Le 6 janvier, le quotidien britannique The Guardian
révélait que moins de 24 heures avant l’attentat suicide du 7 juillet 2005, la
directrice des services secrets intérieurs britanniques du MI5, avait assuré
aux parlementaires de haut rang qu’il n’existait aucune menace d’attaque
terroriste imminente contre le pays.
Dame Eliza Manningham-Buller, directrice générale du MI5,
avait fait ses commentaires le 6 juillet dernier lors d’une réunion privée à
laquelle avaient participé une dizaine de députés travaillistes à la Chambre
des Communes. Selon le journal, les députés qui y avaient assisté étaient
tellement rassurés qu’ils se sentaient « en confiance, en quittant la
réunion, de pouvoir informer leurs collègues de ce que la situation sécuritaire
était sous contrôle ».
Le journal poursuit qu’il « avait été rapporté qu’ils
avaient été profondément alarmés par les événements du jour suivant »
lorsque quatre hommes, Mohammad Sidique Kahn, Shehzad Tanweer, Germaine Lindsay
et Hasib Hussain, avaient fait exploser leur ceinture de bombes dans le réseau
du transport londonien, tuant 52 personnes et en blessant 700.
Le journal constate que des détails de la réunion avaient été
révélés juste « quelques semaines avant que des détails attendus d’une
opération du MI5 ne soit rendus publics et qui avait vu deux des sept kamikazes
du 7 juillet placés sous surveillance, mais pas arrêtés ».
Immédiatement après les attentats, le ministre de l’Intérieur
de l’époque, Charles Clarke, avait dit que les attaques étaient « tombées
du ciel » et que les kamikazes étaient inconnus des services de police et
n’avaient aucun lien connu avec le terrorisme.
Malgré des affirmations que la Grande-Bretagne avait été
informée d’une attaque imminente à Londres par des membres influents du
gouvernement d’Arabie saoudite et des services du renseignement, ministres et
fonctionnaires du MI5 avaient insisté sur le fait qu’il n’y avait eu aucune
indication donnant à penser qu’une attaque terroriste était en préparation.
En l’espace de quelques mois, ces affirmations commencèrent à
se défaire. Le MI5 fut contraint d’admettre que Khan et Tanweer avaient tous
deux été placés sous surveillance en rapport avec d’autres personnes faisant
l’objet d’une enquête liée à d’éventuelles activités terroristes. Tous deux
avaient également été vus au Pakistan, et le MI5 possédait les numéros de
téléphone de Khan et de Lindsay.
Et pourtant, les services secrets et le gouvernement ont
continué à dire que le fait de ne pas poursuivre les quatre kamikazes était dû
au hasard. Pas plus tard que mai dernier, un rapport établi par le Comité de
renseignement et de sécurité (Intelligence and Security Committee, ISC) et un
autre du ministre de l’Intérieur, John Reid, avaient affirmé que c’était la
conséquence malheureuse d’un certain nombre de « défaillances
sécuritaires » dont la cause première était « le manque de
ressources ».
L’ISC affirmait que les actes des kamikazes n’auraient pas pu
être prédits, et ce, malgré le fait que Khan et Tanweer étaient connus des
services secrets deux ans au moins avant les attaques et que tous deux avaient
été vus au Pakistan où il était « probable qu’ils étaient en contact avec
des personnalités d’al-Qaïda ».
Le premier ministre, Tony Blair, n’a cessé de rejeter une
enquête publique des attentats suicide au motif fallacieux qu’une telle enquête
détournerait des ressources de la « guerre contre la terreur ».
L’on s’attend à ce que des informations qui seront publiées au
cours des prochaines semaines montrent qu’au moins plusieurs des kamikazes de
juillet se trouvaient bien plus au coeur des enquêtes menées contre le
terrorisme qu’on ne l’a révélé antérieurement.
Selon le journal Daily Mail, « Les sources de
renseignements affirment que les hommes avaient été vus dès 2004, près de 18
mois avant les attentats suicides de Londres qui causèrent la mort de 52
personnes dans trois lignes de métro et un bus.
« Une fois, Khan avait été intercepté au volant de sa
voiture et avait à son bord des personnes suspectes et, une autre fois, il
avait été enregistré en train de leur parler d’entraînement au Jihad. »
Dans un article antérieur paru dans le journal Sunday Times,
il avait été dit que « des policiers enquêtant sur les attentats avaient
trouvé un dispositif dans la Honda Accord argentée de Mohammad Sidique
Khan ».
Il en découle que Khan était bien surveillé par les services
secrets, affirmation que la police a démenti.
De plus, selon le journaliste américain, Ron Suskind, Khan
avait été interdit d’entrée aux Etats-Unis pour des raisons de sécurité en 2004
à cause de ses liens avec des personnalités d’al-Qaïda. Suskind a affirmé que
les services du renseignement américains avaient remis à l’époque un dossier
détaillé sur Khan au MI5, renforçant encore les affirmations faites par
l’Arabie saoudite.
