Dans une démarche qui déstabilisera un peu plus les relations
internationales, les Etats-Unis ont officiellement annoncé qu'ils se sont
entendus avec la République tchèque pour qu'elle accueille sur son territoire
un radar faisant partie du système de défense antimissile américain comprenant
des radars à longue portée et des missiles intercepteurs et ayant pour objectif
de détecter et d'abattre les missiles balistiques. Le gouvernement polonais a
aussi annoncé qu'il est ouvert à l'idée que les Etats-Unis utilisent une base
sur son territoire pour y héberger un grand silo capable de lancer des missiles
intercepteurs.
Le bouclier antimissile américain est conçu pour donner un
avantage nucléaire décisif à Washington. Le développement d'un réseau très
performant de radars, de satellites et d'intercepteurs de missiles intercontinentaux
balistiques pourra à terme réduire à néant toute tentative d'une puissance
nucléaire rivale de lancer une contre-offensive en réponse à une frappe
nucléaire américaine.
Surnommé le « Fils de la guerre des étoiles », en
référence au système de défense contre les missiles nucléaires de l'Union
soviétique mis en place par l'administration Reagan, un bouclier antimissile fonctionnel
et en état de marche mettrait fin à l'ère de la soi-disant « destruction
mutuelle assurée », qui veut qu'une attaque d'une puissance nucléaire par
une autre puissance nucléaire entraîne la destruction des deux ennemis. Avec
une telle prépondérance de la puissance de frappe nucléaire et la capacité de
bloquer une contre-attaque, les Etats-Unis pourraient imposer ses conditions à
ses rivaux se sachant en possession de la sanction militaire suprême.
La République tchèque et la Pologne sont des alliés proches
des Etats-Unis et membres de l'OTAN. Des soldats polonais participent à
l'occupation de l'Irak et la Pologne a accepté d'héberger d'autres bases
militaires américaines conventionnelles sur son territoire. Ces deux pays font
partie de ce que l’ancien Secrétaire américain à la Défense, Donald
Rumsfeld, appelait « la nouvelle Europe » dans la période précédant
l’invasion de l’Irak en 2003, du fait qu’il était possible de
les acheter avec des promesses d’investissements américains, associés à
des projets de défense en échange de leur accord à prendre le contrepoids des
rivaux de Washington en Europe de l’Ouest.
Mirek Topolanek, le premier ministre tchèque, a accueilli la
demande américaine, disant : « Nous sommes convaincus que la
possibilité du déploiement d'un radar sur notre territoire est dans notre
intérêt. Cela renforcera la sécurité de la République tchèque et de l’Europe. »
Le ministre adjoint des Affaires étrangères de la Pologne, Witold
Waszczykowski, a confirmé que Washington a approché Varsovie sur ce projet,
ajoutant que son gouvernement « attendait maintenant des offres
fermes ».
Le Pentagone a insisté pour dire que les deux bases deviendraient
des territoires américains souverains et que les quelque 500 Américains qui y
travailleraient ne seraient pas soumis aux lois polonaises ou tchèques. Le coût
estimé de la dépense américaine pour ces deux bases s’élèvera à 1,6
milliard de dollars lorsqu’elles seront en état de fonctionner en 2011.
Le ministre tchèque de la Défense, Vlasta Parkanova, a reconnu
que la population était opposée à ce que la République tchèque s'implique dans
le programme américain antimissile — des manifestations ont eu lieu à
Prague à cet effet — mais a insisté sur le fait que le gouvernement irait
néanmoins de l'avant : « Je suis conscient qu'héberger un radar
allié sur notre territoire est une question délicate pour les citoyens
tchèques. Certaines menaces ne peuvent être confrontées qu'en coopération avec
nos partenaires et une attaque par un missile balistique fait partie de
celles-ci… Ne nous devons pas aborder cette question de façon
idéologique, mais nous devons nous demander si ce que nous faisons augmente la
sécurité de la République tchèque et de tous ses citoyens. »
Des sondages indiquent que deux tiers des Polonais et des
Tchèques s'opposent à une participation au bouclier antimissile.
La Russie et la
Chine
Les Etats-Unis ont déjà construit des sites d'interception de
missiles en Alaska et en Californie, mais ils affirment qu'ils doivent étendre
cette couverture à l'Europe afin de contrer des « menaces
croissantes ».
Washington a insisté sur le fait que son bouclier antimissile
sera utilisé pour assurer sa défense et celle de ses alliés contre les attaques
d'« Etats voyous », une expression régulièrement employée par le
gouvernement américain pour décrire l'Iran et la Corée du Nord. Baker Spring,
expert sur la question de la défense à la Heritage Foundation, groupe de
réflexion conservateur à Washington qui entretient des liens étroits avec les
éléments les plus va-t-en-guerre de l'administration Bush, a déclaré au
magazine New Scientist que « les objectifs premiers de la base
tchèque seraient de contrer les missiles de moyenne et longue portée lancés
surtout de la région du Moyen-Orient ».
Toutefois, ni l'Iran, qui n'a pas encore mené d'essai d’explosion
nucléaire, et ni la Corée du Nord, qui possède un armement nucléaire très
rudimentaire, ne constituent des cibles crédibles pour un système défensif si
complexe et majeur. L'intention première du bouclier américain est de
neutraliser le potentiel d'attaque des pays rivaux qui possèdent de véritables
systèmes de lancement nucléaires capables de frapper les Etats-Unis ou de
menacer sérieusement ses importantes bases étrangères avancées – c’est
à dire la Russie et la Chine.
Réagissant à l'annonce du gouvernement tchèque qu'il allait
accueillir la base radar américaine, le ministre de la Défense russe Sergei
Ivanov a déclaré : « Cela n’inquiète pas la Russie. Ses forces
nucléaires stratégiques peuvent assurer sa sécurité en toutes circonstances.
