La défaite serrée de la réforme constitutionnelle
du président Hugo Chavez, par vote référendaire, dimanche, a créé un climat
triomphaliste de droite dans l’oligarchie vénézuélienne et dans
l’establishment politique américain.
« C’est le début de la
fin », chantaient les opposants de Chavez dans les rues de Caracas après
que le tribunal électoral vénézuélien ait annoncé que la réforme proposée était
battue, 50,1 pour cent des électeurs ayant voté « non » et 49,9 pour
cent « oui ».
L’administration Bush,
pendant qu’elle jubile devant la défaite de Chavez, accentue ses menaces.
L’attitude de la Maison-Blanche
fut résumée par son ancien haut responsable pour l’Amérique latine, Roger
Noriega, l’ex-sous-secrétaire d’État pour l’hémisphère ouest.
Lundi, Noriega déclara ceci en parlant de Chavez : « Ce sera une
pilule amère et il va passer à l’attaque, ce qui provoquera une autre
crise. S’il va encore trop loin, il risquera de tout perdre et il le
sait. »
Le vote représente la première
défaite électorale encaissée par Chavez depuis qu’il a pris le pouvoir en
1998 à l’aide d’un programme de nationalisme de gauche et de
mesures sociales de type État-providence.
Au centre de la question était la
révision en 69 points de la constitution de 1999, qui fut aussi écrite sous
Chavez. Les changements comprenaient quelques mesures sociales — le
raccourcissement de la journée de travail et l’établissement d’un
système de sécurité sociale pour les millions de Vénézuéliens qui ne font pas
partie officiellement de l’économie. Cependant, l’initiative
centrale de la réforme était l’augmentation substantielle des pouvoirs de
la présidence vénézuélienne tout en supprimant les limites de mandats et en
allongeant le mandat du président au pouvoir.
Dans ces modifications étaient
inclues des mesures permettant l’imposition de l’état
d’urgence pour une durée indéterminée — sans examen de la cour —
au cours de laquelle le président pourrait suspendre le droit à un procès équitable
et la liberté d’expression. Le président aurait aussi obtenu le pouvoir
de décret pour les territoires fédéraux, et il aurait été en mesure de
remplacer des gouvernements provinciaux et municipaux élus par des gens choisis
par lui. Il aurait pu également décider de toutes les promotions de grades dans
l’armée.
La campagne en faveur de la réforme
était largement présentée comme un vote de confiance envers Chavez, montrant
que c’était un projet fait sur mesure pour garder le président au pouvoir
plus longtemps et augmenter ses pouvoirs.
Malgré la rhétorique entourant la
défense des réformes de Chavez comme étant un moyen d’établir un
« socialisme du 21e siècle » vaguement défini, la
constitution révisée ne faisait rien pour mettre de l’avant le pouvoir
politique de la classe ouvrière de façon indépendante. Au contraire, elle
mettait en place un Etat qui défendait, autant en pratique que dans les mots
mêmes de la constitution, la propriété privée des moyens de production ainsi que
des pouvoirs accrus qui pourraient être utilisés pour réprimer tout mouvement
révolutionnaire véritable de la classe ouvrière.
Il ne fait aucun doute que la
défaite de la réforme encouragera les sections des vieilles élites dirigeantes
du pays qui sont profondément indignées par les réformes sociales de Chavez et
ses politiques populistes. Elle alimentera leurs tentatives et celles de leurs
alliés dans l’armée, appuyés par Washington, pour trouver d’autres
moyens anti-démocratiques pour renverser le gouvernement de Chavez, tout comme
ils ont tenté de le faire lors du coup d’état manqué d’avril 2002,
qui avait été appuyé par la CIA.
Cela pose une grave menace aux
travailleurs vénézuéliens, car un tel coup ne servirait pas seulement à
renverser le gouvernement de Chavez, mais déclencherait inévitablement une
répression massive contre les travailleurs et les couches les plus opprimées de
la population, c’est-à-dire ceux qui sont sortis dans les rues en 2002
pour repousser la tentative de coup d’état.
Le résultat du référendum arrive
près d’un an après que Chavez ait été élu pour un deuxième mandat de six
ans en décembre dernier. Dans cette élection, il a remporté 63 pour cent des
voix, surtout en raison de la force de ses mesures antipauvreté implantées par
son gouvernement, utilisant les revenus à la hausse provenant des prix
grimpants du pétrole, qui ont monté en flèche huit fois depuis que Chavez fut
élu président pour la première fois.
