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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Grande-Bretagne : le ministère de la Santé cherche à supprimer des faits concernant l’Initiative de financement privé du secteur public (PFI)

Par Jean Shaoul
19 mai 2007

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Plus connue des lecteurs du World Socialist Web Site pour mes articles sur le Proche-Orient, je suis, dans ma vie professionnelle, universitaire et j’écris sur la politique du monde des affaires et du secteur public et sur les finances. Mes dernières expériences en date révèlent comment le gouvernement travailliste cherche à tout faire pour supprimer la recherche qui va à l’encontre de ses mensonges et qui expose la mainmise de plus en plus grande des entreprises privées sur la politique publique.

En mars dernier, le ministère de la Santé (DoH) a cherché à empêcher la publication par la revue Public Finance d’un très court résumé d’une recherche rédigée par moi-même et mes collègues de l’Université de Manchester, montrant les coûts énormes entraînés par l’utilisation de fonds privés pour les douze premiers hôpitaux construits en Angleterre suivant la politique gouvernementale de la PFI (Partenariat public-privé nommé Private Finance Initiative prévoyant l’utilisation de fonds privés pour la réalisation de bâtiments publics). Le DoH a affirmé que les données étaient erronées.

La PFI est un moyen, extrêmement impopulaire et controversé, de financement de nouveaux bâtiments de première nécessité dans les services publics et pour lesquels il existe un besoin très urgent. Avec la PFI, le secteur privé construit et fait fonctionner des hôpitaux, des écoles, des prisons, des routes, etc., qui sont loués à bail au secteur public contre le versement de paiements annuels rétribuant à la fois les bâtiments et les services rendus. Dans le cas des hôpitaux et des écoles, les prestations professionnelles de base restent dans le secteur public.

Mise en place par le gouvernement conservateur en 1992, la PFI a été grandement élargie par le gouvernement travailliste à tous les services clés de la fonction publique. Le gouvernement a justifié sa politique en affirmant que c’était « le meilleur rapport qualité/prix » du fait que les risques incombaient au secteur privé.

En 1999, des travaux de recherche antérieurs auxquels j’avais participé avec le Professeur Allyson Pollock, de l’Université d’Edimbourg, et auteur de NHS Plc, avaient montré qu’alors que le gouvernement se vantait de lancer le plus vaste programme de construction de toute l’histoire du Service national de santé (NHS), cela avait abouti à une réelle contradiction dans ce service public.

La PFI coûtait tellement cher que les plans des hôpitaux durent être revus à la baisse. La première tranche d’hôpitaux PFI comptait 30 pour cent de lits en moins que dans les hôpitaux qu’ils remplaçaient. Les coûts élevés furent compensés par des subventions plus importantes accordées aux hôpitaux, par la vente de terrains à des prix sacrifiés au secteur privé et par « des objectifs d’efficacité exigeants » imposés au personnel infirmier et médical.

Le National Audit Office (Instance nationale d’audit), autorité parlementaire de surveillance, a également critiqué les affirmations du gouvernement, en disant qu’elles se basent sur des preuves non fiables.

Mes dernières recherches ont montré que les douze premiers hôpitaux versaient environ 8 pour cent d’intérêt pour le financement privé contre 4,75 pour cent pour le public. Cela revient à 60 millions de livres sterling (90 millions d’euros) supplémentaires par an pour chacune des années de ces douze contrats de 30 ans. Pour les 155 projets valant près de 9 milliards de livres sterling (14,4 milliards d’euros) signés jusqu’à ce jour, les coûts additionnels pour le financement privé est de 480 millions de livres sterling (720 millions d’euros) par an. Avec une telle somme, on pourrait construire plusieurs nouveaux hôpitaux chaque année.

Alors que le gouvernement justifie ceci en disant que le risque incombe à présent au secteur privé, on ne sait pas très bien quels risques ont été transférés au privé étant donné que les paiements sont en fait garantis par le gouvernement. Pour des raisons de « confidentialité commerciale », ces accords sont tenus secrets et protégés des questions que le grand public, au nom de la liberté de l’information, pourrait poser.