Sachant que Téhéran ou Pyongyang ne possèdent pas de missiles intercontinentaux
capables de menacer les Etats-Unis, de qui ce nouveau bouclier antimissile est-il
censé protéger l'Occident? Ce dispositif ne sert qu’à démontrer à quel
point Prague et Varsovie veulent prouver leur loyauté envers Washington. »
Malgré la bravade du gouvernement russe au sujet de ses
capacités militaires, le Kremlin est tout à fait conscient de la menace engendrée
par la course aux armements nucléaires recherchée par les Etats-Unis. Le
général Yuri Baluyevsky, chef d'état-major russe, a décrit le déploiement d'une
partie du bouclier antimissile en Europe comme un « geste pour le moins hostile. »
« Sa portée d'interception couvrira une portion
significative de la partie européenne de la Russie, et son intégration avec les
services de renseignement américains renforcera davantage le potentiel
antirusse de ce dispositif. Nous serions contraints de rechercher des mesures
défensives asymétriques et bien sûr beaucoup moins coûteuses », a affirmé
le général.
La principale stratégie du Pentagone en Europe de l'Est est de
développer un réseau d'installations militaires capable d'accroître la
domination des Etats-Unis sur l'Eurasie et sur ses vastes ressources en
énergie, en minerais et en main-d'oeuvre. Bien que la Russie soit une puissance
beaucoup plus faible que les Etats-Unis, le fait qu'elle ait hérité de la
grande majorité de l'arsenal nucléaire et des infrastructures militaires et
industrielles de l'ancienne Union soviétique signifie qu'elle demeure le
principal rival militaire des Etats-Unis. Les guerres pour les ressources et
les coups d'Etat organisés et exécutés par Washington en Asie centrale et dans
les anciens Etats staliniens montrent que l'impérialisme américain compte
dominer toute la région, perçue par le Kremlin comme faisant partie de sa zone
d'influence. Une telle stratégie rend possible une confrontation militaire avec
Moscou.
Même si la Chine a une capacité nucléaire moins développée que
celle de Washington ou Moscou, elle est considérée par l'élite américaine comme
la principale menace au maintien de son statut d’unique superpuissance au
monde. L'administration Bush a identifié la Chine comme son principal « concurrent
stratégique » au 21e siècle et une bonne partie de la politique
diplomatique et militaire des Etats-Unis, incluant les provocations militaires
contre la Corée, vise à étouffer les aspirations de Pékin et à assurer la
position du capital américain en Asie.
La Chine est en train de développer un réseau de relations
internationales en Asie, en Afrique et en Amérique latine, qui menace la
domination que Washington avait espéré maintenir après la liquidation de l'URSS
en 1991. Avec son énorme appétit pour les matières premières, Pékin a développé
un réseau d'échanges, d'aide et d'ententes bilatérales, qui menace directement
les intérêts économiques et géostratégiques des Etats-Unis. La Chine a des
relations étroites avec plusieurs des pays que les Etats-Unis ont désignés
comme candidats potentiels pour des « changements de régime », dont
la Corée du Nord, la Birmanie, le Zimbabwe, l'Iran et le Venezuela.
L'explosion militariste américaine au Moyen-Orient et en Asie
centrale vise en grande partie à miner la capacité de ses rivaux,
particulièrement la Chine, à accéder aux sources d'énergie qui ne sont pas sous
contrôle américain. La poursuite de l'escalade militaire américaine risque de
mener Washington et Pékin à s'affronter plus directement. Les Etats-Unis ont
répété à maintes reprises que si la Chine devait imposer par la force militaire
ses prétentions sur Taiwan, allié de longue date des Etats-Unis et que Pékin
considère comme faisant partie intégrante de la Chine, ils riposteraient avec
toute la puissance de leur force militaire.
En réponse à la militarisation à long terme de l'espace par
les Etats-Unis et le développement d'un bouclier antimissile, la Chine a
récemment testé un missile antisatellite en faisant exploser l'un de ses propres
satellites dans l’espace. Cette démonstration de force de Pékin était un
avertissement clair qu'il répondrait à la menace croissante contre ses armes
nucléaires en développant de nouveaux moyens pour torpiller certains aspects du
programme spatial du Pentagone.
Bien que le système antimissile de Pékin soit basé sur une
technologie soviétique datant des années 1970, la Chine et la Russie sont
forcées par la menace d'agression américaine d’accélérer le développement
de leur propre technologie militaire et de leur propre bouclier antimissile.
Cet état de fait ne signifie pas seulement une nouvelle étape dans la course
aux armements avec Washington, mais également l’intensification des
autres tensions régionales.
Le Japon développe son propre programme spatial en coopération
avec les Etats-Unis, ce qui va envenimer les relations déjà tendues entre la
Chine, le Japon et la Corée. En novembre 2006, l'Inde, dont le programme
nucléaire a été soutenu par Washington parce qu'il voulait renforcer l'allié
régional qui lui sert de rempart contre l'extension de la puissance de la Chine
en Asie, a testé son nouveau système antimissile au sol, Prithi II.
Le journaliste chevronné Seymour Hersh a révélé en avril 2006
que les hauts responsables américains envisagent d’utiliser l'arme
nucléaire contre les sites de recherche nucléaire iraniens dans l'éventualité
d'une attaque contre l'Iran cette année, ce qui serait la première utilisation
de l'arme nucléaire depuis 1945. En plus de plans militaires aussi
téméraires et barbares que ceux qui sont déjà en préparation contre l'Iran, il
y a tout lieu de croire que Washington planifie et est capable de folies encore
plus grandes contre ces principaux opposants stratégiques.