Les partis Verts de par le monde sont déjà synonymes
de renoncement spectaculaire à leurs principes. La politique qu’ils ont défendue,
peut-être pendant des décennies, est abandonnée quelques heures à peine après
leur entrée dans un gouvernement. En échange de quelques arrangements mineurs apportés
à la politique environnementale, les Verts se donnent la responsabilité de
promouvoir avec détermination les intérêts de leurs propres capitalistes.
Toujours est-il que la duplicité politique affichée
par le Parti des Verts (GP) irlandais en rejoignant le Fianna Fáil (Parti
républicain, FF) et le parti des Démocrates progressistes (PD) au gouvernement,
est tout à fait extraordinaire. C’est également l’indice clair des
tensions et instabilités qui existent dans la société irlandaise et qui ne
peuvent que s’approfondir suite à la troisième réélection du Taoiseach
(premier ministre) Bertie Ahern et de son parti le Fianna Fáil.
Ahern a remporté le 24 mai les élections
législatives. Bien qu’on s’attendait à ce que Fianna Fáil essuie
une débâcle, il n’a perdu que trois sièges au parlement irlandais, et en a
conservé 78. Mais, son partenaire de la coalition, les Démocrates progressistes
ont été presque complètement éliminés. L’autre projet de coalition
proposé entre le Fine Gael (FG) et le Parti travailliste (Irish Labour Party,
ILP) n’a totalisé que 71 sièges à eux deux, et n’a donc pas été en
mesure de détrôner le Fianna Fáil avec lequel ils n’avaient pas de différences
majeures.
Il manque au Fianna Fáil les 83 sièges
nécessaires pour s’assurer une majorité absolue au parlement qui en
compte 165.
Des négociations ont été dûment entamées avec
d’éventuels partenaires de coalition, notamment les Verts, comptant six
sièges, un certain nombre de députés indépendants (TD, membre de la chambre
basse du parlement de la République d’Irlande) et deux Démocrates
progressistes qui ont survécu. Pour Fianna Fáil, une alliance avec les Verts
était préférable, pour ce qui est de la formation d’une majorité qui
fonctionne en faisant le moins possible de concessions, à une alliance avec le
Parti travailliste ou Sinn Féin (bras politique de l’Armée républicaine
irlandaise, IRA).
Quant aux Verts, bien qu’ils aient
signalé à Ahern leur possible intérêt à traiter avec lui, ce n’était pas
du tout la position qu’ils affichaient publiquement. Juste avant les
élections, la question sur une coalition avec Fianna Fáil avait été posée au
dirigeant du parti des Verts, Trevor Sargent, qui la balaya d’un « Quand
les poules auront des dents, cela fera aussi les gros titres. »
Le vote des Verts s’est en grande partie
maintenu en raison surtout de leur opposition apparente à la corruption en
matière d’urbanisation et à la guerre en Irak. Sargent s’était fait
un nom en tant que militant anti corruption dans le Conseil du comté de Dublin
et il avait même été une fois agressé physiquement au parlement pour cela. En
1992, il fut élu comme député indépendant (TD) à Dublin et devint le dirigeant
des Verts en 2001.
En février 2007, Sargent déclarait au Irish
Times, « Je ne me vois pas conduire le parti dans une coalition avec
Fianna Fáil en raison de sa culture de mauvaise urbanisation, de corruption et
de mauvais résultats. »
Pas plus tard que le 1er mai 2007,
Sargent se moquait de l’incapacité d’Ahern de se débarrasser des
allégations faites contre lui au sujet de ses finances personnelles. L’un
des gestes symboliques des Verts avant les élections avait été de jeter à la
poubelle une enveloppe brune supposée contenir de l’argent en échange de
permis de construire. Les Verts se sont à maintes reprises plaints de ce que
Fianna Fáil soit mêlé de façon notoire à l’industrie du bâtiment. Le
parti était contre les contributions des entreprises aux partis politiques.
