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La démission du premier ministre du Québec accroît la crise au sein du mouvement séparatistePar Jacques Richard La démission de Lucien Bouchard le 11 janvier dernier en tant que premier ministre du Québec et président du Parti Québécois (PQ) indépendantiste a secoué le mouvement séparatiste québécois. Alors que Bouchard a souvent été critiqué par des militants du PQ pour son manque de vigueur dans la promotion de la souveraineté du Québec, il était généralement vu comme le politicien le mieux placé pour « vendre » l'idée de l'indépendance à l'électorat. L'establishment du PQ essaie maintenant à tout prix d'éviter une course à la direction qui pourrait mener à une confrontation, sinon une scission, entre la faction séparatiste « pure et dure » et les éléments qui, conformément aux souhaits de la grande entreprise, préfèrent une approche modérée quant à la sécession et associent la revendication de la souveraineté à un appel pour un nouveau partenariat économique et politique avec le Canada. Que la haute direction du PQ réussisse ou non cette manoeuvre, les circonstances entourant la démission de Bouchard soulignent un point politique fondamental : tout renouveau du séparatisme québécois prendra la forme d'un mouvement faisant des appels ouverts au chauvinisme. Dans son discours de démission, Bouchard a explicitement fait référence à la controverse provoquée par les propos anti-juifs et anti-immigrants tenus en décembre dernier par un « pur et dur » du PQ, Yves Michaud, lors d'audiences publiques sur les lois linguistiques de la province. « Je ne comprends toujours pas », a déclaré Bouchard, « comment le débat linguistique a pu déraper vers une comparaison mesurée des souffrances du peuple juif et l'intolérance dont aurait fait preuve les citoyens québécois qui ont choisi de ne pas voter pour la souveraineté du Québec ». Il a ensuite admis avoir été pris de court par le niveau de soutien dont a bénéficié Michaud non seulement dans les rangs du PQ, mais parmi les intellectuels, les chefs syndicaux et d'autres figures publiques. Bien que l'affaire Michaud ait été un facteur dans la démission de Bouchard, à un niveau plus fondamental, si celui-ci a démissionné après seulement cinq ans à la tête du PQ c'est parce qu'il en est venu à la conclusion que l'orientation politique de base de son parti, l'indépendance du Québec, n'allait nulle part, peu importe la façon dont elle était apprêtée pour consommation populaire. Pendant plusieurs années, Bouchard a cherché à tenir en laisse la faction « pure et dure » du PQ en disant qu'il travaillait pour créer les « conditions gagnantes » en vue d'un troisième référendum sur la souveraineté du Québec. Dans son discours d'adieu, il a avoué qu'il ne voyait aucune façon de réaliser l'article un de la constitution du PQ. « J'ai décidé de donner aux membres du Parti Québécois la chance de se donner un nouveau chef qui saura mieux faire avancer la cause de la souveraineté » Bouchard a déploré les pertes enregistrées par le Bloc Québécois, l'alter ego du PQ sur la scène fédérale, lors des élections fédérales de novembre dernier. Puis il s'est lamenté du fait que « Nous n'avons pas réussi à accroître la ferveur souverainiste ». Bouchard a continué en critiquant la population pour son manque de militantisme nationaliste. Les Québécois, a-t-il dit, n'ont pas réagi aux initiatives fédérales en matière de dépenses sociales qui « empiètent » sur les domaines de juridiction provinciale. Ce qui a été même plus choquant, c'est qu'ils n'ont pas répondu aux appels de Bouchard en faveur d'une « union sacrée » de tous les Québécois pour s'opposer à la loi fédérale sur la clarté qui fait valoir le droit du gouvernement fédéral d'établir les règles de tout futur référendum sur l'indépendance du Québec et menace un Québec indépendant de partition. « Les Québécois, » a déclaré Bouchard, sont restés « étonnamment impassibles face à des offensives fédérales comme l'union sociale, le programme de bourses du millénaire, la création de chaires universitaires de recherche, l'adoption de la loi C-20 [loi sur la clarté] ». Bouchard n'a offert aucune explication pour l'indifférence du public envers les appels du PQ et pour l'érosion de l'ardeur indépendantiste. Mais en défendant les actions de son gouvernement, il a laissé percer la raison principale. Ce que Bouchard considère comme sa plus grande réalisation, à savoir l'élimination du déficit budgétaire de la province grâce à des coupures majeures dans les dépenses sociales, lui a certes valu l'estime de la grande entreprise québécoise et de l'élite économique et syndicale. Parmi les travailleurs cependant, de telles mesures ont provoqué beaucoup de colère et d'opposition. En été 1999, lorsque les infirmières de la province sont sorties en grève en défiant toute une série de lois anti-syndicales, cette opposition a menacé de devenir une remise en cause de l'existence même du gouvernement péquiste. Mais comme l'a dit Bouchard : « Je