Le constructeur automobile allemand DaimlerChrysler a
annoncé lundi qu’il acceptait de vendre une part majoritaire de la
compagnie nord-américaine Chrysler Group à la firme d’investissement
privée Cerberus Capital Management pour 7,4 milliards $. La vente ouvre la
voie au découpage du constructeur automobile de 80 ans et à une attaque massive
sur les emplois, les salaires, les régimes de soins de santé et de retraite des
80 000 employés de Chrysler aux Etats-Unis et au Canada.
Avant même que DaimlerChrylser n’annonce
officiellement la transaction lors d’une conférence de presse en
Allemagne, le syndicat des Travailleurs unis de l’automobile (TUA/UAW) a
émis une déclaration approuvant la vente de la compagnie à des spéculateurs de
Wall Street, affirmant que c’était « dans le meilleur intérêt de nos
membres de les UAW, de Chrysler Group et Daimler ».
Le chef de la direction de DaimlerChrysler, Dieter
Zetsche, a fait, dès ses premiers commentaires à la presse, l’éloge des
TUA pour leur appui. La capitulation du syndicat a été si rapide et si servile
qu’elle a clairement pris par surprise certains analystes financiers et
de l’industrie.
Chrysler est vendu à un groupe de spéculateurs
financiers qui n’ont aucune expérience et, en fait, très peu
d’intérêt dans la production automobile. La firme d’investissement
de 24 milliards $ se spécialise dans l’acquisition à rabais de
compagnies déficitaires, leur imposant un « plan de redressement »,
c’est-à-dire qu’elle sabre dans les emplois et les avantages
sociaux et cannibalise les compagnies, afin de les revendre avec un énorme bénéfice
sur le coût d’achat. Elle a une longue histoire remplie de telles
opérations, allant des compagnies aériennes aux fournisseurs automobiles et aux
entreprises de détail aux Etats-Unis.
Menant essentiellement ses opérations sans
qu’elles ne soient contrôlées par des régulateurs, Cerberus est une
entreprise hautement secrète dirigée par l’ancien soldat américain et
financier de fonds spéculatifs, Stephan Feinberg. Cerberus parcourt le globe à
la recherche de compagnies qu’elle peut acheter à bas prix pour ensuite
les dégraisser impitoyablement ou les vendre par morceaux afin de maintenir un
retour sur l’investissement de 22 pour cent. Elle possède des parts
minoritaires ou majoritaires dans de nombreuses compagnies, incluant les
supermarchés Albertson’s, le fournisseur automobile ADX et Air Canada,
pour n’en nommer que quelques-unes. Dans chaque cas, Cerberus a mis en
place des directeurs qui ont attaqué les salaires et les régimes de retraite de
leurs employés.
La firme d’investissement privée a de très bons
contacts politiques, comptant parmi ses plus importants représentants des
membres haut placés du Parti républicain tels que l’ancien secrétaire au
Trésor de l’administration Bush, John Snow, et l’ancien
vice-président Dan Quayle. L’une des compagnies de Cerberus,
l’entrepreneur militaire IAP Worldwide Services, a été impliquée dans le
scandale entourant les conditions insalubres à l’hôpital Walter Reed de
Washington DC. Deux membres de la direction chez IAP sont d’anciens hauts
représentants de Halliburton, le géant de l’énergie qui était dirigé par
Dick Cheney avant que celui-ci ne devienne vice-président des Etats-Unis.
Bien que de tels prédateurs et pilleurs
d’entreprise existent depuis des décennies dans les industries de
l’acier, de l’aéronautique et des mines, l’acquisition de
Chrysler par Cerberus est la première fois que l’un des plus grands
constructeurs automobile mondiaux est acheté par une entreprise de capital
d’investissement. L’acquisition d’un constructeur automobile
du « Big Three » américain par une telle organisation ouvre la voie à
une destruction sans précédent des acquis des travailleurs dans toute
l’industrie de l’automobile américaine.
Les constructeurs américains de l’automobile ont
supprimé près de 700 000 emplois au cours des trois dernières décennies,
mais les investisseurs de Wall Street, qui ont réussi à obtenir d’énormes
retours sur le capital grâce à diverses formes de manipulations financières,
réclament la suppression d’encore plus d’emplois, des coupures dans
les salaires encore relativement élevés dans l’industrie, et demandent
qu’on laisse tomber les milliards de dollars en régime de soins de santé
et de retraite qui sont dus aux travailleurs et à leurs familles.
