Le 2 août, l’Assemblée nationale a voté une nouvelle loi
obligeant les travailleurs des transports en commun à assurer un service
minimum. Cette nouvelle mesure représente une restriction historique du droit
de grève et s’adresse tout particulièrement aux travailleurs des
transports en commun urbains, trains autobus et métro. Cette nouvelle loi donne
aussi aux syndicats la responsabilité d’organiser et de veiller à
l’application, en collaboration avec les employeurs, du niveau de service
minimum mis en place en cas de grève.
La loi sur le service minimum stipule que les employés des
transports en commun fassent part, individuellement et sous peine de sanctions,
48 heures à l’avance, de leur intention de faire grève et que, après huit
jours de grève, la direction puisse organiser un vote à bulletins secrets
auprès des travailleurs sur la poursuite du mouvement de grève. Dans les faits,
cette mesure transfère à la direction de l’entreprise le contrôle de la
poursuite du mouvement de grève.
Le vote de cette loi s’est déroulé le dernier jour de la
session extraordinaire du parlement qui s’était ouverte le 3 juillet, convoquée
par le président nouvellement élu du parti de droite UMP gaulliste (Union pour
un mouvement populaire), Nicolas Sarkozy. Cette session parlementaire a fait
passer une série de lois « d’urgence » réactionnaires visant à dépouiller
les travailleurs pour enrichir les nantis au moyen de réformes fiscales désavantageant
les plus pauvres. Il y a eu aussi la diminution de l’âge de la responsabilité
pénale pour les jeunes délinquants et la réorganisation des universités qui
sont désormais ouvertes aux pressions du marché et de l’entreprise
capitaliste.
Le gouvernement a clairement fait savoir qu’il
envisageait d’étendre cette nouvelle loi sur le service minimum à des
couches plus larges de travailleurs, en particulier à ceux des transports
aériens, maritimes et de l’Education nationale. Durant ces deux dernières
décennies, les grèves des cheminots, des employés du métro et des enseignants
ont constitué la résistance la plus déterminée aux attaques du gouvernement sur
les acquis sociaux, tels les droits à la retraite.
La nouvelle législation a aussi pour objectif de préparer le
terrain pour tout un programme de privatisations, d’attaques plus poussées
sur les retraites (notamment sur les « régimes spéciaux » concernant
les retraites avantageuses des fonctionnaires des transports ferroviaires et
autres) et de coupes claires dans les postes du secteur public, notamment dans
l’éducation.
Les syndicats, en réagissant à cette loi par une journée
d’action organisée sans grande conviction et peu suivie, ont déjà indiqué
leur empressement à accepter une loi qui renforce la collaboration corporatiste
entre représentants syndicaux et direction. Cette nouvelle loi mine les droits
des travailleurs tout en intensifiant l’intégration des syndicats dans
l’Etat et renforce la capacité de la bureaucratie à isoler et réprimer
toute action indépendante des travailleurs.
La loi déclare que les travailleurs devraient “informer,
au plus tard 48 heures avant de participer à la grève, le chef
d’entreprise ou la personne désignée par lui, de leur intention d’y
participer” et poursuit “est passible d’une sanction
disciplinaire le salarié qui n’a pas informé son employeur de son
intention de participer à la grève.” La nature de la sanction n’est
pas précisée.
Le droit donné aux employeurs d’organiser un vote à
bulletins secrets, au bout de huit jours de grève, pour voir si les
travailleurs souhaitent poursuivre le mouvement, est un moyen d’isoler
les grévistes. Il est probable que l’intention première déclarée, à
savoir rendre passibles de sanctions les grévistes qui poursuivent
l’action après que le vote les ait mis en minorité, a dû être retirée car
elle aurait été jugée anticonstitutionnelle par le Conseil constitutionnel et aurait
contrevenu au droit de grève internationalement reconnu. La nouvelle loi a pour
objectif de miner l’autorité des assemblées générales de grévistes à
prendre des décisions et exige que les travailleurs se prononcent
individuellement plutôt que collectivement en assemblée générale.
Un aspect de la loi qui n’a pas vraiment retenu
l’attention des médias et n’a pas suscité de grandes protestations
de la part des syndicats et partis de “gauche” est celui concernant
le préavis de grève. Ce préavis de grève protège tout gréviste isolé contre le risque
de poursuites pour rupture de contrat. La nouvelle loi stipule que, avant de déposer
un préavis, «une organisation syndicale représentative procède à la
notification à l’employeur des motifs pour lesquels elle envisage de
déposer un préavis de grève.»
L’employeur doit rencontrer les organisations syndicales
dans les trois jours et ils disposent d’une semaine pour négocier. Cela équivaut
à un corporatisme statutaire : la bureaucratie syndicale est tenue de
travailler main dans la main avec l’employeur en excluant du processus
décisionnel la masse des travailleurs et des syndiqués.
