Après maintes
tergiversations et l’adoption de positions contradictoires, le Parti de
la Gauche s’est finalement clairement prononcé contre la grève des conducteurs
de trains allemands en se rangeant du côté du syndicat maison Transnet, de la
direction des chemins de fer et du gouvernement.
Dans une
interview accordée à la station de radio Deutschlandradio Kultur, le
dirigeant du Parti de la Gauche, Gregor Gysi, a dit qu’il rejetait la
revendication essentielle du syndicat des conducteurs de train GDL (Gewerkschaft
Deutscher Lokomotivführer) pour un contrat séparé. Bien que la
« revendication pour des salaires élevés des conducteurs » soit tout
à fait justifiée, Gysi a dit, « Ce que je trouve injuste, c’est
qu’ils veulent avoir leur convention collective propre. » Selon lui
la devise est « une entreprise, une convention collective ».
L’argumentation
disant oui à une augmentation de salaire significative et non à une convention
collective est absurde. Car sans le retrait du GDL de la communauté tarifaire
avec Transnet, il n’y aurait jamais eu la revendication pour une hausse
de salaire de 31 pour cent pour les conducteurs de train. La perte de revenu
que les agents de conduite et tous les autres cheminots ont endurée ces
dernières années avait été acceptée par Transnet et le syndicat des
fonctionnaires GDBA (Gewerkschaft Deutscher Bundesbahnbeamten, Arbeiter und Anwärter).
Le retrait de la convention collective et la revendication pour un accord
spécifique étaient la condition préalable pour lutter contre cette perte de
revenu et pour l’obtention d’une hausse des salaires.
La revendication
de Gysi pour une unité syndicale serait justifiée si Transnet était une organisation
démocratique et respectant la volonté de ses membres. Ceci n’est pas le
cas. Transnet est dans la poche de la direction de la Deutsche Bahn (DB,
Chemins de fer allemands). De nombreux permanents de Transnet sont financés
directement et indirectement par la DB. Cette dépendance est volontairement
cachée aux adhérents. Le dirigeant de Transet, Norbert Hansen, n’est pas non
plus disposé à révéler à ses membres le montant de la rémunération qu’il
empoche en occupant le poste de vice-président au conseil de surveillance de la
DB.
La preuve que les
membres de Transnet n’exercent pas la moindre influence sur la politique
du syndicat est révélée dans le fait que malgré l’opposition à la
privatisation des chemins de fer et qui a été exprimée dans
d’innombrables résolutions par une majorité d’entre eux, Hansen et
la direction syndicale poussent en avant la privatisation de concert avec la
direction de la DB. Le fait que c’est dans ces conditions, que Gysi
rejette un accord séparé du GDL et sa revendication pour une convention
collective indépendante ne signifie rien d’autre que la subordination du
GDL aux dictats de Transnet.
Le Parti de la
Gauche rejoint les briseurs de grève de la direction de Transnet en répétant
les arguments de la Fédération des syndicats allemands (DGB), du Parti
social-démocrate (SPD), de la direction de la Deutsche Bahn et du gouvernement.
Tous refusent que les conducteurs de train bénéficient de leur propre accord pour
éviter toute lutte indépendante des travailleurs hors du contrôle de la
bureaucratie du DGB. Tout ceci est enjolivé par une foule de balivernes
abstraites sur « l’unité des travailleurs » et la
« solidarité de l’entreprise ». Tout comme Gregor Gysi, le
président de la fédération patronale, Martin Kannegiesser, est également un
fervent défenseur de la convention collective unitaire et du syndicat unitaire.
Toutefois, si les
travailleurs n’ont que le droit d’adhérer à un syndicat unitaire
financé par les patrons et lié à la responsabilité gouvernementale par le biais
du SPD, alors le droit démocratique fondamental « de fonder des associations
pour la sauvegarde et l’amélioration des conditions de travail et des
conditions économiques » (« A tous et dans toutes les
professions » : Constitution allemande, article 9) n’est plus
garanti. Alors, les conditions ressemblent plus à celles qui ont existé dans
l’ancienne Allemagne de l’Est où l’affiliation politique et
syndicale était limitée à l’appartenance à un parti et à un syndicat unique
dont le but était de réprimer tout mouvement indépendant de la classe ouvrière.
L’attaque
lancée par le Parti de la Gauche contre la revendication essentielle des
grévistes confirme ce que le World Socialist Web Site et le Parti de
l’égalité sociale d’Allemagne (PSG) avaient écrit concernant la
nature de ce parti. La fusion du Parti du socialisme démocratique (PDS) en
Allemagne de l’Est avec une aile de la bureaucratie syndicale en
Allemagne de l’Ouest et qui avait elle-même formé le groupe de
l’Alternative électorale Travail et Justice sociale (WASG) était une union
de forces sociales apparentées.
Issu de
l’ancien parti d’Etat d’Allemagne de l’Est, le PDS (Parti
du socialisme démocratique) parle certes beaucoup de démocratie et de
socialisme, mais considère que sa tâche primordiale consiste à stabiliser les
conditions sociales existantes et à contenir tout mouvement d’en bas.
Pour des raisons identiques, les syndicats se considéraient eux-mêmes comme un
facteur d’ordre et, confrontés au virage droitier du SPD, craignent de
perdre leur influence sur le lieu de travail.
