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Comparution de Saddam Hussein au tribunal : un grand procès « Made in USA »Par Peter Symonds Utilisez cette version pour imprimer La brève comparution de Saddam Hussein jeudi dernier présentait toutes les attrapes d'un grand procès politique. Il fut mis en scène par l'administration américaine, avec l'assistance de ses collaborateurs locaux, dans un effort pour soutenir l'occupation américaine contestée de l'Irak et le destin politique de Bush aux États-Unis. Fidèles à leurs habitudes, les médias américains et internationaux ont joué le rôle qui leur est assigné, aidant à maintenir la prétention que cette affaire était un exercice de justice par et pour les Irakiens. Ils sont restés complètement silencieux sur la complicité des États-Unis et des autres grandes puissances dans les crimes de Hussein. Le World Socialist Web Site ne se fait pas le défenseur de Hussein, un dictateur cruel et brutal qui est sans aucun doute coupable de crimes terribles contre le peuple irakien. Mais il faut reconnaître que l'homme fort vieillissant s'est comporté de façon beaucoup plus digne et avec beaucoup plus d'honnêteté que ses accusateurs, refusant avec défiance d'accepter la légitimité du tribunal ou de l'invasion américaine de l'Irak. « Vous savez tous que ce n'est que du théâtre mis en scène par Bush, le criminel, pour l'aider dans sa campagne [électorale] » a t-il déclaré avec mépris au juge. Du début à la fin, tous les aspects de cette comparution de 30 minutes étaient parés de l'étiquette « Made in USA ». Hussein est apparu devant un tribunal improvisé sur une base militaire dans un quartier périphérique de Bagdad avec en toile de fond le vrombissement des hélicoptères américains. Lui et onze autres membres dirigeants de son régime ont été emmenés à la base par des soldats américains depuis des endroit gardés secrets pour ensuite entrer dans le tribunal escorté par des policiers irakiens pour sauver les apparences. Le but immédiat de cette comparution était d'établir la fiction que les détenus étaient maintenant entre les mains des irakiens. Pendant les semaines qui ont précédé la remise officielle de la souveraineté le 28 juin, l'administration Bush a insisté sur le fait que c'était elle, et non le nouveau gouvernement provisoire irakien, qui allait exercé le contrôle sur Hussein. Mais avec la supposée fin de l'occupation, il n'y avait pas de base légale pour poursuivre la détention de Hussein en tant que prisonnier de guerre. Hussein a donc été essentiellement « cédé » à un tribunal irakien pour ensuite être renvoyé à une prison militaire américaine à la fin de la journée. Bien que ce soit un juge irakien anonyme qui ait essentiellement mené l'affaire, ce sont les responsables américains qui avaient clairement le contrôle. Un petit auditoire a été choisi avec précaution. Aucun uniforme américain n'était présent mais, comme le New York Times expliqua : « Les représentants du nouveau gouvernement irakien étaient assis avec trois reporters et trois représentants américains : deux avocats conseillaient le juge irakien et un amiral de la Marine américaine, vêtu d'un pantalon sport havane et d'une chemise jaune à manches courtes, agissait comme porte parole ». La couverture médiatique a été sévèrement limitée. Aucun journaliste irakien n'a eu accès au tribunal. Le premier vidéo envoyé aux médias n'avait aucun son. Comme l'expliquait le journaliste vétéran du Moyen-Orient Robert Fisk dans l'Independent, la bande audio n'est arrivée que par la suite, après qu'une équipe d'officiers américains ait censuré les enregistrements. Un membre d'une équipe de télévision américaine a par la suite confié à Fisk : « Ce sont eux qui menaient le bal. Les Américains ont décidé de ce que le monde pouvait et ne pouvait voir de ce procès - et c'était supposé être un procès irakien. Il y avait un fonctionnaire britannique dans la salle et nous n'avions pas le droit de le filmer. Les autres hommes étaient des militaires américains qui avaient reçu l'ordre de porter des vêtements civils de façon à montrer qu'il y avait des "civils" dans le tribunal ». L'imposture a été encore plus exposée par le fait que Hussein n'avait pas d'avocat pour le défendre. Alors que le juge présidant a pompeusement demandé à Hussein s'il pouvait se payer une défense légale, l'équipe d'avocats engagés par la femme et les filles de Hussein n'est pas parvenue à obtenir l'accès à leur client ou aux documents sur lesquels la poursuite a été échafaudée. Les avocats ont prétendus avoir reçus des menaces de mort de la part des leaders irakiens nommés par les États-Unis et ont