.
En 1999, des travaux de recherche antérieurs
auxquels j’avais participé avec le Professeur Allyson Pollock, de
l’Université d’Edimbourg, et auteur de NHS Plc, avaient
montré qu’alors que le gouvernement se vantait de lancer le plus vaste
programme de construction de toute l’histoire du Service national de santé
(NHS), cela avait abouti à une réelle contradiction dans ce service public.
La PFI coûtait tellement cher que les plans
des hôpitaux durent être revus à la baisse. La première tranche
d’hôpitaux PFI comptait 30 pour cent de lits en moins que dans les
hôpitaux qu’ils remplaçaient. Les coûts élevés furent compensés par des
subventions plus importantes accordées aux hôpitaux, par la vente de terrains à
des prix sacrifiés au secteur privé et par « des objectifs
d’efficacité exigeants » imposés au personnel infirmier et médical.
Le National Audit Office (Instance nationale
d’audit), autorité parlementaire de surveillance, a également critiqué
les affirmations du gouvernement, en disant qu’elles se basent sur des
preuves non fiables.
Mes dernières recherches ont montré que les
douze premiers hôpitaux versaient environ 8 pour cent d’intérêt pour le
financement privé contre 4,75 pour cent pour le public. Cela revient à 60
millions de livres sterling (90 millions d’euros) supplémentaires par an pour
chacune des années de ces douze contrats de 30 ans. Pour les 155 projets valant
près de 9 milliards de livres sterling (14,4 milliards d’euros) signés
jusqu’à ce jour, les coûts additionnels pour le financement privé est de
480 millions de livres sterling (720 millions d’euros) par an. Avec une
telle somme, on pourrait construire plusieurs nouveaux hôpitaux chaque année.
Alors que le gouvernement justifie ceci en
disant que le risque incombe à présent au secteur privé, on ne sait pas très
bien quels risques ont été transférés au privé étant donné que les paiements
sont en fait garantis par le gouvernement. Pour des raisons de « confidentialité
commerciale », ces accords sont tenus secrets et protégés des questions
que le grand public, au nom de la liberté de l’information, pourrait
poser.
Mais ceci n’est que la partie visible
des coûts du financement privé. D’autres coûts que l’on ne peut
chiffrer de façon systématique comprennent :
* les bénéfices colossaux engrangés par la
vente des terrains ;
* le refinancement des contrats ;
* les bénéfices réalisés par la sous-traitance
à des entreprises soeurs ;
* les revenus perçus directement des patients
et de leurs familles sous forme de frais de stationnement et de cantine et les
frais scandaleusement exorbitants pour le téléphone et la télévision.
De plus, une fois les hôpitaux construits, de
nombreuses entreprises ont été en mesure de contracter des emprunts plus
importants, remboursables sur des périodes plus longues, de se défaire de leurs
dettes antérieures et de s’en sortir finalement en encaissant la
différence comme profit. Par exemple, le consortium qui a signé le contrat pour
l’hôpital de Norfolk et Norwich a été en mesure de générer de cette
manière un montant forfaitaire s’élevant à plus de la moitié des coûts
hospitaliers de 210 millions de livres sterling (315 millions d’euros).
Ensuite, nous avons découvert que la plupart des
hôpitaux versaient plus qu’ils ne pensaient lorsqu’ils signaient
les contrats. Alors que la moyenne des augmentations était de 20 pour cent,
trois des douze hôpitaux payaient entre 50 et 70 pour cent de plus. Ceci était
dû au volume des soins à prodiguer plus élevé que prévu et qui avait entraîné
une augmentation liée à ce volume et à l’incapacité de préciser
exactement dans ce contrat tout ce dont les hôpitaux avaient besoin :
cela va de l’eau nécessaire à la carafe des patients à la confiture
servie au petit déjeuner !
L’un des exemples les plus énormes,et
qui avait fait les gros titres des journaux, avait été de n’avoir pas procédé
au transfert d’un patient décédé de mort naturelle dans un service de psychiatrie.
Parce que cela n’avait pas été spécifié dans le contrat, le contractant avait
refusé d’enlever le corps dans les 30 minutes requises, au motif
qu’il était seulement tenu de transporter des patients dans les 30
minutes et qu’un patient était quelqu’un bénéficiant de soins et
non un cadavre. Finalement, l’hôpital avait dû faire appel à un
entrepreneur des pompes funèbres privé pour transporter le patient décédé à la
morgue.
Même après une augmentation de 56 pour cent du
financement depuis 2000, les paiements faits à la PFI prenaient encore entre 11
et 12 pour cent du budget des hôpitaux. Sans l’augmentation du
financement, les frais de la PFI auraient été inabordables. Cela montre aussi
qu’une grande partie de l’augmentation des dépenses de santé du
gouvernement est engloutie par les frais du financement privé et ne va pas aux
soins de santé.