En plus de cette restriction qui permet aux employeurs, à
l’Etat, aux syndicats et aux médias d’exercer une pression
dissuasive sur les travailleurs, il y a la dispositionselon laquelle «un
nouveau préavis ne peut être déposé … qu’à l’issue du délai
du préavis en cours et avant que la procédure prévue … n’ait été
mise en œuvre, » soit dix jours plus tard.
Il est très significatif qu’aucune objection n’ait
été soulevée par les syndicats sur la question de l’obligation imposée
aux employeurs et aux non grévistes de remplacer et faire le travail des
grévistes, autrement dit d’agir en briseurs de grève. La loi déclare que
l’accord trouvé entre syndicats et patrons pour la poursuite du service «fixe
les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible,
l’organisation du travail est révisée et les personnes disponibles
réaffectées afin de permettre la mise en œuvre du plan de transport
adapté. En cas de grève, les personnels disponibles sont les personnels de
l’entreprise non grévistes.»
La nouvelle loi sur le service minimum fera appel aux
syndicats pour négocier des accords qui imposeront que les non grévistes
agissent en briseurs de grève et remplacent leurs collègues grévistes. On peut
supposer que les non grévistes qui refuseraient seraient en rupture de contrat.
Les comités de grève et assemblées générales qui se forment au
cours d’un mouvement de masse et échappent à la camisole de force collaborationniste
des syndicats, seront dépouillés de toute protection légale et les grèves
seront généralement criminalisées à moins de jouir de l’aval de la
bureaucratie syndicale.
Cependant, l’aspect le plus sinistre de cette loi
n’a pas suscité le moindre commentaire, et ce du fait qu’il recueille
l’approbation de la bureaucratie syndicale et de ses alliés parmi les
soi-disant partis de gauche et d’extrême-gauche : «L’employeur
et les organisations syndicales représentatives engagent des négociations en
vue de la signature, avant le 1 janvier 2008, d’un accord cadre
organisant une procédure de prévention des conflits et tendant à développer le
dialogue social.» On voit ici le concept de collaboration de classe incarné par
la notion de « partenaires sociaux » se cristalliser en une
obligation légale.
Soutien de la bureaucratie syndicale à Sarkozy
Sarkozy a été encouragé à passer à l’offensive contre
les droits des travailleurs, conforté par le soutien de la bureaucratie
syndicale. Deux jours avant de devenir président, Sarkozy avait invité les
dirigeants des cinq confédérations syndicales officiellement reconnues à venir
s’entretenir avec lui. Tous ceux qui s’y étaient rendus avaient
exprimé en sortant leur volonté de coopérer avec lui.
C’était en contradiction marquée avec l’importante
opposition à Sarkozy exprimée par de larges sections de la jeunesse et de la
classe ouvrière manifestant contre son programme autoritaire et en faveur du
patronat. Les syndicats eurent tôt fait de se dissocier des protestations
spontanées qui avaient éclaté suite à l’élection de Sarkozy le 6 mai.
Les bureaucraties syndicales ont bien soulevé quelques
objections devant la mouture finale de la loi sur le service minimum et fait
part de leur déception quant à l’article déclarant que sont passibles de
sanctions les travailleurs qui ne se plient pas à déclarer 48 heures à
l’avance s’ils seront grévistes. Leurs protestations sont toutefois
totalement insincères : Il était clair depuis le début que Sarkozy avait
l’intention de faire de cette stipulation une obligation légale. La
collaboration de la bureaucratie syndicale avec le président français le plus
droitier depuis la Libération a joué un rôle significatif pour désarmer la
classe ouvrière et légitimer la nouvelle loi de Sarkozy.
Didier Le Reste, secrétaire de la fédération des cheminots CGT
(Confédération générale du travail, proche du Parti communiste) a déclaré sur
France 2, le 31 juillet, qu’il n’avait pas de désaccords de fond
avec la nouvelle loi. «Si d’aventure à la fin de ce processus
parlementaire, le projet de loi devait se radicaliser un peu plus, cela
pourrait nous handicaper sérieusement pour mener les négociations » en
septembre, dit-il. Refusant toute responsabilité des syndicats à conduire
quelque forme de lutte que ce soit contre les mesures de Sarkozy, il a donné
l’initiative au gouvernement en ces termes, «La balle est dans le camp à
la fois des pouvoirs publics et des directions d’entreprises.»
La CGT a pris part à “une journée d’action” syndicale
en France ce jour-là, mais qui fut peu suivie. Quelque 2000 manifestants
s’étaient rassemblés à Paris devant l’Assemblée nationale, où la
loi était débattue. Dans d’autres grandes villes, les manifestations
n’avaient pas rassemblé plus de cent à deux cents personnes selon les
reportages.
