La réponse du président Nicolas Sarkozy aux trois nuits
d’émeutes anti-policières dans les banlieues nord défavorisées de Paris a
été l’intensification des pouvoirs répressifs de l’Etat.
Les émeutes avaient commencé à Villiers-le-Bel après la mort
de deux jeunes d’origine immigrée, Larami, 16 ans, et Moushin, 15 ans,
dans une collision avec une voiture de police. Une force d’occupation
d’un millier de policiers restera postée dans cette banlieue à forte
population immigrée jusqu’à dimanche, selon Michèle Alliot-Marie, la
ministre de l’Intérieur. Les CRS, déployés depuis mardi, sont équipés de l’attirail
complet de la tenue anti-émeute, de gaz lacrymogènes, de flash-balls et
d’au moins deux hélicoptères munis d’un puissant faisceau lumineux.
Jeudi après-midi, les autorités faisaient état de 60 personnes
mises en garde à vue. Sept ont été condamnées pour des faits en relation avec
les émeutes. Le tribunal de Pontoise a fait état de peines de prison ferme
allant de 3 à 8 mois à l’encontre de trois jeunes adultes.
Sarkozy s’est longuement exprimé jeudi sur la situation
à Villiers-le-Bel. Le matin il s’était adressé à un rassemblement de
quelque 2000 policiers. Dans la soirée il a accordé un entretien télévisé à une
heure de grande écoute, qui a aussi été consacré à des questions économiques.
Dans son discours à la police, Sarkozy a dit qu’il
voulait que la police et la gendarmerie soient « les plus modernes
d’Europe. » Il a dit qu’il était nécessaire de développer des
armes « non létales » tels les pistolets taser et une nouvelle
génération de flash-balls d’une portée de 40 mètres ; il a aussi
promis de fournir des hélicoptères pour la recherche d’armes qui seraient
cachées sur le toit des immeubles.
Il a exposé les grandes lignes de sa vision d’un ordre
social maintenu à grand renfort de mesures toujours plus répressives et a
catégoriquement rejeté toute conception que la pauvreté et le chômage dans les
banlieues abritant 6 millions de Français soient à l’origine des émeutes
anti-policières.
A Villiers-le-Bel, ville de 27 000 habitants, 39,5 pour
cent des jeunes de 16 à 25 ans sont au chômage.
« Ce qui s'est passé à Villiers-le-Bel n'a rien à voir
avec une crise sociale, a dit Sarkozy. Ça a tout à voir avec la
voyoucratie. » Il s’est ensuite adonné à un exercice de recherche
raciste d’un bouc émissaire à la manière du néofasciste Jean-Marie Le Pen :
« Il y a le malaise social, il y a une immigration qui pendant des années
n'a pas été maîtrisée, des ghettos qui ont été créés des personnes qui se sont
pas intégrées. »
Il a déclaré avec impudence que l’explosion de colère
contre la police était le fait de « trafiquants de drogue ». Ceux qui
tirent sur la police, a-t-il menacé, « nous [les] retrouverons un par un ».
Une campagne médiatique s’est développée affirmant que
la police est confrontée à une guerre de guérilla urbaine et est constamment
sous les tirs de feu. Un reportage du New York Times fait état de 30
policiers qui seraient blessés par balles. Mais on ne sait pas vraiment
d’où le Times tient ces chiffres.
Sarkozy a dit que 82 policiers avaient été blessés depuis
cette collision mortelle et a déclaré que « des individus ont tiré sur la
police ». Il a dépeint la police, qui brutalise quotidiennement les jeunes
des banlieues à forte population immigrée, comme les victimes et les jeunes
comme les agresseurs.
L’optique de Sarkozy a été soutenue sur toute la ligne
par la secrétaire d’Etat à la politique de la ville, Fadela Amara. « Le
respect de la police, c'est très important, a-t-elle dit. On est dans la
violence urbaine, anarchique, portée par une minorité qui jette l'opprobre sur
la majorité. Ce petit noyau dur, utilise le moindre prétexte pour casser, brûler,
tout péter dans le quartier. »
Amara est issue d’une famille ouvrière originaire
d’Algérie. Membre du Parti socialiste et féministe, elle a rejoint le
gouvernement de droite, gaulliste, de Sarkozy peu après son élection à la
présidence en mai dernier.
L’utilisation par Sarkozy de la tragédie de
Villiers-le-Bel pour intensifier les pouvoirs répressifs de l’Etat est la
continuation de la politique qu’il avait mise en place quand il était
devenu ministre de l’Intérieur sous le gouvernement gaulliste du président
Jacques Chirac en 2002.
Un vaste déploiement de mesures législatives, pour la plupart
promues par lui-même, a accru les pouvoirs de l’Etat en matière de
surveillance et de répression : trois lois sur l’immigration, la Loi
sur la prévention de la délinquance, une loi anti-terroriste qui implique les
maires, les médecins, les travailleurs sociaux et les enseignants dans la
surveillance et le contrôle de la population.
