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Le New York Times fait des révélations sur le rôle des militaires dans le vol des élections américaines de l'an 2000par Barry Grey Dans un long contre-rendu publié le 15 juillet, le New York Times a jeté une nouvelle lumière sur les méthodes employées par le camp Bush pour voler les élections présidentielles américaines de l'an 2000. Cet article, dont on pourrait traduire le titre par «Comment Bush a pris la Floride : l'exploitation du vote outremer des absents», a été le résultat d'une enquête de six mois menée par le Times sur la façon dont le vote de l'étranger arrivé par courrier fut traité par les représentants électoraux de la Floride. Ces votes d'outremer furent objet de controverse entre Bush et le candidat du Parti démocrate, Al Gore, lors de la contestation de l'élection en Floride. Le Times a décrit comment le camp Bush a mené une offensive sur deux fronts - celui de la contestation juridique et celui de la propagande - pour faire pression sur les bureaux électoraux des circonscriptions dominéss par les républicains, pour que soit acceptés les votes d'outremer qui normalement auraient dû être rejetés selon la loi électorale de Floride. Au même moment, les avocats de Bush ont fait pression sur les bureaux électoraux des circonscriptions gagnées aux démocrates pour qu'ils rejettent, là, les bulletins de vote illégaux. Les efforts pour augmenter illégalement le nombre de voix en faveur de Bush ont été concentrés sur des centaines de bulletins de vote des membres de l'armée dans des bases d'outremer. Les républicains ont bénéficié de l'aide des officiers militaires pour accroître le nombre des votes provenant de l'armée. Ils ont aussi fait pression sur les bureaux électoraux pour qu'ils acceptent les bulletins de vote des militaires dont le timbre postal soit manquait soit indiquait une date après le sept novembre ou encore qui étaient illégaux pour d'autres motifs. En conséquence, 680 des 2 490 bulletins d'outremer qui furent considérés comme légitimes après le jour de l'élection, ce qui revient à plus d'un vote sur quatre, ne l'étaient en fait pas. De ceux-là, 288 étaient des bulletins que les bureaux électoraux avaient tout d'abord rejetés le dix-sept novembre, la date butoir pour la réception des votes d'outre-mer, mais qui furent plus tard pris en compte sous la pression du camp Bush, de l'armée et des médias. L'avance officielle de Bush en Floride a été de 537 voix. Citant le site web du secrétariat d'État de la Floride, le Times rend compte que sans les voix d'outremer qui furent comptées après le jour de l'élection, Gore aurait gagné la Floride, et ainsi la Maison blanche, par 202 voix. Le camp Bush et les représentants de l'État de Floride, avec à leur tête le gouverneur Jeb Bush, le frère du candidat républicain, ont orchestré une violation systématique de la loi électorale floridienne en même temps qu'il déclarait que tout délai de la date butoir pour certifier le vote en Floride ne pouvait être permis, faisant valoir que les lois électorales devaient être strictement suivies. Le traitement clairement inégal du vote des absents vient contredire de plein front l'autre principale prétention des républicains : l'absence de critère défini et uniforme pour décider de la validité d'un vote dans les différentes circonscriptions viole la clause de l'égalité devant la loi de la constitution américaine. Si l'on devait pousser jusqu'au bout la logique de cette nouvelle approche, il faudrait invalider les élections à tous les niveaux de gouvernements aux États-Unis, où les lois électorales sont différentes d'un État à l'autre et où les règlements et procédures varient d'une circonscription électorale à l'autre à travers le pays. Néanmoins, c'est cette soi-disant violation du principe de l'égalité devant la loi qui fut avancée par la majorité républicaine de droite de la Cour suprême pour justifier leur jugement divisé (5 pour et 4 contre) qui arrêtait le recomptage manuel des votes et donnait la présidence de Bush. Mais alors que le Times a donné un portrait de fraudes et de crimes à grande échelle, il cherche à donner aux élections un vernis de légitimité. L'article disait, sans autre explication, que le Times n'a trouvé «aucune preuve de fraude électorale de la part d'un des deux partis». On peut même y lire que l'enquête «n'a trouvé aucun fondement aux soupçons des démocrates selon lesquels le camp Bush a organisé une campagne pour solliciter des votes tardifs». Plus loin, l'article disait aussi : «Il n'y a pas de preuve que le Pentagone a sciemment transmis des bulletins de vote qui avaient été remplis illégalement après le jour de l'élection.» Les auteurs ont de plus cité un