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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

France: Justice sommaire et menaces de méthodes répressives d’Etat policier

Par Alex Lantier
1er décembre 2007

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La réponse du gouvernement aux trois nuits d’émeute contre la police dans une banlieue défavorisée du nord de Paris est une attaque impitoyable sur les habitants du quartier et sur leurs droits démocratiques. Avec un millier de policiers déjà déployés contre les émeutiers, le président Nicolas Sarkozy a prononcé deux discours belliqueux hier, l’un devant un rassemblement de 2000 policiers dans le quartier des affaires de la Défense, l’autre à la télévision à une heure de grande écoute. Il a proféré la menace de peines de prison lourdes à l’encontre des émeutiers et promis à la police d’importants achats d’équipement. En même temps, les tribunaux condamnent, en comparution immédiate, à des peines très sévères et souvent sur la base de preuves très minces, les jeunes qui ont été pris par la police dans les rues du quartier.

Les émeutes avaient été déclenchées par la mort de deux jeunes à Villiers-le-Bel, Larami et Moushin, dimanche après-midi, dans une collision entre leur mini-moto et une voiture de police. D’après des témoignages de résidents, la police aurait fui le lieu de l’accident, sans porter secours aux deux jeunes. L’IGPN (Inspection générale de la police nationale) avait publié un rapport lundi disculpant en grande partie les policiers, mais ce rapport s’est avéré être en contradiction avec une vidéo de l’accident et la version donnée par des habitants de Villiers-le-Bel.

A Villiers-le-Bel et ses environs, toujours quadrillés par la police après une nuit sans émeute, les habitants ont exprimé leur frustration. L’un d’eux a dit au journal Le Monde : « Les policiers, ils font du cinéma, ils viennent avec des armes et des cagoules. » Le Monde avait publié des photos dérangeantes de policiers, en civil bizarrement et portant des masques de ski, mais qui tenaient des pistolets et des fusils d’assaut avec vision infrarouge, et qui étaient postés aux intersections.

Des hélicoptères, qui volaient bas, projetaient de puissants faisceaux sur les routes et les bâtiments. Un résident a commenté : « On se croirait en guerre, ils provoquent les jeunes. » Un autre a hurlé, « Hé! Ho! Les extra-terrestres! » aux hélicoptères qui tournaient au-dessus de leur tête.

Le premier ministre François Fillon a confirmé que ce déploiement avait pour but d’intimider la population. « La situation est beaucoup plus calme que les deux nuits précédentes, mais tout cela reste, on le sent bien, fragile et il faut une force de dissuasion importante sur le terrain pour empêcher que ce qui s'est passé la nuit dernière, se reproduise. »

L’identité des jeunes arrêtés dans la rue et qui se sont vus infliger des peines sommaires confirme que ce que qui est en train de se passer n’est pas une répression dure contre des gangs violents, mais bien la tentative de terroriser des jeunes de la classe ouvrière issus des sections opprimées de la population. Trente-cinq jeunes sont encore en garde à vue, d’après le quotidien Libération, et à ce jour huit ont été jugés.

Cédric, sans casier judiciaire, est plombier-chauffagiste en alternance dans le cadre d'un bac professionnel. Accusé d’avoir lancé des cocktails Molotov sur la police, il a dit « avoir paniqué » quand il s’est vu pris au milieu de jets de gaz lacrymogène en rentrant chez lui après la fête d’anniversaire organisée pour ses 20 ans, et a dit avoir essayé de s’échapper en escaladant un grillage. Le procureur a réclamé 30 mois de prison ferme, ce qui a causé « la stupeur dans la salle. » d’après des reportages dans la presse. L’avocat de Cédric a plaidé pour que le juge « ne prenne en compte que ce qui est dans le dossier. » Cédric a été condamné à un an de prison ferme.

Deux adolescents, Jean-Matthieu et Alan, l’un vient de finir un CDD de préparateur de commandes, l'autre est magasinier à temps partiel, ont écopé de trois mois de prison ferme pour avoir été interpellés en possession de paquets de bonbons qu’ils disent avoir trouvé dans la rue. Ils ont été tirés des bras de leurs parents pour être directement conduits en prison. Tous deux avaient des casiers judiciaires vierges.

Noël, agent de sécurité à temps partiel de 21 ans, était le seul jeune jugé hier, à avoir un casier judiciaire — suspension de permis de conduire l’an dernier pour conduite sans assurance. La police l’a accusé d’avoir incendié des voitures avec de l’essence et de « s'affairer sur un véhicule en flammes ». Le procureur a annoncé, « les faits sont constitués », et ajouté « à moins de suspecter le complot partout, il n'y a pas de raison de douter de leurs  [les policiers] paroles ». L’avocat de Noël a fait remarquer qu’une voiture qui brûle dégage de fortes odeurs, « ça imprègne vos cheveux, vos vêtements » et que son client ne portait pas de telles traces.  Noël a été le seul jeune à être relaxé.

Comme l’un des avocats de la défense, Laurence Benitez de Lugo l’a dit au Monde: « il y a une volonté de réponse ferme, immédiate, qui n'est pas donnée dans la sérénité. » Pour dire les choses plus clairement, les tribunaux exécutent des procès de vitrine, politiquement motivés, dans ce qui est une attaque ouverte sur les droits démocratiques des accusés et par extension, sur l’ensemble de la population française.

