Les développements politiques depuis la
parution de cet article le 23 février dernier confirment que la démission du
premier ministre italien Romano Prodi avait pour but de discipliner les neuf
partis de sa coalition. Des représentants de Refondation communiste, un des parti membre de la coalition de Prodi, et successeur du défunt
parti stalinien, le Parti communiste de l’ Italie, avaient participé à des manifestations contre le gouvernement.
Samedi, le président italien a refusé la
démission de Prodi qui doit retourner devant les deux chambres du parlement
italien pour organiser un vote de confiance envers son gouvernement. Deux jours
auparavant, lors d’une réunion de crise, Prodi a exigé des partenaires de
sa coalition un soutien inconditionnel pour un programme en 12 points qui leur
fut présenté.
Tous, y compris Refondation communiste,
ont accepté le plan de Prodi qui comprend la continuation des missions
militaires italiennes en Afghanistan et au Liban, l’agrandissement de la
base militaire américaine à Vicence, la soi-disant libéralisation de
l’éducation, du commerce, des services et des pensions, ainsi que plus de
pouvoirs pour Prodi pour que ce dernier soit moins soumis à ses partenaires
politiques.
Mercredi dernier, après avoir perdu un vote au Sénat italien
portant sur la politique étrangère de son gouvernement de coalition
centre-gauche, l’Unione, le premier ministre italien Romano Prodi
a remis sa démission. L’effondrement du gouvernement, au pouvoir depuis
neuf mois, s’est produit dans un contexte où l’opposition populaire
envers sa politique de droite, tant intérieure qu’étrangère, gagne en
importance.
Quatre jours seulement avant le vote au Sénat et la démission
de Prodi qui s’en est suivie, plus de 100 000 personnes ont
manifesté à Vicence au nord de l’Italie. Ils voulaient signifier leur
opposition au soutien apporté par Prodi à l’élargissement d’une base
militaire américaine dans cette ville et à ses projets d’augmenter le
nombre des soldats italiens déployés en Afghanistanfaisant partie de
l’occupation de ce pays par l’OTAN. Les manifestants ont aussi
dénoncé la guerre en Irak et exigé que le gouvernement mette fin à sa
collaboration avec la politique militariste de l’administration Bush.
Prodi et le ministre italien des Affaires étrangères Massimo
D’Alema, ancien secrétaire national du parti stalinien, le Parti
démocratique de la gauche (devenu Démocrates de gauche) et ancien premier
ministre, avaient appelé à un vote dans le but de faire la démonstration
publique de l’unité des neufs partis de la coalition formant le
gouvernement, ciblant particulièrement Refondation communiste (Rifondazione
Comunista), reste stalinien du vieux Parti communiste italien qui prend des
airs de parti socialiste anti-impérialiste.
D’Alema, principal représentant du gouvernement lors du
débat au Sénat, a exprimé la duplicité de la gauche officielle italienne en
affirmant d’un côté que la coalition de l’Unione
« n’a pas soutenu la politique néo-conservatrice de
l’administration américaine et n’a pas envoyé de soldats en
Irak » et de l’autre qu’il défendait les déploiements de
l’armée italienne en Afghanistan et au Liban et en déclarant que s’opposer
au projet américain d’élargissement de la base de Vicence « serait
un acte hostile envers les Etats-Unis ».
La décision de mettre la politique étrangère du gouvernement
au vote était basée sur l’idée selon laquelle le soutien apporté à l’expansion
de la base militaire américaine et au rôle militaire de l’Italie en Afghanistan
étaient des questions cruciales sur lesquelles le gouvernement ne ferait pas de
compromis, et ce malgré l’opposition croissante de la population
italienne. En défendant cette position, le gouvernement Prodi répondait à la
fois aux pressions des Etats-Unis et à celles des sections les plus puissantes
de l’élite dirigeante italienne.
En réalité, Prodi et D’Alema adressaient un ultimatum
politique à la direction de Refondation pour qu’elle rappelle à
l’ordre ses factions dissidentes qui ont cherché à apaiser
l’opposition grandissante au sein des partisans et des électeurs du parti
envers sa participation dans un gouvernement qui se fait le champion de l’austérité
économique à l’intérieur et de l’élargissement des interventions
militaires à l’étranger.
Refondation communiste avait indiqué qu’elle
soutiendrait le gouvernement lors du vote au Sénat et tous ses sénateurs, sauf
un, ont respecté la ligne du parti. Toutefois, l’abstention de cet unique
sénateur de Refondation, Franco Turigliatto, ainsi que l’abstention
d’un sénateur du Parti vert et du sénateur à vie, Giulo Andreotti, ancien
premier ministre démocrate-chrétien et éminence grise de la politique
italienne, ont eu pour conséquence qu’il a manqué deux voix au
gouvernement, qui avait besoin de 160 voix pour remporter le vote.
