L’administration Bush a fait un pas important vendredi
dernier sur la voie du conflit commercial ouvert avec la Chine en référant à
l’Organisation mondiale du commerce (OMC) les plaintes qu’il avait
envers Pékin.
La représentante des Etats-Unis pour le commerce, Susan
Schwab, a déposé une plainte officielle devant l’OMC, accusant Pékin
d’utiliser « ses lois fiscales de base et autres outils pour
encourager les exportations et pratiquer la discrimination contre les
importations d'une série de produits manufacturés américains ». Elle a
déclaré que les subventions chinoises avaient « enlevé la possibilité [aux
sociétés américaines] d’une concurrence justesur les marchés américains
et du tiers-monde ».
C’est la troisième fois que les Etats-Unis en réfèrent à
l’OMC depuis que la Chine a rejoint cette institution en décembre 2001.
Toutefois, contrairement aux cas précédents qui visaient des catégories
limitées de marchandises chinoises, la dernière action américaine allègue que
la Chine subventionne « illégalement » un large éventail de
marchandises chinoises allant de l’acier et du papier jusqu’à
l’informatique. Quelque 55 pour cent des exportations chinoises vers les
Etats-Unis pourraient en être affectées.
Pékin a soixante jours pour négocier un accord avec
Washington, à défaut de quoi l’OMC nommera des arbitres qui se pencheront
sur le litige. Si elle perdait sa cause, la Chine devrait cesser son programme
de subventions ou faire face à des sanctions commerciales de la part des
Etats-Unis. Le processus de règlement des litiges à l’OMC peut toutefois
être long. Les Etats-Unis, l’Union européenne et le Canada ont déposé une
plainte commune en mars dernier contre la politique chinoise limitant
l’importation de pièces d’automobiles fabriquées à
l’étranger, mais la décision n’a toujours pas été rendue.
Dans les années qui ont suivi la crise financière asiatique de
1997-98, Pékin a mis en place une série de dégrèvements fiscaux visant à
protéger les exportateurs chinois de l’impact de la dépréciation rapide
des monnaies asiatiques. Ces mesures, combinées au taux de change fixe de la
monnaie chinoise par rapport au dollar américain depuis 1994, ont joué un rôle
considérable pour faire de la Chine le principal centre au monde de traitement des
marchandises en vue de l’exportation.
Le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine a atteint
le niveau record de 230 milliards de dollars l’an dernier. Face à la
pression croissante de Washington sur la question de ce déficit en
augmentation, Pékin a déjà été forcé de réduire certains de ces dégrèvements
fiscaux.
L’annonce de Schwab est une réponse aux demandes
croissantes de la nouvelle direction démocrate au Congrès américain d’une
approche plus agressive envers la Chine en matière de commerce, demandes
soutenues par la bureaucratie syndicale et des sections du patronat.
Dans une audience de la Commission sénatoriale sur le système
bancaire qui s’est tenue deux jours auparavant, le secrétaire américain
au Trésor Henry Paulson a été vivement critiqué sur sa politique de
« dialogue économique stratégique » entreprise avec Pékin pour
l’encourager à adopter un régime permettant certaines fluctuations du
taux de change. Le nouveau président de la commission, le sénateur démocrate
Christopher Dodd, a dit à Paulson que les protectionnistes étaient « livides
de colère » de voir la Chine empêcher que sa monnaie ne gagne en valeur
par rapport au dollar américain. Le Trésor américain est tellement critiqué sur
cette question que Tim Adams, responsable des affaires chinoises au Trésor, a
démissionné de son poste le 2 février.
Les législateurs démocrates et républicains ont accusé
Pékin de dévaluer volontairement le yuan de 40 pour cent afin de fournir aux
marchandises chinoises un avantage concurrentiel. Le Congrès a menacé Pékin de
sanctions protectionnistes s’il continuait sa politique de présumée
« manipulation de la monnaie ».
Les principaux démocrates ont réagi aux dernières actions
de l’administration américaine contre la Chine en exigeant des mesures
supplémentaires. Le président démocrate de la commission sénatoriale des
finances, Max Baucus, a déclaré : « Le gouvernement des Etats-Unis
doit défendre les sociétés et les travailleurs des Etats-Unis lorsque nos
partenaires commerciaux transgressent les règles. » Sander Levin,
dirigeant démocrate de la sous-commission du commerce de la Chambre des
représentants, a commenté : « Cette affaire constitue un pas dans la
bonne direction, mais cela doit faire partie d’un programme beaucoup plus
agressif visant à punir toute violation des règles de l’OMC. »
Des sections de l’entreprise américaine qui font face
à une forte concurrence de la Chine et internationalement ont aussi exigé que
des mesures plus draconiennes soient prises. Nancy Gravatt, porte-parole pour
le American Iron and Steel Institute de Washington a déclaré :
« Cette plainte enregistrée à l’OMC, bien que significative, ne
touche que la pointe de l’iceberg de tout l’ensemble de subventions
offertes à l’industrie de l’acier et à d’autres industries de
la Chine. »
L’administration Bush dispose de peu de marge de
manœuvre. Bien que la Maison-Blanche souhaite dissiper le mécontentement
au sujet de l’accroissement des déficits commerciaux, elle ne peut se
permettre de perturber les opérations des grandes sociétés américaines qui
possèdent d’importants investissements en Chine. De plus, si la Banque
populaire de Chine se voyait forcée de vendre des obligations des Etats-Unis et
d’autres actifs en dollars américains pour dévaluer le yuan,
d’autres banques centrales asiatiques pourraient emboîter le pas,
entraînant ainsi un effondrement du dollar américain et une crise financière
aux Etats-Unis.