L’acquisition de Chrysler par Cerberus sera officialisée
plus tard dans l’année, pendant que l’on discute d’un nouveau
contrat de travail avec les Travailleurs unis de l’automobile. Bien que
les détails n’aient pas encore été rapportés, il est presque certain que,
avant que Chrysler ne soit vendu, les TUA avaient promis d’offrir
d’importantes concessions à la nouvelle compagnie. Du même coup, General
Motors et Ford vont se servir du démantèlement de Chrysler comme d’une
matraque pour imposer leurs propres concessions sur les travailleurs. De
manière significative, la famille Ford a soulevé la possibilité de faire comme
DaimlerChrysler et vendre une partie des parts qu’elle détient dans ce
constructeur automobile déficitaire.
Durant plusieurs années, Cerberus – bien nommé
d’après un monstre mythologique à trois têtes qui garde les portes de
l’enfer – a fait discrètement l’acquisition de capitaux du
secteur de l’automobile jusqu’à devenir un acteur important,
capable d’utiliser son pouvoir pour refaçonner l’industrie.
L’année dernière, la compagnie a déboursé 7,4 milliards $ pour
s’assurer une participation majoritaire dans GMAC, la division financière
de General Motors, qui devrait fusionner avec la compagnie de financement de
Chrysler.
Cerberus a récemment retiré une offre
d’acquisition de Delphi, le deuxième constructeur mondial de pièces
automobiles, présentement sous le chapitre 11 de la loi sur la faillite, après
ne pas avoir obtenu des coupes assez brutales de la part des TUA. Son premier
projet dans l’industrie automobile, l’achat du fournisseur GDX, a
été suivi par ce que la compagnie qualifie de « plan de redressement
agressif des opérations en Amérique du Nord et en Europe ». Des coupes
draconiennes imposées l’année dernière à une usine du Québec au Canada
avaient provoqué des manifestations de la part des membres du Syndicat des métallurgistes
unis.
En février dernier, afin essentiellement de faire augmenter
le prix de vente de ses installations nord-américaines, DaimlerChrysler a
annoncé la suppression de 13 000 emplois et la fermeture d’au moins
une de ses usines.
La nouvelle compagnie, renommée Chrysler Holding,
gardera dans ses rangs le directeur général de Chrysler, Tom Lasorda, qui
supervise les présentes opérations de dégraissage, et aurait engagé Wolfgang
Bernhard qui, en tant que directeur de l’exploitation chez Chrysler entre
2000 et 2004, a joué un rôle-clé lorsque la compagnie a supprimé 26 000
emplois et fermé six usines. Le plus haut cadre de Cerberus dans le secteur de
l’automobile, David Thursfield, ancien responsable des achats au niveau
international chez Ford, dirige le plan de redressement d’ADX.
« Ce qui les intéresse ce n’est pas la
santé, c’est l’argent », a déclaré au journal Detroit Free
Press Gerald Meyers, ancien directeur général d’American Motors Corp.
et présentement professeur en gestion d’entreprise à l’Université
du Michigan. Il y a au programme d’importantes coupures et des mises à
pied massives, a-t-il affirmé, ajoutant que « Ça va faire mal au sud-est
du Michigan et en Indiana » et dans les autres communautés où Chrysler
possède des usines.
De plus, a déclaré Meyers, les retraités devraient
s’attendre à ce que les nouveaux propriétaires tentent de couper dans les
régimes de santé et de retraite. « Il va y avoir un massacre »,
anticipe Meyers. « Plus ils pourront en imposer aux salariés des TUA, plus
ils feront deS profits. »
Face à ces attaques, le syndicat des Travailleurs unis
de l’automobile a une fois de plus démontré sa totale inutilité pour la
défense des emplois, des salaires, des conditions de travail et du niveau de
vie des travailleurs de l’automobile. Comme le prouve leur complicité
dans cette attaque historique sur les travailleurs de l’automobile, les TUA
servent d’adjoint aux patrons de l’industrie et à Wall Street, afin
de protéger les gros salaires et comptes de dépenses des bureaucrates qui
contrôlent l’organisation.