croyais, et je crois encore, que l'une des meilleures façons de persuader les Québécois de leur capacité de se gouverner eux-mêmes, avec toutes leurs ressources et tous leurs pouvoirs, c'est de faire la démonstration concrète de leur potentiel et celui de leur état. » La carrière politique de Bouchard est typique des contradictions et des tiraillements qui règnent au sein du mouvement séparatiste québécois. Bien qu'il ait autrefois écrit des discours pour le premier ministre libéral Pierre Trudeau et qu'il se soit ensuite associé au PQ, Bouchard a été élu député pour la première fois en 1988 en tant que conservateur fédéral. Bouchard était loin d'être le seul séparatiste québécois à se joindre aux conservateurs dans les années 80. En fait, c'est le fondateur du PQ, René Lévesque, qui , après la défaite du référendum tenu par le PQ en 1980 et l'adoption d'une nouvelle constitution canadienne malgré les objections du gouvernement québécois, avait proposé que les indépendantistes fassent cause commune avec les conservateurs de Brian Mulroney pour vaincre les Libéraux. Bouchard est rapidement entré au cabinet conservateur et est devenu le bras droit de Mulroney pour le Québec. Mais en 1990 il a quitté le gouvernement pour protester contre l'effondrement de l'accord constitutionnel du Lac Meech. (Cet accord visait à gagner l'adhérence formelle du Québec à la constitution canadienne en échange de concessions selon les demandes traditionnelles du gouvernement du Québec, à savoir plus d'autonomie.) Quelques semaines plus tard, Bouchard prenait la tête d'un groupe de députés conservateurs et libéraux dissidents pour établir un nouveau parti fédéral, le Bloc Québécois, voué à lutter pour les « intérêts du Québec ». La fondation du BQ a été appuyé non seulement par le PQ, mais aussi par le gouvernement libéral du Québec d'alors, qui espérait s'en servir pour faire pression sur ses rivaux fédéralistes. Le BQ s'est par la suite engagé à promouvoir la séparation du Québec de l'état fédéral canadien, mais dans le cadre d'un processus visant à forger une nouvelle union politique et économique avec le reste du Canada selon le modèle d' « états souverains ». Bouchard n'a appuyé le référendum de 1995 qu'à la condition que la souveraineté soit liée à un appel pour un nouveau partenariat économique et politique avec le Canada. Durant la campagne référendaire de 1995, Bouchard est devenu le principal porte-parole indépendantiste, remplaçant le premier ministre Jacques Parizeau qui, étant issu d'une des plus riches familles francophones et ayant participé à la mise en place de nombreuses mesures de droite du gouvernement péquiste, ne pouvait pas faire le même appel populiste. Bouchard a présenté la « souveraineté » comme un « rempart » contre le « vent de droite » qui soufflait sur l'Amérique du Nord. Mais à peine Bouchard avait-il remplacé Parizeau en tant que premier ministre péquiste au début de 1996, qu'il a entrepris d'imposer des coupures de dépenses sociales comparables à celles réalisées par les conservateurs de Harris en Ontario et le gouvernement libéral fédéral. Et lorsque Bouchard a fait face à une opposition populaire des infirmières, des camionneurs indépendants ou d'autres couches de travailleurs, il a eu recours à la répression policière. L'évolution de Bouchard, de ministre conservateur fédéral à premier ministre péquiste sabrant dans les dépenses sociales, met en lumière la véritable nature du PQ et du projet séparatiste québécois. Issu d'une scission du parti libéral du Québec, le PQ, dès sa formation en 1968, a toujours été un parti capitaliste qui défendait les intérêts de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie québécoise. Si le PQ a prétendu au début des années 70 avoir un « préjugé favorable aux travailleurs », c'est qu'il cherchait, avec l'aide de la bureaucratie syndicale, à exploiter une offensive de la classe ouvrière pour renforcer la position de l'élite économique francophone montante du Québec. Sous un visage « radical », sinon « socialiste », le nationalisme québécois a servi à isoler une classe ouvrière québécoise de plus en plus révoltée de ses frères et soeurs de classe du reste du Canada et à détourner ainsi sa lutte d'une remise en question du système de profit. Aujourd'hui, des dirigeants péquistes comme le vice-premier ministre Bernard Landry et l'ex-premier ministre Jacques Parizeau se réjouissent publiquement du fait que la politique d'un « état québécois fort » suivie par les gouvernements québécois dans les années 60 et 70, tant péquistes que libéraux, a créé une « puissante » classe dirigeante francophone capable de compétitionner sur les marchés mondiaux. Déjà dans les années 80, le PQ est entré en conflit direct avec la classe ouvrière, coupant les salaires des travailleurs du secteur public et imposant une série de lois anti-syndicales. Sous Bouchard, le PQ a inscrit la « responsabilité fiscale » et la « compétitivité internationale » sur sa bannière, balayant tous les vestiges de son ancienne