Même si la motion n’était pas présentée comme un vote de
confiance envers le gouvernement, Prodi a rapidement pris la décision de
remettre sa démission, précipitant une sérieuse crise politique et faisant
monter la pression sur Refondation communiste pour qu’elle discipline ses
propres rangs.
Après avoir remis sa démission, Prodi a déclaré qu’il
était prêt à demeurer à la tête du gouvernement seulement à condition d’avoir
une « majorité solide comme le roc » et une « plus grande marge
de manœuvre ». Des proches de Prodi ont déclaré qu’il était
« prêt à continuer au poste de premier ministre si, et seulement si, on
lui garantissait le soutien entier de tous les partis de la majorité à partir
de maintenant. »
Le président italien Giorgio Napolitano a accepté la démission
de Prodi mais lui a demandé de continuer à s’occuper des affaires du
gouvernement et à participer à des négociations pour trouver une solution à la
crise. Les deux principales voies qui s’offrent à lui sont de nouvelles
élections ou un remaniement ministériel qui donnera en quelque sorte une
majorité fonctionnelle à Prodi. Dans les deux cas, il en résultera
inévitablement un gouvernement plus à droite.
Prodi a déclaré qu’il était prêt à discuter avec les
démocrates-chrétiens conservateurs qui ont quitté Forza Italia, l’organisation
de tutelle de l’ancien premier ministre Silvio Berlusconi. Dans une
coalition de centre-gauche remaniée, un plus grand nombre de conservateurs
augmenterait l’influence de Prodi sur la gauche officielle.
Bien que des sénateurs des partis de la droite officielle —
surtout Forza Italia de Berlusconi et l’Alliance nationale de Gianfranco
Fini — aient appelé à la tenue d’une nouvelle élection suite au
vote au Sénat, Berlusconi n’a pas encore émis une telle demande. Ce
dernier avait dû quitter son poste de premier ministre suite à un vote en mai
dernier, en raison de l’opposition populaire et du mécontentement d’importantes
sections de l’élite dirigeante.
Le Financial Times de Londres a exprimé la préférence
générale du capital financier international dans un éditorial publié jeudi sur
son site Internet et intitulé « Pour une coalition des forces centristes
italiennes ». Le journal a loué Prodi pour avoir « réduit le déficit
budgétaire » et a affirmé que son « programme de réforme » avait
« beaucoup contribué à redonner confiance ».
Il a critiqué le gouvernement de Berlusconi pour n’avoir
pas eu « de discipline fiscale et ne pas avoir apporté les réformes
nécessaires à l’économie italienne », et a demandé aux « partis
centristes italiens » de « tenter de former une
coalition ».
Ce vote de confiance de la bourgeoisie internationale envers
Prodi a été repris par le parti soi-disant anticapitaliste, Refondation
communiste. En 1998, le parti avait retiré son soutien parlementaire à la
coalition de centre-gauche dirigée par Prodi, précipitant ainsi la chute du
gouvernement. Cette fois-ci, Refondation était plus que désireux
d’assurer son soutien à Prodi.
Selon La Republica, le secrétaire national du parti,
Franco Giordano, a déclaré : « Le gouvernement doit survivre »,
ajoutant qu’« il aura le soutien indéfectible et la confiance
inébranlable de Refondation communiste ».
Le site Internet de Refondation a affiché une déclaration bien
en vue déclarant sa loyauté envers le gouvernement de Prodi. Dans cette même
déclaration, le parti attaquait la position prise dans le débat sénatorial par
le transfuge Turigliatto en la qualifiant
d’« antidémocratique ». Turigliatto a entre temps annoncé
qu’il quittait son poste de sénateur.
Les Démocrates de gauche ont eux aussi donné leur soutien à
une nouvelle version du gouvernement Prodi. Marina Sereni a exigé non seulement
que « tous les membres de l’Unione votent « oui »,
mais aussi qu’ils promettent de soutenir les prochaines actions du
gouvernement telles que le déploiement de troupes italiennes en
Afghanistan ».
A l’heure qu’il est, on ne peut prédire les
conséquences immédiates de l’effondrement de ce gouvernement de
centre-gauche. Toutefois, son bilan en tant qu’instrument de la grande
entreprise italienne visant à attaquer les conditions de vie de la classe
ouvrière à l’intérieur du pays tout en poursuivant une politique impérialiste
à l’étranger, démontre une fois de plus la banqueroute des soi-disant
partis de la gauche : les Démocrates de gauche et Refondation communiste.
Aucune de ces organisations n’est véritablement indépendante de la
bourgeoisie. Les deux ont pour rôle d’étrangler le mécontentement
populaire et de maintenir la subordination politique des masses ouvrières au
capital italien.
Leur participation au régime de droite de Prodi et leurs
efforts pour le ressusciter après son ignominieux effondrement démontre de manière
concluante que la lutte contre la guerre et contre une politique sociale réactionnaire
nécessite une rupture avec ces partis et la construction d’un véritable
mouvement politique indépendant et socialiste de la classe ouvrière.