Ce n’est
pas par hasard que la direction du Parti de la Gauche rassemble de nombreux permanents
syndicaux. Une importante délégation du DGB était présente au congrès fondateur
du Parti de la Gauche au début de l’été, y compris le dirigeant de Transnet,
Norbert Hansen. Pour connaître la vraie nature de ce parti, il suffit de jeter
un regard sur la politique pratiquée par le sénat de Berlin où pendant plus de
six ans le Parti de la Gauche.PDS, en alliance avec le SPD, a appliqué une
politique d’attaques sociales féroces.
Le fait que
durant la première grève de grande envergure ayant eu lieu depuis la formation
de ce parti, il se soit placé du côté du DGB, du SPD et du gouvernement
n’est en rien surprenant, mais révèle l’expression de la vraie nature
du Parti de la Gauche.
Les attaques de Gysi contre les conducteurs de train en grève
indiquent dans quelle direction ce parti se dirige. Ceci a été souligné par les
déclarations faites par d’autres dirigeants du Parti de la Gauche. Dans
une lettre adressée au groupe parlementaire du parti, le vice-président du
groupe parlementaire, Bodo Ramelow, explique pourquoi il rejette les objectifs
des grévistes pour une « convention collective indépendante et séparée des
autres cheminots. »
Ramelow écrit que le GDL « abuse » de la volonté des
conducteurs de lutter, dans le but d’arriver par la force à
« l’indépendance comme objectif principal de la grève. » Il dit
que ceci est « inacceptable ». La lutte du GDL signifie en fin de
compte « la fin d’une convention collective de branche » pour
les chemins de fer et doit de ce fait être rejetée. L’abandon « des
conventions collectives territoriales et du syndicat unitaire » est fondamentalement
une erreur, affirme-t-il.
Bodo Ramelow est un représentant typique de la bureaucratie
syndicale telle qu’on la trouve dans le Parti de la Gauche. Il a débuté
sa carrière dans le syndicat HBV (syndicat du commerce, des banques et des
assurances), l’un des prédécesseurs du syndicat Verdi. Suite à la chute
du Mur de Berlin en 1989, il est allé en Allemagne de l’Est pour devenir
le président régional du syndicat en Thuringe, et grimpant ensuite les échelons
au sein du PDS.
En même temps que Ramelow, un autre membre de la direction du
Parti de la Gauche a également exprimé son opposition à la revendication des
conducteurs de train pour une convention collective spécifique. Ulrike Zerhau, vice-présidente
au niveau national du syndicat, a soumis « dix thèses » dans
lesquelles elle accuse le GDL de représenter les « aspirations
élitaires » de ses membres. Leur lutte divisant présentement les
cheminots, précise-t-elle, fait ainsi le jeu de sections d’entrepreneurs
qui depuis un certain temps cherchent à attiser la rivalité entre les salariés.
De toute évidence, cette permanente de Verdi qui engrange un salaire
juteux grâce à un mandat de permanente syndicale a perdu tout contact avec la
réalité. Comment expliquer sinon que la revendication des conducteurs de train,
qui autrement doivent se contenter de 1500 euros par mois, soit qualifiée
d’« aspiration élitaire » ?
Le point 9 de ses « 10 thèses » dit : « La
grève du GDL, indépendamment du succès qu’elle pourrait avoir, changera
le comportement au sein du syndicat des cheminots… les grèves qui sont
menées par des groupes individuels dans une entreprise donnent cours à des
reproches mutuels et engendrent de l’amertume et de la colère. »
Ceci « causant des fissures dans le camp des travailleurs » et facilitant
des attaques sévères de la part des entreprises. Ce faisant, elle rejette la
responsabilité de la chasse aux sorcières organisée par le dirigeant de Transnet
et Cie sur les conducteurs de train.
Dans sa dernière thèse, Zerhau conclut que la lutte du GDL
« modifiera les rapports de force dans les prochaines grèves » au
détriment du camp patronal. Elle justifie cela dans les termes suivants :
« Si le GDL arrive à ses fins, d’autres groupes de salariés y
verront un signe positif pour organiser leur propre action. D’autres
découvriront peut-être bientôt qu’il vaut mieux se trouver dans une
position de négociation en solitaire et agiront en conséquence. »
Il est à peine possible d’exprimer plus clairement la
crainte d’un bureaucrate syndical devant le fait que la classe ouvrière
se libère de la camisole de force de la bureaucratie syndicale du DGB pour agir
indépendamment.
Zerhau, Ramelow et Gysi s’adonnent à un jeu cynique avec
l’aspiration, compréhensible de la part des travailleurs, à l’unité
et à la solidarité. Ils en appellent à la crainte que différentes professions
et groupes pourraient être montés les uns contre les autres au cas où un
éclatement des conventions collectives actuelles aurait lieu.
Or, il n’est pas possible de surmonter ce danger en forçant
les conducteurs de train à revêtir la camisole de force du syndicat Transnet.
L’unité est d’abord et avant tout une question politique et non
organisationnelle. La politique de Transnet qui impose les dictats de la
direction à ses propres membres, ne sert qu’à affaiblir et à diviser les
travailleurs.
Quant au GDL, il n’a aucune alternative à offrir. Dans
ses négociations actuelles avec la direction de la DB il prévoit aussi d’externaliser
les conducteurs de train dans une filiale indépendante. A défaut d’augmentation
de salaire, cette option n’aurait que des conséquences négatives pour les
cheminots.
L’unité et la solidarité ne peuvent être réalisées que
sur la base d’une perspective politique qui place les besoins et les
intérêts des grandes masses de la population au-dessus des intérêts de profit
des patrons et des banques.