Le vote de dimanche était
caractérisé par un niveau d’abstention beaucoup plus élevé que lors des
élections présidentielles de l’année dernière. Les analystes politiques
au Venezuela avaient prédit qu’une forte abstention favoriserait le
gouvernement. Ils croyaient que celui-ci verrait suffisamment de ses partisans
et de ses bénéficiaires aller aux urnes. Cependant, comme les résultats le montrent,
le contraire s’est avéré exact. L’augmentation dans
l’abstention est venue principalement de ceux qui, en 2006, avaient voté
pour Chavez, pendant que l’opposition a vu son vote total croître
légèrement.
Alors qu’en 2006 environ
7,3 millions de Vénézuéliens votèrent pour la réélection de Chavez, seulement
4,3 millions ont voté cette fois-ci en faveur de la réforme constitutionnelle.
A l’opposé, environ 4,5 millions de personnes ont voté « non »
le 2 décembre, soit approximativement 200 000 de plus que ceux qui avaient
voté pour le principal adversaire de Chavez, Manuel Rosales, lors de
l’élection présidentielle.
Ce changement peut
s’expliquer en partie par la virulente campagne anticommuniste menée par
tous les principaux piliers de l’oligarchie vénézuélienne — la
fédération patronale Fedecamaras, les évêques catholiques et les médias privés
de droite. Dans cette propagande d’épouvante, on a menti aux Vénézuéliens
en leur disant que la réforme allait permettre à l’Etat de prendre leurs
enfants ou d’exproprier leurs maisons et leurs voitures.
Les médias, tant au Venezuela
qu’internationalement, ont aussi beaucoup attiré l’attention sur
les manifestations anti-gouvernementales organisées par des étudiants, pour la
plupart faisant partie de sections de jeunes les plus privilégiés qui
fréquentent l’université privée. Ces manifestations, coordonnées avec
l’opposition de droite et de nature souvent violente, ont été présentées
comme une croisade pour la liberté.
Une opposition financée par les Etats-Unis
Comme l’a reconnu le Washington
Post au cours du week-end, les manifestations avaient été considérablement
financées par le gouvernement américain. Citant des documents américains
obtenus par le chercheur aux Archives de la sécurité nationale, Jeremy Bigwood,
sous la Loi sur l’accès à l’information, le Post montra
qu’au moins 216 000 $ avaient été canalisés vers le Bureau
d’initiatives de la transition (OTI), une division secrète de
l’Agence américaine pour le développement international qui avait été
mise sur pied à Caracas à la suite du coup d’Etat manqué d’avril
2002.
Une partie de l’argent
était destinée à la « promotion de la démocratie ». Sans aucun doute,
cela n’est qu’une petite portion du financement offert par des
agences américaines, dont la Fondation nationale pour la démocratie et la CIA
elle-même.
A la veille du référendum, le
gouvernement vénézuélien avait annoncé qu’il avait intercepté un mémo
d’un certain Michael Steere, un officier des « affaires
régionales » à l’ambassade de Caracas, adressé au directeur général
de la CIA à Washington, Michael Hayden, qui faisait la revue des opérations
américaines entourant le référendum et qui mentionnait que 8 millions $
avaient été dirigés vers des forces d’opposition par l’OTI.
Selon des détails dévoilés à
Caracas, le mémo ferait référence à « l’Opération Pliers » et
parlerait de projets « d’opérations psychologiques » ayant pour
but d’accroître le vote pour le « non » et de fomenter une
campagne visant à présenter le référendum comme une opération frauduleuse si
les réformes étaient acceptées. Le mémo mentionne aussi une tentative
d’un attaché à la Défense à l’ambassade d’établir des
contacts avec des officiers de droite de l’armée, apparemment avec
l’intention de préparer un autre coup d’Etat dans la foulée du
référendum.
Bien que la campagne de
propagande soutenue par les Etats-Unis ait eu sans contredit un impact,
particulièrement sur les sections les plus arriérées de la population vénézuélienne,
de plus profondes contradictions politiques et sociales sont à la base de
changement dans l’électorat.
D’un côté, des sections du
mouvement Chavista ont ouvertement ou tacitement appuyé la défaite de la
réforme constitutionnelle. On retrouve parmi celles-ci un ancien partisan
militaire clé de Chavez, le général à la retraite Raul Baduel, qui était
jusqu’à l’été dernier ministre de la Défense.