Une fois arrivé au stade opérationnel des
hôpitaux, les gains, après imposition, versés au fonds des actionnaires s’élevaient
au moins à 58 pour cent par an. Et pourtant, le ministère des Finances avait
dit officiellement que les gains moyens se situaient entre 7 et 15 pour cent et
que 15 pour cent étaient trop élevés.
En fin de compte, notre étude montrait que de
nombreux hôpitaux se trouvaient dans une situation alarmante. Meridian, le
« partenaire » du secteur privé du Greenwich Trust Queen Elizabeth
II, faisait des bénéfices bien plus gros qu’il ne l’avait prévu en
1999 dans le document présentant son offre d’emprunts à la Bourse de
Londres. Le Trust quant à lui attribuait son « insolvabilité
technique » aux 9 millions de livres sterling (13,5 millions
d’euros) par an représentant les coûts supplémentaires du financement privé.
Son directeur financier dit que le contrat PFI imposait un déficit annuel de 20
millions de livres sterling (30 millions d’euros) au Trust qui n’en
avait pas les moyens. Sans le soutien du gouvernement, ses projets à long terme
n’étaient pas réalisables et les soins aux patients étaient menacés.
Sans tenir compte des raisons du déficit des hôpitaux
et que notre étude n’a pas pu déterminer, le fait que les charges de la
PFI sont principalement des frais fixes devant être remboursés, elles entrent
en ligne de compte lorsque les marges sont déjà faibles en raison
d’autres coûts croissants. Elles réduisent la flexibilité du budget de
fonctionnement dans une situation où les Trusts ont toujours du mal à atteindre
un équilibre budgétaire.
Le gouvernement travailliste et les diverses
agences publiques sont depuis longtemps au courant de mes travaux critiques sur
la privatisation en général, et la PFI en particulier.
L’hebdomadaire Public Finance, revue
des experts comptables et des directeurs financiers du secteur public, est
également très lu par les journalistes et les responsables politiques.
L’étude en question est une version mise à jour d’une partie
d’une étude bien plus vaste concernant les hôpitaux et les routes en PFI
et qui avait été financée et publiée en 2004 par l’Association des experts
comptables. Le ministère de la Santé et le service public de santé n’ont
reconnu ni mis en question aucune des révélations de cette étude et ce, en
dépit du fait qu’ils en ont reçu des exemplaires et que la presse
financière en a parlé. Ils ne pouvaient pas le faire.
Notre travail a depuis été accepté pour
publication dans au moins quatre revues dont les articles sont corroborés par
les pairs. Il a donné lieu à de nombreuses invitations à s’exprimer dans
des conférences et des séminaires internationaux sur les soins de la santé et
le financement des transports étant donné que, de par le monde, les pays cherchent
à adopter précisément la même politique et la même rhétorique que le Parti
travailliste.
Cet article sur le coût des hôpitaux en PFI va
paraître sous peu dans Public Money and Management, la revue des
universitaires et des professionnels du Chartered Institute of Public Sector
Accountants (revue des experts comptables du CIPFA).
Public Finance avait
fait parvenir le résumé de ses recherches au ministère de la Santé de façon à
ce que son commentaire soit intégré à l’article. Le chargé de presse du service
public de santé au DoH a répondu à Public Finance, sans même avoir lu le
document sur lequel se basait l’article en disant, « Nous vous
invitons instamment à soumettre ces données à un contrôle indépendant avant
même d’envisager la publication d’un article. »
Le DoH a tout spécialement mis en question les
coûts supplémentaires du financement privé par rapport au financement public et
les augmentations en frais de la PFI depuis la signature des contrats. Il a
affirmé que les coûts de la PFI n’auraient pas été plus élevés si les
hôpitaux avaient été gérés de façon conventionnelle. Il a réitéré
l’affirmation selon laquelle la PFI n’entrait en jeu que si elle
représentait un bon rapport qualité/prix et si elle était abordable.
Lorsque Public Finance a dit
qu’il irait de l’avant avec la publication de l’article, le DoH
a réclamé qu’une page soit mise à sa disposition dans la prochaine
édition de la revue afin qu’il puisse réfuter notre étude.
Toutefois, Andy Burnham, ministre de la Santé,
après avoir transmis l’étude à ses fonctionnaires responsables de la PFI
au service du NHS, s’est contenté d’écrire une courte lettre au
journal. Dans cette lettre, Burnham dispute les chiffres concernant les
plus-values des actionnaires en disant que nous n’avions cité qu’une
partie des chiffres (58 pour cent en 2005) présentant ainsi un tableau
trompeur. En fait, nous avions fait le choix de ne citer qu’une seule
année parce que nous pensions que cela serait, selon toute probabilité, un
chiffre plus normal et nous ne voulions pas être dans l’exagération. En
effet, les gains avaient été de 1.000 pour cent durant les autres années où les
hôpitaux avaient été en phase opérationnelle !
