Le dimanche 21 janvier, le magazine d’actualité Der Spiegel publiait une entrevue avec la
secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice. Après avoir visité plusieurs
pays au Moyen-Orient, Rice a continué sa tournée avec une visite de l’Europe
dont le premier arrêt était Berlin. Elle y a rencontré le ministre allemand des
Affaires étrangères et la chancelière, Angela Merkel (CDU, Union démocrate
chrétienne).
Lorsqu’on lui demanda si elle avait perçu du
scepticisme ou de la critique dans ses discussions à Berlin, Rice a répondu : « Je
trouve le gouvernement allemand favorable à ce que nous essayons de faire. »
Rice a continué en affirmant qu’elle était « impressionnée et contente »
que Berlin accueille « le renouvellement de l’engagement des Etats-Unis en
Irak ». Elle a continué, « J’ai trouvé un large soutien pour ce que
le président se prépare à entreprendre. »
Le gouvernement allemand n’a émis aucune déclaration officielle suite à
l’annonce par le président américain il y a deux semaines de plans pour
augmenter le nombre des soldats américains en Irak et pour élargir la guerre. L’entrevue
avec Condoleezza Rice rend clair que le gouvernement allemand soutien les
agressions militaires de l’administration Bush.
En adoptant cette position, il renforce George W. Bush alors que ce
dernier est de plus en plus isolé internationalement et dans son propre pays. Lors
des élections de mi-mandat de novembre dernier, le Parti républicain de Bush a
perdu le contrôle des deux chambres du Congrès qui sont passées aux mains des démocrates
et depuis ce temps, tous les sondages ont montré que la grande majorité de la
population américaine rejette la guerre en Irak.
Les démocrates ne désirent certainement pas désarmer Bush et mettre fin
à une guerre qu’ils appuient depuis le début. Mais ils ont pris une position
plus critique envers Rice que ce qu’elle a entendu à Berlin. Lorsqu’elle a dû
témoigner devant un comité du Congrès américain, la secrétaire d’Etat a été interrogée
durement sur la guerre en Irak.
La chancelière Merkel a elle aussi eu l’occasion de critiquer la
décision de Bush sur l’intensification de la guerre en Irak. Le jour avant sa
rencontre avec Rice, l’ancien ambassadeur américain en Allemagne, Richard
Holbrooke, dans le Berliner Zeitug,
avait appelé la chancelière à présenter à la secrétaire d’Etat la critique
européenne de la politique américaine en Irak. La chancelière a plutôt fait le
contraire et donné son soutien à Bush.
Le gouvernement allemand s’est ainsi fait le complice d’une guerre qui
dès son origine était une violation du droit international et qui, depuis, est devenue
un des plus grands crimes de guerre de l’histoire.
En cherchant à attiser les conflits ethniques et religieux, l’occupation
américaine de l’Irak a transformé ce pays en un enfer. Plus de cent personnes
sont tuées tous les jours. Selon une étude de la renommée Université John
Hopkins, 655 000 Irakiens ont été tués depuis le début de la guerre. A ce
nombre, il faut ajouter les 3000 soldats américains tués et les dizaines de
milliers de blessés ou profondément marqués psychologiquement par la guerre. Le
fait que le gouvernement Merkel est maintenant prêt à s’aligner derrière les
fauteurs de guerre à Washington, alors que le désastre militaire et la
souffrance inconcevable de la population irakienne sont si clairs, en dit long
sur le caractère de ce gouvernement.
L’appui de Merkel
pour Bush ne date pas d’hier. Au début de la guerre, alors que des milliers de
personnes manifestaient et que le chancelier allemand de l’époque, GerhardSchröder (du Parti
social-démocrate, SPD),
a exprimé son opposition, Merkel
a démontré son appui pour la guerre. Dans un article du WashingtonPost
intitulé « Schröder
ne parle pas pour tous les Allemands », elle a attaqué le gouvernement du SPD et
des verts pour avoir refusé d’envoyer des troupes allemandes à la guerre en Irak.
Pourquoi, malgré tout, continue-t-elle d’appuyer cette guerre, même si
ses conséquences militaires et politiques désastreuses sont maintenant si
évidentes, et alors qu’un
grand nombre d’anciens supporters critiquent maintenant la guerre ?
Plusieurs raisons peuvent l’expliquer et certaines sont liées à la propre
biographie politique de Merkel.
Bush a parlé de « démocratie et liberté » en
Irak, tout
en mettant au pouvoir un régime fantoche qui a terrorisé la population et qui a
fait respecter impitoyablement les intérêts de la puissance occupante au nom
d’une minorité privilégiée. Voilà une forme de politique avec laquelle Merkel est très
familière.
Elle a commencé à jouer un rôle en politique à une
époque où l’on parlait énormément de « démocratie et liberté » dans
l’ancienne Allemagne de l’Est (GDR).
Cependant, les événements entourant la réunification de l’Allemagne en 1989-90
ont démontré que de telles paroles n’avaient rien à voir avec la réalité. Au
lieu d’une véritable démocratie et liberté, un ordre social qui faisait
respecter les intérêts de profits d’une petite minorité a été instauré par la
force dans l’ancienne GDR.
L’ampleur de la dévastation sociale créée durant les quinze années suivantes
est sans égal en temps de paix.
Merkel n’a jamais été intéressée par la démocratie au sens d’un système
politique répondant aux souhaits et aux désirs de la majorité de la population.