La loi sur l’Etat d’urgence avait été réactivée il
y a deux ans, avec pour justification les émeutes des jeunes des cités en 2005.
Précédemment utilisée en 1955 durant l’occupation coloniale française en
Algérie, elle avait été utilisée pour la première fois contre des citoyens
français en 2005.
Aucune de ces mesures n’avait fait l’objet
d’une opposition significative de la part du Parti socialiste, du Parti
communiste ou des syndicats. A présent, ces organisations, soit explicitement
soit par défaut, ne font rien pour défendre les communautés ouvrières des
attaques des forces de l’Etat. Elles ont refusé de venir en aide à ces
jeunes et ces familles de Villiers-le-Bel. Aucune de ces organisations
n’a appelé au retrait du millier de policiers.
François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, a
dit regretter l’utilisation par Sarkozy du terme de « voyoucratie »
et le refus de ce dernier de reconnaître l’existence de la crise sociale,
mais a ensuite apporté son entier soutien à l’intensification par le
président des forces de l’Etat. « On a effectivement des bandes qui
ont des actions criminelles et qu'il faut absolument éradiquer, » a-t-il
déclaré, ajoutant que « toutes les violences doivent être non seulement condamnées,
mais punies ». Quasiment tous les autres commentateurs du Parti socialiste
ont adopté la même ligne et appelé à une augmentation de la police de
proximité.
La gauche petite-bourgeoise, Lutte ouvrière (LO) et la Ligue
communiste révolutionnaire (LCR) ont quasiment ignoré les émeutes
anti-policières et l’intensification massive de la police. Tous deux se
sont contentés de quelques lignes affichées sur leur site Web.
Le journal de Lutte ouvrière a publié un article
déplorant le fait que les jeunes ne pouvaient plus avoir « confiance dans
les autorités, les préfets et la police ».
« Il y avait sans doute, poursuivait l’article, dans
ces affrontements un certain nombre de meneurs de petites mafias qui
empoisonnent souvent la vie des cités et qui ont peut-être été les premiers à
incendier les magasins, une bibliothèque ou un bâtiment scolaire… Mais
cela n’explique pas que sous l’émotion des centaines d’autres
jeunes les aient si rapidement joints. »
L’article déplore les conditions sociales de misère qui
règnent dans les banlieues et fait remarquer : « Mais l’usage
de la force et de la répression ne résoudront évidemment pas les problèmes de
fond à l’origine de ces dramatiques explosions qui périodiquement
enflamment certains quartiers. » L’article se termine par un appel à
accroître « de toute urgence » le nombre d’établissements
scolaires et d’enseignants. L’Etat doit donner « un peu moins
aux riches et consacrer les moyens nécessaires pour rendre la vie acceptable
dans les quartiers populaires. »
Cela aurait tout aussi bien pu être publié par le Parti
socialiste ou la presse de gauche. Il n’y a aucun appel au retrait de la
police, ni même de dénonciation de la présence policière massive.
Il y a quatre ans, LO avait apporté un fort soutien à la
campagne de Fadela Amara consistant à refuser aux jeunes filles portant le
voile islamique l’accès aux établissements scolaires. LO avait de ce fait
soutenu une loi du gouvernement droitier renforçant la discrimination de
l’Etat contre les immigrés.
La LCR s’est montrée plus rusée encore dans ses
commentaires sur les évènements de Villiers-le-Bel. Son porte-parole, Olivier Besancenot,
a envoyé ses condoléances aux parents des deux jeunes tués dans la collision et
a appelé à une « commission d’enquête indépendante » sur
l’incident, sans spécifier comment et par qui cette enquête devrait être
menée.
L’éditorial de l’hebdomadaire de la LCR, Rouge,
déclare, « Nous devons imposer au gouvernement la mise en place d’un
plan d’urgence pour les quartiers. » Il en appelle à « la
création d’emplois, services publics renforcés et étendus, garantie du
versement des subventions aux associations qui créent du lien social, arrêt des
contrôles d’identité permanents et suppression de la BAC [brigade
anti-criminalité] ».
Tout comme LO, la LCR n’appelle pas au retrait des
forces de police et à la mobilisation de la classe ouvrière pour défendre les
jeunes et les familles de Villiers-le-Bel.
Leurs propositions molles esquivent une lutte politique contre
le gouvernement de Sarkozy. Ils désarment la classe ouvrière face aux menaces
sur les droits démocratiques de la population travailleuse toute entière que
pose la répression d’Etat à Villiers-le-Bel.
Ayant oeuvré à fournir une couverture politique à la trahison
de la grève des cheminots par les syndicats, ils avancent à présent
l’illusion qu’il est possible de faire pression sur le gouvernement
pour qu’il mette sur pied un programme intensif en faveur des sections
les plus pauvres de la classe ouvrière, travaillant ainsi à aveugler la classe
ouvrière sur la nature du régime de Sarkozy et sur la nécessité d’une
lutte politique indépendante contre l’ensemble de l’élite
dirigeante française et de l’establishment politique bourgeois
– de « gauche » comme de droite.
(Article original anglais paru le 1er décembre 2007)