Dans des
remarques télédiffusées dimanche dernier, le président Bush et le
vice-président Cheney ont rejeté l’opposition de masse à leur politique de
guerre du revers de la main. Ils ont déclaré que le gouvernement américain ferait
« tout ce qui est nécessaire » pour obtenir la victoire militaire en
Irak et ont suggéré que l’Iran pourrait bien être la prochaine cible de l’agression
militaire américaine.
Comme ils
réitéraient leurs plans pour l’élargissement de la guerre, Bush et Cheney
exprimaient le point de vue — un trait associé à la dictature, pas à la
démocratie — que le gouvernement avait le droit de défier la volonté du peuple
sur les questions politiques les plus fondamentales, une guerre dans laquelle
des milliers d’Américains et des centaines de milliers d’Irakiens ont déjà
perdu la vie.
Dans une
offensive coordonnée de relations publiques de la Maison-Blanche, Cheney était
l’invité de l’émission d’entrevue matinale « Fox News Sunday », alors
que Bush était interviewé sur l’émission de CBS « 60 Minutes »
diffusée le même jour.
Les deux ont
cherché, mais de façon légèrement différente, à intimider la majorité des
Américains qui s’opposent à la continuation de l’occupation américaine en Irak
et veulent le retrait rapide de toutes les troupes américaines.
Bush a expliqué
l’impact dévastateur de l’échec américain en Irak, disant qu’il « donnerait
du courage à l’ennemi », qu’il a défini comme étant « al-Qaïda et les
extrémistes » ainsi que l’Iran. Il a continué en disant qu’un tel échec
signifierait la souffrance et le meurtre de masse au Moyen-Orient, malgré que
ce soit là précisément le résultat catastrophique de l’invasion américaine
actuelle.
Laissant
entendre que d’immenses intérêts économiques et stratégiques étaient en jeu
dans la question du contrôle de la région riche en pétrole — qu’il a opposé aux
enjeux de la défaite américaine au Vietnam —, Bush a dit que « Ce qui est
arrivé au Moyen-Orient est important pour notre pays. Et cela est différent de
certains de nos engagements passés. »
Cheney, comme
il sied à ce personnage dont le rôle est celui de la brute de l’administration,
a donné l’avertissement que ceux qui prônaient le retrait de l’Irak « valideraient
de nouveau la stratégie qu’Oussama ben Laden a adoptée depuis le premier jour :
si vous tuez assez d’Américains, vous pouvez les forcer à abandonner, ils n’auront
pas le courage de se battre. »
Alors que
Cheney suggérait que ceux qui s’opposent aux politiques bellicistes de l’administration
Bush capitulaient devant le terrorisme, Bush a déclaré qu’il y avait un large
consensus aux Etats-Unis sur la nécessité de réussir en Irak et a maintenu que
les critiques de ses plans d’intensifier la guerre étaient obligé d’offrir un
scénario de rechange pour une victoire américaine.
Tout en évitant
de remettre en question le cadre essentiel de l’intervention américaine en
Irak, et s’adressant à Bush et Cheney avec un respect servile, les journalistes
de Fox et de CBS ont néanmoins demandé quelques questions acérées au président
et au vice-président, qui ont donné des réponses qui méritent d’être
rapportées.
Scott Pelley de
l’émission « 60 Minutes » a interrogé Bush sur les mensonges utilisés
comme prétexte pour la guerre en 2003. « Plusieurs Américains croient que
votre administration n’a pas été franche avec le pays, qu’elle n’a pas été honnête »,
a-t-il dit, citant les affirmations sur les armes de destruction massive et les
liens entre l’Irak et les attaques du 11-Septembre tout comme la grande
sous-estimation par l’administration du coût de la guerre.