En fait, la mobilisation du 31 juillet a été délibérément freinée
par les syndicats. De nombreuses sections syndicales de cheminots
n’avaient pas déposé de préavis de grève et s’étaient contentées
d’appeler à des rassemblements. En région parisienne nombreux étaient les
cheminots qui n’étaient même pas au courant qu’il y avait un
rassemblement devant l’Assemblée nationale. La plupart des trains roulaient
comme un jour normal.
Alors que les députés du Parti socialiste votaient au
parlement contre la loi, de nombreux présidents de région socialistes disaient
qu’ils appliqueraient la loi si elle était votée et qu’ils
mettraient en place un service minimum des transports dans leur région. Cela
s’explique par le fait que, fondamentalement, ils sont d’accord
avec la campagne de Sarkozy visant à limiter la capacité de la classe ouvrière
à se défendre contre ces mesures, notamment contre la privatisation des
transports en commun. Leur but est d’augmenter la profitabilité des
grandes entreprises françaises et l’attractivité de la France pour les
investisseurs.
On peut se rendre compte de l’étendue de cette entente
entre le PS et Sarkozy dans un article du quotidien conservateur Le Figaro
daté du 3 août. L’article décrit la position conciliante adoptée par les
députés PS concernant les membres du parti qui sont récemment passés dans le
camp de Sarkozy et rejoint son gouvernement. «Les socialistes ont convenu de ne
pas surréagir, » dit l’article. « Jean-Marie Bockel, dont les
idées sociales libérales sont connues, appelle peu de commentaires. Martin
Hirsch, Fadela Amara ou Jean-Pierre Jouyet forment une catégorie à part :
Aucun socialiste ne les accuse d’opportunisme et on les juge sincères
dans leur démarche. ‘Ils pensent réellement pouvoir infléchir la
politique du gouvernement’, dit un responsable PS.»
Comme on pouvait le prévoir, la nouvelle législation a été
critiquée par des groupes tels Lutte ouvrière (LO) et la Ligue
communiste révolutionnaire (LCR) qui critiquent aussi les syndicats pour
leur manque d’opposition. Mais de telles organisations refusent de
signaler la nature corporatiste de cette nouvelle loi qui accroît le pouvoir de
contrôle de la bureaucratie sur la classe ouvrière. Au lieu de faire ressortir
la logique inhérente au rôle de la bureaucratie et d’appeler les
travailleurs à rompre de façon consciente avec la politique réformiste des
syndicats, ces organisations cherchent à propager le vain espoir que la
bureaucratie peut être réformée par la pression et l’action de la rue.
Bien que cette nouvelle loi représente une attaque sans
précédent depuis la Libération sur le système des relations au travail, les
cercles conservateurs et patronaux se plaignent qu’elle ne va pas encore assez
loin.
Le Figaro du 4 août cite tout un
éventail d’organisations libérales qui pensent que Sarkozy n’a fait
qu’effleurer la question. Benoîte Taffin, parlant au nom d’une
association de contribuables, Contribuables associés, dit, «Les mesures
mises en œuvre restent toujours en deçà de l’attente des Français
qui ont élu le président de la République … Pendant sa campagne, Nicolas
Sarkozy avait promis un service normal aux heures de pointe le matin et le
soir. Or, la loi adoptée par le parlement ne dit rien de tel et s’en
remet au bon vouloir des collectivités locales.»
D’autres accusent le président de “crain[dre] les
syndicats alors qu’il ne faudrait pas avoir peur de les affronter”
et font remarquer que “le choc avec la rue est inévitable si le président
de la République décide de toucher aux vaches sacrées.”
Il ne fait pas de doute que cette nouvelle loi n’est
qu’un début. Des mesures plus poussées et plus étendues contre le droit
de grève requièrent des amendements à la Constitution française et Sarkozy est
déterminé à faire avancer à grands pas de tels changements. Le revers électoral
subi par l’UMP, suite aux cadeaux fiscaux faits aux riches et financés
par l’augmentation de la TVA, a privé son parti de la majorité de deux
tiers escomptée et dont il avait besoin pour procéder à des changements
constitutionnels. Il est possible que ce revers constitue, en quelque sorte, un
obstacle aux projets de Sarkozy, mais ce dernier a clairement laissé entendre
que cette dernière série de lois n’est qu’un début.
Avant de prendre ses vacances d’été aux
Etats-Unis (et au cours desquelles une rencontre est prévue avec le président
Bush) Sarkozy s’est ainsi vanté, « Vous pouvez être sûr que nous reprendrons
avec force à la rentrée », tandis que le journal économique Les Echos
titrait « Sarkozy promet une rentrée chargée. »