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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

L’intronisation de Nicolas Sarkozy

Le ministre de l’Intérieur français nommé candidat gaulliste à la présidentielle

Par Peter Schwarz
22 janvier 2007

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Le 14 janvier, le sacre du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy comme candidat du parti gaulliste au pouvoir, l’UMP (Union pour un mouvement populaire) à l’élection présidentielle de cette année était un spectacle à faire frémir.

En politique, il est nécessaire d’éviter tout parallèle superficiel. Sarkozy n’est pas un fasciste et l’UMP gaulliste n’est pas un mouvement fasciste, du moins pas pour le moment. Néanmoins, le style de Sarkozy rappelle en bien des points les souvenirs dérangeants de la période la plus horrifique de l’histoire européenne.

Il y a eu la parade massive de quelque 80 000 membres radieux de ce parti qui se donne le nom de « mouvement ». Il y a eu le score de 98 pour cent en faveur de sa candidature aux élections des délégués de l’UMP. Et il y a eu l’invocation incessante à l’honneur, la nation et la patrie.

Au milieu de l’apparat excessif qui conviendrait mieux au couronnement d’un monarque, Sarkozy a utilisé son discours d’intronisation au congrès de l’UMP pour condamner la lutte des classes et appeler à surmonter les différences entre la gauche et la droite. « Ma France, a-t-il déclaré, c’est celle de tous les Français qui ne savent pas très bien au fond s’ils sont de droite, de gauche ou du centre parce qu’ils sont avant tout de bonne volonté. »

Il a cherché à réconcilier l’irréconciliable : « Ma France c’est le pays qui a fait la synthèse entre l’Ancien Régime et la Révolution, entre l’Etat capétien et l’Etat républicain. » Il a évoqué le personnage de Jean Jaurès, opposant socialiste à la guerre, qui avait été assassiné au début de la Première Guerre mondiale, et Georges Clémenceau, le premier ministre qui, en 1918, avait déclaré son intention de continuer la guerre jusqu’au bout. En l’espace d’une phrase Sarkozy évoqué le révolutionnaire Danton, le colonisateur Jules Ferry et le dirigeant français de l’après-guerre Charles de Gaulle.

Il en a appelé à la tradition religieuse par ces paroles, « Nous sommes les héritiers de deux mille ans de chrétienté et d’un patrimoine de valeurs spirituelles », et a assimilé son propre « rêve » personnel de devenir président et de se rendre « utile à la France » avec « une victoire pour la France ». On ne peut pas dire que la modestie soit le point fort de Sarkozy.

Ambition bonapartiste

Sarkozy ne reconnaît ni partis ni classes sociales, il ne reconnaît que les bons Français et les mauvais Français. Sa rhétorique exubérante, son appel à tous les Français quelles que soient leurs différences politiques, sociales ou autres est souvent qualifiée simplement de tactique de campagne présidentielle, de tentative d’élargir la base électorale de son parti au-delà de la circonscription gaulliste traditionnelle. Mais ce n’est pas juste cela.

Sarkozy essaie de développer un nouveau mécanisme pour maintenir l’autorité de la bourgeoisie. Son objectif est d’établir un gouvernement de type bonapartiste avec de puissants éléments autoritaires, qui se base d’un côté sur l’appareil d’Etat et de l’autre sur une masse amorphe de couches moyennes désenchantées et de sections désorientées de la classe ouvrière. Cet objectif sous-tend sa démagogie sociale qui rappelle celle d’un Mussolini, d’un Goebbels et autres représentants semblables de régime autoritaire.

Il s’est fait un nom à son poste de ministre de l’Intérieur comme champion intraitable du « tout sécuritaire », provocateur de droite, ami et allié de la police. D’après la presse, il a personnellement serré la main à rien moins que 26 000 policiers.

En tant que candidat à l’élection présidentielle, il se présente comme le représentant d’une République basée sur « des valeurs d’équité, d’ordre, de mérite, de travail, de responsabilité ».

Sarkozy a consacré une large partie de son discours à donner les grandes lignes de sa vision de la République. Dans cette République, égalité ne signifie pas égalité sociale, mais plutôt égalité des chances. Il s’agit d’une République qui n’a peur « ni de l’orientation, ni de la sélection ni de l’élitisme républicain » qui « est la condition de la promotion sociale ». 

Chaque droit implique un devoir: « Les devoirs sont la contrepartie des droits. » Personne ne sera en situation de recevoir s’il ne contribue pas : « Je propose qu’aucun minimum social ne soit accordé sans la contrepartie d’une activité d’intérêt général. »

La discipline et l’ordre tiennent une place importante parmi les priorités de Sarkozy. Il veut une école « de l’autorité et du respect où l’élève se lève quand le professeur entre, où les filles ne portent pas le voile, où les garçons ne gardent pas leur casquette en classe ».