Mais ceci n’est que la partie visible des coûts du financement privé. D’autres coûts que l’on ne peut chiffrer de façon systématique comprennent :

* les bénéfices colossaux engrangés par la vente des terrains ;

* le refinancement des contrats ;

* les bénéfices réalisés par la sous-traitance à des entreprises soeurs ;

* les revenus perçus directement des patients et de leurs familles sous forme de frais de stationnement et de cantine et les frais scandaleusement exorbitants pour le téléphone et la télévision.

De plus, une fois les hôpitaux construits, de nombreuses entreprises ont été en mesure de contracter des emprunts plus importants, remboursables sur des périodes plus longues, de se défaire de leurs dettes antérieures et de s’en sortir finalement en encaissant la différence comme profit. Par exemple, le consortium qui a signé le contrat pour l’hôpital de Norfolk et Norwich a été en mesure de générer de cette manière un montant forfaitaire s’élevant à plus de la moitié des coûts hospitaliers de 210 millions de livres sterling (315 millions d’euros).

Ensuite, nous avons découvert que la plupart des hôpitaux versaient plus qu’ils ne pensaient lorsqu’ils signaient les contrats. Alors que la moyenne des augmentations était de 20 pour cent, trois des douze hôpitaux payaient entre 50 et 70 pour cent de plus. Ceci était dû au volume des soins à prodiguer plus élevé que prévu et qui avait entraîné une augmentation liée à ce volume et à l’incapacité de préciser exactement dans ce contrat tout ce dont les hôpitaux avaient besoin : cela va de l’eau nécessaire à la carafe des patients à la confiture servie au petit déjeuner !

L’un des exemples les plus énormes, et qui avait fait les gros titres des journaux, avait été de n’avoir pas procédé au transfert d’un patient décédé de mort naturelle dans un service de psychiatrie. Parce que cela n’avait pas été spécifié dans le contrat, le contractant avait refusé d’enlever le corps dans les 30 minutes requises, au motif qu’il était seulement tenu de transporter des patients dans les 30 minutes et qu’un patient était quelqu’un bénéficiant de soins et non un cadavre. Finalement, l’hôpital avait dû faire appel à un entrepreneur des pompes funèbres privé pour transporter le patient décédé à la morgue.

Même après une augmentation de 56 pour cent du financement depuis 2000, les paiements faits à la PFI prenaient encore entre 11 et 12 pour cent du budget des hôpitaux. Sans l’augmentation du financement, les frais de la PFI auraient été inabordables. Cela montre aussi qu’une grande partie de l’augmentation des dépenses de santé du gouvernement est engloutie par les frais du financement privé et ne va pas aux soins de santé.

Une fois arrivé au stade opérationnel des hôpitaux, les gains, après imposition, versés au fonds des actionnaires s’élevaient au moins à 58 pour cent par an. Et pourtant, le ministère des Finances avait dit officiellement que les gains moyens se situaient entre 7 et 15 pour cent et que 15 pour cent étaient trop élevés.

En fin de compte, notre étude montrait que de nombreux hôpitaux se trouvaient dans une situation alarmante. Meridian, le « partenaire » du secteur privé du Greenwich Trust Queen Elizabeth II, faisait des bénéfices bien plus gros qu’il ne l’avait prévu en 1999 dans le document présentant son offre d’emprunts à la Bourse de Londres. Le Trust quant à lui attribuait son « insolvabilité technique » aux 9 millions de livres sterling (13,5 millions d’euros) par an représentant les coûts supplémentaires du financement privé. Son directeur financier dit que le contrat PFI imposait un déficit annuel de 20 millions de livres sterling (30 millions d’euros) au Trust qui n’en avait pas les moyens. Sans le soutien du gouvernement, ses projets à long terme n’étaient pas réalisables et les soins aux patients étaient menacés.