Il y a un mois seulement, le président des TUA, Ron
Gettelfinger, indiquait que le syndicat s’opposait à la vente de Chrysler
à une société d’investissement privée, disant que de telles compagnies ne
visaient qu’à « accroître leur richesse en dépouillant les
compagnies ».
A la conférence de presse de lundi après-midi,
Gettelfinger a plusieurs fois défendu la capitulation de son syndicat en disant
qu’il devait se contenter des « cartes qu’on lui avait distribuées ».
Il a admis, toutefois, qu’il a endossé l’entente sans jamais avoir rencontré
les dirigeants de Cerberus.
Plutôt, le président des TUA a dit qu’il avait
rencontré des représentants de DaimlerChrysler dimanche soir, qui l’ont
informé de la vente imminente. Gettelfinger a dit qu’il endossé
l’entente parce que les dirigeants de DaimlerChrysler lui ont donné
l’assurance que Cerberus ne démantèlerait pas la compagnie.
Le président des TUA a dit que lorsque les
représentants du syndicat rencontreront les dirigeants de Cerberus mardi,
« Nous nous attendons à entendre les engagements qui nous ont été transmis
par DaimlerChrysler. » Saluant l’accord encore une fois, il a
ajouté : « Il y aura injection de capital dans la compagnie et
beaucoup de choses vont se produire qui vont permettre d’aller de
l’avant. Nous devons croire qu’ils sont très préoccupés par
l’avenir de l’industrie automobile américaine. »
La prostration et la couardise de la direction des TUA
sont symbolisées par Robert Denison, l’ancien représentant international
des TUA pour Chrysler, qui a dit à Detroit Free Press : « La
grande entreprise nous contrôle. Nous ne les contrôlons pas. »
Prenant la parole lors d’une conférence de
presse du syndicat, le vice-président responsable de Chrysler, General
Holiefield, a déclaré que les membres des TUA étaient
« enthousiastes » à l’égard de l’entente intervenue avec
Cerberus. « Le sentiment général chez les membres, a-t-il dit, est
qu’ils accueillent cette occasion ». Comme tout ce qui a été dit par
les responsables des TUA à la conférence de presse, c’était là un
mensonge.
Les ouvriers de Chrysler sont très conscients que ces
aventuriers financiers prenant le contrôle de leur compagnie le font pour
engranger les profits réalisés en condamnant au dénuement des dizaines de
milliers de travailleurs et leur famille. Un ouvrier de l’usine de
Chrysler à Warren dans l’état du Michigan, où plus de mille emplois sont
éliminés, a dit au World Socialist Web Site : « Les travailleurs
savent que cette nouvelle compagnie veut notre malheur. Les commentaires de
Gettelfinger m’ont surpris. Il ne parle pas dans notre intérêt. Le
syndicat nous a complètement vendu et on ne peut pas compter dessus pour quoi
que ce soit. Mais il faut faire quelque chose pour lutter pour nos emplois et
nos vies. »
Le soutien instantané de Gettelfinger semble avoir été
motivé par un désir de calmer les investisseurs et de faire augmenter la valeur
des actions de la compagnie.
S’inquiéter des propriétaires patronaux et non
des emplois et du niveau de vie des membres du syndicat est depuis longtemps un
trait caractéristique de la bureaucratie des TUA, qui a collaboré avec les
patrons de l’industrie automobile dans la destruction de centaines de
milliers d’emplois depuis le sauvetage de Chrysler et les concessions
salariales imposées aux travailleurs en 1979. On ne peut que présumer que les TUA
se sont fait donner l’assurance par la direction de DaimlerChrysler que
les privilèges et les avantages de la bureaucratie ouvrière seraient protégés
dans la nouvelle compagnie.
Un scénario possible qui a été discuté ces derniers
mois dans des publications comme le Wall Street Journal est que les
compagnies automobiles vont céder aux TUA le contrôle des fonds d’assurance-maladie
valant plusieurs milliards de dollars. Cela offrira un flot d’argent à la
bureaucratie syndicale, tout en donnant aux fabricants automobiles la chance de
se débarrasser de leurs engagements et de transférer au syndicat la tâche consistant
à couper les prestations d’assurance-maladie des syndiqués retraités et
de leurs familles.