Le 30 janvier, lors d’un discours chez le
constructeur de bulldozers Caterpillar en Illinois, Bush a déclaré :
« Je comprends que le commerce avec la Chine soit un sujet controversé...
Mais je veux vous dire, si vous êtes un travailleur ou un actionnaire chez Caterpillar,
à quoi cela équivaut. » Lançant un avertissement contre des mesures
protectionnistes, il a fait remarquer que Caterpillar vendait beaucoup en
Chine, ce qui avait créé 5000 emplois aux Etats-Unis.
Ce ne sont pas tellement les sociétés américaines comme Caterpillar
qui subissent la pression de la concurrence chinoise. Cette société est un
géant transnational qui opère dans 23 des 24 fuseaux horaires du monde et qui
possède sept importantes usines en Chine seulement. Les petites et moyennes
entreprises manufacturières américaines, qui embauchent des millions de
travailleurs, sont celles qui sont le plus touchées par les marchandises
chinoises à faibles coûts.
Le 30 janvier, Stephen Roach, économiste en chef de Morgan
Stanley, a mentionné sur le site web Globalist que les sanctions
commerciales contre la Chine n’allaient pas régler les problèmes
économiques des Etats-Unis. Il a d’abord noté que le déficit des
Etats-Unis se situait à 6,8 pour cent du PIB au troisième trimestre de 2006,
soit presque le double du niveau de 3,5 pour cent de 1986. Il a aussi fait
remarquer que le déséquilibre bilatéral avec la Chine de -1,9 pour cent du PIB
dépassait de plus de 50 pour cent le sommet atteint avec le Japon à la fin des
années 1980.
Contrairement à l’expansion agressive des banques et des
sociétés japonaises dans les années 80, explique Roach, la « concurrence »
chinoise d’aujourd’hui est le fait de transnationales américaines
utilisant la main d’œuvre chinoise à bon marché pour augmenter leur
profitabilité aux dépens des emplois et des salaires aux États-Unis. Le
protectionnisme ne pourra pas faire grand-chose contre ce processus.
Confrontées à une augmentation des tarifs douaniers américains sur les
marchandises chinoises, les sociétés américaines se tourneront simplement
vers d’autres pays qui ont une main-d'œuvre à bon marché.
Roach soulignait que seulement 20 pour cent des exportations
chinoises vers les États-Unis sont à valeur ajoutée, ce qui en fait « plus
un assembleur qu’un manufacturier ». En d’autres termes,
les marchandises « chinoises » sont assemblées à partir de pièces
obtenues d’un réseau de pays étrangers, auxquels les mesures commerciales
prises contre la Chine ne s’appliqueraient pas. Les services comme l’informatique
ont également été transférés des États-Unis vers la Chine et l’Inde pour
tirer avantage de leur main-d'œuvre qualifiée à bon marché.
Roach notait que ces processus ont produit une
« disparité extraordinaire entre la fraction du revenu national
américain allant au capital et au travail ». La fraction du revenu
national allant au profit atteint maintenant son niveau le plus élevé depuis 50
ans à 12,4 pour cent, alors que la fraction du revenu national allant au
travail n’est que de 65,3 pour cent du revenu national,
c’est-à-dire le niveau de la fin des années 60. « Aujourd’hui,
les sociétés américaines, si l’on considère leur profitabilité,
prospèrent comme jamais auparavant tandis que la main-d'oeuvre des États-Unis
est de plus en plus affaiblie par les pressions de la concurrence »,
écrit-il.
L’élite dirigeante américaine n’a pas de solution
progressiste aux problèmes économiques causés par le déficit commercial
croissant avec la Chine. Les dilemmes politiques à Washington sont le résultat
du déclin continuel du capitalisme américain sur une longue période. D’un
côté, les États-Unis comptent sur la Chine pour compenser la détérioration de
sa position économique, alors que de l’autre côté, ils craignent que
l’expansion continue de la Chine ne finisse par créer un nouveau rival
majeur.
Pékin a régulièrement pressé Washington de lever ses
restrictions sur les exportations de produits de haute technologie vers la
Chine pour réduire l’énorme déficit commercial des États-Unis. Mais
l’administration Bush a rejeté tous ces appels, craignant que la Chine ne
devienne un compétiteur dans ce domaine et que la technologie importée des
États-Unis ne serve à augmenter la capacité militaire de ce « compétiteur
stratégique ».
Le gouvernement chinois a répondu discrètement à la plainte
des États-Unis devant l’OMC, déclarant seulement qu’il était « regrettable »
que les États-Unis aient entrepris une telle action. Pékin cherche
désespérément à éviter un conflit commercial qui contrecarrerait la croissance
économique, ce qui résulterait en des licenciements massifs et une vaste crise
sociale. Pour la même raison cependant, la direction chinoise est très
réticente à abandonner la politique de financement industriel qui a contribué à
sa rapide expansion économique.