Les premières réactions dans la presse européenne
aux projets de George W. Bush d’envoyer 20 000 soldats supplémentaires en
Irak vont du scepticisme au rejet total.
Le journal parisien de la gauche libérale, Libération,
compare Bush à un joueur de poker en perdition, mais qui fait néanmoins monter
les enchères en rajoutant une mise, au risque de tout perdre. Le président
américain se trouve dans la situation « où il ne peut ni gagner la guerre ni
admettre qu’il l’a déjà perdue ». L’envoi de troupes supplémentaires ne
changera rien à la situation, écrit le journal. La déclaration de Bush selon
laquelle un retrait serait catastrophique pour l’Irak est correcte aux dires de
Libération, mais « il en ira de même vingt mille GI plus tard. Ce
sera l’affaire de quelques mois. Puis Bush retrouvera son dilemme : payer
ou partir. »
Le journal italien La Republica déclare
qu’« en dépit de sa défaite aux élections de novembre et au changement
survenu dans l’opinion publique », Bush poursuit la « voie de
l’unilatéralisme ». Il a choisi d’ignorer le conseil à la fois de ses plus
loyaux généraux et du Groupe d’étude sur l’Irak. Ainsi, « la “nouvelle voie”
de la Maison-Blanche ressemble au vieux chaos qui a transformé le pays en une
fournaise, en dépit de la mort de 3000 soldats américains en quatre ans et
d’une dépense de 357 milliards de dollars ».
Sous le titre, « Libéré jusqu’à la
mort », l’hebdomadaire allemand Die Zeit accuse Bush de mépriser le
peuple irakien. « Après tout, les Irakiens ne sont pas responsables des
difficultés qu’ils connaissent. Elles leur furent imposées. Leur propre excroissance
même, le despote Saddam Hussein, n’aurait pas pu durer aussi longtemps sans
aide de l’étranger. De plus, les Irakiens ne sont pas responsables d’avoir fait
entrer al-Qaïda dans le pays ; ils ne sont pas responsables de
l’incompétence, de la corruption et de l’irresponsabilité qui caractérise le
déploiement américain en Irak. Néanmoins, ils doivent être punis pour les
péchés de leurs maîtres autoproclamés. »
Le journal Die Zeit en appelle
ouvertement au retrait des troupes américaines. « La souffrance des
Irakiens ne s’affaiblira que lorsqu’ils réussiront à se mettre tous ensemble en
un Etat sûr de lui pour contrer les voisins intrigants et les grandes
puissances intervenantes. » A cette fin, ils auraient besoin d’aide,
« mais non de soldats d’occupation, américains ou autres ».
Le site Spiegel Online a publié un
article sur les nouveaux projets de Bush sous le titre « Plus de sang,
plus d’argent, plus de doutes. » La veille, le magazine avait publié un
court commentaire fait par le conseiller américain pour la sécurité nationale, Zbigniew
Brzezinski, décrivant l’invasion en Irak comme étant « probablement le
plus grand désastre de l’histoire de la politique étrangère des Etats-Unis ».
Dans le même commentaire, Brzezinski mettait en garde le gouvernement de
Washington contre les dangers d’une aventure militaire en Iran.
Le journal britannique, The Guardian, qualifie
la décision de Bush de renforcer les troupes de « dernier jet de dé dans
une entreprise mal conçue et qui a engagé son pays, notre pays et le
Proche-Orient dans un bourbier. En optant pour un renforcement des troupes, M.
Bush a ignoré le message des élections de novembre dernier, du Groupe d’étude
sur l’Irak, du Congrès et de ses propres généraux de haut rang ainsi que de la
majeure partie de l’opinion mondiale. »
Seul le sénateur républicain, John McCain, et
le démocrate droitier, Joe Lieberman, ont soutenu ses projets, remarque le
journal.