L’invocation par Sarkozy de panacées autrefois associées aux idéologues fascistes apparaît le plus clairement dans sa glorification du concept de travail.

Le but de la République, a-t-il déclaré, est « la reconnaissance du travail comme source de la propriété et la propriété comme représentation du travail ». Il attribue « la crise morale de notre modèle républicain » à la « dévalorisation du travail ». Il a aussi ajouté « Le travail a été dévalorisé. La France qui travaille est démoralisée. »

Le candidat gaulliste va jusqu’à accuser la gauche officielle de trahir l’ouvrier : « Longtemps la droite a ignoré le travailleur et la gauche qui jadis s’identifiait à lui a fini par trahir. Je veux être le Président d’une France qui remettra le travailleur au cœur de la société. »

Cet ami déclaré du grand capital français est même prêt à prôner des hausses de salaire : « Le travail n’est pas assez récompensé, valorisé, respecté. Et c’est pour cela que le pouvoir d’achat est trop faible, car les salaires sont trop bas et les charges trop lourdes. »

Ce genre de glorification hypocrite du travail comme base morale de la société et de la propriété capitaliste est une composante de l’idéologie corporatiste du fascisme et est intrinsèquement en contradiction avec les droits démocratiques et sociaux des travailleurs, notamment le droit de grève et d’organisation. Le travail, d’après le corporatiste, est subordonné à l’intérêt public, à la société dans son ensemble et à la propriété privée. Les grèves de travailleurs offensent une telle éthique du travail et représentent des intérêts égoïstes et de particuliers.

De la même façon, Sarkozy associe ses louanges sur le travail à des restrictions juridiques sur les grèves dans les services publics. De telles grèves ont ébranlé le pays à intervalles réguliers cette dernière décennie et demie. Dans son discours, Sarkozy a critiqué les grévistes qui selon lui prennent les usagers des services publics en « otages ». Il est déterminé à faire passer une loi cet été exigeant des services publics le maintien d’un service minimum et à imposer le vote à bulletin secret lors de tout mouvement de grève.

Dans ce contexte réactionnaire, il a appelé à un service civique obligatoire de six mois pour tous les jeunes, une sorte de programme de travaux forcés.

Sarkozy a entamé son hommage à la valeur du travail par ces mots : « Le travail c’est la liberté », expression, peut-être accidentelle, qui rappelle le slogan écrit en grand sur le portail du camp de concentration nazi d’Auschwitz : « Arbeit macht frei » (le travail c’est la liberté).

Un tournant politique

L’ascension de Sarkozy à la candidature présidentielle pour l’UMP s’est faite sur fond d’opposition de la vieille garde gaulliste. Le président Jacques Chirac tout particulièrement et ses plus proches partisans s’opposaient à lui.

Sarkozy est fils d’un noble hongrois qui avait immigré en France après la Deuxième Guerre mondiale et avait servi pendant cinq ans dans la Légion étrangère. Sa mère était d’origine gréco-juive. Après que son père ait déserté le foyer, sa mère avait dû élever seule ses trois enfants tout en poursuivant une carrière.

Sarkozy a tiré de l’héritage de son enfance une ambition infatigable et le désir de se hisser vers les sommets, quels que soient les obstacles. Contrairement aux autres membres de l’élite politique française, Sarkozy n’est pas passé par le cadre de l’ENA (Ecole nationale d’administration.)

Sa nomination à la candidature présidentielle marque un tournant politique qui ne peut se comprendre que par rapport à la situation internationale à laquelle la France est confrontée et les vives tensions qui existent à l’intérieur du pays.

Depuis de nombreuses années en France les élites politiques et des affaires cherchent à se mesurer aux défis posés par la mondialisation et à renforcer la position du pays sur le marché mondial en détruisant les acquis sociaux de l’après-guerre et en privatisant à grande échelle. A plusieurs reprises, elle a dû faire face à l’opposition acharnée de larges couches de travailleurs et de jeunes.

Depuis 1995, le pays a été secoué de façon répétée par des mouvements sociaux de masse qui ont souvent duré des semaines et n’ont pu être maîtrisés qu’avec le concours des syndicats, des partis officiels de la gauche et des groupes petits-bourgeois d’extrême-gauche. Ces organisations se sont discréditées un peu plus chaque fois au cours de ces luttes tandis que de nouvelles couches sociales et des générations plus jeunes n’ayant aucun lien avec ces partis et syndicats traditionnels rejoignaient ces mouvements de protestation.