fait appel à la Croix rouge internationale, aux États-Unis, à la France, au Royaume-Uni et à la Belgique pour garantir leur passage sans danger et leur protection en Irak. L'équipe a déposé une poursuite aux États-Unis suite au refus des autorités américaines de leur permettre d'accéder à Hussein. Mohammed Rashdan, l'avocat jordanien à la tête de l'équipe de Hussein, a dénoncé les procédures de la semaine dernière : « la moquerie du procès démontre qu'il n'y a pas de démocratie. On aurait jamais dû lui poser la moindre question sans la présence d'un avocat... Nous faisons face à des violations légales flagrantes. Les allégations selon lesquelles ce procès sera juste sont non fondées... Ils ont peur de dévoiler la vérité car un procès juste serait une mise en accusation de George Bush. Il doit d'abord prouver si son intervention en Irak est légale ou non ». Une parodie de justice La comparution arrangée de Hussein ne fait que souligner le caractère frauduleux du « Tribunal spécial irakien ». Ce dernier a été mis sur pied l'an passé par l'autorité provisoire de la coalition américaine et son conseil de gouvernement irakien marionnette, les deux étant violemment opposés à l'établissement d'un tribunal mandaté par l'ONU selon les lignes du Tribunal pénal international pour l'ancienne Yougoslavie qui entend les accusations contre l'ancien président serbe Slobodan Milosevic. Craignant même la plus infime parcelle d'examen ou de contrôle externe, l'administration Bush a établit un organisme dénué de tout semblant d'indépendance. L'organisme a été entièrement créé par Washington et il est « conseillé » par une équipe d'au moins 50 fonctionnaires américains sur tous les aspects de son fonctionnement. C'est le FBI qui mène l'enquête, conjointement avec le Bureau of Alcohol, Tobacco and Firearms des États-Unis, alors que les procureurs du département de la Justice participent à l'élaboration des accusations. Dans un long mémoire adressé en décembre dernier au Conseil de gouvernement irakien, l'organisation Human Rights Watch (HRW) basée aux États-Unis a prudemment questionné la légitimité du tribunal et suggéré plein d'amendements à son statut afin de l'aligner sur le droit international. Mais pas plus le Conseil de gouvernement irakien que les autorités d'occupation américaines n'ont pris connaissance de la lettre. Résumant ses objections en janvier, HRW a conclut que les États-Unis avaient « échoué à articuler la moindre base du droit humanitaire international sur lequel le tribunal pouvait être établi » et a critiqué son ébauche comme étant « hautement secrète et sans la moindre opportunité de vaste consultation ou de commentaire public ». Parmi les bris de procédures légales essentielles identifiés par le HRW se trouve l'omission de s'assurer que les juges et les procureurs du tribunal sont indépendants, impartiaux et qu'ils ont l'expérience légale nécessaire. La moindre application sérieuse de ces exigences aurait automatiquement éliminé le directeur du tribunal - l'avocat Salem Chalabi, formé aux États-Unis et neveu d'Ahmad Chalabi, un détourneur de fonds reconnu coupable et compère de longue date des États-Unis et qui, jusqu'à tout récemment, était l'un des favoris du Pentagone pour occuper le poste de premier ministre irakien. Tout comme son oncle, Salem Chalabi est membre du Congrès national irakien mis sur pied par la CIA au début des années 1990 et directement financé par Washington pendant plus d'une décennie. Salem était un supporteur enthousiaste de l'invasion américaine et avait des intérêts financiers dans l'occupation américaine de l'Irak. L'an dernier, Salem a décidé de profiter de ses connexions en créant le Iraqian International Law Group (IILG). Selon son site Web, sa mission est de prendre « la tête pour attirer les investissements du secteur privé » en Irak et l'organisme claironne que ses clients comptent « parmi les plus grandes entreprises et institutions de la planète ». Pour des raisons de « sécurité » aucun des juges ou des procureurs désignés au tribunal n'a été officiellement identifié, empêchant ainsi toute enquête sur leur passé. Le journaliste Robert Fisk a néanmoins identifié le juge sans visage qui a mené l'instruction de Hussein comme étant Ra'id Juhi - âgé de 33 ans, il a travaillé pendant 10 ans comme juge sous le régime baathiste. Il a rendu un service politique de plus pour l'occupation américaine en avril lorsqu'il a mis en accusation le leader chiite Muqtada al Sadr pour meurtre - une décision qui a servit de prétexte aux militaires américains pour attaquer la milice d'al Sadr. Le mémoire de HRW a également attiré attention sur l'échec