Sarkozy et ses représentants cherchent délibérément à créer la panique en calomniant les habitants de Villiers-le-Bel, en exagérant la gravité des émeutes et en appelant à des augmentations drastiques des pouvoirs de la police et de son équipement.

Lorsqu’il s’est exprimé lors journal télévisé de 8 heures sur TF1 et France 2, Sarkozy a nié de façon provocatrice l’existence d’« une crise sociale » dans les banlieues et prétendu que les récents événements étaient le résultat de la « voyoucratie. » Il a dit que les jeunes qui s’opposaient aux forces de police à Villiers-le-Bel étaient des « trafiquants de drogue. »

Sarkozy a fait des commentaires semblables, mais plus détaillés devant une assemblée de 2000 policiers dans le quartier de la Défense en banlieue ouest de Paris. Il a dit, « La réponse aux émeutes, c'est l'arrestation des émeutiers, pas plus d'argent sur le dos du contribuable.» Il a insisté pour dire qu’il n’y avait pas de crise sociale dans les banlieues et a attaqué avec démagogie les « donneurs de leçons qui ignorent eux ce que c'est d'être en uniforme et face à une bande d'enragés ».

On peut apprécier le degré d’impudence des propos de Sarkozy en remarquant que, dès avril 2007, sa campagne présidentielle disait officiellement soutenir un « nouveau plan Marshall » pour les banlieues défavorisées, une référence à l’aide financière américaine qui avait aidé à reconstruire le capitalisme de l’Europe de l’Ouest au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Évidemment, engagé dans un budget d’austérité et faisant appel au vote anti-immigrés, Sarkozy n’avait jamais sérieusement envisagé de mettre en place un tel projet. Néanmoins, la dénégation d’une réalité élémentaire, à savoir que les banlieues défavorisées à forte population immigrée abritent les couches les plus opprimées de la classe ouvrière et sont confrontées à une crise sociale majeure, est qualitativement un élément nouveau de la politique française.

Bien qu’il ait récemment réussi à utiliser la bureaucratie syndicale pour mettre fin à une grève des cheminots, des gaziers et électriciens contre les attaques sur les retraites, le régime de Sarkozy est confronté à une situation politique qui se détériore. D’après un récent sondage fait par la Sofres pour le quotidien conservateur Le Figaro, les opinions favorables à Sarkozy sont récemment tombées au-dessous des 50 pour cent pour la première fois depuis son élection à la présidence. Le taux d’approbation concernant son premier ministre François Fillon est tombé à 44 pour cent.

Les cercles dirigeants sont très conscients que la rancoeur du secteur public sur la question des salaires et des attaques sur les retraites, s’étend jusqu’aux forces de police et particulièrement à la gendarmerie, qui est chargée du maintien de l'ordre dans les zones rurales, de la sécurité d’Etat et a des obligations de police militaire lors des interventions à l’étranger des forces armées françaises. Faisant partie de l’armée, les gendarmes n’ont pas droit à une représentation syndicale. Néanmoins, plusieurs détachements de gendarmes avaient participé aux grèves de novembre contre les attaques sur les retraites. Ils ont aussi du mal à accepter que la police soit substantiellement mieux payée.

Dans son discours à la Défense, Sarkozy a promis de réunir un « groupe de travail conjoint » pour étudier comment « gommer » les différences entre la police et les gendarmes. Néanmoins, la méthode principale qu’il a utilisée pour en appeler aux forces de police a été la promotion de l’hostilité à l’égard des banlieues et l’alimentation d’un climat de guerre civile.

Faisant référence au fait que plusieurs policiers avaient été blessés par des plombs de chasse,  lors des émeutes de Villiers-le-Bel, Sarkozy a promis aux policiers que ceux qui ont « pris la responsabilité de tirer sur des fonctionnaires se retrouveront devant la cour d'assises. »

Il a ensuite appelé à l’augmentation massive de l’utilisation de caméras de vidéosurveillance, de pistolets à flash-balls de grande portée, et de pistolets taser. Donnant l’impression que de chaque immeuble de la cité on tirait sur la police, il a ajouté que des hélicoptères de surveillance se seraient avérés très utiles pour trouver « des stocks d'armes au sommet des immeubles » et a appelé à l’achat de davantage d’hélicoptères de la sorte.

Il y a une logique politique bien définie dans une rhétorique aussi incendiaire. Du point de vue des clients de Sarkozy issus des milieux d’affaires, la tâche du président consiste à éliminer les concessions sociales accordées à la classe ouvrière et qui diminuent la compétitivité des entreprises françaises. Ses prédécesseurs avaient essayé, durant la décennie précédente, de démanteler entièrement ces concessions, mais sans succès. Ils sont entièrement conscients des puissantes tensions sociales qu’une telle politique va provoquer.

Ainsi, peu après l’élection de Sarkozy, l’économiste Nicolas Baverez écrivait dans le magazine de droite La revue des deux mondes: « L'élection de 2007 est la dernière occasion, la dernière chance, de moderniser notre pays sans guerre civile. »

La manière dont le gouvernement a réagi à la crise de Villiers-le-Bel devrait être considérée comme le signe que, devant l’opposition politique grandissante au régime de Sarkozy, l’élite dirigeante française envisage de plus en plus l’option de la guerre civile contre la population.

(Article original anglais paru le 30 novembre 2007)


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