Les dirigeants au plus haut niveau du
gouvernement du président nouvellement élu, Nicolas Sarkozy, projettent
d’étendre une loi prescrivant un niveau de « service minimum »
garanti dans les transports publics à l’ensemble du secteur public, à
commencer par les écoles.
La loi anti-grève proposée oblige les
autorités organisatrices de transports à décider d’un niveau de service
qu’elles devront maintenir par la suite. Elle force les syndicats et les
travailleurs qui veulent faire grève à répondre à des exigences onéreuses en
termes de conditions à remplir, comme par exemple, le fait que chaque
travailleur déclare individuellement son intention de faire grève deux jours
avant qu’elle ne débute ; et que les employeurs peuvent organiser, dans
les huit jours qui suivent tout déclenchement d’une grève, un scrutin à
bulletin secret pour déterminer si une majorité des salariés est encore en sa
faveur ou non.
Le premier ministre, François Fillon, a fait
état le 17 juillet dans une interview télévisée sur France-3 de sa volonté
d’étendre la loi sur le « service minimum » alors que le Sénat en
commençait l’examen. Il a déclaré, « La démonstration qui sera faite
de l’efficacité du dialogue social dans les transports peut ensuite
servir de modèle pour être étendu dans d’autres secteurs, dont
l’Education nationale. Si ça marche, je ne vois pas pourquoi on ne
l’étendrait pas à d’autres domaines, parce que l’objectif
c’est quand même bien de fournir en permanence le meilleur service public
à tous les Français. »
Le ministre des Affaires sociales, du Travail
et des Solidarités, Xavier Bertrand, a alors fait savoir qu’un service
minimum était « indispensable ». Il a dit, « Plaçons-nous
d’un point de vue pratique : s’il y a une grève il faut quand
même s’organiser pour savoir ce qu’on va faire avec les
enfants. » Il a souligné le fait que les collectivités locales chargées
d’assurer la surveillance des élèves en cas de grève de leurs enseignants
ne disposent souvent pas des moyens de le faire.
Selon le journal Le Monde, un amendement
serait déjà examiné par le Sénat et qui prévoirait l’application de la
loi sur le service minimum au service public d’enseignement les jours
d’examen du brevet ou du baccalauréat.
Le gouvernement a légèrement reculé en raison
d’une réaction hostile et de critiques des syndicats enseignants. Le 18
juillet, le ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos, a dit,
« Il n’y a qu’un seul service minimum qui est envisagé, c’est
celui des transports. » Toutefois, il a fait comprendre qu’il
n’attendait qu’un moment politiquement plus propice pour instaurer
la mesure dans les écoles, en ajoutant avoir « toujours dit aux syndicats
que toutes les questions évoquées dans la campagne présidentielle, y compris le
service minimum, faisaient partie du débat que nous aurions le moment
venu. »
Le Parti socialiste (PS) et le syndicat des
enseignants SNUIPP-FSU ont tous deux cherché à donner l’impression
qu’il existe des dissonances au sein du gouvernement, en dénonçant une
« cacophonie » au gouvernement. Le porte-parole du SNUIPP-FSU
(Syndicat national unitaire des Instituteurs Professeurs des Ecoles et Professeurs
d’enseignement général de collège, Pegc) a simplement dit qu’il
espérait « que cesse la cacophonie entre le premier ministre et ses
ministres. » Il est évident par contre qu’il y a une unanimité
totale au gouvernement pour étendre le principe de « service
minimum » à l’ensemble du secteur public : les désaccords
existants ne concernent que la méthode et le moment opportun.
L’avantage politique majeur du gouvernement
dans son projet de loi briseur de grève réside dans l’inefficacité de la
direction syndicale pour les travailleurs et la complicité du Parti socialiste.
Les syndicats et le PS, bien qu’étant tous deux en désaccord avec le
gouvernement quant à la méthode et au moment propice pour l’instauration
de la loi et malgré la posture qu’ils prennent à l’encontre de
Sarkozy pour sauvegarder leur crédibilité dans leurs propres rangs, se
retrouvent sur l’objectif final du gouvernement : la
« réforme » du contrat de travail et du système de relations sociales
afin de rendre la France concurrentielle face à ses rivales économiques, un
processus qui ne pourra avoir lieu qu’aux dépens de la classe ouvrière.
Suite aux élections présidentielles et législatives,
durant lesquelles le Parti socialiste a mené une campagne électorale droitière
fade et ennuyeuse, tout comme le reste de la « gauche », il règne
inévitablement une énorme confusion populaire et même des illusions. Certains
espèrent même que Sarkozy fera « redémarrer » l’économie. Dans
le même temps il existe une vaste opposition contre le genre de coupes sociales
qu’il a promis d’effectuer aux partisans de son régime, une
« rupture » avec les institutions sociales actuelles de la France.