du statut du tribunal de sauvegarder de façon adéquate les droits juridiques de base de l'accusé. Contrairement au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le statut n'a pas réussi à garantir que la culpabilité doive être prouvée au delà de tout doute raisonnable. La majeure partie de la procédure du tribunal sera basée sur le code criminel établi à la fin des années 1960 et au début des années 1970, après que le Parti baath se soit emparé du pouvoir et qu'il ait imposé sa dictature. Pendant l'interrogation et l'enquête, le statut du tribunal ne donne pas le droit au défendeur de garder le silence, de consulter un avocat ou d'être informé de la nature des accusations. Il n'offre aucune protection contre la détention arbitraire ou la torture physique et mentale, ou encore l'utilisation de confessions forcées en Cour. Compte tenu des révélations de torture et d'abus systématiques menés par les interrogateurs et les gardes américains à la prison d'Abu Ghraib, il y a toutes les raisons de penser que Hussein et d'autres « détenus de haute importance » ont déjà été soumis à divers types de moyens de coercition. Au minimum, ils ont été détenus pendant des mois en isolement - un traitement qui constitue une forme de contrainte psychologique et qui est par conséquent interdit selon les conventions de Genève. Nervosité à Washington Parmi le déluge de rapports des médias publics de la semaine dernière, on pouvait percevoir un courant de nervosité distinct relativement à la possibilité que le procès de Hussein puisse se retourner contre les États-Unis. C'était évident lors de la minutieuse dissection qui a été effectuée à propos du « langage corporel » de Hussein lors de sa brève apparition et l'expression de préoccupation à propos de la façon dont l'affaire était reçue dans la « rue irakienne ». C'était également manifeste dans les commentaires des médias à propos de la possibilité que Hussein puisse renverser les rôles en accusant ses accusateurs, à l'exemple de l'ancien président serbe Milosevic dans son procès, et les implications politiques qui vont avec. Si les premiers sondages et interviews disent vrai, le procès ne sera pas l'atout que Washington espérait. Un sondage effectué la semaine passée par une station de radio de Bagdad suite à la comparution de Hussein a révélé que 45 pour cent des appelants voulaient la mise à mort de Hussein, alors qu'un étonnant 41 pour cent souhaitent sa libération. Un autre sondage récent plus systématiquement mené par le Centre de rechercher et d'études stratégiques irakiennes, un organisme travaillant étroitement avec les autorités d'occupation américaines, rapportait que 20 pour cent des Irakiens pensaient que Hussein méritait la clémence. Que Hussein, cet homme qui a dirigé brutalement l'Irak pendant plus de deux décennies, puisse recueillir le moindre soutien représente toute une accusation contre l'administration Bush. L'ancien président irakien ne parvient à recueillir de la sympathie qu'à cause de l'écrasante hostilité des Irakiens ordinaires à l'égard de l'invasion et de l'occupation illégale de leur pays par les États-Unis. Beaucoup continuent de penser que ce tyran doit être exécuté, peu importe les moyens. D'autres cependant regardent le procès comme une autre imposition humiliante des États-Unis sur leur pays, et ils expriment une admiration dissimulée pour Hussein, malgré son long passé d'oppresseur brutal. Interviewé dans un restaurant de Bagdad par le San Francisco Chronicle, Abu Allah a déclaré : « vous voyez comment il argumente avec les juges. C'est certain, je ne l'aimais pas lorsqu'il était au pouvoir - il a pris la terre de mon frère qu'il a jeté en prison pour six mois. Mais il ne faut pas oublier qu'il était toujours notre leader, et un Irakien, et il est bon qu'il montre qu'il n'est pas un lâche ».Beaucoup plus d'Irakiens sont trop préoccupés par la survie au jour le jour dans le désastre social créé par l'invasion américaine pour se préoccuper du procès de Hussein ou de son sort. Alors que les leaders arabes se sont fait remarqués par leur lâche silence, les éditoriaux des quotidiens de tout le Moyen-Orient ont été critiques à propos du procès, reflétant ainsi une hostilité populaire plus vaste. Le Jordan Times par exemple a souligné que le procès pourrait bien faire la lumière sur la façon dont Hussein « est parvenu au pouvoir et quels pays, spécialement de l'Occident, l'ont aidé à consolider sa poigne sur le pouvoir ». Le procès, poursuit le quotidien, « porte également sur le rôle qu'ont joué certaines capitales occidentales dans la fourniture au régime irakien des moyens de mener la guerre