expert sur les tendances du vote qui a estimé que Bush aurait mené par plus de 245 votes même si les votes d'outremer n'avaient pas pris en compte. Mais les faits offerts par le Times contredisent ces conclusions. Par exemple, l'article note que dix-sept pour cent des bulletins de votes des militaires résidants en Floride et en mission à l'étranger n'avaient pas été oblitérés, malgré les règlements militaires qui l'exigent pour tout courrier. Ce pourcentage remarquable de courrier sans oblitération ne s'est pas produit ailleurs au pays où moins d'un pour cent de tout le courrier des bases militaires d'outremer n'était pas oblitéré. Le Times a rapporté que les représentants du Pentagone qu'il avait interviewés «ne pouvaient pas vraiment expliquer pourquoi tant de bulletins de vote n'avaient pas été oblitérés». Une explication qui vient tout de suite à l'esprit est qu'il y a eu un effort concerté pour solliciter des votes tardifs auprès des militaires et pour les expédier sans oblitération pour cacher qu'ils étaient en fait illégaux. Deux questions politiques ressortent clairement du contre-rendu du Times. La première concerne le rôle qu'a joué l'armée dans la fraude électorale. L'implication des officiers de l'armée dans l'impasse électorale de Floride a changé de nature après le dix-sept novembre, devenant ouvertement publique. Ce jour-là, il y eut deux événements cruciaux. Les bureaux électoraux des circonscriptions de Floride ont rejeté près du tiers des votes des absents reçus après le jour de l'élection, y compris des centaines de voix du personnel militaire. Même si le total officiel du vote des absents accroissait la majorité de Bush de plusieurs centaines de votes, il ne l'accroissait pas suffisamment pour offrir un coussin suffisant pour contrebalancer les votes supplémentaires que gagnerait Gore si les tentatives des républicains pour mettre un terme au recomptage manuel des votes en Floride du Sud ne réussissaient pas. Encore plus dommageable pour les républicains, la Cour suprême de Floride empêchait la secrétaire d'État Harris de mettre fin au recomptage manuel et de confirmer la victoire de Bush dès samedi le dix-huit novembre. La réponse du camp Bush fut de monter une chasse aux sorcières contre Gore, décrivant les efforts des démocrates pour que les votes illégaux des militaires ne soient pas comptés comme une attaque antiaméricaine contre les forces armées. Le gouverneur du Montana, Marc Racicot, un des principaux porte-parole du camp Bush, a organisé une conférence de presse le dix-huit novembre où il déclarait que «... les avocats du vice-président sont en guerre, à mon sens, avec les hommes et les femmes qui servent la patrie dans les forces armées». Le général à la retraite Norman Schwarzkopf, le commandant des forces américaines lors de la Guerre du golfe et un partisan avoué de Bush, fut amené à l'avant-scène pour dénoncer Gore parce qu'il niait le droit de vote des soldats. Schwarzkopf n'a pas manqué de rappeler les membres de l'armée que si Gore gagnait en Floride, il serait leur nouveau commandant en chef, une déclaration qui ne pouvait être comprise autrement qu'une incitation à l'insubordination à peine voilée. Dans les jours qui suivirent, le camp Bush a mené une offensive sur deux fronts pour forcer les représentants électoraux locaux à prendre en compte les votes des militaires qu'ils avaient rejetés le dix-sept novembre. Sur le front juridique, ils ont engagé une poursuite contre quatorze bureaux électoraux de circonscriptions républicaines, accusant les membres des bureaux électoraux de violer la loi fédérale lorsqu'ils rejetaient les bulletins de vote des militaires arrivés dans des lettres non oblitérées ou qui ne remplissaient pas d'autres exigences légales. Ces poursuites n'avaient aucune base légale, et finirent par être jugées comme non recevables. Mais, elles eurent quand même l'effet désiré d'intimidation pour les bureaux électoraux récalcitrants. Sur le front propagandiste, les républicains tant au niveau de l'organisation nationale que celui de la Floride ont obtenu grâce aux officiers de l'armée les noms et les adresses électroniques des militaires à l'étranger qui avaient vu leurs votes rejetés. Ils ont demandé aux matelots et aux pilotes de la marine américaine des dénonciations de Gore et des démocrates, qui furent ensuite transmises aux médias qui ne demandaient rien de mieux. Au zénith de leur campagne, pour ne citer qu'un exemple, Katie Couric de l'émission «Today» diffusée sur NBC a interviewé la femme d'un pilote qui protestait parce que le vote de son mari avait été rejeté. La deuxième question cruciale qui est soulignée par les articles du Times est la paralysie et la couardise du Parti