association avec le réformisme soical. La souveraineté, a clamé Bouchard, serait réalisée en prouvant au milieu québécois et international des affaires que la séparation serait dans son intérêt. Loin de menacer le statu quo, un Québec indépendant serait un partenaire dans l'ALENA, le NORAD, l'OTAN et utiliserait comme monnaie le dollar canadien, ou même mieux le dollar américain. Mais les efforts de Bouchard pour gagner l'appui du capital pour l'indépendance du Québec sont restés infructueux. Rompant avec la tradition, le président Bill Clinton a fait plusieurs interventions publiques en faveur de l'unité canadienne, ne laissant aucun doute sur le fait que les Etats-Unis ne voient rien à gagner dans l'éclatement de leur plus proche allié et plus important partenaire commercial. En outre, le fait que le gouvernement libéral de Jean Chrétien et l'élite canadienne-anglaise se sont montrés prêts à menacer un Québec sécessionniste de partition et par implication de guerre civile, a amené des sections importantes de la classe dirigeante québécoise à remettre en question leur stratégie d'utiliser la séparation comme un levier pour arracher des concessions à leurs rivaux au sein de la confédération et à se demander si elle n'était pas devenue contre-productive. Après la démisssion de Bouchard, des hommes politiques en vue au sein et autour du PQ ont appelé le parti à prendre ses distances envers sa faction séparatiste « pure et dure » et à inscrire dans un cadre plus « moderne » et « inclusif » sa lutte pour gagner plus de pouvoirs d'Ottawa et former potentiellement un état indépendant. Mais l'échec de Bouchard à réaliser précisément un tel programme reflète à quel point le PQ est dépendant de son aile séparatiste « pure et dure » et d'appels au chauvinisme linguistique et ethnique. Alors que Bouchard a critiqué les remarques anti-sémites et anti-immigrantes de Michaud, ses propres appels, particulièrement lors du référendum de 1995, invoquaient la fierté ethnique et les thèmes traditionnels du nationalisme canadien-français et québécois. Comme l'a noté un journaliste, « c'est très bien que Bouchard s'oppose au nationalisme ethnique, mais il n'avait jamais été aussi convaincant que lorsqu'il évoquait, la main sur le coeur, l'héritage de nos ancêtres ». Plus fondamentalement, l'émoi qui agite le PQ quant à ses buts et sa stratégie tire ses racines dans de profonds processus économiques et politiques. Le caractère de plus en plus global de l'économie mondiale a enlevé toute possibilité objective pour un état national de promouvoir la croissance économique par le biais de la réglementation et des barrières tarrifaires, et de fournir ainsi une base économique pour une expansion de l'État-Providence. Alors que dans les années 60 et 70, l'état-nation pouvait, grâce au boum d'après-guerre, être présenté comme un véhicule pour le progrès économique et social, il est aujourd'hui de plus en plus démasqué comme étant un instrument des sections les plus puissantes de la grande entreprise pour mener la lutte pour les profits et les marchés. Il y a longtemps que le PQ a abandonné toute prétention qu'un Québec indépendant utiliserait ses nouveaux pouvoirs étatiques pour élargir les services publics et promouvoir une plus grande égalité sociale. Mise à part leur démagogie populaire, le PQ, tant sous Parizeau que sous Bouchard, a réalisé les souhaits de la grande entreprise et élaboré un programme pour un Québec indépendant visant à prouver que la séparation serait une stratégie gagnante pour la grande entreprise québécoise. Ce tournant vers la droite a grandement érodé le soutien populaire pour le séparatisme québécois, mais il n'a pas réussi à convaincre le capital québécois et surtout américain qu'il devrait risquer un chambardement des frontières étatiques de l'Amérique du Nord. Dépourvu d'une base sociale viable, soit comme un mouvement articulant les intérêts et les aspirations progressistes des travailleurs ou en tant que mouvement jouissant du soutien du capital international, le séparatisme québécois devient inévitablement de plus en plus caractérisé par sa dimension intrinsèquement petite-bourgeoise et chauvine. Les appels pour de nouvelles restrictions sur l'école anglaise et les dénonciations de la « contamination » du Québec par des « étrangers » et des langues « étrangères » trouvent un écho favorable parmi les sections plus faibles de la grande entreprise et certaines couches de la classe moyenne qui sont en train d'être balayées par la globalisation. La démission de Bouchard était en fait un aveu par l'homme réputé être le politicien indépendantiste le plus populaire qu'il ne voyait aucune façon de gagner un appui majoritaire pour la séparation. C'était aussi un aveu tacite que l'influence des éléments ouvertements chauvins au sein du PQ grandissait et que l'aile la plus modérée du mouvement nationaliste québécois n'a ni le désir, ni la capacité, de les affronter politiquement. Voir aussi:
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