En 2002, le Parti socialiste français a subi une débâcle quand son candidat présidentiel, Lionel Jospin a été battu par Jean-Marie Le Pen, d’extrême-droite au premier tour des élections, laissant ce dernier au second tour. Depuis lors, le Parti socialiste, avec ses parasites du Parti communiste, et des groupes d’extrême-gauche tels la Ligue communiste révolutionnaire et Lutte ouvrière, a clairement viré à droite. Avec le choix de Ségolène Royal, le Parti socialiste a adopté un candidat présidentiel dont le programme rejette toute forme de réforme sociale de gauche et prône la négation de l’Etat providence, le libéralisme, la chasse aux immigrants et la démagogie du « tout sécuritaire » qui sont au cœur du programme Sarkozy.

Etant donné l’échec des gouvernements antérieurs, qu’ils soient dirigés par les gaullistes ou le Parti socialiste, à vraiment mettre en place des mesures contre la classe ouvrière- privatisations, flexibilité du travail, démantèlement de l’Etat providence, dérégulation des entreprises, baisses d’impôts pour les entreprises et les riches – exigées par l’élite française des patrons, les cercles dirigeants français explorent de nouvelles méthodes plus directes d’imposer leurs diktats.

Ils recherchent un moyen de se sortir de l’impasse sociale qui les a obligés à modérer leurs attaques envers la classe ouvrière – comme cela a été le cas l’an dernier avec le retrait par le gouvernement du CPE, Contrat première embauche. C’est ce qui explique le soutien grandissant pour Sarkozy de l’élite dirigeante.

Ces dernières semaines, des personnalités bien en vue de l’UMP tels l’ancien premier ministre Alain Juppé et la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, une favorite de Chirac, se sont alignées derrière Sarkozy. Il jouit aussi de plus en plus du soutien des milieux français des affaires. Parmi ses sponsors et soutiens financiers, on compte des personnalités tels le producteur d’armes et éditeur Arnaud Lagardère, le magnat du bâtiment et de la télévision Martin Bouygues et le dirigeant du groupe luxueux LVMH, Bernard Arnault.

Les formes de gouvernement bonapartistes sont une tradition de longue date en France, de Napoléon 1er et Napoléon 3 au mentor de Sarkozy, le général de Gaulle, qui avait mis en place en 1959 un régime présentant de puissantes tendances autoritaires.

Il y a cependant des différences fondamentales entre la situation de la France dans les années 50 et aujourd’hui. De Gaulle avait pris le pouvoir en pleine guerre d’Algérie quand la France était menacée de tomber dans la guerre civile. Le redressement économique des années qui ont suivi et qui ont vu une industrialisation rapide et une mutation de larges couches de la population des campagnes vers les villes, ont finalement miné ce régime. Un an après la grève générale de 1968, de Gaulle était contraint à la démission.

Un gouvernement de type bonapartiste conduit par Sarkozy n’accorderait pas de concessions sociales et n’augmenterait pas non plus le niveau de vie. Sa tâche consisterait à supprimer la résistance des travailleurs et de la jeunesse par la force brute. Les caractéristiques de type fasciste et autoritaire de son régime apparaîtraient toujours plus nettement.

Jusqu’ici, malgré les efforts de Sarkozy et de ses partisans pour créer une base sociale pour un tel régime, le résultat tient plus de l’apparence que de la réalité. L’UMP a dépensé pas moins de 3,5 millions d’euros pour organiser ce spectacle pompeux le 14 janvier et créer l’impression d’un mouvement de masse.

Tandis que l’UMP a triplé le nombre de ses adhérents récemment, le fait est qu’une immense majorité de la population, y compris de larges couches des classes moyennes, restent hostiles à la classe politique officielle. Cela s’est vu à maintes reprises dans le soutien populaire massif pour les mouvements sociaux antigouvernement des étudiants, des jeunes et des travailleurs.

Ce serait cependant une erreur de sous-estimer le danger incarné par la montée de Sarkozy sur le devant de la scène. Sa force réelle provient du rôle joué par la soi-disant « gauche » — syndicats, et partis de gauche, ainsi que les partis d’extrême-gauche — qui a maintes fois conduit ces mouvements sociaux dans une impasse. La clé pour vaincre le danger représenté par Sarkozy est la construction d’un parti révolutionnaire indépendant capable d’unifier la classe ouvrière sur la base d’un programme socialiste internationaliste.

(Article original paru le 20 janvier 2007)


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