Le Guardian a fait comprendre que le départ à la
retraite de Manningham-Buller serait l’occasion d’obtenir davantage de
révélations potentiellement déstabilisantes sur l’ampleur des
« défaillances » du MI5. Et, au regard de cela, les détails de ses
déclarations faites aux parlementaires tendraient à confirmer les thèses
d’incompétence du MI5.
L’un des aspects les plus frappants des événements survenus
lors des attentats à la bombe du 7 juillet était que la décision de réduire le
système d’alerte national en le faisant passer du niveau trois « général-sérieux »
au niveau deux « substantiel » avait été prise à peine quelques mois
avant. Ceci en dépit du fait qu’au moment même où les kamikazes frappaient la
capitale, les chefs d’Etat et de gouvernement se réunissaient en Ecosse pour le
sommet du G8.
Depuis des années, et surtout depuis les attentats contre les
trains à Madrid en 2004, ces réunions sont accompagnées de mesures sécuritaires
rappelant celle prévues par la loi martiale avec des quartiers entiers
complètement bouclés et la mise en place de zones de survol interdit. Avec
l’Espagne, alors l’un des principaux alliés du président George W. Bush dans la
guerre en Irak, qui avait déjà la cible d’attentats, la Grande-Bretagne était
considérée être une cible de premier choix.
C’est en effet ce que répètent, depuis 2001 déjà, Blair, les
ministres influents du gouvernement, la police et les fonctionnaires de
sécurité. Juste quelques mois avant les attentats du 7 juillet, le parlement
avait voté une nouvelle loi relative à la lutte contre le terrorisme et
annulant les droits démocratiques de longue date, y compris le principe de
présomption d’innocence, en se servant précisément cette menace.
Afin de faire voter ses mesures hautement litigieuses, et que
Blair lui-même avait décrites comme un fait marquant de l’histoire du droit, le
gouvernement et les services secrets avaient lancé des avertissements sinistres
quant à l’inévitabilité d’une attaque terroriste sur le sol britannique. Le
site Internet des services secrets avait alors publié des commentaires
acrimonieux selon lesquels « des ressortissants à la fois britanniques et
étrangers appartenant à des cellules d’al-Qaïda et à des réseaux associés sont
présentement actifs partout dans le Royaume-Uni, qu’ils soutiennent les
activités de groupes terroristes et que, dans certains cas, ils sont engagés
dans des projets ou des tentatives de perpétrer des attaques
terroristes ».
Et pourtant, quelques semaines plus tard, la menace
sécuritaire était réduite et Manningham-Buller semblait vouloir apaiser les
parlementaires en disant qu’il n’existait aucune preuve d’attaque terroriste
imminente.
Si cette liste de défaillances sécuritaires apparentes était
due à « l’incompétence », cela montrerait néanmoins que les
agissements du gouvernement et des services secrets durant la période
antérieure au 7 juillet étaient politiquement criminels. Plutôt que de mener
une lutte rigoureuse et soutenue en vue de protéger le peuple britannique, les
pouvoirs étaient engagées dans une tromperiepropagandiste dont
l’objectif était d’utiliser la « guerre contre le terrorisme » pour
justifier la guerre à l’extérieur et une attaque sans précédent contre les
libertés civiques dans le pays.
En novembre, juste avant l’annonce de son départ à la
retraite, Manningham-Buller faisait encore une fois monter la température
politique. Dans un discours fortement accrocheur, la directrice du MI5
affirmait que les services secrets étaient au courant de 30 complots
terroristes de « niveau I » avec « grand nombre de
victimes » en Grande-Bretagne et avaient connaissance de quelque 1600
personnes activement impliquées dans des complots terroristes ou qui y
apportaient leur concours, soit en Grande-Bretagne soit à l’étranger.
Dans ses remarques qui firent la une des journaux pendant
plusieurs jours, elle poursuivit en disant que de jeunes musulmans
« étaient formés pour devenir des kamikazes ». Il n’y a aucun moyen
de vérifier les affirmations de Manningham-Buller, mais elles ont servi à
alimenter une campagne anti-islamique vocifératrice et qui est entretenue par
le gouvernement et les médias dans le but de détourner l’attention des
conséquences catastrophiques de l’invasion illégale de l’Irak.
Toutefois, l’échec répété des services secrets d’interpeller
Khan et Tanweer soulève une autre possibilité sinistre. Il est hautement
improbable que les forces de sécurité britanniques, compte tenu de leur long
engagement en Irlande, qui comprend la mise en scène délibérée de provocations
meurtrières, aient pu multiplier autant de « bévues » monumentales.
C’est pour cette raison que de nombreux commentateurs bien informés ont suggéré
la possibilité que les services secrets, ou du moins une partie d’entre eux,
aient été conscients qu’une attaque était imminente le 7 juillet et aient
décidé délibérément de « se tenir en retrait » et de laisser faire,
afin d’ouvrir ainsi la voie à une nouvelle offensive contre les droits
démocratiques.
Le moins que l’on puisse dire c’est que l’article sur les
remarques adressées par Manninghma-Buller aux parlementaires de haut rang met
l’accent une fois de plus sur la nécessité d’une enquête indépendante sur les
circonstances entourant le 7 juillet et les prétendues défaillances du MI5.
(Article original anglais paru le 10 janvier 2007)