Les dirigeants gouvernementaux cherchent
évidemment à profiter au maximum de cette confusion. Ils ont cité à maintes
reprises des sondages d’opinion montrant qu’entre 70 et 80 pour
cent de personnes étaient en faveur du projet de « service minimum ».
S’ils sont corrects, ces sondages reflètent, plus qu’autre chose, la
frustration croissante face à la situation précaire du service public, lourdement
affecté par les restrictions imposées dans son financement et son personnel.
Néanmoins, Sarkozy dont l’une des premières mesures en tant que président
avait été d’annoncer la suppression de 10.000 postes dans l’Education
nationale et qui avait occupé des positions au plus haut niveau dans les
gouvernements de droite précédents, est tout aussi responsable de la situation
que le sont ses prédécesseurs.
Dans la presse de droite, l’on assiste à
un débat ouvert sur la question à savoir comment semer au mieux la confusion et
évincer les instincts démocratiques des masses. Le journal des milieux
d’affaires Les Echos a remarqué, « Pour éviter
d’attaquer de front le droit de grève, il [le gouvernement] a mis
davantage l’accent sur la prévisibilité du trafic – le postulat est
que c’est l’absence d’information qui exaspère le plus les
Français [que les grèves en général] – que sur le service garanti. »
Comme le signalait le professeur de droit,
Frédéric Rouvillois, dans une interview accordée au Nouvel Observateur, un
service minimum garanti garantissant qu’un minimum de travailleurs ne
fassent pas grève viole les dispositions de la constitution française
d’après-guerre qui reconnaît expressément le droit de grève à tous les
travailleurs. En 2004, le Conseil constitutionnel avait précisé que le projet
de « service minimum » envisagé par le gouvernement du président
Jacques Chirac de l’époque était inconstitutionnel.
La réaction des dirigeants syndicaux avait été
en grande partie faible et exempte de principes. Ils s’étaient surtout
plaints de ne pas avoir été consultés ou de ce que certains détails avancés par
les porte-parole gouvernementaux étaient incorrects. C’est ainsi que
Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU (syndicat de l’Education
nationale) a dit qu’il est « très en colère » et que le
gouvernement « accumule les sujets de conflits ». Malgré le caractère
clairement droitier du gouvernement de Sarkozy-Fillon, Aschieri a laissé
entendre qu’il avait été surpris par les annonces qui avaient été faites
dernièrement : « Il n’y avait eu jusque-là aucune déclaration
officielle sur un service minimum dans l’éducation… Ce sujet
n’a donné lieu à aucune concertation. Le risque de conflit (social) est
de plus en plus fort »
A une question posée de but en blanc par le
quotidien Le Monde, s’il déclencherait une grève contre la loi sur
le service minimum, Didier Le Reste, le secrétaire de la fédération CGT des
cheminots (Confédération générale du Travail) dominée par les staliniens, a
refusé de répondre. Il a dit que son syndicat rejoindrait le 31 juillet, les
autres syndicats pour des manifestations locales. Là encore, la CGT se prépare
à recourir à la même stratégie que celle employée par les syndicats pour
désamorcer les manifestations auxquelles avaient participé des millions de
personnes en 2003 contre la réduction des retraites et en 2005 contre le CPE
(Contrat Première Embauche) : à savoir organiser quelques protestations et
défilés éparpillés un peu partout et évitant soigneusement toute lutte
politique contre le gouvernement.
Les mesures pour un « service
minimum » visent à attaquer les droits de la classe ouvrière tout entière
et sa capacité à se mobiliser contre le gouvernement. Au cours de ces dernières
années, un grand nombre des principaux mouvements de la classe ouvrière
française, les grèves de 1995 contre la réforme de la sécurité sociale et les
grèves de 2003 et de 2005, furent déclenchés par les travailleurs du secteur
public, qui craignent moins la menace du licenciement pour cause de grève que
leurs collègues du secteur privé et qui jouissent d’un large soutien de
la population. Sarkozy cherche un moyen de réprimer les travailleurs du secteur
public dans l’espoir d’avoir les mains libres pour lancer sa
politique sociale réactionnaire.
Il ne faudrait pas non plus sous-estimer le danger
que représentent les démarches du gouvernement Sarkozy qui font partie en fait d’un
projet pour provoquer, isoler et briser les protestations organisées par les
travailleurs à l’encontre de la loi, et qui est calqué sur le modèle de
confrontation employé par le président américain, Ronald Reagan, pour détruire
le syndicat des aiguilleurs du ciel PATCO en 1981. Face à une telle stratégie,
la politique du morcellement des manifestations et des négociations prônée par
la bureaucratie syndicale est en fait des plus dangereuses.
(Article original anglais paru le 20 juillet
2007)