Baduel, un proche allié de
Chavez du temps de la fondation par ce dernier d’une cellule de
l’armée qui avait organisé un coup d’Etat manqué en 1992, est
l’officier qui rallia une section cruciale de l’armée contre le
coup d’Etat de 2002 dirigé contre le président. Mais celui-ci s’est
ouvertement aligné avec la droite en opposition à la réforme constitutionnelle
de Chavez. D’autres hauts représentants ainsi que le parti
social-démocrate Podemos, qui avait précédemment fait partie de la coalition
parlementaire gouvernementale, ont fait la même chose.
De nombreux gouverneurs et hauts
représentants municipaux associés au Chavismo ont tacitement appuyé la
défaite de la réforme, craignant essentiellement qu’en donnant à Chavez
le pouvoir d’établir des territoires fédéraux leurs propres pouvoirs et
privilèges pourraient être attaqués.
Au sein de la classe ouvrière elle-même,
les résultats du referendum reflètent une désillusion croissante dans la
capacité du gouvernement de résoudre les problèmes sociaux au Venezuela,
nonobstant le détournement des revenus du pétrole dans divers programmes
sociaux.
Malgré ces réformes et la rhétorique
socialiste du gouvernement Chavez, la réalité, c’est que le Venezuela est
un pays dont les leviers économiques demeurent fermement entre les mains
d’une élite financière. En effet, le secteur privé occupe une place plus
importante dans l’économie du pays aujourd’hui qu’au moment
de la prise du pouvoir par Chavez, et il demeure, avec l’armée,
l’un des piliers de son gouvernement.
La part du lion de la croissance
du secteur privée revient au secteur financier, qui a enregistré le plus haut
taux de profit au monde. L’an dernier, les banques commerciales au
Venezuela, la plupart des succursales des principales institutions financières
internationales, ont vu une augmentation de 110 pour cent de leurs avoirs.
Alors que l’économie est
alimentée par des revenus du pétrole s’élevant quotidiennement à 100
millions $, la plupart provenant des exportations vers les Etats-Unis, les
spéculations financières et la corruption de l’administration créent un
déséquilibre croissant qui affecte la classe ouvrière et les pauvres.
Les tentatives du gouvernement
d’atténuer les effets d’un taux d’inflation de 20 pour cent,
le plus élevé en Amérique latine, en contrôlant les prix, ont été contournées
par les producteurs, qui soit réduisent leur production ou la dirigent vers le
marché noir. Il en résulte une pénurie généralisée de biens de consommation de
base pour la population en général, laquelle demeure pour la majorité dans la
pauvreté, bien que l’élite aisée s’achète ce qu’elle veut et
dépense plus que jamais.
Washington fera tout ce qui est
possible – jusqu’à l’intervention militaire – afin de
rétablir son contrôle hégémonique sur les réserves de pétrole du Venezuela, la
plus importante de l’hémisphère Ouest.
Cette menace ne peut pas être repoussée
en renforçant l’appareil d’état bourgeois dirigé par Hugo Chavez,
qui repose sur l’appareil militaire qui défend le capitalisme et qui a
donné naissance au putsch commandité par les États-Unis en 2002, pour lequel
aucun des dirigeants n’a été puni.
Diverses organisations politiques
de « gauche » tentent de subordonner la classe ouvrière à Chavez et décrivent
sa « révolution bolivarienne » comme une nouvelle voie vers le
socialisme, à être réalisée sans que la classe ouvrière elle-même n’ait à
renverser le capitalisme ou à établir ses propres organes de pouvoir d’état.
Ils conçoivent leur propre rôle comme étant des groupes de pression,
supposément pour pousser Chavez à adopter des mesures plus radicales.
L’histoire de
l’Amérique latine — d’Allende au Chili à toute une série de
régimes militaires de « gauche » — a montré encore et encore
que le résultat inévitable d’une telle politique opportuniste est de
livrer la classe ouvrière à ses pires ennemis.
La tâche la plus urgente posée
par les résultats du référendum et les dangers croissants au Venezuela est la
mobilisation indépendante de la classe ouvrière vénézuélienne au sein de son
propre parti politique, luttant sur la base d’un véritable programme
internationaliste et socialiste en unité avec les travailleurs d’Amérique
latine, des Etats-Unis et àa l’échelle internationale.