démocrate, et plus que tout, sa prostration devant l'armée. Même avec la présidence en jeu, le candidat à la présidence et le candidat à la vice-présidence du Parti démocrate se sont effondrés en face de l'opposition de l'état-major de l'armée. Le Times donne un contre-rendu de l'entrevue que le candidat à la vice-présidence, le sénateur Joseph Lieberman, donnait lors de l'émission «Meet the Press» de la chaîne NBC, diffusée le dimanche dix-neuf novembre, un jour après que les républicains ont lancé leur chasse aux sorcières sur la question du vote militaire. Même les représentants démocrates de Floride furent outrés par la capitulation de Lieberman devant les républicains et le Pentagone. Lieberman a refusé de défendre les représentants du Parti démocrate qui se sont opposés à l'intégration des bulletins de vote illégaux. Plutôt, il a dit qu'il donnerait le « bénéfice du doute » aux votes militaires, et a appelé les représentants des bureaux électoraux à «retourner et jeter un autre coup d'oeil» aux bulletins de vote qu'ils avaient rejeté deux jours plus tôt. Le candidat à la présidence, Gore, était tout aussi à plat ventre devant l'armée. Il a rejeté le conseil de ses stratèges de campagne qui insistaient pour qu'il fasse campagne contre les votes illégaux. Le Times cite Joe Sandler, qui était le conseiller général du Comité national des démocrates, se rappelant comment Gore a défendu sa position : «Je peux vous donner ses mots exacts : "Si je gagne la course à cause d'une poignée de votes des militaires, je serais pourchassé par les républicains et la presse chaque jour de ma présidence, et ça n'aurait servi a rien de l'avoir gagné. "» Un autre adjoint de Gore est cité ainsi : «Gore était convaincu que s'il devenait président, ce ne serait pas dans l'intérêt national qu'il ait des rapports avec les militaires caractérisés par la méfiance.» Ces deux déclarations sont tout bonnement remarquables. Ils reviennent à accepter que les militaires ont un droit de veto sur le résultat d'une élection nationale et sur le choix de celui qui habitera la Maison blanche. La subordination de l'armée au pouvoir civil est le principe premier de la Constitution américaine. Le fait que ce fondement de la démocratie soit si affaibli est une indication frappante du déclin des institutions démocratiques bourgeoises aux États-Unis. Le contre-rendu du Times confirme l'analyse des élections de l'an 2000 qu'a fait le World Socialist Web Site : ce fut un point tournant, une rupture irréversible d'avec les formes traditionnelles du gouvernement sous le capitalisme américain. Les détails que le Times a révélés dans son exposé font ressortir les énormes dangers pour la classe ouvrière. Ses droits fondamentaux sont menacés par un système politique se rapprochant de façon inéluctable d'une forme de gouvernement autoritaire. L'absence d'une opposition sérieuse à l'attaque contre les droits démocratiques au sein de l'élite politique trouve sa contrepartie dans la réponse des médias au contre-rendu du Times. En accord avec leur complicité tant dans la conspiration de la destitution et que dans le vol des élections 2000, les principales chaînes n'ont donné pratiquement aucun temps d'antenne aux articles du Times et aux questions qu'ils soulèvent. Pareillement, les démocrates sont demeurés silencieux. La dernière chose qu'ils voudraient, ce serait que les crimes de l'administration Bush deviennent largement connus du public. Néanmoins, le fait même que cette histoire soit parue dans un des journaux les plus importants de l'élite a une profonde signification objective. Le contre-rendu du Times est un exemple d'un genre de bilan politique sur le vol des élections 2000 que l'on voit de plus en plus. Au courant des dernières semaines, plusieurs rapports ont été publiés qui documentaient la déchéance des droits civiques des électeurs de la classe ouvrière et des minorités en Floride. Des livres ont commencé à paraître qui condamne la Cour suprême pour avoir ignoré les droits démocratiques et donné l'élection à Bush. Ces ouvrages reflètent une crise qui secoue jusque
dans ses fondations mêmes le pouvoir politique des États-Unis,
une crise qui a encore été exacerbée par
l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement par des moyens
antidémocratiques. Sept mois après l'inauguration
de Bush, l'élite politique n'a pas pu faire cesser les
questions sur la légitimité de son administration.
L'élite dirigeante est rongée par la crainte que
le manquement aux méthodes démocratiques ait discrédité
le système politique en son entier et ait pavé
la voie à une radicalisation de larges couches de la population
travailleuse. Voir aussi :
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