Jack Lang, l’un des derniers
« éléphants » (vieille garde) restants de la direction du Parti
socialiste, vient de quitter le parti pour accepter la mission du président
nouvellement élu, Nicolas Sarkozy. Ce dernier a offert à Lang de siéger dans la
commission sur une réforme des institutions.
Le Parti socialiste (PS) est en train de se
dévider suite à des défections en série pour monter dans le train en marche de
Sarkozy. La défaite électorale du parti, lors des dernières élections
présidentielles et législatives, a provoqué une crise de confiance entre ses
dirigeants tout en assénant des coups à leurs espoirs d’occuper des
postes ministériels ou gouvernementaux.
Le 10 juillet, la direction du PS, dirigée par
son secrétaire général, François Hollande, a menacé d’expulsion Lang
s’il acceptait l’offre de Sarkozy de participer aux travaux de la
commission sur les institutions. Deux jours plus tard, Lang démissionnait de
toutes les instances dirigeantes du parti en dénonçant la
« déloyauté » de Hollande et de la direction. Il poursuivit en
proposant une démission collective de la direction afin de revenir devant les
militants. Lang a déclaré à Libération, « Ils
[les dirigeants du PS] m’ont rendu service en me permettant de prendre
une décision que j’aurais dû prendre depuis longtemps. Vive la liberté!
Vive la vie! » Il serait bon de noter que « liberté » et
« vie » signifient ici rejoindre le gouvernement le plus droitier de
l’histoire contemporaine française.
Au moment même où Lang faisait
sa déclaration, la direction du PS sous Hollande ne s’était pas encore
remise de la perte de ses autres personnalités. L’ancien chantre PS des
droits humains, Bernard Kouchner, est à présent le ministre des Affaires
étrangères de Sarkozy ; l’éminent ancien ministre de Lionel Jospin,
Dominique Strauss-Kahn, a accepté sa nomination par Sarkozy à la direction du
FMI (Fonds monétaire international) ; et Jean-Pierre Jouyet a été nommé
secrétaire d’Etat aux Affaires européennes.
Un autre ténor de
« gauche » à avoir accepté un poste de Sarkozy est Hubert Védrine qui
avait été le conseiller diplomatique pour les affaires stratégiques et le
porte-parole de l’Elysée du président François Mitterrand ainsi que
ministre des Affaires étrangères sous le gouvernement de Lionel Jospin. Védrine
a accepté, aux côtés de l’économiste et écrivain, Jacques Attali,
également ancien conseiller de Mitterrand, le poste dans un groupe de réflexion
sur les effets du réchauffement climatique lié à la mondialisation. Une autre
désertion marquante du PS est celle de l’ancienne féministe Fadela Amara
qui est à présent secrétaire d’Etat auprès de la ministre du Logement et
de la Ville, chargée de la Politique de la Veille dans le gouvernement
Sarkozy-Fillon.
Lors de la dernière
réunion du bureau national du parti, il fut décidé de remettre à mars prochain
l’analyse de ses défaites électorales de 2007. Il n’existe aucun
élément au sein de la direction pour soulever la question à la fois du
caractère droitier de la campagne électorale menée par la candidate
présidentielle, Ségolène Royal, et de l’incapacité du PS à défier la
politique réactionnaire du gouvernement sortant de l’UMP ou le pouvoir
électoral de Sarkozy.
Au contraire, une
discussion sur la récente défaite électorale aurait très bien pu révéler jusqu’à
quel point une part importante de la direction du PS partage la
perspective de Sarkozy. L’effondrement de « l’alternance
gauche-droite » et la révélation du PS comme défenseur déclaré du
capitalisme français ont des implications importantes et dangereuses pour la
vie politique en France. En décidant d’ajourner une discussion interne,
Hollande et les ténors du PS ont cherché à sauvegarder l’illusion que
leur parti représentait une « différence ». De par leurs actions,
Strauss-Kahn, Védrine, Lang et compagnie ont fait éclater la résolution adoptée
à l’unanimité par le bureau national du parti.
En réalité, le programme
et la politique du PS a beaucoup de choses en commun avec ceux de l’UMP
de Sarkozy. Un grand nombre de personnalités influentes du PS se sont rendues
compte que la sauvegarde de leur carrière politique et le maintien de leurs
privilèges n’étaient possibles qu’en faisant partie du gouvernement
Sarkozy.
En passant dans
l’autre camp, Lang a passé sous silence le rôle qu’il a lui-même
joué dans la débâcle du parti. Après la défaite électorale du PS, Lang a dit
que le PS traversait « une crise grave » et qu’ « on
aurait attendu de la part des dirigeants une autocritique, une analyse ».
Une fois de plus, dans ce contexte, « analyse » et
« autocritique » signifient fournir des arguments à une accentuation
du virage à droite du PS.
Dans une interview
accordée à Libération (12 juillet), Lang s’est plaint de ce que le
parti s’autodétruisait et avait « lancé indirectement une fatwa
[décret religieux] » contre lui. Il a accusé Hollande d’avoir
« coupé les ailes » de personnalités telles Strauss-Kahn, Kouchner et
autres, qui ont tous soit démissionné de la direction soit déserté pour
rejoindre le gouvernement Sarkozy.
Lang est loin
d’être novice en politique et sa démission n’a rien à voir avec des
divergences avec le programme du PS. En fait, c’était Lang aux côtés de
Strauss-Kahn et de Martine Aubry (ministre de l’Emploi et de la
Solidarité et numéro deux du gouvernement Jospin) qui furent les architectes du
programme électoral de 2007du PS. Lang fut également conseiller spécial de
Royal.