contre l'Iran et le Koweït et d'utiliser des armes chimiques contre son propre peuple ». L'administration américaine ne peut se permettre de laisser dévoiler des détails sur la longue et sordide association de Washington avec Hussein et le Parti baath au cours du procès. Selon certains compte rendus, les liens de la CIA avec Hussein remonteraient à sa tentative d'assassinat du leader nationaliste de gauche irakien, le général Abdel-Karim Kassem en 1959. Quatre ans plus tard, le Parti baath expulsait Kassem lors d'un putsch appuyé par la CIA qui avait fourni les noms et les adresses des principaux communistes irakiens devant être enlevés et exécutés. L'administration Bush s'est assurée que le Tribunal spécial irakien reste sous son contrôle étroit afin de l'empêcher qu'il ne devienne une débâcle politique. Washington est bien conscient que l'ancien président serbe Milosevic prépare sa défense à La Haye, et qu'il a l'intention de demander que plusieurs leaders politiques actuels et passés, notamment le premier ministre britannique Tony Blair et l'ancien président américain Bill Clinton, viennent témoigner de leur rôle responsable dans les événements sanglants survenus dans les Balkans. La dernière chose que la Maison Blanche veut, c'est que de hauts fonctionnaires américains comparaissent à la barre des témoins à Bagdad pour parler de leur rôle en Irak à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Le directeur du tribunal, Salem Chalabi, a annoncé clairement la semaine dernière qu'une telle chose n'arriverait pas. Il a déclaré aux médias que l'actuelle procédure en première instance qui ne commencera pas avant des mois, ne sera pas télévisée, empêchant ainsi Hussein de « prendre de l'importance ». Il a expliqué que les règles de la preuve seraient strictement conçues de façon à éviter que le défendeur n'y introduise des questions « extérieures ». « Saddam va vouloir utiliser le tribunal comme une plate-forme pour étaler ses idées politiques, mais nous n'allons pas le laisser faire. Nous allons le contraindre à se concentrer sur les accusations bien spécifiques portées contre lui », déclara-t-il. Les sept accusations portées contre Hussein jeudi passé ont été rédigées dans les termes les plus généraux. Elles comprennent le meurtre d'opposants politiques échelonnées sur trois décennies; l'assassinat de leaders religieux en 1974; le massacre de membres du clan kurde Barzani en 1983; le déplacement forcé de Kurdes de 1986 à 1988; le gazage des Kurdes à Halabja en 1988; l'invasion du Koweït en 1990 et la suppression du soulèvement des Kurdes et des Chiites en 1991. Hussein ne devrait pas être seul au banc des accusés pour aucune de ces instances. Tout au long des années 1980, les administrations Reagan et Bush ont appuyé le régime baathiste dans sa guerre sanglante contre l'Iran et elles ont délibérément fermé l'il devant l'utilisation d'armes chimiques contre les soldats iraniens. Avec l'approbation de leurs gouvernements respectifs, diverses entreprises américaines et européennes ont fournis à l'Irak les moyens techniques de développer et de construire ses « armes de destruction massive ». Ce n'est qu'au lendemain de la guerre Iran-Irak que l'administration Bush s'est tournée vers ses vassaux locaux et a récupéré l'invasion du Koweït en 1990 comme prétexte pour pousser la présence stratégique des États-Unis dans le golfe Persique. L'ambassadrice américaine à Bagdad à l'époque, April Glaspie, a délibérément emmené Hussein à croire qu'il avait l'appui de Washington dans sa dispute avec le Koweït à propos du siphonnage du pétrole des champs pétrolifères de al-Ramallah du sud de l'Irak. Après l'attaque contre l'Irak dirigée par les États-Unis en 1991, le président Bush père a encouragé dans un premier temps les Kurdes et les Chiites à se révolter contre le régime de Hussein, pour ensuite les abandonner délibérément à leur sort lorsqu'il est vite devenu clair que ces rebellions représentaient un plus grand danger pour les intérêts des États-Unis au Moyen-Orient que la présence du dictateur militaire à Bagdad. Hussein et les autres membres de son régime doivent
être jugés pour leurs crimes par le peuple irakien.
Mais la prémisse de toute justice véritable est
le retrait immédiat et inconditionnel de toutes les troupes
américaines et étrangères du pays. De plus,
tous les fonctionnaires américains responsables de l'actuelle
occupation illégale de l'Irak, de même que tous
ceux qui ont appuyé les crimes de Hussein et qui l'ont
aidé à les commettre doivent être tenus légalement
responsables de leurs gestes. Voir aussi :
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