Même après les élections, le porte-parole des
Verts pour le logement, Ciaran Cuffe a dit, « Soyons clairs. Un accord
avec Fianna Fáil serait un accord avec le diable. Nous serions mis à la porte cinq
ans plus tard et décimés en tant que parti. »
Bien que le manifeste du parti des Verts soit entièrement
consacré, tout comme celui de Fianna Fáil, à la défense de l’Irlande en
tant que site d’investissement, il renfermait un engagement pour que l’aéroport
de Shannon, sur la côte sud-ouest, ne soit plus utilisé pour les vols
militaires américains liés à la guerre en Irak. Le manifeste insistait aussi pour
que tous les vols « suspectés de transporter illégalement des prisonniers soient
fouillés. »
Les Verts sont également opposés à la
soi-disant colocation d’hôpitaux, un projet conçu par Fianna Fáil et les
Démocrates progressistes pour permettre la construction d’hôpitaux privés
sur des terrain appartenant au service public de santé.
Tout ceci, reflétant les opinions d’un
nombre important d’électeurs irlandais, n’a plus compté une fois
les négociations de coalition entamées. Les pourparlers ont commencé par le refus
clair et net d’Ahern d’envisager la moindre restriction à
l’utilisation par les Etats-Unis de l’aéroport de Shannon. Il
s’en est suivi deux séries de pourparlers s’étalant sur plusieurs
jours.
La première série a échoué au bout de six
jours en raison du refus des Verts d’accepter la colocation des hôpitaux,
une politique largement impopulaire et en grande partie responsable de
l’effondrement des Démocrates progressistes, ainsi que leur refus
d’accepter des modifications dans le programme de construction des routes
et des projets sur le changement climatique. Les Verts craignaient de ne
pouvoir faire accepter l’accord dans leur propre parti, dont quelque 800
délégués auraient à ratifier la coalition lors d’une conférence spéciale.
Une deuxième série de pourparlers s’est
éternisé tandis que Fianna Fáil et les Verts marchandaient l’attribution
de postes ministériels. Mais finalement un marché a été conclu dans lequel les
Verts acceptaient :
* la poursuite des vols américains à
destination de l’Irak.
* que la dirigeante des Démocrates
progressistes, Mary Harney, conserve son poste de ministre de la Santé et de
l’Enfance avec, dans ses attributions, la poursuite de la colocation des
hôpitaux.
* que soit poursuivie la construction d’une
autoroute, une décision particulièrement impopulaire, près de Hill of Tara, un
important site archéologique renfermant de nombreuses structures remontant à
des milliers d’années.
* que soit ignorée l’interdiction
proposée par les Verts concernant les contributions des entreprises.
En échange, les Verts ont reçu davantage
d’argent pour l’éducation, une vague proposition concernant une
taxe sur le CO2, quelques postes gouvernementaux et, comme on devait l’apprendre
plus tard, une proposition de reconsidérer la colocation des hôpitaux en 2011.
Fianna Fáil a également versé quelques millions d’euros aux TD
indépendants pour s’assurer leur loyauté.
Le congrès des Verts convoqué pour ratifier
l’accord et tenu en privé a attiré des manifestants anti guerre. Le
mouvement Anti-War Ireland a fait remarquer que « les Verts auront du sang
sur les mains » s’ils refusent de s’opposer à la coalition.
Durant la conférence, un des délégués a accusé le parti de récolter des « Mercedes
et des privilèges » ( « Mercs and perks ») et rien de plus,
tandis qu’un autre délégué mettait en garde contre le fait qu’ils
se rendraient complices pour les morts en Irak et en Afghanistan. Mais la
majorité a écarté de telles critiques et la coalition a été adoptée à une large
majorité : 441 contre 67 voix.
Sargent, le dirigeant du parti, après avoir
mené son parti dans une série de retournements politiques à 180 degrés et
cimenté une alliance avec Fianna Fáil contre lequel il avait passé la majeure
partie de sa vie à lutter, s’est empressé de démissionner. Sargent a
annoncé à un auditoire larmoyant qu’il s’agissait du « jour de
plus grande fierté de ma vie ». Il démissionnait parce qu’il avait
promis de le faire si jamais les Verts devaient entrer en coalition avec Fianna
Fáil !