Alors que d’autres définitions sont en
effet employées pour les plus-values des actionnaires, toutes montrent que ces
marchés sont hautement rentables. C’est la raison pour laquelle un si
grand nombre de membres des consortia sont en mesure de vendre partout dans le
monde, en faisant des bénéfices énormes, leurs actions à des compagnies
internationales spécialisées dans les hôpitaux, les écoles, les prisons ou les
routes.
Burnham a affirmé que les gains annuels se
situaient « probablement plutôt entre 12 et 14 pour cent »
(souligné par nous), chiffre que le ministère des Finances avait préalablement rejeté
comme étant trop élevé. Mais il ne donnait pas la définition du mot
« probablement », n’identifiait pas les faits d’où cette
information était tirée, ni ne citait de faits contredisant ces « probables »
gains.
Avant tout, il ne réfutait pas nos découvertes
selon lesquelles, si on extrapolait à tous les contrats hospitaliers signés, la
PFI coûterait 480 millions de livres sterling supplémentaires (780 millions
d’euros) par an du fait uniquement de coûts plus élevés visibles dus au financement
privé.
Le DoH a cherché à supprimer un résumé de
résultats de recherche au moyen d’un tissu de mensonges que même son
propre personnel a été incapable de justifier en public. Il a dû faire marche
arrière sur chacune de ses affirmations portées contre nous.
Ce n’est en aucune façon la première
fois que le DoH a échoué dans sa tentative de réfuter notre travail. En 1999,
après que quatre de nos articles sur les hôpitaux en PFI aient été publiés dans
le British Medical Journal (BMJ), Colin Reeves, directeur des finances
et des prestations de service du NHS, avait écrit une lettre sévère en
promettant une réponse. Après que le BMJ l’ait invité à soumettre
sa lettre, sa réponse ne fut pas jugée digne d’être publiée. Néanmoins,
Reeves affirma dans Health Services Journal que les critiques à
l’encontre de la PFI avaient été largement réfutées ailleurs.
Se trouvant dans l’incapacité de réfuter
notre travail, le DoH a, en grande partie, ignoré les faits qui ne vont pas
dans le sens de ses affirmations sur la PFI. Et ceci en dépit du fait
qu’il dispose d’un service de réfutation ayant pour tâche de
contrer toute critique émise à l’encontre de la PFI.
Il est notoirement difficile d’obtenir
des informations claires, logiques et récentes sur les dépenses de la PFI et
sur les engagements futurs, sans parler de précisions concernant les garanties,
implicites ou explicites, données par le gouvernement. Les informations qui
sont disponibles le sont par le biais de la bourse qui a besoin d’éléments
pour pouvoir fixer les prix des obligations et des titres cotés en bourse et qui
étayent la PFI. Ainsi, davantage d’information est donnée au monde
financier qu’au public en tant qu’utilisateur ou contribuable et
qui, en dernière analyse assure les profits.
Cela n’a rien d’étonnant. La politique
PFI a été conçue et appliquée par le patronat. Des conseillers internationaux
en placement ont mis, durant une période de deux ans, leur personnel à la
disposition de la force tactique de la PFI au ministère des Finances et dans
les unités PFI dans les sections clés en versant même dans certains cas les
traitements de son personnel. Le va-et-vient permanent entre la City de Londres
et les hauts fonctionnaires signifie que la politique reflète toujours les
voeux des institutions financières.
Le gouvernement travailliste a tenté de
justifier le fait de s’être tourné vers le financement privé, en avançant
la « preuve » que la PFI constitue « le meilleur rapport
qualité/prix ». Mais cette preuve n’a rien d’indépendant.
Commandée par des conseillers financiers tels Arthur Andersen, PwC et KPMG, qui
ont un intérêt acquis dans une telle politique, cette preuve se fonde sur des
sondages d’opinion faits auprès de directeurs de groupes impliqués dans
ces contrats, un fait qu’elle refuse de divulguer, ou sur des comparaisons
inappropriées.
En 2000, le gouvernement avait recomposé la
force tactique PFI du ministère des Finances qui gérait le processus
d’acquisition de la PFI, en Partnership UK (PUK) et avait vendu la
majorité des actions de PUK à ces mêmes entreprises qui sont étroitement
impliquées en qualité de propriétaires, de financiers ou de sous-traitants dans
les projets PFI. La législation fut amendée de façon à autoriser PUK à le
faire. Le gouvernement avait, de ce fait, transféré, du secteur public au secteur
privé, le contrôle en matière de politique de développement et
d’application, ce qui représente un changement sans précédent dans le
processus gouvernemental. Et cela était passé quasiment inaperçu.