Bush a tout d’abord
semblé pris de court, crachant un « Je comprends. Je comprends. Je
comprends. » Il a ensuite eu recours aux dernières lignes de défense des
mensonges d’avant la guerre, l’argument que les démocrates et l’administration Clinton
avaient la même vue sur l’Irak de Saddam Hussein. « Il y avait beaucoup de
gens, tant républicains que démocrates, a-t-il dit, qui croyaient qu’il y avait
des armes de destruction massive. Plusieurs dirigeants du Congrès ont dit
clairement que Saddam Hussein avait des armes avant mon arrivée à Washington,
D.C. »
L’intervieweur
de Fox, Chris Wallace, a demandé à Cheney de parler de l’importante baisse
d’appui du public et du Congrès pour la guerre en Irak, comme elle s’est
spécialement exprimée dans les élections de novembre 2006. Citant des sondages
réalisés à la sortie des bureaux de vote qui montraient que pour le vote de 67
pour cent des gens la guerre était une question très importante et que
seulement 17 pour appuyaient l’envoi de plus de troupes, il a demandé à
Cheney : « Par votre politique n’avez-vous pas, M. le vice-président,
ignoré la volonté du peuple américain aux élections de novembre ? »
Cheney a
répondu : « Je crois que pas un président qui se respecte ne peut se
permettre de prendre des décisions de cette importance selon les sondages. Les
sondages changent chaque jour... »
Insistant,
Wallace a ajouté : « C’était une élection monsieur. » Cheney a
ignoré cette remarque, répétant : « Les sondages changent de jour en
jour, de semaine en semaine... on ne peut pas simplement se fier à l’opinion
publique et se retirer, car elle s’oppose. »
Le
vice-président a ensuite développé une perspective basée sur le rejet de toute
responsabilité démocratique du gouvernement des États-Unis vis-à-vis du peuple
américain. Au contraire, a-t-il soutenu, la tâche du gouvernement était d’être
plus fort que le peuple, afin d’assurer que la volonté du chef exécutif (le
« décideur ») prédomine sur la volonté du peuple.
« Cela
fait partie intégrante de la stratégie fondamentale de nos ennemis qui croient
que c’est là la faiblesse des États-Unis », a déclaré Cheney. « Ils
sont convaincus que l’actuel débat au Congrès, la campagne électorale en
automne dernier, que tout ceci est la preuve qu’ils ont raison quand ils
affirment que les États-Unis ne sont pas faits pour cette longue guerre contre
le terrorisme.
« Ils y
croient. Ils repensent aux événements qui vont dans ce sens : au Liban en
83, en Somalie en 93 et au Viêt-Nam avant cela. Ils sont convaincus que les
États-Unis vont en réalité se retirer s’ils tuent assez d’entre nous. Ils ne
peuvent nous battre en combattant, mais ils pensent qu’ils peuvent briser notre
moral. Et si nous avons un président qui regarde les sondages et qui constate
que ceux-ci ne sont pas d’accord avec lui et qui conclut : “Oh mon dieu,
nous devons nous retirer”, cela ne va que confirmer la vision du monde d’Al-Qaïda.
« C’est
exactement la chose à ne pas faire. Ce président ne développe pas une politique
selon les sondages publics, et il ne devrait pas le faire. Il est absolument
nécessaire de s’y prendre de la bonne façon. »
Les deux
entrevues tracent un portrait extraordinaire de la vie politique américaine,
dans laquelle l’administration Bush-Cheney va de l’avant avec sa politique
d’intensification de l’agression militaire au Moyen-Orient, peu importe le
profond dégoût ressenti par la population face à la guerre.
La
Maison-Blanche sent qu’elle peut ignorer sans crainte les sentiments populaires,
car elle a évalué depuis longtemps ses critiques au Congrès et sait que le
leadership démocrate ne tentera pas sérieusement de mettre un terme à la
guerre.
Cheney et Bush
ont parlé ouvertement de la possibilité qu’il y ait des manœuvres au Congrès
pour bloquer le financement de la guerre. Bush a semblé reconnaître que le
Congrès possédait l’autorité constitutionnelle pour empêcher le financement de
la guerre, mais il a déclaré : « Je vais me battre contre ça, bien
sûr... Je ne laisserai pas faire ça. Cela voudrait dire qu’ils ne seraient pas
prêts à appuyer un plan que je crois qui réussira et qui résoudra la situation.