A bien des égards, Lang
est à ce jour le plus gros poisson que le gouvernement Sarkozy ait attrapé.
Durant sa longue carrière politique, Lang a occupé plus de postes ministériels que
n’importe quel autre dirigeant du Parti socialiste. Après des études de
sciences politiques et de droit, il devient avocat et professeur de droit
international à l’université de Nancy. En 1977, il est élu à son premier
poste de conseiller de Paris.
Lang ne joua aucun rôle
dans le mouvement de masse des étudiants et des travailleurs de 1968. Il a
toujours été considéré comme un homme qui ne s’embarrasse pas de « lest
idéologique » superflu. Il aime à se qualifier de « réaliste
révolutionnaire » mais un examen sérieux de son évolution politique montre
clairement qu’un tel « réalisme » n’est rien
d’autre qu’un synonyme pour de l’opportunisme absolu. Lorsque
Lang évoque les années 1960, c’est pour faire l’éloge de la
« culture anti-establishment » et le « style de vie
alternatif » plutôt que de la signification politique du soulèvement
révolutionnaire des travailleurs et des étudiants qui a ébranlé
l’establishment français.
L’apparition de
Lang sur la scène politique s’est faite grâce à l’intervention de
son mentor, Mitterrand, un politicien de carrière au passé de droite et qui, en
1971, prit la direction de la social-démocratie française presque moribonde
pour fournir à la bourgeoisie française une alternative électorale au
gaullisme. Durant les nombreuses années passées à la tête du Parti socialiste,
Mitterrand s’est révélé être un expert en la matière pour attirer les
organisations rivales sur son terrain et collaborer avec elles, notamment le
Parti communiste, fournissant ainsi une couverture politique de gauche à sa
politique essentiellement droitière et bénéfique au patronat. En tant que poids
léger intellectuel, Lang fut pour Mitterrand un choix idéal dont il fera en
1981 son ministre de la Culture.
Durant les douze années
de mandat de Mitterrand et ensuite de son successeur, Lionel Jospin, Lang
occupa non moins de six postes ministériels, y compris celui de ministre de l’Education
nationale. Le plus grand « succès » de Lang en tant que ministre de
la Culture fut la création de la Fête de la Musique, une démarche qui n’aura
rien coûté au gouvernement. En tant que ministre de la Culture, il a également
remis la plus haute distinction de son ministère à Sylvester Stallone, un
acteur américain épouvantable et insignifiant.
Obligé de siéger dans
les rangs de l’opposition parlementaire à la suite de la défaite du
gouvernement Jospin en 2002, Lang continua à soutenir la ligne de plus en plus
droitière du Parti socialiste. En 2005, il avait été le porte-parole de la
campagne du PS pour le « oui » au référendum sur la constitution
européenne néolibérale, il a dernièrement clairement fait comprendre
qu’il n’a pas vraiment de divergences politiques avec Sarkozy.
Dans l’une de ses
dernières interviews accordées avant sa démission du Parti socialiste à Charlie
Rose sur la chaîne américaine PBS dans le Charlie Rose Show, Lang s’est
exalté sur la campagne électorale menée par Sarkozy. A propos de la politique
de Sarkozy, Lang a déclaré, qu’« il est un conservateur. Il a une
vision économique pas très différente de celle de Bush et de Reagan. »
A la question de savoir
ce qu’il pensait de la politique de Sarkozy qui s’adapte à celle du
Front national néofasciste, Lang a répondu positivement : « Ce
n’est pas tout à fait faux. Mitterrand a réussi à intégrer dans le passé
les gens qui votaient communistes. Et c’est la même chose à présent avec
Sarkozy avec les gens qui ont voté Front National dans le passé. »
Les médias ont souvent
fait passer les défections de Lang et d’un nombre
d’ « éléphants » influents du PS comme une concession de
Sarkozy à l’adresse de la politique du PS et visant à élargir sa base
tout en portant atteinte au Parti socialiste. Il n’y a pas de doute que
Sarkozy est tout à fait conscient du préjudice que cause sa politique de
recrutement au PS mais le tournant brutal à droite de ce dernier ne devrait pas
être sous-estimé.
Les couches sociales
bien payées, que représentent Lang et ses pairs, les « bobo »
(bourgeois-bohême) qui ont fait fortune durant ces deux dernières décennies
partagent les mêmes objectifs fondamentaux de base que le gouvernement Sarkozy.
Ils se bousculent pour collaborer avec ses projets de « réforme » de
la France, à savoir de mener des attaques brutales contre les conditions
sociales et les droits démocratiques de la classe ouvrière au moyen de mesures
de plus en plus autoritaires.
L’une des clés de
voûte de la campagne électorale de Sarkozy fut sa campagne contre les valeurs incarnées
par les « héritiers de mai 68 ». « Dans cette élection, » a
proclamé Sarkozy, « il s’agit de savoir si l’héritage de mai
68 doit être perpétué ou s’il doit être liquidé une fois pour
toutes. »
Lorsque Sarkozy parle de
« l’héritage de ‘68’ », il se réfère au soulèvement
des travailleurs et des jeunes qui, bien que trahi par le Parti communiste,
arracha au cours des décennies suivantes une série de réformes du système de prestations
sociales au gouvernement. Alors que Sarkozy engage sa « rupture »
contre ce qui reste de ces réformes et qu’il cherche à « liquider
l’héritage de mai 68 », il est à présent en mesure de se mettre à
profit les services de membres influents du Parti socialiste, y compris ceux d’un
certain nombre ayant des liens étroits avec « l’héritage de mai
68 ».
(Article original anglais paru le 23 juillet
2007)