Sans tenir compte des raisons du déficit des hôpitaux et que notre étude n’a pas pu déterminer, le fait que les charges de la PFI sont principalement des frais fixes devant être remboursés, elles entrent en ligne de compte lorsque les marges sont déjà faibles en raison d’autres coûts croissants. Elles réduisent la flexibilité du budget de fonctionnement dans une situation où les Trusts ont toujours du mal à atteindre un équilibre budgétaire.

Le gouvernement travailliste et les diverses agences publiques sont depuis longtemps au courant de mes travaux critiques sur la privatisation en général, et la PFI en particulier.

L’hebdomadaire Public Finance, revue des experts comptables et des directeurs financiers du secteur public, est également très lu par les journalistes et les responsables politiques. L’étude en question est une version mise à jour d’une partie d’une étude bien plus vaste concernant les hôpitaux et les routes en PFI et qui avait été financée et publiée en 2004 par l’Association des experts comptables. Le ministère de la Santé et le service public de santé n’ont reconnu ni mis en question aucune des révélations de cette étude et ce, en dépit du fait qu’ils en ont reçu des exemplaires et que la presse financière en a parlé. Ils ne pouvaient pas le faire.

Notre travail a depuis été accepté pour publication dans au moins quatre revues dont les articles sont corroborés par les pairs. Il a donné lieu à de nombreuses invitations à s’exprimer dans des conférences et des séminaires internationaux sur les soins de la santé et le financement des transports étant donné que, de par le monde, les pays cherchent à adopter précisément la même politique et la même rhétorique que le Parti travailliste.

Cet article sur le coût des hôpitaux en PFI va paraître sous peu dans Public Money and Management, la revue des universitaires et des professionnels du Chartered Institute of Public Sector Accountants (revue des experts comptables du CIPFA).

Public Finance avait fait parvenir le résumé de ses recherches au ministère de la Santé de façon à ce que son commentaire soit intégré à l’article. Le chargé de presse du service public de santé au DoH a répondu à Public Finance, sans même avoir lu le document sur lequel se basait l’article en disant, « Nous vous invitons instamment à soumettre ces données à un contrôle indépendant avant même d’envisager la publication d’un article. »

Le DoH a tout spécialement mis en question les coûts supplémentaires du financement privé par rapport au financement public et les augmentations en frais de la PFI depuis la signature des contrats. Il a affirmé que les coûts de la PFI n’auraient pas été plus élevés si les hôpitaux avaient été gérés de façon conventionnelle. Il a réitéré l’affirmation selon laquelle la PFI n’entrait en jeu que si elle représentait un bon rapport qualité/prix et si elle était abordable.

Lorsque Public Finance a dit qu’il irait de l’avant avec la publication de l’article, le DoH a réclamé qu’une page soit mise à sa disposition dans la prochaine édition de la revue afin qu’il puisse réfuter notre étude.

Toutefois, Andy Burnham, ministre de la Santé, après avoir transmis l’étude à ses fonctionnaires responsables de la PFI au service du NHS, s’est contenté d’écrire une courte lettre au journal. Dans cette lettre, Burnham dispute les chiffres concernant les plus-values des actionnaires en disant que nous n’avions cité qu’une partie des chiffres (58 pour cent en 2005) présentant ainsi un tableau trompeur. En fait, nous avions fait le choix de ne citer qu’une seule année parce que nous pensions que cela serait, selon toute probabilité, un chiffre plus normal et nous ne voulions pas être dans l’exagération. En effet, les gains avaient été de 1.000 pour cent durant les autres années où les hôpitaux avaient été en phase opérationnelle !

Alors que d’autres définitions sont en effet employées pour les plus-values des actionnaires, toutes montrent que ces marchés sont hautement rentables. C’est la raison pour laquelle un si grand nombre de membres des consortia sont en mesure de vendre partout dans le monde, en faisant des bénéfices énormes, leurs actions à des compagnies internationales spécialisées dans les hôpitaux, les écoles, les prisons ou les routes.