Il y a des gens qui critiquent ce plan avant même qu’on ne lui ait donné la
chance de fonctionner. »
Cheney a été
encore une fois plus agressif, qualifiant une « recommandation du
Congrès » proposée par le leadership démocrate comme étant un exercice de
rhétorique inutile, et déclarant que Bush avait le pouvoir d’envoyer des
troupes supplémentaires en Irak, peu importe l’opinion du Congrès. « Le
président est le commandant en chef », a affirmé Cheney. « C’est lui
qui doit prendre ces décisions difficiles. C’est lui qui doit décider comment
utiliser la force et où la déployer. »
Admettant avec réticence que le
Congrès avait autorité sur les dépenses militaires, Cheney s’est dit en accord
avec une suggestion faite par son interlocuteur qu’un vote contre le
financement de la guerre équivaudrait à couper l’aide aux troupes.
Dans un commentaire diffusé dans
le cadre d’une autre émission télévisée d’actualité, « Face the
Nation » sur CBS, le sénateur républicain John McCain qualifiait de bluff
la résolution démocrate, rejetant cette résolution non contraignante et insignifiante
et les défiant de couper les fonds s’ils voulaient vraiment mettre fin à la
guerre.
La nouvelle présidente de la
Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et le dirigeant de la majorité au
Sénat, Harry Reid, ont tout deux désavoué toute tentative en ce sens, acceptant
et même accueillant la prétention de l’administration Bush qu’un tel vote
représenterait une attaque contre les soldats actuellement déployés en Irak. Ce
n’est qu’un effort cynique et égoïste visant à enlever toute légitimité au
sentiment anti-guerre de masse et à le supprimer, il vise aussi à s’immuniser
contre une future campagne démagogique des républicains sous le thème de
« Qui a perdu l’Irak ? »
La Maison-Blanche et les démocrates
ne daignent expliquer comment envoyer des soldats se faire tuer par des IED et
des snipers pourrait être qualifier de « soutien aux troupes », alors
que ce serait un coup dans le dos que d’utiliser le pouvoir de contrôle sur les
dépenses qui revient au Congrès pour forcer l’administration Bush à ramener ces
soldats en sécurité à la maison avec leur famille.
Bien sûr, aucune section de
l’élite dirigeante des Etats-Unis, ne considère les intérêts des Irakiens
innocents dont les vies seront sacrifiées avec la poursuite et
l’intensification de la guerre qui ont causé la mort d’un nombre estimé de 655 000
personnes.
L’escalade qu’entreprend
l’administration Bush est une menace non seulement pour le peuple opprimé de
l’Irak, mais aussi pour les masses du Moyen-Orient et pour les droits
démocratiques du peuple américain.
Dans son entrevue télévisée,
Cheney considéré des dizaines d’années de guerre, déclarant, « C’est un conflit
existentiel. C’est le genre de conflit qui va orienter notre politique et notre
gouvernement pour les 20 ou 30 ou 40 prochains ans. Nous devons prévaloir, et
nous devons, sans flancher, entreprendre la lutte à long terme. »
Ce genre de langage
apocalyptique est plus qu’une simple réédition de la prétention depuis
longtemps discrédité que l’invasion et l’occupation de l’Irak est une réponse
aux attaques terroristes du 11 septembre. La perspective démente exprimée
par Cheney est une justification pour une escalade sans limite de la violence
en Irak et en Afghanistan et pour de nouvelles guerres en Iran, d’autres pays
et au Moyen-Orient, et au-delà.
C’est la base de l’assaut qui a
été menée contre les droits démocratiques du peuple américain – quelque chose
que Cheney a défini dans la même entrevue alors qu’il répondait aux révélations
de la fin de semaine concernant l’espionnage de citoyens américains par le
Pentagone défendant ce dernier exemple d’Etat policier utilisé au pays.
Si la Maison-Blanche peut aller
de l’avant avec son programme de guerre et de répression seulement, ce n’est
que parce qu’elle bénéficie de la collaboration du Congrès démocrate. Les
démocrates vont utiliser leur statut de majorité au Congrès – une conséquence
du vote massif contre la guerre en novembre dernier – pour aider
l’administration Bush. La lutte contre la guerre en Irak et la menace d’une
agression militaire américaine plus large peut-être menée seulement à travers
la construction d’un mouvement anti guerre de masse indépendant basé sur la
classe ouvrière et opposé aux deux partis politiques de l’élite corporative américaine.
(Article original anglais paru le 16 janvier 2007)