Peu de temps après, Sargent déclarait
qu’il était « parfaitement » satisfait du rapport présenté par
Bertie Ahern concernant ses finances personnelles.
Les postes ministériels remportés par les
Verts sont celui du ministère de l’Environnement, du Patrimoine et des
Collectivités locales et celui du ministère des Communications, de
l’Energie et des Ressources naturelles. Désormais, les Verts seront
directement responsables de l’autoroute M3 traversant Tara et du terminal
controversé de pétrole et de gaz de Rossport, dans le comté de Mayo. Le parti
se spécialisera donc dans les attaques contre des groupes gauchistes et des
militants écologistes qui, auraient peut-être à un moment donné compté parmi leurs
partisans.
Un autre combat que le ministre Vert de
l’Energie, Eamonn Ryan, devra bientôt mener, est celui de faire passer la
proposition du gouvernement consistant à démanteler le service public de
l’énergie ESB (Electricity Supply Board), mesure à laquelle s’opposent
les syndicats et qui déclenchera une attaque contre les travailleurs du secteur
énergétique. Fianna Fáil et maintenant les Verts ont l’intention de
remplacer l’ESB par un certain nombre d’entreprises dans le but de
« libéraliser » le marché de l’énergie, autrement dit de l’ouvrir
au capital privé.
Ryan voulait surtout que des fournisseurs
d’énergie renouvelable y participent. Il ne fait pas de doute que de
nombreux sympathisants des Verts possèdent des actions « éthiques » dans
des sociétés d’énergie renouvelable et que bien plus encore ont leur
propre entreprise « verte ».
C’est un parti qui représente une couche
sociale pressée, qui n’a aucun sentiment de responsabilités envers ses
propres électeurs et qui est farouchement hostile à la classe ouvrière. Comment
expliquer autrement les volte-face de Sargent ? Les Verts ont le sentiment
que les partisans du capitalisme vert dont ils sont les porte-parole risquent
de rater le coche avec le boom chancelant de l’investissement en Irlande.
Des promesses électorales basées sur un taux
de croissance entre 5 et 6 pour cent ne valent rien. Des taux révisés avancent
un chiffre de moins de 4 pour cent mais celui-ci pourrait également être trop
optimiste.
Dans une chronique parue dans le Sunday
Business Post, l’économiste David McWilliams a remarqué que les
années de boom de l’économie irlandaise étaient basées sur un dollar
américain fort, des salaires irlandais bas et un accès facile aux marchés
européens. Avec un dollar en baisse et un euro fort, l’Irlande est un
site bien moins attractif pour les investisseurs. Les travailleurs irlandais
sont payés en euros chers.
McWilliams poursuit en signalant que la
réaction traditionnelle aux baisses des investissements et au grand nombre de
travailleurs potentiellement pris au piège de leurs dettes immobilières, serait
de réduire les taux d’intérêts. Mais ceci est impossible parce que
l’Irlande est enfermée dans l’euro. Il est allé jusqu’à dire
que la meilleure chose pour l’économie serait de « capituler en
laissant la monnaie se déprécier parallèlement au dollar afin de refaire une
santé à notre secteur d’exportation », c’est-à-dire abandonner
l’euro.
Mais, il conclut en disant qu’« il
semble y avoir peu d’alternative à une récession, dont le principal
fardeau sera porté par les jeunes banlieusards. »
Durant les semaines qui ont suivi les
élections, les ministres Verts n’ont cessé d’exprimer les excuses
du parti pour les relations que Fianna Fáil entretient avec le patronat. Le
chapiteau de Fianna Fáil, qui sert à collecter les contributions effectuées
durant la campagne de financement, est dressé tous les ans aux courses de
chevaux de Galway (la plus grande manifestation du genre en Irlande). Des promoteurs
et des notables locaux se rendant à cet événement grandiose rapportent quelque
160 000 euros à Fianna Fáil. Les Verts ont poliment exprimé l’espoir de
trouver « un moyen de définir plus précisément ce qu’est un
financement approprié. »