Tant que la dictature stalinienne demeurait essentiellement intacte dans la GDR, elle était
prête à s’adapter et restait politiquement inactive. C’est seulement lors de la
réunification, dans une période marquée par la destruction des acquis sociaux
et culturels en faveur de l’enrichissement sans limites d’une petite minorité,
que ses intérêts politiques se sont éveillés et qu’elle a amorcé sa rapide
ascension dans le CDU.
Cela explique pourquoi elle est maintenant prête à
accueillir avec un grand respect et beaucoup de reconnaissance un politicien
comme Bush, qui a impitoyablement forcé l’implémentation
de ses politiques malgré l’opposition d’une très grande majorité de
l’électorat. Quelqu’un
qui est prêt à prouver sa détermination et son inflexibilité face à sa propre
population impressionne Merkel.
Derrière la fausse attitude amicale, ouverte et parfois naïve de Merkel se cache une
politicienne en puissance sans scrupules.
Son appui pour Bush doit être vu comme un
avertissement : la manière brutale avec laquelle l’administration Bush
ignore et contourne la volonté de l’électorat américain et terrorise l’Irak servira de
modèle à l’attitude future du gouvernement à Berlin.
Les
intérêts impérialistes de l’Allemagne
L’adaptation de l’Allemagne à la politique guerrière
des États-Unis est aussi liée aux craintes de l’élite dirigeante allemande qu’une
défaite militaire américaine en Irak
ait des conséquences désastreuses pour toute la région. Si la plus forte
puissance impérialiste connaît d’importantes difficultés, les autres grandes
puissances se sentent aussi menacées. À cet égard, Merkel parle au nom de la majorité des États
de l’Union européenne et tente, en tant que présidente de l’UE et chef
du prochain sommet du G8, de raffermir la position du gouvernement des
États-Unis.
Cependant,
Merkel n'est pas simplement le valet des intérêts américains. Elle n'est pas « le
petit toutou d'oncle Sam » qui prendrait la place du premier ministre
britannique dont la carrière politique patauge. Merkel parle pour les intérêts
qu’elle représente, c’est-à-dire, les intérêts impérialistes allemands, et son
soutien aux États-Unis est conditionnel à ce que certaines conditions bien
précises soient remplies.
Premièrement,
elle demande que les compagnies allemandes aient accès au marché irakien, pour
être plus précis, que les entreprises allemandes puissent avoir leur part du butin
en Irak. Et, deuxièmement, elle tente de dissuader le gouvernement américain
d'entreprendre des frappes militaires contre l'Iran — craignant les
répercussions sur le ravitaillement en énergie pour l'Allemagne et les intérêts
économiques considérables que l'Allemagne partage avec Téhéran.
Le
ministre allemand de l'Économie a préparé une « conférence d'affaires germano-irakienne »
pour le mois de juin, et l'un des principaux points qui y sera discuté est
l'industrie pétrolière iranienne. Sous le titre « L'Irak a besoin de nous
maintenant », le député du CDU et porte-parole pour la politique
étrangère, Eckhart von Klaeden, a écrit dernièrement dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ),
« L'Irak possède la troisième plus importante réserve de pétrole au monde
et pour cette raison, est d'une importance centrale en matière de sécurité
énergétique globale, particulièrement pour l'Allemagne et l'Europe. »
Von
Klaeden demande également une rapide extension des liens commerciaux avec
l'Irak dans d'autres domaines : « Nous devrions rapidement développer
une chambre de commerce Allemagne-Irak… Il pourrait initialement avoir son
siège provisoire à Amman jusqu'à ce qu'un transfert à Bagdad soit possible. Au
début, cette chambre de commerce Allemagne-Irak devrait avoir un bureau
régional à Arbil dans la région économique en effervescence du Kurdistan
irakien » (FAZ, 12 janvier 2007).
En ce qui
concerne les plans américains pour l'Iran, Condoleezza Rice a déclaré au Der Spiegel, « Nous ne voulons pas
d'escalade. Notre plan est de réagir aux activités iraniennes qui entravent les
nôtres. »
En fait,
« ces activités iraniennes » ont systématiquement été provoquées pour
pouvoir plus facilement développer un prétexte pour lancer une guerre. À pas
moins de trois occasions au cours des quatre dernières semaines, des soldats américains
ont arrêté des Iraniens et des personnes proches de l'Iran en Irak, incluant
des diplomates et des dirigeants religieux influents tels que le membre du
clergé chiite Abdul Aziz al-Hakim.
Les
préparations militaires pour une frappe contre l'Iran sont déjà bien avancées.
Après une pause de plusieurs mois, depuis décembre une flotte de navires américains,
dirigée par le porte-avion Dwight D. Eisenhower, patrouille dans le golfe Persique.
À la fin de janvier, le porte-avion John C. Stennis va se joindre à la flotte
pour du renfort. Sous le titre « Avertissement de tempête dans le golfe »,
Der Spiegel rapporte que les
navires et les avions américains ont effectué des manœuvres en novembre,
simulant « un appui à un nouveau gouvernement élu contre une rébellion en
cours ».
Peu
importe les détails du marchandage diplomatique, le soutien que la chancelière Merkel
a donné à la politique de guerre des Etats-Unis a une conséquence inévitable :
il renforce et encourage l'administration Bush à entreprendre des aventures
militaires encore plus criminelles ayant des conséquences totalement
imprévisibles.
(Article original allemand paru le 24 janvier 2007)