Burnham a affirmé que les gains annuels se situaient « probablement plutôt entre 12 et 14 pour cent » (souligné par nous), chiffre que le ministère des Finances avait préalablement rejeté comme étant trop élevé. Mais il ne donnait pas la définition du mot « probablement », n’identifiait pas les faits d’où cette information était tirée, ni ne citait de faits contredisant ces « probables » gains.

Avant tout, il ne réfutait pas nos découvertes selon lesquelles, si on extrapolait à tous les contrats hospitaliers signés, la PFI coûterait 480 millions de livres sterling supplémentaires (780 millions d’euros) par an du fait uniquement de coûts plus élevés visibles dus au financement privé.

Le DoH a cherché à supprimer un résumé de résultats de recherche au moyen d’un tissu de mensonges que même son propre personnel a été incapable de justifier en public. Il a dû faire marche arrière sur chacune de ses affirmations portées contre nous.

Ce n’est en aucune façon la première fois que le DoH a échoué dans sa tentative de réfuter notre travail. En 1999, après que quatre de nos articles sur les hôpitaux en PFI aient été publiés dans le British Medical Journal (BMJ), Colin Reeves, directeur des finances et des prestations de service du NHS, avait écrit une lettre sévère en promettant une réponse. Après que le BMJ l’ait invité à soumettre sa lettre, sa réponse ne fut pas jugée digne d’être publiée. Néanmoins, Reeves affirma dans Health Services Journal que les critiques à l’encontre de la PFI avaient été largement réfutées ailleurs.

Se trouvant dans l’incapacité de réfuter notre travail, le DoH a, en grande partie, ignoré les faits qui ne vont pas dans le sens de ses affirmations sur la PFI. Et ceci en dépit du fait qu’il dispose d’un service de réfutation ayant pour tâche de contrer toute critique émise à l’encontre de la PFI.

Il est notoirement difficile d’obtenir des informations claires, logiques et récentes sur les dépenses de la PFI et sur les engagements futurs, sans parler de précisions concernant les garanties, implicites ou explicites, données par le gouvernement. Les informations qui sont disponibles le sont par le biais de la bourse qui a besoin d’éléments pour pouvoir fixer les prix des obligations et des titres cotés en bourse et qui étayent la PFI. Ainsi, davantage d’information est donnée au monde financier qu’au public en tant qu’utilisateur ou contribuable et qui, en dernière analyse assure les profits.

Cela n’a rien d’étonnant. La politique PFI a été conçue et appliquée par le patronat. Des conseillers internationaux en placement ont mis, durant une période de deux ans, leur personnel à la disposition de la force tactique de la PFI au ministère des Finances et dans les unités PFI dans les sections clés en versant même dans certains cas les traitements de son personnel. Le va-et-vient permanent entre la City de Londres et les hauts fonctionnaires signifie que la politique reflète toujours les voeux des institutions financières.

Le gouvernement travailliste a tenté de justifier le fait de s’être tourné vers le financement privé, en avançant la « preuve » que la PFI constitue « le meilleur rapport qualité/prix ». Mais cette preuve n’a rien d’indépendant. Commandée par des conseillers financiers tels Arthur Andersen, PwC et KPMG, qui ont un intérêt acquis dans une telle politique, cette preuve se fonde sur des sondages d’opinion faits auprès de directeurs de groupes impliqués dans ces contrats, un fait qu’elle refuse de divulguer, ou sur des comparaisons inappropriées.

En 2000, le gouvernement avait recomposé la force tactique PFI du ministère des Finances qui gérait le processus d’acquisition de la PFI, en Partnership UK (PUK) et avait vendu la majorité des actions de PUK à ces mêmes entreprises qui sont étroitement impliquées en qualité de propriétaires, de financiers ou de sous-traitants dans les projets PFI. La législation fut amendée de façon à autoriser PUK à le faire. Le gouvernement avait, de ce fait, transféré, du secteur public au secteur privé, le contrôle en matière de politique de développement et d’application, ce qui représente un changement sans précédent dans le processus gouvernemental. Et cela était passé quasiment inaperçu.

(Article original anglais paru le 16 mai 2007)


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