Le Guardian poursuit en disant,
« L’affirmation d’un retour à la paix à Basra est tout aussi irréel que
l’espoir de Bush que l’ordre peut être établi à Bagdad. » Se référant
également au premier ministre, Tony Blair, le journal écrit, « Entouré par
les décombres du désastre qu’ils ont créé, les deux hommes espèrent encore,
contre toute vraisemblance, qu’il est encore possible de recoller les morceaux.
Mais leur projet est mort. Quelques troupes supplémentaires, quelques mois de
plus, ne le sauveront pas. »
Même des journaux conservateurs qui sont politiquement
proches de Bush mettent en doute la viabilité de ses projets. Le journal
londonien, Daily Telegraph, écrit, « Il existe des doutes sérieux que
le nombre relativement restreint des troupes supplémentaires et la faiblesse du
gouvernement Nouri al-Maliki en permettent la réalisation », puis le Telegraph
poursuit en faisant l’éloge du « courage politique » du président
américain.
Par contre, le journal autrichien Salzburger
Nachrichten ne voit que le courage de quelqu’un poussé au désespoir, en
écrivant, « Il faut du courage pour ignorer de la sorte, purement et
simplement, les recommandations émises par des experts attitrés, les diverses
voix de la raison au sein de son propre parti et celles des généraux. Contre
toutes les opinions et la rhétorique contraires, le président Bush met
sciemment en danger l’efficacité des forces armées américaines qui sont d’ores
et déjà largement débordées. Il n’est donc pas étonnant que nombreux sont ceux
dans son propre camp qui cherchent à se distancer avec horreur de la politique
de Bush. »
A Paris, le quotidien conservateur, Le
Figaro, fait le commentaire suivant, « Depuis six mois, George W. Bush
n’avait plus de stratégie irakienne. Il entreprend cette bataille, face au
scepticisme de l’opinion américaine et du Congrès. C’est sa dernière chance de
sauver sa présidence. »
Si l’on considère l’ensemble de ces
commentaires, l’on voit apparaître l’image d’une catastrophe qui se rapproche
rapidement. Bush a choisi de ne pas se soucier de considérations logiques, de
conseils politiques et même de ses propres généraux et, ce faisant, il est prêt
à conduire l’Irak, le Proche-Orient, les Etats-Unis et une grande partie du
monde à la catastrophe.
Il n’y a pas de doute que les craintes et les
doutes articulés par la presse européenne sont partagés par les fonctionnaires
et les ministres des gouvernements européens tout comme ceux des Affaires
étrangères. Après tout, il existe un échange intense d’opinions et d’idées
entre ces institutions et les comités de rédaction des principaux journaux
européens. Et pourtant, pas la moindre protestation n’a été formulée, sans
parler de réactions diplomatiques ou politiques de la part des milieux
politiques européens.
La semaine passée, la chancelière allemande, Angela
Merkel, rendait visite à Bush à la Maison-Blanche pour s’entretenir longuement
avec lui sur la situation en Irak et au Proche-Orient. A la fin de leurs
entretiens, elle n’a pas tari d’éloges pour le président américain.
Avant la guerre en Irak, les gouvernements
européens qui avaient refusé de participer à la guerre avaient sans cesse été
accusés de pratiquer une politique d’apaisement. Cette accusation est liée aux
accords de Munich de 1938 et au refus, notamment du gouvernement britannique,
de s’opposer à l’annexion agressive de la Tchécoslovaquie par Hitler.
A présent, cette accusation d’apaisement
lancée contre les gouvernements européens est tout à fait appropriée. Le
silence des gouvernements européens, en particulier du gouvernement allemand, face
aux formes criminelles de militarisme présentement poursuivies par le
gouvernement Bush, et la manière dont ils cherchent à entrer dans les bonnes
grâces de Washington tout en fermant les yeux sur les conséquences
catastrophiques de la politique de Bush, peut, à juste raison, être comparée à
la position adoptée par le ministre britannique, Neville Chamberlain, à Munich.